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20/03/2024 | FRANCE | N°21/06827

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 20 mars 2024, 21/06827


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 20 MARS 2024



(n° 2024/ 127 , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06827 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CED6P



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09116





APPELANTE

Me [O] [I] ès qualités de liquidateur amiable de la SC

A HOTEL ASTOR

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me David ZIMMERMANN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, toque : 377





INTIMÉS

Monsieur [E] [D]

[Adresse 4...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 20 MARS 2024

(n° 2024/ 127 , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06827 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CED6P

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09116

APPELANTE

Me [O] [I] ès qualités de liquidateur amiable de la SCA HOTEL ASTOR

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me David ZIMMERMANN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, toque : 377

INTIMÉS

Monsieur [E] [D]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Association UNEDIC Délégation AGS CGEA DE [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévu le 6 mars 2024 et prorogé au 20 mars 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Alisson POISSON, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Hôtel Astor (SCA) a employé M. [E] [D], né en 1974, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 juillet 2007 en qualité de chef de rang polyvalent.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des hôtels cafés restaurants entreprises de propreté.

M. [D] était délégué du personnel.

En novembre 2016, la société Hôtel Astor a engagé des travaux de rénovation dans l'hôtel dans lequel travaillait M. [D]. Les salariés ont continué à être rémunérés.

La dissolution de la société Hôtel Astor a été décidée par décision de l'assemblée générale en date du 23 octobre 2017.

Par jugement en date du 25 octobre 2017, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Hôtel Astor.

Par jugement en date du 10 avril 2018, le tribunal de commerce a autorisé le renouvellement de la période d'observation jusqu'au 25 octobre 2018, pour permettre le dépôt du projet de plan de redressement.

M. [D] ne s'est pas présenté à deux sessions de formation collective pour préparer la reprise du 12 avril 2018 et du 29 mai 2018.

Le 4 juin 2018, la société Hôtel Astor a informé M. [D] de la réouverture de l'hôtel prévue à compter du 14 juin 2018.

Le 26 juin 2018, la société Hôtel Astor a demandé à M. [D] de justifier son absence.

La société lui a demandé à nouveau de justifier son absence le 4 juillet 2018.

Par lettre notifiée le 11 juillet 2018, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 juillet 2018 et a été mis à pied à titre conservatoire.

Le 11 octobre 2018, l'inspection du travail a autorisé le licenciement de M. [D].

M. [D] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 15 octobre 2018.

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. [D] avait une ancienneté de 11 ans et 3 mois et sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait en dernier lieu à la somme de 1 690 €.

La société Hôtel Astor occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par jugement en date du 24 octobre 2018, le tribunal de commerce a autorisé la prolongation à titre exceptionnel de la période d'observation pour une période se terminant le 25 avril 2019.

Par jugement en date du 15 mai 2019, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement, fixé à 6 ans la durée du plan et a nommé la SCP [F] & associés prise en la personne de Me [O] [F] et la Selas AJAssociés prise en la personne de Me [X] [L], commissaires à l'exécution du plan.

M. [D] a saisi le 25 octobre 2019 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« - Requalifier le licenciement prononcé en cause réelle et sérieuse

- Indemnité de licenciement légale : 4 888 €

- Indemnité compensatrice de préavis : 3 380 €

- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 338 €

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral en lien avec son activité syndicale : 10 140 €

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat : 10 140 €

- Remise de bulletins de paye (préavis)

- Article 700 du Code de procédure civile : 2 000 €

- Exécution provisoire article 515 C.P.C.

- Intérêts au taux légal

- Capitalisation des intérêts

- Dépens

- Dire et juger qu'au cas d'insolvabilité de la SA HOTEL ASTOR il conviendra en tout état de cause de :

- Fixer la créance de Monsieur [E] [D] auprès du commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SA HOTEL ASTOR aux sommes suivantes :

. indemnité de licenciement légale : 4 888 €

. indemnité compensatrice de préavis : 3 380 €

. indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 338 €

Dommages et intérêts pour harcèlement moral en lien avec son activité syndicale : 10 140 €

Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat : 10 140 €

Article 700 du Code de procédure civile : 2 000 €

- Dire et juger que le jugement prononcé sera opposable aux AGS

- Exécution provisoire du jugement à intervenir. »

Les organes de la procédure collective ont été mis en cause devant le conseil de prud'hommes.

