REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 14 MARS 2024
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08370 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CANBY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS 10 - RG n° 15/06711
APPELANTE
[...] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 420 31 8 2 06
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
INTIME
Monsieur [V] [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de chambre, rédactrice
Mme Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Gwenaelle LEDOIGT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Gwenaëlle LEDOIGT, Présidente de chambre et par Sonia BERKANE, greffière, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [V] [H] a été engagé par la société [...], suivant contrat à durée indéterminée du 3 mars 2008, à effet rétroactif au 1er mars 2007, en qualité de « [...] » au sein du département « [...] », avec le statut de cadre autonome, coefficient 900 de la convention collective nationale du Personnel des Sociétés Financières.
Le salarié diplômé de [8] ([6]) de [Localité 10] et de [7] ([5]) avait précédemment travaillé pour [...] à [Localité 9], du 7 avril 2003 jusqu'au 28 février 2007.
La société [...] est une filiale de la société [...], qui a son siège aux États-Unis et qui opère dans trois principaux domaines d'activités : la banque privée, la banque d'investissement et la gestion d'actifs.
Aux termes du contrat de travail, la rémunération annuelle du salarié était fixée à la somme de 110 000 euros. Il était, également, prévu un bonus annuel discrétionnaire pouvant être attribué selon deux modalités:
- un plan de rémunération incitative différée en numéraire, appelé [...] Compensation Incentive Program ou MSCIP
- un plan de rémunération incitative en unités d'actions, appelé Equity Incentive Plan ou EICP.
Par la suite, le salarié a été nommé au poste de « [...] » de la branche Banque d'Investissement.
Par avenant du 17 décembre 2013, M. [V] [H] a été promu « [...] » toujours au sein du département « [...] ». Sa rémunération fixe a alors été portée à 325 000 euros.
Le 2 février 2015, le salarié a présenté sa démission, à effet au 30 avril suivant, afin de prendre la tête du groupe de presse [...].
Le 16 avril 2015, peu avant la fin de sa période de préavis, M. [V] [H] a réclamé le paiement des sommes correspondant aux rémunérations incitatives complémentaires qu'il estimait lui être dues au titre des plans MSCIP et EICP.
Le 22 avril 2015, la société [...] lui a transmis un document récapitulant l'état financier de ses rémunérations complémentaires et précisant les sommes qui lui restaient dues car acquises ou "vested" et les sommes non encore acquises, dites « unvested », auxquelles le salarié ne pouvait plus prétendre, selon la banque, puisqu'elles étaient soumises à une condition de présence aux dates prévues pour leurs acquisitions.
Le 9 juin 2015, M. [V] [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Encadrement, pour demander l'applicabilité du droit français, solliciter des rappels de bonus ainsi que des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Le 3 octobre 2017, l'affaire a été renvoyée devant la formation de départage.
Le 24 juin 2019, le juge départiteur a :
- condamné la SA [...] à payer à M. [V] [H] les sommes suivantes :
* 250 000 euros à titre de rappel sur bonus 2014
* 1 165 839,90 euros à titre de rappel sur bonus (actions sur les années 2012 à 2014)
- débouté M. [V] [H] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- dit que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
- condamné la SA [...] à payer à M. [V] [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la SA [...] aux entiers dépens.
