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20/03/2024 | FRANCE | N°21/07350

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 20 mars 2024, 21/07350


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 20 MARS 2024



(n° 2024/ 130 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07350 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHDD



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 avril 2021 - Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 19/06242





APPELANT



Monsieur [P] [T]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Audrey HINOUX,

avocat au barreau de PARIS, toque : C2477





INTIMÉE



S.A.S. LA FINANCIERE ATALIAN

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Sofiane HAKIKI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1653




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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 20 MARS 2024

(n° 2024/ 130 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07350 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHDD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 avril 2021 - Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 19/06242

APPELANT

Monsieur [P] [T]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMÉE

S.A.S. LA FINANCIERE ATALIAN

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Sofiane HAKIKI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1653

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Madame Alisson POISSON, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Selon contrat de travail à durée indéterminée, M. [T] a été engagé en qualité de « directeur des ressources humaines corporate » le 13 novembre 2017 par la société La financière Atalian (la société LFA) qui appartient au groupe Atalian.

Par lettre du 2 avril 2019, la société LFA a notifié à M. [T] sa mise à pied à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 12 avril suivant.

M. [T] a été licencié pour cause réelle et sérieuse le 29 avril 2019.

Il a saisi le 11 juillet 2019 le conseil de prud'hommes de Paris d'une contestation de son licenciement et en demandant que la société LFA soit condamnée à lui payer différentes sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 26 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a rendu la décision suivante:

« Déboute Monsieur [P] [T] de l'ensemble de ses demandes.

Déboute la société FINANCIERE ATALIAN de sa demande reconventionnelle.

Condamne la partie demanderesse au paiement des entiers dépens. »

M. [T] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 9 août 2021.

La constitution d'intimée de la société LFA a été transmise par voie électronique le 26 août 2021.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 novembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [T] demande à la cour:

« D'INFIRMER le jugement de première instance rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris le 21 avril 2021 en ce qu'il a :

o Débouté Monsieur [P] [T] de l'ensemble de ses demandes,

o Condamné la partie demanderesse au paiement des entiers dépens.

DE CONFIRMER le jugement de première instance rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris le 21 avril 2021 en ce qu'il a débouté la société FINANCIERE ATALIAN de sa demande reconventionnelle.

Statuant de nouveau et y ajoutant :

- Juger, en application des dispositions des articles L.1232-2 et suivants du Code du Travail, que la société de la société LA FINANCIERE ATALIAN n'a pas respecté la procédure de licenciement et que celui-ci-ci est non-régulier ;

- Juger, en application des dispositions des articles L.1235-3 et suivants du Code du Travail, que le licenciement de la société LA FINANCIERE ATALIAN est sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

A titre principal,

- Condamner, la société LA FINANCIERE ATALIAN à payer à Monsieur [P] [T] des sommes suivantes :

o à titre de rappel de prime LTI 2017, la somme de 100.000 € bruts ;

o au titre des congés payés afférents, la somme de 10.000 € bruts ;

o à titre de rappel de prime LTI 2019, la somme de 58.333 € bruts ;

o au titre des congés payés afférents, la somme de 5.833 € bruts ;

A titre subsidiaire,

- Condamner la société LA FINANCIERE ATALIAN à payer à Monsieur [P] [T] des sommes suivantes :

o A titre de dommages et intérêts pour perte de chance de percevoir la prime de LTI :

158.333 €.

En tout état de cause,

- Condamner la société LA FINANCIERE ATALIAN à payer à Monsieur [P] [T] des sommes suivantes :

o à titre de dommages et intérêts, en raison du non-respect de la procédure de licenciement, la somme de 37.503 € nets ;

o à titre de dommages et intérêts, en raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la somme de 75.007 € nets ;

o à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail dans des conditions vexatoires, la somme de 50.000 € nets ;

o à titre de dommages-intérêts en raison de l'exécution fautive du contrat de travail, la somme de 15.000 € ;

o au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, la somme de 5.000 € ;

- Condamner la société LA FINANCIERE ATALIAN à remettre à Monsieur [P] [T] les documents de fin de contrat rectifiés, bulletins de travail, conformément à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, après expiration d'un délai de 15 jours à compter du prononcé de la décision ;

- Se réserver, par la Cour d'appel, la liquidation de l'astreinte ;

- Condamner la société LA FINANCIERE ATALIAN à l'affichage de l'arrêt à intervenir durant 15 jours dans les locaux de la société LA FINANCIERE ATALIAN situés à [Localité 8] ' [Adresse 1] (Affichage sur format A3 : 40 x 29,7 cm, en caractères dont la hauteur ne peut être inférieure à celle du corps 30), le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard, après expiration d'un délai de 10 jours à compter du prononcé de la décision.