Par ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris en date du 18 novembre 2020, la mission de liquidateur amiable de Me [O] [I] a été renouvelée.

Par jugement du 16 juin 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé des moyens, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Requalifie le licenciement de Monsieur [E] [D] en licenciement pour cause réelle et sérieuse

Condamne la société HOTEL ASTOR, assistée de la SCP [F]& Associés, prise en la personne de Maître [O] [F], et AJASSOCIES, prise en la personne de Maître [X] [L], tous deux commissaires à l'exécution du plan, à verser à Monsieur [E] [D] les sommes suivantes :

- 4 888 € à titre d'indemnité de licenciement légale

- 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

Déboute Monsieur [E] [D] du surplus de ses demandes

Déclare les AGS CGEA Île-de-France Ouest hors de cause, la SCA HOTEL ASTOR étant au 26 avril 2021 en redressement judiciaire. »

La société Hôtel Astor a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 23 juillet 2021.

La constitution d'intimé de M. [D] a été transmise par voie électronique le 8 septembre 2021.

La constitution d'intimée de l'Unedic délégation AGS, CGEA de [Localité 8] a été transmise par voie électronique le12 octobre 2021.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 22 octobre 2021, la société Hôtel Astor représentée par Me [O] [I] ès qualités de liquidateur amiable, demande à la cour de :

« Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a :

' REQUALIFIÉ LE LICENCIEMENT de M. [D] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société à verser la somme de 4 888 € à titre d'indemnité légale et 1 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile

et en ce qu'il n'a pas

' CONDAMNÉ M. [D] à verser la somme de 2 000 € à la société au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile le confirmer pour le surplus

ET en conséquence

A titre principal

- DECLARER irrecevables car prescrites les demandes de M. [D] au titre du harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail

- DEBOUTER M. [D] de toutes ses demandes

Subsidiairement

- RAMENER le montant de toutes condamnations au préjudice prouvé

En toutes hypothèses

- CONDAMNER M. [D] au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

- CONDAMNER M. [D] au paiement des entiers dépens de la procédure. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 8 novembre 2021, M. [D] demande à la cour de :

« Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Société HOTEL ASTOR, assistée de la SCP [F]& Associés, prise en la personne de Maître [O] [F], et AJASSOCIES, prise en la personne de Maître [X] [L], tous deux commissaires à l'exécution du plan, à verser à Monsieur [E] [D] les sommes suivantes :

- 4 888 € à titre d'indemnité de licenciement légale

- 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté monsieur [D] de ses autres demandes.

Y faisant droit :

Condamner en outre la Société HOTEL ASTOR à verser à Monsieur [E] [D] les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral en lien avec son activité syndicale à hauteur de 10 140 euros

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail du salarié à hauteur de 10 140 euros.

- Article 700 du CPC en cause d'appel à hauteur de 2 000 euros.

Dire et juger qu'au cas d'insolvabilité de la SA HOTEL ASTOR il conviendra en tout état de cause de :

Fixer la créance de monsieur [D] auprès du commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SA HOTEL ASTOR aux sommes suivantes :

. Indemnité de licenciement légale à hauteur de 4 888 euros.

. Indemnité de préavis à hauteur de 3 380 euros avec CP afférents à hauteur de 338 €.

. Dommages et intérêts pour harcèlement moral en lien avec son activité syndicale à hauteur de 10 140 euros

. Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail du salarié à hauteur de 10 140 euros.

Condamner la SA HOTEL ASTOR à verser à monsieur [D] un article 700 du CPC à hauteur de 2000 euros en cause d'appel.