Par déclaration du 24 juillet 2019, la société [...] a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification à une date non déterminable.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 3 novembre 2023, aux termes desquelles la société [...] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement de départage rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 24 juin 2019 :
« - en ce qu'il a condamné la société [...] SA au paiement à Monsieur [V] [H] de la somme de 250 000 euros à titre de rappel sur bonus 2014
- en ce qu'il a condamné la société [...] au paiement à Monsieur [V] [H] de la somme de 1 165 839,90 euros à titre de rappel sur bonus (actions sur les années 2012 à 2014)
- en ce qu'il a condamné la société [...] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens »
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- dire que la loi de l'État de New-York est applicable aux plans de rémunérations incitatives différées dits "EICP" et "MSCIP"
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 250 000 euros à titre de rappel sur bonus 2014
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 1 165 839,90 euros à titre de rappel sur bonus (actions sur les années 2012 à 2014)
A titre subsidiaire, si la cour devait considérer que la loi française est applicable :
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 250 000 euros à titre de rappel sur bonus 2014
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 1 165 839,90 euros à titre de rappel sur bonus (actions sur les années 2012 à 2014)
A titre infiniment subsidiaire,
- réduire à de plus justes proportions les sommes réclamées par Monsieur [V] [H]
En toute hypothèse,
- confirmer le jugement de départage rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 24 juin 2019 pour le surplus et notamment en ce qu'il a débouté Monsieur [V] [H] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement de la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 25 000 euros à titre de congés payés afférents au rappel sur bonus 2014
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 116 583,99 euros à titre de congés payés afférents au rappel sur bonus 2014 (actions sur les années 2012 à 2014)
- débouter Monsieur [V] [H] de sa demande de paiement par la société [...] de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
- condamner Monsieur [V] [H] au paiement à la société [...] de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction faite au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, prise en la personne de Maître Matthieu Boccon-Gibod.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 10 octobre 2023, aux termes desquelles
M. [V] [H] demande à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement prononcé le 24 juin 2019 par le conseil de prud'hommes de Paris, en ce qu'il a :
"- jugé applicable le droit français au présent litige, et rejeté la demande de la société [...] visant à voir dire applicable la loi de l'État de New York
- jugé M. [V] [H] bien fondé en ses demandes de rappel sur les éléments de rémunérations acquis au jour de sa démission
- condamné la société à verser à M. [H] 250 000 euros à titre de rappel sur bonus 2014 (numéraire)
- condamné la société à verser à M. [H] 1 165 839,90 euros à titre de rappel sur bonus sur les années 2012 à 2014 (actions)
- condamné la société à verser à M. [H] 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile"
- infirmer le jugement prononcé le 24 juin 2019 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :
"- débouté M. [H] de sa demande visant à faire condamner la société à lui verser la somme de 160 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail"
Et statuant à nouveau,
- condamner la société à verser à M. [H] la somme de 160 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Ajoutant au jugement et au titre de l'appel incident de M. [H] :
- condamner la société à verser à M. [H] la somme de 25 000 euros à titre de congés-payés afférents au rappel sur bonus 2014 (numéraire)
- condamner la société à verser à M. [H] la somme de 116 583,99 euros à titre de congés-payés afférents aux rappels sur bonus sur les années 2012 à 2014 (actions)
- condamner la société [...] à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
A titre subsidiaire,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 24 juin 2019 par le conseil de prud'hommes de Paris.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 15 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur la loi applicable
La société [...] explique que, comme de nombreux établissements bancaires et notamment de grandes banques françaises, elle a été amenée à mettre en place des plans de rémunération incitative différée prévoyant l'acquisition de bonus sous condition de conformité et de présence du bénéficiaire au sein du Groupe, à court ou moyen terme. Ces conditions visent, notamment, à inciter les bénéficiaires à demeurer membres du groupe et à ne pas adopter de comportements risqués en introduisant un facteur d'incitation à la pérennisation des opérations projetées.
La société [...] souligne que les bonus servis dans le cadre des plans de rémunération incitative différée ne sont pas des rémunérations versées en contrepartie du travail du salarié sur une période antérieure mais des gratifications qui s'acquièrent, de façon concomitante ou parallèle à la présence du bénéficiaire au sein du groupe, en récompense d'une fidélité à l'entreprise et du respect de ses politiques internes. Leur montant varie en fonction de la croissance et des bénéfices du groupe.