- Se réserver, par la Cour d'appel, la liquidation de l'astreinte ;

- Condamner la société LA FINANCIERE ATALIAN aux entiers dépens ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux règles légales, à compter de la convocation de la société LA FINANCIERE ATALIAN devant le Bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial, et, à compter du prononcé de l'arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire. »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 4 décembre 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société LFA demande à la cour de:

« REJETER l'appel de Monsieur [T] ;

CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes dans toutes ses dispositions ;

CONDAMNER Monsieur [T] à verser à la Société LA FINANCIERE ATALIAN la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700, outre les entiers dépens. »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le licenciement

M. [T] soutient d'abord que licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse dès lors que le licenciement a été prononcé tardivement après la mise à pied conservatoire et que celle-ci doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire.

En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que le délai, prévu à l'article L.1232-2 du code du travail, d'au moins cinq jours ouvrables entre la date de l'entretien préalable, le 12 avril 2019, et la présentation, le 4 avril 2019, à M. [T] de la lettre recommandée de convocation à cet entretien, a bien été respecté.

De même, le délai d'au moins deux jours ouvrables entre l'entretien préalable et l'expédition de la lettre de licenciement datée du 29 avril 2019, prévu à l'article L. 1232-6 du code du travail, a été respecté.

La lettre de licenciement a donc aussi été envoyée à M. [T] dans un délai inférieur à un mois à compter de la date de l'entretien préalable. La notification du licenciement n'a par conséquent pas été tardive.

En ce qui concerne la mise à pied, celle-ci a été notifiée à M. [T] dans la lettre du 2 avril 2019 le convoquant à l'entretien préalable, de sorte que la notification de la mise à pied et l'engagement de la procédure de licenciement ont été simultanées, la jurisprudence évoquée par M. [T] en page 9 de ses écritures d'appel n'étant ainsi pas pertinente au regard de la chronologie d'espèce.

Enfin, il est de jurisprudence constante que la circonstance qu'après la notification d'une mise à pied conservatoire au salarié, l'employeur ne prononce pas un licenciement pour faute grave ou lourde mais un licenciement pour cause réelle et sérieuse n'a pas pour effet de conférer à la mise à pied une nature disciplinaire mais entraîne l'obligation pour l'employeur de rémunérer la période de mise à pied.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la période de mise à pied a bien été payée par la société LFA à M. [T] après le prononcé du licenciement.

Aucun élément n'est produit justifiant que la mise à pied prononcée à titre conservatoire soit requalifiée en mise à pied disciplinaire.

S'agissant de l'examen au fond du licenciement, il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur au titre du licenciement en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Par conséquent, la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties. Mais si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement pour cause réelle et sérieuse est notamment rédigée dans les termes qui suivent:

« De par vos fonctions de directeur général des ressources humaines du groupe ATALIAN vous êtes l'un des cadres dirigeants placés au plus proche de la direction et avez à ce titre une large connaissance des enjeux stratégiques du groupe.

Vous étiez ainsi informé du contexte particulièrement délicat relatif à l'indisponibilité de Monsieur [W] [L] [G], ce depuis son départ en arrêt maladie le 12 mars 2019.

Or le 20 mars dernier vous avez appréhendé l'un de ses outils de travail (son ordinateur) alors que vous saviez non seulement qu'il était cassé mais également que Monsieur [W] [L] [G] en avait un plus récent à sa disposition.

La conservation de cet outil était d'autant plus importante pour la société qu'il était essentiel pour cette dernière de conserver les informations à caractère professionnel dont Monsieur [W] [L] [G] était détenteur du fait des aspect stratégiques de ses fonctions.

C'est dans ce contexte que vous lui avez pourtant remis son ordinateur alors qu'il était maintenu sous clé.

Afin de le récupérer vous avez fait pression sur l'une des collaboratrices de la société arguant que l'ordinateur serait la propriété du salarié que la société avait l'obligation de le lui remettre.

Ce comportement est d'autant moins acceptable que vos fonctions de directeur général des ressources humaines du groupe ne vous permettent pas d'ignorer que les outils de travail remis au salarié dans le cadre de leurs fonctions restent la propriété de l'entreprise.

