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14/03/2024 | FRANCE | N°21/09912

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 14 mars 2024, 21/09912


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 14 MARS 2024



(n° 2024/ , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09912 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEX73



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MEAUX - RG n° F18/00746





APPELANTE



S.A.S. SAS BOUCHE DISTRIBUTION
r>[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-François KLATOVSKY, avocat au barreau de PARIS, toque : L 221





INTIME



Monsieur [R] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représent...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 14 MARS 2024

(n° 2024/ , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09912 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEX73

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MEAUX - RG n° F18/00746

APPELANTE

S.A.S. SAS BOUCHE DISTRIBUTION

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-François KLATOVSKY, avocat au barreau de PARIS, toque : L 221

INTIME

Monsieur [R] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Julien HAG de la SELAS DESCHAMPS - HAG & ASSOCIES, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Par contrat à durée indéterminée à effet au 1er décembre 2016, M. [R] [K] a été engagé par la société Bouche distribution en qualité de mécanicien niveau 3B pour une durée de travail à temps complet. Dans le dernier état de la relation contractuelle, il percevait une rémunération conduisant à une moyenne mensuelle brute calculée sur 12 mois de 1 850,47 euros que les parties ne discutent pas.

Par courrier recommandé du 7 mars 2018 lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 16 mars 2018 puis s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par courrier adressé sous la même forme le 26 mars 2018. En substance, l'employeur lui reprochait d'avoir participé avec d'autres salariés à l'introduction d'une personne étrangère dans les locaux de l'entreprise et à la commission d'actes dégradants à connotation sexuelle sur une personne handicapée psychomoteur.

Une procédure pénale a été engagée à l'encontre des salariés mis en cause et par jugement du tribunal correctionnel de Meaux du 30 avril 2018, M. [K] a été relaxé des faits de violences volontaires sans incapacité sur personne vulnérable pour lesquels il avait été poursuivi. Le ministère public n'a pas relevé appel de cette relaxe et la décision est aujourd'hui définitive.

La société Bouche distribution employait au moins 11 salariés au moment de la rupture de la relation contractuelle et appliquait la convention collective nationale des entreprises du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 17 septembre 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Meaux, section commerce, statuant en formation de départage, a :

- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Bouche distribution à verser à M. [K] les sommes suivantes :

* 3 700,94 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,

* 1 850,47 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 528,27 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 1 408,22 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

- rappelé que l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l'indemnité de licenciement portent intérêt au taux légal à compter du 23 août 2018 et que le surplus des sommes allouées est assorti des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ordonné à la société Bouche distribution de remettre à M. [K] un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation destinée à pôle emploi conformes à la présente décision,

- rejeté le surplus des demandes,

- fait application de l'article L 1235-4 du code du travail dans la limite de six mois,

- fixé la moyenne mensuelle à la somme de 1 850,47 euros brut et dit que les charges sociales devront être déduites pour le recouvrement des créances salariales,

- condamné la société Bouche distribution à verser à M. [K] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- condamné la société Bouche distribution aux dépens en ce compris les frais d'exécution.

La société Bouche distribution a régulièrement relevé appel du jugement le 1er décembre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appel responsives et récapitulatives notifiées par voie électronique le 9 août 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Bouche distribution prie la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et des chefs de condamnations prononcées à son encontre,

statuant à nouveau :

- dire le licenciement parfaitement justifié,

- rejeter les demandes formées à titre incident par M. [K] relatives aux congés payés afférents à la mise à pied conservatoire et au préavis.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [K] prie la cour de :

- confirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions et notamment en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur le quantum des condamnations prononcées, les intérêts au taux légal et la remise des documents sociaux,

y ajoutant :

- condamner la société Bouche distribution à lui verser les sommes de :

* 140,08 euros au titre des congés payés afférents à la mise à pied conservatoire,

* 185,05 euros au titre des congés payés afférents au préavis,

- condamner la société Bouche distribution à lui verser la somme de 2 000 euros en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2023.