L'employeur précise que les plans de rémunération incitative différée sont prévus et mis en 'uvre par la société mère du groupe, située aux États-Unis. En effet, celle-ci étant cotée en bourse et certains plans prévoyant l'attribution d'unités d'actions, la société mère doit garder le contrôle sur l'attribution des unités d'actions pouvant être liquidées sur le marché.
L'appelant ajoute que c'est pour ces raisons que l'article 5 du plan de rémunération incitative complémentaire en unités d'actions (EICP) prévoit que le conseil d'administration de la société [...], immatriculée dans l'État de Delaware, administre le plan, sélectionne les personnes éligibles, verse les attributions, établit les conditions de chaque attribution, précise et approuve les documents relatifs aux attributions remises en vertu du plan (pièce 4, pièce 14). Pour les mêmes motifs, il a été prévu que les plans MSCIP et EICP seraient soumis aux lois de l'État de New York.
Ainsi, l'employeur soutient que, même si le contrat de travail de M. [V] [H] faisait référence dans son article 6 au fait que l'intéressé pouvait être éligible à des plans de rémunération différée, ces plans ne doivent pas être compris comme des accessoires du contrat de travail et ils ne s'y rattachent pas, ce qui n'impose pas de faire application de la loi française pour interpréter leurs dispositions. Il était, d'ailleurs, précisé dans les documents relatifs aux EICP que l'attribution d'unités d'actions ne faisait pas partie du droit à rémunération ou aux avantages sociaux, qu'elle n'entrait pas dans le cadre du salaire de base et qu'elle n'avait pas à être prise en compte dans le calcul des droits à la retraite ou de l'indemnité de départ (pièce 14).
La meilleure preuve, selon l'employeur, de la déconnexion entre les plans de rémunération incitative et le contrat de travail du salarié, c'est que M. [V] [H] a pu bénéficier d'un plan de rémunération incitative en unités d'actions, dès 2005, soit deux ans avant son embauche par la société [...], quand il travaillait pour la société [...] à [Localité 9]. Les unités d'actions acquises à cette époque ont ensuite été converties à compter de septembre 2008 et jusqu'au 21 janvier 2011 alors que le salarié était employé par une autre société du groupe.
L'employeur avance, aussi, que les personnes éligibles aux plans n'ont pas toutes la qualité de salarié du groupe [...] puisque sont concernés : "Tous les dirigeants, autres employés (y compris les employés potentiels) et consultants de la Société, et d'autres personnes fournissant des services pour celle-ci, les administrateurs non-salariés de filiales et les employés et consultants de coentreprises, de sociétés de personnes ou d'entreprises commerciales similaires dans lesquelles [...] ou une Filiale détient une participation", ce qui démontre l'absence de lien entre les plans incitatifs et le contrat de travail (pièce 4, article 6).
Pour la société appelante, le salarié ne peut valablement prétendre qu'il ignorait que les plans MSCIP et EICP étaient soumis aux lois de l'État de New York alors que cette clause figurait dans tous les documents relatifs à ces plans portés à sa connaissance (plans, brochures explicatives, suppléments internationaux, synthèse descriptive, certificats d'attribution remis chaque année) (pièces 4 à 18). Or, M. [V] [H] ne s'est jamais manifesté pour remettre en cause le régime juridique auquel entendait se référer l'employeur alors qu'il en a profité pendant 13 ans.
Concernant les règles de droit applicables de la loi de l'État de New York, la société [...] verse aux débats l'analyse approfondie effectuée par le cabinet d'avocats américain Morgan, Lewis & Bockius LLP qui conclut que les droits à rémunération incitative complémentaire discrétionnaire accordés à un salarié sont nécessairement soumis aux règles des plans applicables. La jurisprudence de l'État de New York est, par ailleurs, constante pour affirmer qu'un salarié ne saurait prétendre au paiement de droits à rémunération non-acquis à la date de son départ de la société lorsque le plan prévoit une condition de présence du salarié dans les effectifs à la date d'acquisition des droits.