Durant l'entretien préalable, vous avez reconnu les faits.

Vous les avez toutefois justifiés en indiquant que vous aviez agi sur instruction de Monsieur [Y], ce qui, au-delà d'être faux, est à l'évidence dépourvu de toute vraisemblance. »

Il résulte des pièces versées aux débats que M. [T] « directeur des ressources humaines corporate », était placé sous l'autorité de M. [L], « directeur général groupe ». La société LFA ne comprend qu'une dizaine de salariés consistant dans les cadres dirigeants amenés à travailler de façon transversale pour les différentes sociétés composant le groupe Atalian. M. [Y] est le principal actionnaire de ce groupe fondé par son grand-père.

M. [L] a été placé en arrêt de travail le 12 mars 2019 pour une semaine, cet arrêt étant intervenu dans le contexte d'un conflit entre lui et M. [Y]. Les tensions entre M. [L] et M. [Y], président du conseil d'administration du groupe Atalian, étaient croissantes depuis mi-janvier 2019 selon les dires mêmes de M. [T] qui en avait donc connaissance.

M. [T] indique également, en page 11 de ses conclusions d'appel, avoir, au début de l'arrêt de travail précité, reçu comme tous les membres du COMEX un procès-verbal « de décision de la société Finage (détenue à 100% par M. [P] [Y]) de remplacer M. [L] à la tête de différentes sociétés du groupe ».

Il en ressort que M. [T] n'ignorait pas, à l'époque des faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement, le conflit aigu opposant M. [L] et le groupe Atalian dirigé par M. [Y].

Le 18 mars 2019, à la demande de la société LFA, un huissier s'est déplacé dans les locaux situés à [Localité 9], où travaillait aussi M. [T], afin, d'une part, de constater que M. [L], dont l'arrêt de travail venait d'être prolongé, avait fait vider son bureau de tous ses effets personnels et, d'autre part, de procéder à une copie intégrale du contenu du disque dur de l'ordinateur professionnel de M. [L] (pièce n°6 de l'employeur). Dans son procès-verbal de constat, l'huissier mentionne être reçu par « Mme [S] [M], assistante de direction » qui lui a notamment montré l'ordinateur portable professionnel de M. [L], et ce en présence de M. [Y]. L'huissier précise dans son constat avoir indiqué à ce dernier ne pas pouvoir effectuer immédiatement la copie du disque dur de la machine dans la mesure où cette opération nécessitait l'utilisation d'outils informatiques spécifiques et avoir ajouté que l'ordinateur ne devait pas être allumé avant la réalisation des opérations de copie afin notamment de ne pas modifier ou altérer le journal d'événements du système. L'huissier écrit que M. [Y] a indiqué à Mme [M] que l'ordinateur devait être conservé en l'état et placé dans le coffre de la société afin qu'une copie du disque dur de la machine puisse être effectuée dans un second temps sous le contrôle de l'huissier, celui-ci constatant enfin que « Mme [M] s'est ensuite retirée afin de satisfaire aux instructions de M. [Y] et l'ordinateur portable a été déposé dans le coffre de l'entreprise afin d'y être conservé en attente de réalisation des opérations de copie ».

Il ressort des échanges de courriels entre M. [T] et M. [L] que celui-ci lui a demandé le 18 mars 2019 à 13h49 à ce qu'on lui fasse « porter » son ordinateur portable professionnel « car j'ai dedans des dossiers personnels dont j'ai impérativement besoin » (pièce n°24 du salarié) et l'a relancé par courriel du 19 mars 2019 à 20h49.

Si par courriel du 20 mars 2019 à 9h49 Mme [M] a indiqué à M. [T] que « L'ordinateur est dans le coffre de [O] [N]. Tu peux aller le chercher », elle lui a ensuite adressé le même jour à 12h15 un courriel mentionnant que « M. [Y] vient d'essayer de te joindre sur ce sujet. Il essaiera de te rappeler pour t'indiquer que j'ai récupéré l'ordinateur auprès de [J] qui était dans une enveloppe craft lundi après-midi pour le présenter à l'huissier en présence de M. [Y] pour être mis dans le coffre de [O] ». Au plus tard à ce moment, M. [T] était donc informé que l'ordinateur portable professionnel de M. [L] avait été placé dans un coffre afin d'être présenté à un huissier.