MOTIVATION :

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est motivée dans les termes suivants :

" Nous faisons suite à notre entretien du 16 mars dernier aux termes duquel nous vous avons indiqué que nous ne pouvions tolérer vos agissements.

En effet, le 5 mars 2018, vous et vos collègues de travail avez été interpellés par la police de [Localité 3] pour des faits commis sur votre lieu de travail.

À l'issue d'une garde à vue prolongée, vous et vos collègues avez reconnu les faits qui vous sont reprochés.

Il s'avère qu'avec la complicité de votre responsable du centre auto, vous et vos collègues avez introduit une personne étrangère à l'entreprise dans les locaux de notre centre auto après la fermeture de notre magasin alors que cela est strictement interdit par notre règlement intérieur.

Cette personne, handicapée psychomoteur à 80 % et très vulnérable psychiquement, par ailleurs placée sous curatelle, a été l'objet de votre part et de vos collègues de travail d'actes particulièrement dégradants, notamment à connotations sexuelles.

Pris en photo et filmé au sein de nos locaux, ces images ont ensuite été diffusées par vous et vos collègues sur les réseaux sociaux.

Ces faits se sont déroulés à notre insu entre les mois de décembre 2017 et février 2018.

Nous ne pouvons tolérer que notre établissement ait servi à la commission d'actes particulièrement dégradants tombant sous le coup d'une qualification pénale et pour lesquels vous êtes actuellement poursuivis.

Ces faits ont par ailleurs été relayés par les médias locaux et l'image de notre société risque tôt ou tard d'être écornée par les faits que vous avez commis au sein de notre entreprise.

Cette situation rend impossible la poursuite de nos relations contractuelles et ce même pendant la durée d'un éventuel préavis. Ainsi et après réflexion, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave [' ] ".

La faute grave est celle qui rend impossible la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve repose sur l'employeur qui l'invoque.

La société sollicite l'infirmation du jugement qui a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse en faisant valoir que :

- le fait d'introduire une personne étrangère à la société après la fermeture des locaux est prohibé par le règlement intérieur,

- les faits commis et relayés par la presse ont un caractère extrêmement choquant,

- la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. [K] est indépendante de la procédure pénale : il a été relaxé pour des faits de violences volontaires sans incapacité sur personne vulnérable or, ce qui lui est reproché c'est d'avoir participé à l'introduction d'une personne lourdement handicapée dans les locaux du centre afin qu'elle soit l'objet d'actes dégradants notamment à caractère sexuel,

- les faits se sont déroulés sur plusieurs mois et ont eu un important retentissement psychologique sur la victime d'intensité majeure selon le compte rendu d'enquête parue dans la presse,

- la participation de M. [K] est avérée même si la victime ne le cite que rarement et il n'a jamais alerté la société ce qui démontre bien le caractère volontaire de sa participation.

La société verse aux débats des articles de presse ainsi que son règlement intérieur qui interdit dans l'article 2.1 intitulé discipline générale du paragraphe II 'discipline' " d'introduire ou faciliter l'introduction dans les parties privatives de l'entreprise de personnes étrangères à celle-ci ".

De son côté, M. [K] fait valoir que son licenciement est abusif dans la mesure où les griefs qui lui sont reprochés ne lui sont pas imputables, qu'il a été relaxé des faits de violences volontaires sans incapacité sur personne vulnérable qui lui étaient reprochés, qu'il n'a aucunement participé aux faits à caractère sexuel visés par l'employeur pas plus qu'au fait d'atteinte à l'intimité de la vie privée par fixation enregistrement ou transmission de l'image d'une personne présentant un caractère sexuel ou pour complicité d'une telle infraction pour laquelle, contrairement aux autres salariés, il n'a pas été poursuivi. Enfin, il fait valoir que s'il a admis avoir mis une boule de neige dans le pantalon de la victime, ces faits se sont produits en pleine journée en dehors des locaux du centre et n'ont aucun rapport avec les faits visés dans la lettre de licenciement. Enfin, il conteste avoir été présent lorsque les autres salariés ont fait entrer la victime dans le centre et ont commis les actes pour lesquels ils ont été condamnés. De ce fait, il conteste avoir commis des actes ou adopté un comportement de nature à nuire à l'image de la société Bouche distribution.