M. [V] [H] explique, pour sa part, qu'il a signé, le 3 mars 2008, un contrat de travail avec [...], rédigé en langue française, exécuté en France et, partant, soumis au droit français. Ce contrat de travail précisait, dans son article 6, les droits à rémunérations du salarié dans les termes suivants : "Le salarié pourra également recevoir une prime annuelle discrétionnaire, dite Above Base Compensation (ABC), sous forme de numéraire et/ou via un plan de rémunération différée (par exemple Long Term Incentive Compensation Plan). Son attribution sera fonction des performances et de la conduite du salarié, ainsi que des résultats financiers de [...].
Son versement est également conditionné à la présence du salarié dans l'entreprise à sa date de versement, soit en janvier de l'année suivant l'annonce. En conséquence, aucun prorata ne sera dû en cas de départ, pour quelque cause que ce soit, avant la date de versement".
Il s'en déduit, selon lui, que les éléments de rémunération complémentaire sont indissociables du contrat de travail et relèvent du droit français applicable. Il en donne également pour preuve le fait que le "tableau d'États Financiers" édité par l'employeur rappelait que son "portefeuille" lui appartenait "en tant que salarié de [...]" (pièce employeur 21, page 2).
M. [V] [H] souligne qu'il n'a signé aucun document avec la société mère américaine le liant contractuellement à cette dernière et pouvant lui laisser croire que ses droits à rémunération incitative différée seraient en marge de son contrat de travail.
Il affirme, par ailleurs, qu'il a pris connaissance des plans, brochures et certificats relatifs aux plans MSCIP et EICP, pour la première fois, le 29 juillet 2016, soit un an et demi après sa démission, lors de la communication des pièces et conclusions de la société [...].
En conséquence, on ne peut valablement déduire, comme le fait l'employeur, de ses connexions sur le site « Executive Compensation » qu'il a accepté les plans, leurs conditions de fonctionnement et leur soumission à la loi de l'État de New York. M. [V] [H] demande, donc, à ce que les dispositions relatives à sa rémunération complémentaire au titre des plans MSCIP et EICP soient soumises au droit français régissant le contrat de travail.
La cour retient, comme le premier juge, que la rémunération complémentaire du salarié sous forme d'un plan de rémunération différée, étant prévue à l'article 6 du contrat de travail, elle présente une nature contractuelle et est un élément du contrat de travail soumis pour son interprétation et son application à la loi française. D'ailleurs, le document édité par l'employeur sous l'intitulé "États financiers personnels" (pièces 21 employeur) et destiné au salarié précisait : "En tant que salarié de [...], vous pouvez avoir le droit de participer à certains programmes de rémunération et d'avantages". Le lien était donc reconnu par la société appelante, elle-même, entre la qualité de salarié et le droit à rémunération complémentaire.
2/ Sur le droit à rémunération
M. [V] [H] fait valoir que l'employeur ne peut assujettir le paiement d'une rémunération variable acquise sur une période échue à une condition de présence ultérieure du salarié en exigeant sa présence au moment du versement de la prime. Le droit à la rémunération variable relative à une période déterminée est acquis du seul fait que cette période a été intégralement travaillée par le salarié. Il précise que ses relevés financiers individuels établis par la société mettaient bien relation un droit à un bonus en actions avec une année de référence à laquelle il se rapportait. Il en est de même des dispositions des deux plans (en numéraire et unités d'actions) communiqués par la société [...] qui sont toutes rédigées de la même manière, avec cette précision que le numéraire ou les actions lui sont attribués :
- "as part of your discretionary incentive compensation for services provided during 2012" soit : "pour le travail accompli sur l'année 2012"
- "as part of your discretionary incentive compensation for services provided during 2013" soit : "pour le travail accompli sur l'année 2013"
- "as part of your discretionary incentive compensation for services provided during 2014" soit : "pour le travail accompli sur l'année 2014"
Ces dispositions faisant écho aux termes de l'article 6 du contrat de travail prévoyant que les primes seraient attribuées "en fonction des performances et de la conduite du salarié, ainsi que des résultats financiers de [...]".