Dans une attestation, Mme [M] déclare « que M. [P] [T] m'a demandé par mail et téléphone le 20 mars 2019 où se trouvait l'ordinateur professionnel de M. [W] [L] afin de le rendre à ce dernier. Lors de l'appel téléphonique de M. [T] aux alentours de 9h30, celui-ci a fortement insisté pour savoir où se trouvait l'ordinateur arguant du fait que la société n'avait pas d'autre choix que de le rendre à M. [L] et que si celui-ci n'était pas rendu à M. [L] cela serait considéré comme une faute. Je lui ai donc indiqué par téléphone lors de cet appel que l'ordinateur se trouvait dans le bureau de [O] [N] sous clé, information que je lui ai également communiquée par mail à 9h49. A aucun moment je ne lui ai donné l'autorisation de rendre l'ordinateur et je n'ai pas reçu d'instruction en ce sens de M. [Y]. Je n'ai fait que lui indiquer où se trouvait l'ordinateur et au vu de son insistance, son argumentaire et son positionnement de DRH groupe, je lui ai précisé qu'il pouvait aller le chercher ».

Il ressort de l'attestation de M. [L] que « dans la journée » du 20 mars 2019, « par échange de SMS » avec M. [T], « nous sommes convenus qu'il était plus commode qu'il me » dépose l'ordinateur « en partant travailler un matin et nous avons décidé de nous rencontrer au café proche de mon domicile (21 mars) à 8h30 ».

La remise par M. [T] à M. [L] de son ordinateur professionnel le 21 mars 2019 à 8h30 n'est pas contestée.

Or, il résulte des éléments versés aux débats, par exemple de la lettre de contestation du licenciement écrite par M. [T] le 3 mai 2019 (pièce n°13 du salarié), que M. [T] avait connaissance, avant cette date et cet horaire, de ce que l'ordinateur professionnel litigieux de M. [L] avait été placé dans un coffre afin d'être présenté à un huissier mandaté par leur employeur.

Pour justifier avoir malgré tout remis à M. [L] cet ordinateur professionnel le 21 mars 2019 en dépit du conflit qui opposait celui-ci à la société LFA, M. [T] affirme que M. [Y] lui a demandé par téléphone, le 20 mars 2019, de rapporter son ordinateur à M. [L] afin d'apaiser la situation avec celui-ci. Ces dires sont contestés par la société LFA. Il ressort de l'examen des pièces communiquées par les parties que M. [T] ne rapporte pas la preuve d'une telle demande de M. [Y] et/ou de la société LFA.

Au vu de l'ensemble des éléments fournis par les parties, la cour a donc la conviction que les faits reprochés dans la lettre de licenciement sont établis et constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, la circonstance que d'autres ruptures de contrats de travail de salariés sont intervenues pour différents motifs étant dès lors indifférente. Le jugement est par conséquent confirmé sur ce chef.

Sur la régularité de la procédure de licenciement

M. [T] soutient pour différents motifs que la procédure de licenciement n'a pas été respectée par la société LFA.

En premier lieu, M. [T] reproche à la société LFA de ne pas lui avoir communiqué, avant la tenue de l'entretien préalable au licenciement qui s'est tenu le 12 avril 2019, les griefs qui lui étaient faits. Le salarié ne précise cependant pas le fondement légal ou jurisprudentiel d'une telle obligation pour l'employeur.

En effet, cette obligation alléguée par M. [T] n'existe pas. Selon l'article L.1232-2 du code du travail, l'employeur qui envisage de licencier un salarié doit le convoquer, avant toute décision, à un entretien préalable. La lettre de convocation doit comporter un certain nombre de mentions que l'article R.1232-1 du même code énumère, et parmi lesquelles ne figure pas l'indication des faits reprochés au salarié. Il ressort de l'article L.1232-3 dudit code que c'est au cours de l'entretien préalable, et non avant, que l'employeur a l'obligation d'indiquer au salarié les motifs pour lesquels la décision de licenciement est envisagée, et recueille les explications du salarié. La circonstance que M. [T] a demandé, par courriel du 9 avril 2019 (pièce n°9 du salarié), à son employeur de lui « communiquer dès à présent par retour de courriel les griefs à mon encontre » n'était pas de nature à créer une obligation, non prévue légalement ou jurisprudentiellement, à cet égard.

En deuxième lieu, M. [T] reproche à la société LFA que dans la lettre de convocation à l'entretien préalable les adresses mentionnées concernaient le département 94.