Dire et juger que l'arrêt prononcé sera opposable aux AGS. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 23 octobre 2021, l'Unedic délégation AGS, CGEA de [Localité 8] demande à la cour de :

« Réformer le jugement entrepris,

Débouter le demandeur de ses demandes,

A défaut,

Le confirmer en toutes ses dispositions. »

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 21 novembre 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 22 janvier 2024.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral

M. [D] demande, par infirmation du jugement, à la cour la somme de 10 140 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral en lien avec son activité syndicale.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sur la prescription

La cour rappelle que les actions prud'homales fondées sur des faits de harcèlement sont soumises à une prescription de 5 ans.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [D] est recevable dans sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral au motif qu'aucun élément produit ne permet de retenir que sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral formée le 25 octobre 2019 est prescrite ; en effet, contrairement à ce que soutient la société Hôtel Astor, M. [D] invoque aussi une situation de harcèlement moral postérieure à la lettre du défenseur des droits comme cela ressort de la réponse que la société Hôtel Astor lui a faite le 19 octobre 2016 par suite de courrier électronique de dénonciation de faits de harcèlement moral du 12 octobre 2016 (pièce employeur n° 17).

Sur le fond

En l'espèce, M. [D] invoque les faits suivants :

- il produit des éléments de preuves incontestables et surabondants démontrant l'existence du harcèlement subi durant des années (pièces salarié n° 8 et 9) ;

- il a été victime de discrimination syndicale (pièce salarié n° 13) ;

- il s'est déjà plaint comme le démontre le courrier de l'employeur du 19 octobre 2016 (pièce employeur n° 17) ;

- les rappels à l'ordre du salarié n'ont donné lieu à aucune sanction et sont concomitants avec la prise de fonctions syndicales du salarié et sa défense de salariés (pièces salarié n° 9 à 14) ;

- les attestations produites démontrent qu'il a fait l'objet d'un harcèlement de la direction au regard de ses activités syndicales et de défense de ses collègues (pièce salarié n° 12) ;

- le défenseur des droits a précisé dans son courrier du 15 juillet 2014 que la société n'a pas démontré que l'avertissement était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (pièce salarié n° 14).

M. [D] présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

En défense, la société Hôtel Astor fait valoir :

- aucun syndicat n'a formulé la moindre plainte ou été destinataire de la moindre plainte de M. [D] ;

- le CHSCT n'a jamais mené la moindre enquête ;

- les attestations produites par M. [D] ne dénoncent aucun fait précis ;

- M. [D] n'a contesté aucune des sanctions qui lui ont été infligées ;

- M. [D] invoque une dégradation du travail mais il n'y en a aucune, l'hôtel ayant fermé et M. [D] n'ayant pas repris le travail ;

- les certificats de repos produits par un médecin à [Localité 7] ne font nullement état d'une dépression ;

- M. [D] s'appuie sur un courrier du 15 juillet 2014 du défenseur des droits et sur un avertissement du 14 novembre 2013 pour se prétendre harcelé ; le conseil de prud'hommes a parfaitement reconnu la prescription ;

- l'ancienne directrice de l'hôtel atteste qu'elle a considéré M. [D] avec les mêmes égards que l'ensemble des équipes et qu'elle n'a jamais reçu la moindre instruction pour cibler M. [D] (pièce employeur n° 46)

A l'appui de ses moyens, la société Hôtel Astor produit divers éléments de preuve et notamment la déclaration de main courante déposée par le directeur de l'hôtel le 30 janvier 2015 et le procès-verbal de constat du 31 janvier 2015 (pièces employeur n° 12), la réponse de l'employeur du 19 octobre 2016 au courrier électronique de M. [D] du 12 octobre 2016 (pièce 17), l'attestation de Mme [U] qui a été directrice de l'hôtel (pièce employeur n° 46), la lettre de rappel à l'ordre du 18 septembre 2014 (pièce employeur n° 10), la lettre de rappel à l'ordre du 17 avril 2015 (pièce employeur n° 13), la demande de justificatifs pour une absence injustifiée du 20 septembre 2015 au 3 octobre 2015 (pièce employeur n° 14) et la mise à pied disciplinaire du 5 novembre 2015 qui s'en est suivie (pièce employeur n° 15), la mise à pied disciplinaire du 25 mars 2016 pour absence injustifiée du 23 janvier 2016, abandon de poste du 23 février 2016 et pour insubordination (pièce employeur n° 16) et la mise à pied disciplinaire du 22 septembre 2016 pour non-respect des consignes et pour insulte (pièce employeur n° 37).

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la société Hôtel Astor démontre que les faits présentés par M. [D] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral et qu'ils ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

En effet, les désaccords survenus entre M. [D] et ses supérieurs hiérarchiques ont fait l'objet de communications écrites dans lesquelles l'employeur a justifié sa position à chaque fois et les allégations de harcèlement moral sont contredites par les pièces précitées.