A cet égard, le salarié précise, qu'au 4ème trimestre 2015, soit l'année correspondant à sa démission, la banque a réalisé un bénéfice net de 908 millions de dollars et sur l'ensemble de l'année un bénéfice net de 6,1 milliards de dollars (pièce 1). Ses performances et les résultats financiers de [...] ne sont donc pas discutables ainsi qu'en témoignent les états financiers de ses deux dernières années de collaboration avec la banque.
Ayant démissionné le 2 février 2015, M. [V] [H] considère qu'il pouvait prétendre aux bonus correspondant aux périodes échues et intégralement travaillées jusqu'à cette date soit pour :
- le plan MSCIP 2014 un bonus de 250 000 euros
- le plan EICP pour les années 2012 à 2014, un bonus cumulé de 1 165 839,90 euros.
Il réclame, donc, le versement de ces sommes, outre 141 583,99 euros au titre des congés payés afférents.
L'employeur prétend que, quand bien même les plans de rémunération incitative différée seraient soumis au droit français, la clause permettant de conditionner le versement de la prime à l'appartenance du salarié aux effectifs au jour d'acquisition de cette prime, demeurerait valable et ferait échec aux revendications du salarié.
Il affirme que l'article 6 du contrat de travail faisait référence à deux types de bonus
discrétionnaires distincts, d'une part, une prime versée sous forme de numéraire, dont l'attribution devait être fonction des performances et de la conduite du salarié, ainsi que des résultats financiers de [...] et, d'autre part, deux plans de rémunération différée ("Long Term Incentive Compensation Plan"). Il en donne pour preuve le fait que le salarié a perçu, en février 2015, un bonus annuel de 497 892,30 euros brut au titre de ses performances sur l'année échue, en sus des attributions de numéraire et d'unités d'actions au titre des plans MSCIP et EICP (pièce 3) et en février 2014, un bonus de 876 012 euros brut au titre de l'année 2013 (pièce 51).
La société appelante expose que les plans de rémunération discrétionnaire variable différée, qui sont courant dans le domaine bancaire, prévoient plusieurs étapes successives :
1 - l'attribution des droits à rémunérations. L'acquisition de ce droit étant soumis à plusieurs conditions, et notamment à des conditions de conformité et de présence du membre du groupe [...] à une date ultérieure ; sa créance à ce stade ne pouvant dès lors être considérée comme certaine
2 - l'acquisition des droits à rémunérations, si les différentes conditions sont remplies, notamment si le membre du groupe [...] fait encore partie de ce dernier à la date prévue
3 - le versement de la rémunération, qui intervient dès lors que les conditions sont remplies, soit immédiatement, soit ultérieurement, peu importe si le membre du groupe [...] fait encore partie de ce dernier ou non à la date du versement.
La société [...] précise que les notions d'attribution et d'acquisition ont été définies par l'Autorité Bancaire Européenne dans ses orientations sur les politiques de rémunération devant être mises en place par les banques, publiées aux fins de guider les établissements bancaires dans l'application des directives européennes. Il est, notamment, consacré l'existence d'une "période de report", définie comme suit : "période entre l'attribution et l'acquisition de la rémunération variable au cours de laquelle le personnel n'est pas le détenteur légal de la rémunération accordée". (pièce 58).