M. [K] verse aux débats le jugement du tribunal correctionnel de Meaux du 30 avril 2018 ainsi que le certificat de non appel et la copie des procès-verbaux de l'enquête préliminaire dont il ressort que :

- il était poursuivi pour violences sur personne vulnérable sans incapacité pour des faits commis du 1er au 28 février 2018 et a été relaxé des fins de la poursuite,

- dans sa première audition devant les services de police, la victime ne cite pas M. [K]. Elle le cite dans sa deuxième audition du 28 février à 11h55 pour dire qu'en février 2018, entre 17 et 18 heures en fin d'après-midi un jour où il y avait de la neige, M. [K] l'a poursuivie et a mis une boule de neige dans son pantalon au niveau des fesses en rigolant devant tout le monde ce qui est confirmé par un salarié prénommé [V] et M. [K] lui-même,

- lors de leurs auditions, aucun des salariés ne met en cause M. [K] pour avoir participé avec eux après la fermeture de l'établissement aux actes dégradants commis sur la victime,

- aucun élément de l'enquête ne fait ressortir que M. [K] a participé à la diffusion des images de la victime bien qu'il ait admis avoir reçu des vidéos.

Par ailleurs, la cour relève que la lettre de licenciement vise les faits suivants :

- la participation de M. [K] à l'introduction d'une personne étrangère au service dans les locaux de la société mais à cet égard, la cour observe qu'aucun élément de la procédure pénale ne le met en cause sur ce point ni aucun des autres salariés ni la victime, de sorte que les faits ne sont pas établis, pas plus que n'est donc caractérisé le fait que M. [K] savait pourquoi la victime était introduite dans les lieux,

- avoir diffusé des images dégradantes de la victime sur les réseaux sociaux mais là encore, la cour observe qu'aucun élément n'est produit pour établir ces faits et que l'enquête de police n'a en rien révélé une quelconque paticipation de M. [K] à ce titre,

La cour relève que la lettre de licenciement ne vise pas le fait d'avoir introduit une boule de neige dans le pantalon de la victime, les faits s'étant déroulés dans la journée, à l'extérieur ni ne lui fait grief de ne pas l'avoir alerté sur ce qui se produisait.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse et le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné la société à verser à M. [K] les sommes de :

- 1 850,47 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, le délai congé étant d'un mois en application de l'article 5 de l'annexe 1, employé et ouvriers personnel de livraison, de la convention collective,

- 578,27 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement dont l'évaluation est conforme aux dispositions légales et contractuelles,

- 3 700,94 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L 1235-3 du code du travail suffisant à réparer son entier préjudice.

La cour condamne en outre la société à verser à M. [K] une somme de 185,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Sur le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire :

Eu égard à la solution du litige, la faute grave n'ayant pas été retenue, le jugement est confirmé en ce qu'il l'a condamné la société à verser à M. [K] la somme de 1 408,22 euros à ce titre et la cour condamne en outre la société à lui verser la somme de 140,82 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les autres demandes :

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 24 août 2018 selon les mentions de l'avis de réception et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties. Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement,

Confirme le jugement dans toutes ses dispositions sauf du chef de la condamnation prononcée à l'encontre de la société Bouche distribution sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société Bouche distribution à verser à M. [R] [K] les sommes de :

- 185,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

- 140,82 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente au rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

Dit que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 24 août 2018 et que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autr des parties,

Condamne la société Bouche distribution aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09912
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;21.09912 ?
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