La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral doit par conséquent être rejetée.

Par suite, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur le licenciement

Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qu'incombe la charge de rapporter la preuve de la faute grave, étant ajouté que la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

La lettre de licenciement est rédigée comme suit :

« En date du 4 juin 2018, un courrier a été envoyé pour vous informer de votre reprise de poste à compter du jeudi 14 juin 2018 à 9h00, après 19 mois d'inactivité rémunérée et de maintien dans les effectifs, suite aux travaux de rénovation de l'entreprise ayant débuté au mois de novembre 2016.

Vous ne vous êtes pas présenté le 14 juin 2018 ni les jours suivants, sans aucune information préalable ou autorisation d'absence.

En date du 21 juin 2018, deux messages téléphoniques vous ont été laissés sur votre téléphone portable afin de connaître les raisons de votre absence, sans aucun retour de votre part.

En date du 26 juin 2018, un courrier recommandé vous a été envoyé pour vous demander un justificatif de vos absences. Dans ce courrier étaient rappelées les dispositions du règlement intérieur et la désorganisation de votre service générée par votre absence, désorganisation d'autant plus importante compte tenu de la réouverture de l'établissement à la clientèle après de longs mois de fermeture pour travaux.

En effet, vous ne pouvez pas ignorer que l'article 11 du règlement intérieur prévoit : « Toute absence prévisible doit être préalablement autorisée par son manager. L 'absence non justifiée et/ou non autorisée constitue une absence irrégulière. Toute absence, quel qu'en soit le motif, devra faire l'objet d'une information à l'employeur par tout moyen, aussi rapide que possible de telle manière que celui-ci puisse prendre toutes les dispositions utiles en considération des impératifs de l'entreprise. Toute absence doit être justifiée dans les deux jours maximum, sauf cas de force majeure. Toute absence non justifiée dans ces conditions peut faire l'objet d'une sanction. Les prolongations successives d'arrêt doivent être signalées à la Direction. Le certificat médical justificatif doit être produit dans les 48 heures. ».

N'ayant aucune réponse, un nouveau courrier vous a été envoyé le 4 juillet 2018.

II est à rappeler que pendant toute la fermeture de l'établissement, de nombreux courriers ont été envoyés à chaque salarié afin que chacun puisse suivre individuellement l'évolution des travaux.

Chaque décalage d'ouverture a été communiqué dans les meilleurs délais, chacun devant se tenir prêt à réintégrer l'établissement sous 3 jours suivant la demande de l'employeur.

Aussi, compte tenu de votre absence et de votre silence, vous avez été convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement prévu le 27 juillet 2018, entretien auquel vous ne vous êtes pas présenté.

Puis, compte tenu de votre mandat de délégué syndical, le Comité d'entreprise a été convoqué pour une réunion extraordinaire qui s'est tenue le 6 août 2018, réunion à laquelle vous ne vous êtes pas présenté bien que vous ayez été invité.

Après délibération, les membres du Comité d'entreprise ont voté à bulletins secrets: 2 contres et 3 votes blancs.

Lors de cette réunion, deux « certificats médicaux de repos », émis du Maroc, nous ont été remis par un représentant du personnel, pour les dates du 14 juin au 30 juillet 2018 et du 31 juillet au 15 septembre 2018. Cette remise, complètement hors délai, qui plus est par une personne tierce, n'est pas acceptable puisqu'il vous appartient de nous informer directement de vos absences.

Par ailleurs, nous vous rappelons que vous avez déjà fait l'objet de sanctions disciplinaires pour des motifs similaires, sanctions non contestées :

- le 5 novembre 2015 : mise à pied de 3 jours pour avoir été absent sans information ni justificatif pendant 10 jours de travail effectif.

- le 25 mars 2016 : mise à pied à titre disciplinaire de 3 jours pour avoir, entre autre, été absent de son poste de travail le 23 janvier 2016 sans autorisation ni justificatif et abandonné son poste le 23 février 2016.

Par conséquent, une demande d'autorisation de licenciement a été adressée à l'Inspectrice du travail en date du 10 août 2018.