A titre d'exemple, la société appelante mentionne que, concernant le plan MSCIP 2014, tous les documents relatifs à ce plan précisaient "votre Valeur de Compte Applicable [prime en numéraire 2014] sera acquise au 23 janvier 2017 (la "Date d'Acquisition Prévue"). Sauf stipulation contraire de votre certificat d'attribution, votre Valeur de Compte Applicable [prime en numéraire 2014] sera acquise uniquement si vous vous maintenez dans votre emploi jusqu'à la Date d'Acquisition Prévue." (pièce 17 document de synthèse 2014, pièce 16 certificat d'attribution 2014). Il était, également, prévu que les bonus attribués mais non-acquis à la date du départ du salarié de la société seraient annulés si le contrat de travail prenait fin pour une autre raison que le décès, une invalidité, la retraite à taux plein, une raison involontaire, une prise de poste dans un service gouvernemental, ou une cessation d'Emploi dite "qualifiante" selon les règles du plan (pièces 16 et 17). Ayant quitté la société antérieurement à la date acquisition des droits le salarié ne peut prétendre à l'allocation d'une somme de 240 000 euros.
Le plan EICP contenait des dispositions similaires et prévoyait un dispositif comprenant des périodes d'acquisition et des dates de conversion des actions permettant, une fois acquises, l'attribution définitive des actions concernées.
Ainsi, pour les différents plans EICP de 2012 à 2014, il était prévu les dates d'acquisition suivantes :
- pour les unités d'actions attribuées le 22 janvier 2013 : "25 % des unités d'actions constituant l'attribution seront acquises le 27 janvier 2014 et le 26 janvier 2015 (la
« Première Date d'Acquisition Programmée » et la « Deuxième Date d'Acquisition Programmée » respectivement), et les 50 % restants des unités d'actions seront acquises le 25 janvier 2016 (la « Troisième Date d'Acquisition Programmée »).
- pour les unités d'actions attribuées le 21 janvier 2014, 25% des unités d'actions devaient être acquises au 26 janvier 2015, 25 % au 25 janvier 2016 et 50 % au 23 janvier 2017
- pour les unités d'actions attribuées le 21 janvier 2015, 100% des unités d'actions devaient être acquises au 22 janvier 2018
(pièces 9 à 11, page 1 de la traduction, pièce 21 page 4 et pièces 6 à 8, page 3).
Ainsi, le salarié a régulièrement perçu 50 % des unités d'actions acquises le 27 janvier 2014 et le 26 janvier 2015 mais il ne peut prétendre à l'allocation des 50 % restantes qu'il devait acquérir le 25 janvier 2016.
Pour les unités d'actions attribuées le 21 janvier 2014, il a perçu 25 % des unités d'actions acquises au 26 janvier 2015 mais n'a pas touché les 75% restantes. Enfin, il n'a pu acquérir aucune des unités d'actions attribuées le 21 janvier 2015.
L'employeur relève que, comme pour les bonus en numéraire, il était précisé que les unités d'actions non-acquises à la date de son départ de la société seraient annulées si son contrat de travail prenait fin pour une autre raison que le décès, une invalidité, la retraite à taux plein, une raison involontaire, une prise de poste dans un service gouvernemental, ou une cessation d'Emploi dite "qualifiante" selon les règles du plan (pièces 9,10,11).
La société appelante souligne qu'en qualité de "[...]" puis d'"[...]" au sein du département « [...] », M. [V] [H], qui était parfaitement bilingue, ne méconnaissait pas le fonctionnement des plans de rémunérations incitatives différés et qu'il ne peut sérieusement prétendre avoir pris connaissance des documents réglementant leur usage postérieurement à la rupture de la relation de travail.
L'employeur rapporte que M. [V] [H] a été destinataire d'un grand nombre de courriels lui rappelant les conditions d'attribution et d'acquisition de ses droits à rémunération complémentaire incitative et l'invitant à consulter les termes des plans MSCIP et EICP, ainsi que les documents personnalisés qui le concernaient (pièces 22 à 43). Ces informations se trouvaient, en outre, reprises sur le site Internet « Executive Compensation », consultable à tout moment par le salarié et sur lequel il s'est connecté 97 fois entre 2011 et 2015, et 39 fois sur la seule période de février 2012 à début avril 2015 (pièces 44 à 48). Mais, M. [V] [H] ne se contentait pas de se connecter au site internet « Executive Compensation » pour accéder aux informations relatives à l'ensemble de ces plans, il donnait, aussi, des instructions relatives aux plans dont il a bénéficié, en tant que salarié de [...] en Angleterre sous contrat de travail de droit anglais puis en tant que salarié de [...] SA sous contrat de travail de droit français (pièces 69, 70, 71, 72, 73 et 36), ce qui atteste de sa parfaite maîtrise du dispositif mis en 'uvre par le groupe [...].