L'article L.1232-4 du code du travail dispose, en son alinéa 3, que « La lettre de convocation à l'entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l'adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition ».

En l'espèce, la lettre de convocation mentionne la possibilité pour M. [T] de se faire assister lors de l'entretien préalable par un membre du personnel de la société ou par une personne de son choix inscrite sur une liste dressée par le préfet qu'il pourra consulter à la « mairie de [Localité 9] située au [Adresse 2] » ou à « L'inspection du travail compétente située [Adresse 7] ».

Or si la société LFA fait observer que les locaux dans lesquels M. [T] travaillait étaient situés dans le département 94 et étaient mentionnés comme tels dans le contrat de travail, il ressort des éléments communiqués que le salarié était domicilié dans le département 92 tandis que le siège social de la société LFA se trouvait à Paris.

L'irrégularité dans la procédure de licenciement qui en résulte n'entraîne pas, comme le soutient à tort M. [T], l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement mais donne droit, quand le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, à des dommages-intérêts spécifiques pour un montant qui ne peut être supérieur à un mois de salaire selon l'article L.1235-2 du code du travail.

En l'espèce, M. [T] était le directeur des ressources humaines non de la seule société LFA mais du groupe Atalian qui, selon ce qui est présenté par le salarié en page 2 de ses conclusions d'appel, emploie 125 000 personnes dont 75 000 en France. M. [T] avait le statut de cadre dirigeant et était membre du comité de direction.

Compte tenu de ces éléments, établissant notamment que l'appelant disposait d'un minimum de connaissances juridiques dont il n'est pas démontré qu'il en avait perdu les capacités par un choc, et de tous les éléments versés aux débats par les parties, le montant du préjudice pour M. [T] de ce que la lettre de convocation à l'entretien préalable ne mentionnait pas le bon département pour la mairie et la préfecture où il pouvait prendre connaissance de la liste dressée par le préfet des conseillers pouvant l'assister durant cet entretien, est évalué à la somme de 100 euros.

Par infirmation du jugement, la société LFA est condamnée à payer à M. [T] la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement.

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral distinct

Il est de jurisprudence constante que le salarié justifiant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture de son contrat de travail, d'un préjudice distinct du licenciement lui-même, peut obtenir des dommages et intérêts en réparation de ce préjudice. Il peut prétendre à cette indemnité que son licenciement ait été jugé sans cause réelle et sérieuse ou fondé sur une cause réelle et sérieuse ou une faute grave.

En l'espèce, M. [T] soutient que la procédure de licenciement a été particulièrement vexatoire puisqu'il a « été mis à pied puis dispensé de l'exécution de son préavis de sorte qu'il a été évincé de la société du jour au lendemain. L'atteinte à son image et à sa réputation est parfaitement caractérisée. De plus, M. [T] n'a pas été en mesure de s'expliquer sur les faits vis-à-vis de ses collègues puisqu'il n'est plus revenu dans la société à compter de sa mise à pied cavalière ».

Cependant, l'atteinte à l'image et à la réputation de M. [T] n'est pas démontrée par les éléments communiqués alors même que les faits reprochés par l'employeur sont établis et justifiaient donc la rupture du contrat de travail.

En revanche, même si elle a ensuite donné lieu à rémunération, la période de mise à pied du 2 au 29 avril 2019 n'était finalement pas nécessaire compte tenu de la nature du licenciement prononcé, à savoir pour cause réelle et sérieuse.

En considération des éléments versés aux débats, le préjudice caractérisé par l'éviction de M. [T] dès le 2 avril 2019 est évalué à la somme de 1 000 euros.

Par infirmation du jugement, la société LFA est donc condamnée à payer à M. [T] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct.

Sur le plan LTI

L'article 4, intitulé « Rémunération », du contrat de travail de M. [T] comportait trois parties distinguant un « salaire fixe forfaitaire », un « salaire variable », et un « plan LTI (Long Term Incentive »).

Le 3° de cet article 4 énonce que « Dès la première année, le salarié sera éligible à un plan LTI (Long Term Incentive) de 5 ans, d'une enveloppe de 100 000 euros bruts par an. Les conditions d'attribution seront détaillées ultérieurement lors de la mise en place du plan avant la fin de l'année 2017 ».