Pendant le délai d'instruction laissé à l'Inspectrice du travail, vous n'avez toujours pas repris votre poste puisque nous avons été destinataire d'arrêts de travail pour maladie du 17 septembre 2018 au 8 octobre 2018.

Après avoir mené une enquête contradictoire, l'Inspectrice du travail nous a autorisé à procéder à votre licenciement par décision datée du 11 octobre 2018, dont nous avons pris connaissance le 15 octobre 2018 dans la matinée.

Aussi, étant donné ce qui précède, soit votre absence non justifiée dans les formes et délais impartis, et compte tenu du caractère récidiviste de votre comportement, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Cette mesure, privative de tout droit à préavis et indemnité de licenciement, a un effet immédiat. Dès lors, nous vous enverrons dans les meilleurs délais votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation Pôle emploi (...) »

Il ressort de la lettre de licenciement que M. [D] a été licencié du fait de son absence non justifiée dans les formes et délais impartis à compter du 14 juin 2018.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société Hôtel Astor apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir les faits reprochés à M. [D] relatifs à son absence non justifiée dans les formes et délais impartis à compter du 14 juin 2018 ; en effet, la société Hôtel Astor justifie par plusieurs pièces que M. [D] a été prévenu bien à l'avance de la reprise du travail le 14 juin 2018 (pièce employeur n° 24), que devant son absence à compter du 14 juin 2018, l'employeur a vainement multiplié les initiatives informelles par téléphone (pièce employeur n° 29) puis formelles par lettres (pièces employeur n° 25 et 26) pour permettre à M. [D] de justifier de son absence, que M. [D] n'a pas plus réagi à la convocation à l'entretien préalable qui lui a été adressée le 11 juillet 2018 (pièce employeur n° 27), qu'aucun élément produit ne permet de retenir que l'employeur a été informé avant le 6 août 2018 de l'existence des deux « certificats médicaux de repos » qu'un représentant du personnel a produits lors de la réunion du comité d'entreprise (pièce employeur n° 28) et que son absence à compter du 14 juin 2018 a fortement perturbé le fonctionnement de l'hôtel comme cela ressort des attestations de M. [V] et Mme [J] (pièces employeur n° 41 et 42).

Et c'est en vain que M. [D] soutient que son ancienneté de 11 ans et demi prouve qu'il a toujours effectué correctement son travail ; en effet ce moyen est contredit par les précédents disciplinaires et il n'est de surcroît pas de nature à l'exonérer de la responsabilité disciplinaire encourue du fait de son inertie face aux lettres de l'employeur.

C'est aussi en vain que M. [D] soutient qu'il est tombé en grave dépression au Maroc et a adressé ses arrêts à l'employeur du Maroc et que le procès-verbal du comité d'entreprise extraordinaire du 6 août 2018 mentionne que les arrêts de travail ont été une seconde fois transmis à l'employeur ; en effet, la cour a retenu qu'aucun élément produit ne permet de retenir que l'employeur a été informé avant le 6 août 2018 de l'existence des deux « certificats médicaux de repos » qu'un représentant du personnel a produits lors de la réunion du comité d'entreprise (pièce employeur n° 28).

C'est encore en vain que M. [D] soutient qu'il a sollicité une demande de rupture conventionnelle pour essayer de se reconstruire d'une souffrance psychologique, que par courrier du 5 octobre 2016 l'employeur l'invitait à un entretien en vue d'une éventuelle rupture conventionnelle de son contrat de travail pour le 12 octobre 2016, que du fait de la fermeture de l'hôtel, il était convenu que cette rupture conventionnelle prendrait effet à son retour et que l'employeur a utilisé le prétexte de son absence pour mettre fin au contrat de travail à moindre coût alors qu'il ne peut être contesté qu'une rupture conventionnelle était en cours ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif que s'il est établi que le 5 octobre 2016 la société Hôtel Astor a adressé à M. [D] une invitation à un entretien en vue de discuter de la rupture conventionnelle que ce dernier demandait (pièce employeur n° 6), aucun des éléments produits ne permet de retenir les autres allégations de M. [D] sur la finalisation convenue du processus de rupture conventionnelle au retour de M. [D] après la fermeture de l'hôtel étant précisé que la lettre de son conseil (pièce salarié n° 7) relative à la rupture conventionnelle « envisagée » (sic) est datée du 5 août 2017 et elle est adressée à la responsable des relations humaines du groupe Maranatha.