De surcroît, l'employeur souligne qu'il était précisé dans les suppléments internationaux pour le MSCIP et l'EICP destinés aux salariés français : "En acceptant votre gratification pour [2013], vous reconnaissez que vous avez lu et compris les termes et conditions du Plan, et que vous acceptez d'être lié par le Plan". (pièce 13 page 5 ; pièce 14 page 5 ; pièce 18 page 5). Or, l'intimé n'a jamais contesté les conditions d'acquisition puis de conversion différées des unités d'actions avant son départ de la société.
La cour observe que le droit à rémunération de M. [V] [H] a été fixé à l'article 6 de son contrat de travail qui prévoit que le salarié pourra recevoir, en sus de sa rémunération fixe, une prime annuelle discrétionnaire sous forme de numéraire "et/ou" via un plan de rémunération différée. Il appert que ces dispositions doivent être comprises comme étant cumulatives et non alternatives puisque le salarié a perçu, d'une part, un bonus annuel discrétionnaire fondé sur ses performances au titre de l'année échue (pièces 3 et 51) et, d'autre part, le bénéfice de plans de rémunération différée sous la forme d'un plan de rémunération incitative différée en numéraire (MSCIP') et d'un plan de rémunération incitative en unités d'actions (EICP).
La cour rappelle que les plans de rémunération incitative à long terme (ou "Long Term Incentive Compensation Plan" tel que mentionné à l'article 6 du contrat de travail), qui sont fréquemment utilisés pour la rétribution des cadres dirigeants dans le domaine bancaire dans lequel évolue l'intimé, consistent en des rémunérations en actions et/ou en numéraires allouées aux salariés sous condition de performance à long terme et/ou d'ancienneté selon des critères économiques, financiers et sociétaux établis en cohérence avec la stratégie à long terme de la société et du groupe auquel elle appartient. L'objectif de ces plans est de motiver et de fidéliser les employés essentiels, en les faisant participer à la croissance et aux succès de l'entreprise mais aussi de prémunir l'employeur de tout comportement à risque de son salarié dont les conséquences ne seraient pas immédiatement perceptibles.
Dans le cas d'espèce, les plans de rémunération incitative en action (EICP) et en numéraire (MSCIP) mis en 'uvre par la société [...] précisaient qu'ils avaient pour objectif "d'attirer, retenir et motiver les employés et les rémunérer au titre de la contribution à la croissance et aux bénéfices de la société" (pièces 4 et 15 employeur). Les certificats d'attributions d'unités d'actions rappelaient, également, au salarié que "[...] vous a attribué des unités d'actions d'incitation au maintien en poste dans le cadre de votre rémunération incitative discrétionnaire au titre des services fournis au cours de l'année et pour vous inciter à conserver votre Emploi et à fournir des services à la société jusqu'au Date d'Acquisition Prévues" (pièces 6, 7, 8 employeur). Les certificats d'attribution de bonus en numéraires appelés "certificat attribution discrétionnaire 2014 en vue de l'incitation au maintien en poste" comportaient le même type de précisions (pièce 16 employeur).