Contrairement à ce que soutient la société LFA, si les conditions de l'attribution de ce plan étaient encore à détailler lors de la conclusion du contrat de travail, le principe de l'octroi dudit plan était en revanche acquis selon les termes contractuels qui viennent d'être rappelés. L'existence du plan LTI et de sommes dues à ce titre à M. [T] n'était donc pas conditionnée au détail ultérieur des conditions d'attribution.

En outre, il y a lieu de constater que le plan LTI en cause ne correspond pas à une prime sur objectifs, l'article 4 susmentionné distingue d'ailleurs le « salaire variable » et le « plan LTI ».

La circonstance que M. [T] était chargé, en raison de ses fonctions, de mettre en place le plan LTI au sein de l'entreprise est indifférente quant au droit issu de l'article 4 de son contrat de travail à bénéficier d'un tel plan. Durant l'exécution de la relation contractuelle, la société LFA ne justifie pas avoir reproché et/ou sanctionné M. [T] pour ne pas avoir mis en place ce plan. De même, la société LFA ne justifie pas que l'attribution du plan LTI était subordonnée à l'absence de licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Cependant, le fait que les conditions d'attribution du plan LTI n'aient pas été mises en place ne permet pas à M. [T] de prétendre au paiement intégral de la somme annuelle de 100 000 euros au titre des années demandées par l'appelant, à savoir 2017 et 2019, alors même qu'il n'a été engagé que le 13 novembre 2017 et a été licencié par lettre du 29 avril 2019, de sorte qu'il n'a travaillé qu'1,5 mois en 2017 et 4 mois en 2019 (en incluant la mise à pied) pour la société LFA.

Compte tenu de l'ensemble des éléments versés aux débats, il convient donc de condamner, par infirmation du jugement, la société LFA à payer à M. [T] les sommes de 12 499 euros à titre de rappel de plan LTI pour l'année 2017 et de 33 332 euros à titre de rappel de plan LTI pour l'année 2019, lesdites sommes ne générant pas de congés payés par leur nature.

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

L'article L.1222-1 du code du travail dispose que « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Il en résulte une obligation de loyauté pesant tant sur le salarié que sur l'employeur pendant la durée de la relation contractuelle.

En l'espèce, M. [T] fonde cette demande sur le fait que la société LFA a manqué à ses obligations contractuelles en ne mettant pas en place le plan LTI prévu dans son contrat de travail.

Toutefois, si effectivement la société LFA devait veiller à la mise en place de ce plan, il n'est pas contesté que c'est M. [T] qui, en sa qualité de directeur des ressources humaines corporate, avait été chargé de l'élaboration effective du contenu dudit plan et de ses conditions d'attribution, de sorte qu'il y a eu des manquements respectifs des parties.

Compte tenu de l'ensemble des éléments versés aux débats, le montant des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail est fixé à 1 000 euros, la société LFA étant, par infirmation du jugement, condamnée à payer cette somme à M. [T].

Sur la délivrance de documents

M. [T] sollicite la remise de documents de fin de contrat rectifiés et de bulletins de paie conformes à la décision à intervenir.

Mais dès lors que le licenciement est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse, seule la demande relative aux bulletins de paie est justifiée. Il est fait droit à celle-ci.

Aucun élément ne permettant de présumer que la société LFA va résister à la présente décision, il n'y a pas lieu d'ajouter une astreinte à cette obligation de remise. La demande d'astreinte est donc rejetée.

Sur la demande d'affichage de la décision

Le licenciement prononcé par la société LFA étant justifié, il convient de rejeter la demande d'affichage de la décision à intervenir dans les locaux de la société LFA.

Sur les autres demandes

Les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement. Les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués. En outre, il est précisé que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

La société LFA succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Par infirmation du jugement déféré, il paraît équitable de condamner la société LFA à payer à M. [T] la somme demandée de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [T] de ses demandes de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement, de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct, de rappel de plan LTI pour les années 2017 et 2019, et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société La financière Atalian à payer à M. [T] les sommes de :

- 100 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct ;

- 12 499 euros à titre de rappel de plan LTI pour l'année 2017 ;

- 33 332 euros à titre de rappel de plan LTI pour l'année 2019 ;

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement.

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués.

Dit que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Ordonne à la société La financière Atalian de remettre à M. [T] des bulletins de paie conformes à la présente décision.

Condamne la société La financière Atalian à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne la société La financière Atalian aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/07350
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-20;21.07350 ?
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