C'est toujours en vain que M. [D] soutient que le comité d'entreprise était défavorable au licenciement avec deux votes contre et trois votes blancs ; en effet, l'employeur n'est pas lié dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire par les votes exprimés lors de la réunion du comité d'entreprise.

C'est par ailleurs en vain que M. [D] soutient qu'il n'y a aucune preuve de la prétendue désorganisation alors même que la suppression du poste était prévue du fait de la rupture conventionnelle, la société ayant même réembauché un chef de rang dès le 5 avril 2018 ; au contraire, la cour a retenu que l'absence de M. [D] à compter du 14 juin 2018 a fortement perturbé le fonctionnement de l'hôtel comme cela ressort des attestations de M. [V] et Mme [J] (pièces employeur n° 41 et 42).

C'est enfin en vain que M. [D] soutient que le licenciement est abusif dans la mesure où le courrier du 4 juin 2018 en vue de la reprise mentionne que M. [D] ne travaille plus qu'à temps partiel alors qu'il a toujours travaillé à temps plein, qu'il s'agit d'une modification substantielle du contrat de travail que M. [D] était en droit de refuser et que les nouveaux horaires n'ont jamais été communiqués ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif que, contrairement à ce qu'il soutient, le contrat de travail proposé par lettre du 5 avril 2018 (pièce employeur n° 23) est un contrat de travail à temps plein et que le courrier du 4 juin 2018 mentionne précisément les horaires de M. [D] pour la reprise (pièce employeur n° 24).

La cour retient que la faute de M. [D] est d'une gravité telle qu'elle imposait le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis ; en effet M. [D] s'est placé de lui-même en dehors de son contrat de travail en n'apportant aucune réponse à son employeur qui a multiplié en vain les initiatives pour lui permettre de justifier son comportement.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [D] n'est pas justifié par une faute grave, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que le licenciement de M. [D] est justifié par une faute grave.

Compte tenu de ce qui précède, le jugement déféré est aussi infirmé en ce qu'il a condamné la société Hôtel Astor à payer à M. [D] la somme de 4 888 € au titre de l'indemnité de licenciement et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute M. [D] de sa demande relative à l'indemnité de licenciement.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [D] demande par infirmation du jugement la somme de 10 140 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

M. [D] formule le moyen suivant à l'appui de cette demande « En invoquant un prétexte pour licencier le salarié, alors même qu'une rupture conventionnelle était en cours, l'employeur a manqué à son obligation de loyauté envers le salarié en cherchant à s'en débarrasser à moindre coût.

Que la partie adverse évoque contre toute attente une prescription de deux années relativement à ce chef de préjudice ce qui est complètement absurde dans la mesure où l'exécution déloyale du contrat de travail visé par le salarié a trait aux conditions de la rupture qui sont non prescrites.

En réplique, la société Hôtel Astor s'oppose à cette demande et soutient que la demande est prescrite et non fondée.

Sur la prescription

La cour rappelle que les actions relatives à l'exécution du contrat de travail sont soumises à une prescription de 2 ans.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [D] est recevable dans sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail au motif qu'aucun élément produit ne permet de retenir que sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail formée le 25 octobre 2019 est prescrite ; en effet, M. [D] invoque la déloyauté de la société Hôtel Astor qui l'a licencié alors qu'une rupture conventionnelle était en cours et ce fait contemporain du licenciement du 15 octobre 2018 n'est donc pas prescrit.

Sur le fond

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l'existence d'un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que M. [D] ne prouve pas l'exécution déloyale de son contrat de travail alléguée à l'encontre de la société Hôtel Astor ; en effet, la cour a rejeté plus haut le moyen tiré de la rupture conventionnelle ; le moyen de ce chef est donc rejeté.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur les autres demandes

La cour condamne M. [D] aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de la société Hôtel Astor les frais irrépétibles de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare que M. [D] est recevable dans ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [D] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [D] est justifié par une faute grave.

Déboute M. [D] de sa demande relative à l'indemnité de licenciement.

Déboute la société Hôtel Astor de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne M. [D] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/06827
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-20;21.06827 ?
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