Ces dispositions relevant d'un engagement unilatéral de l'employeur contractualisé dans le contrat de travail sont parfaitement opposables au salarié puisque la société appelante justifie que M. [V] [H] a été destinataire de courriels lui rappelant les conditions d'attribution et d'acquisition de ses droits à rémunérations, qu'il est établi que le salarié s'est connecté à quasiment une centaine de reprises au site Internet "Executive compensation" reprenant ces informations et qu'il a donné des instructions relatives aux plans dont il a bénéficié. Mais surtout, la cour observe que le salarié fonde ses demandes de rappel de bonus sur les attributions de numéraire et d'unités d'actions qui lui ont été allouées en vertu de ces plans dont il demande, donc, l'application tout en faisant valoir que la notion d'acquisition différée liée à une condition de présence se heurte aux règles du droit du travail telles qu'appliquées dans la législation française.
À cet égard, la cour constate que les dispositions des plans MSCIP et EICP ne récompensaient pas le salarié pour le travail accompli au titre d'une année donnée, son activité étant déjà rémunérée par son salaire fixe et la perception d'un bonus discrétionnaire, mais qu'elles cherchaient à s'assurer de sa fidélité sur le long terme et d'une collaboration dans la durée.
À ce titre, l'employeur pouvait prévoir l'allocation d'un bonus en numéraire ou en unités d'actions sous condition suspensive de la présence du salarié dans l'entreprise à une date donnée sans que cela porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté de travailler.
La défaillance de la condition suspensive en raison de la démission du salarié, qui ne méconnaissait pas ses effets en termes d'annulation des unités d'actions et de bonus non-acquis rappelés dans les certificats d'attribution de bonus ou d'unités d'actions, lui a fait perdre ses droits sur le bonus MSCIP 2014 et sur les d'unités d'actions au titre des plans EICP 2012, 2013 et 2014, non-acquis au 2 février 2015.
Il convient dès lors de débouter le salarié intimé de sa demande en paiement de rappel de bonus et de congés payés afférents et d'infirmer le jugement déféré.
3/ Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
M. [V] [H] fait valoir qu'il n'a eu de cesse, à compter de sa démission et durant toute sa période de préavis, de s'enquérir auprès de sa direction du paiement de ses bonus acquis pour les périodes travaillées. La société intimée étant demeurée silencieuse face à ses demandes, le salarié lui a écrit, le 16 avril 2015, soit 15 jours avant le terme de son préavis pour lui rappeler l'état du droit applicable et lui signifier qu'il attendait une régularisation de sa situation. Aucune solution satisfaisante n'ayant été trouvée, le salarié intimé rappelle qu'il n'a eu d'autre choix que de saisir le conseil de prud'hommes de Paris pour faire valoir ses droits face à la résistance abusive de l'employeur.
M. [V] [H] ajoute, par ailleurs, que le fait pour l'employeur de le priver des rémunérations acquises au motif qu'il aurait démissionné s'assimile à une sanction pécuniaire prohibée par l'article L. 1331-2 du code du travail.
L'employeur ayant manqué à son obligation de bonne foi, le salarié intimé réclame une somme de 160 000 euros en réparation du préjudice subi.
La société intimée se défend d'avoir exécuté de façon déloyale le contrat de travail de M. [V] [H] et affirme que, non seulement, il a pu démissionner en valorisant pleinement son expérience et sa carrière au sein de [...] mais, qu'en outre, il a quitté la société pour aller travailler pour le compte d'une de ses clientes avec laquelle il avait lié des contacts dans le cadre de ses activités au sein de [...].
La cour retient qu'il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir manqué à l'exécution de bonne foi du contrat de travail en mettant en 'uvre un dispositif conforme à la loi et dont le salarié connaissait le fonctionnement et l'avait accepté durant la relation contractuelle, pas plus qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir cédé aux demandes de l'intimé.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.
4/ Sur les autres demandes
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [V] [H], partie succombante au principal, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- débouté M. [V] [H] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le droit français applicable au présent litige,
Déboute M. [V] [H] de ses demandes,
Déboute la société [...] du surplus de ses demandes plus amples ou contraires,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [V] [H] aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, prise en la personne de Maître Matthieu Boccon-Gibod, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE