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13/03/2024 | FRANCE | N°21/03347

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 13 mars 2024, 21/03347


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 13 MARS 2024



(n° /2024, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03347 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDP4F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 19/00348





APPELANT



Monsieur [B] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par

Me Sophie LECRUBIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1644





INTIMEE



S.A.S. LABORATOIRES GALENIQUES VERNIN prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]

Repr...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 13 MARS 2024

(n° /2024, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03347 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDP4F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 19/00348

APPELANT

Monsieur [B] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Sophie LECRUBIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1644

INTIMEE

S.A.S. LABORATOIRES GALENIQUES VERNIN prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Clara MICHEL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Rappel des faits, procédure et prétentions des parties

La société des Laboratoires galeniques Vernin exerce une activité de promotion et de représentation commerciale en officines de produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques.

M. [B] [M], né en 1979, a été engagé par la société Pharmaland, aux droits de laquelle vient la société des Laboratoires galeniques Vernin, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 31 mars 2008, en qualité de responsable du développement commercial.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

Par lettre datée du 22 mars 2019, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 4 avril 2019.

Il a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 10 avril 2019 dans les termes suivants : « Depuis plusieurs mois vous exécutez de façon déficiente vos fonctions, cette déficience étant caractérisée par un comportement déloyal, insubordonné, querelleur et irrespectueux et une attitude générale d'opposition qui a récemment atteint son paroxysme.

C'est ainsi que :

Vous ne supportez aucune marque d'autorité, ne tolérant pas que votre hiérarchie puisse vous demander des explications sur vos activités et le déroulement de vos missions, considérant avoir fait vos preuves et que vous n'avez donc aucun ordre ou conseil à recevoir de personne.

A titre d'exemple, vous avez extrêmement mal réagi au fait que votre supérieur hiérarchique, Monsieur [R] [D], ait pu répondre à un client qui vous avait adressé un mail et dont il était naturellement en copie. Vous vous en êtes répandu auprès de lui dans des termes des plus inacceptables.

De la même façon, lorsque Monsieur [D] vous a demandé un calendrier de vos tournées ainsi qu'un compte rendu de celles-ci vous lui avez rétorqué qu'en tant que directeur commercial, vous n'aviez pas à le faire.

D'une façon générale, vous considérez que votre hiérarchie n'a pas de droit de regard sur votre activité et que vous n'avez à rendre de compte à personne.

Vous refusez de répondre à certaines demandes ou explications de votre hiérarchie concernant votre activité, empêchant de fait cette dernière d'avoir une vision complète et exhaustive de celle-ci, de vos missions et de vos relations, usant par ailleurs du chantage pour justifier de votre refus de répondre.

Vous considérez ainsi que tant que vous n'aurez pas obtenu « gain de cause » sur certains sujets, vous êtes légitime à retenir certaines informations qui vous sont demandées par votre supérieur, entravant ainsi volontairement le bon déroulé de la relation contractuelle et de votre suivi hiérarchique.

Vous vous adressez à vos différents supérieurs hiérarchiques dans des termes et en usant d'un ton totalement inapproprié, n'hésitant pas utiliser des termes sciemment irrespectueux ou insolents voire insultants ou vulgaires (à titre d'exemples, il vous est arrivé de vous adresser à Monsieur [D] en utilisant à son endroit l'appellation de « Monseigneur » ou d'employer des expressions telles que « en serrant les fesses ») ou encore la menace lors de vos échanges.

Vos récents mails adressés à Monsieur [D], dans le cadre notamment de la relation avec notre client Gifrer, au sein desquels vous lui donnez ni plus ni moins des ordres et directives sont tout simplement inacceptables (à titre d'exemples : « je jugerai moi-même des démarches de la relation commerciale » / « je ne suis pas mort donc il faut me mettre en copie »)

Vous ne pouvez vous adresser à votre hiérarchie de la sorte, votre comportement traduisant une insubordination.

Vous dénigrez notre société et ses salariés auprès de nos clients ;

Vous dénigrez également régulièrement vos collègues de travail, tant à l'oral qu'à l'écrit, (récemment, les équipes du service production) et adoptez à leur égard un comportement irrespectueux dont il se sont plaints.

Plus encore nos clients nous ont récemment fait part de leur mécontentement quant aux conditions de votre collaboration, se plaignant notamment de votre comportement là encore irrespectueux et agressif à leur endroit. L'un de vos interlocuteurs nous a même expressément demandé à ne plus avoir de contact direct avec vous tant votre attitude était désagréable et déplacée.

C'est dans ce contexte qu'en dernier lieu vous avez adressé au Président de l'entreprise un mail dont les termes et le ton sont tout simplement inacceptables.

Outre les propos insultants que vous utilisez à l'encontre de votre supérieur hiérarchique, vous procédez par la voie d'un chantage à peine voilé pour tenter d'obtenir une indemnisation indue, ce qui est totalement intolérable.

En conclusion et d'une manière générale, vous ne supportez aucune forme d'autorité, usant d'un ton et d'une liberté de parole totalement inadaptés, les termes que vous avez utilisés lors de votre dernier mail à notre Président étant une nouvelle illustration d'un comportement totalement déplacé, révélateur de l'impossibilité pour vous d'assurer vos fonctions de façon efficiente.

En un mot, vous vous affranchissez volontairement des règles de fonctionnement de la société, agissant sans respecter son organisation, ses intérêts, ses collaborateurs et ses dirigeants, la forme provocatrice de votre communication n'étant plus tolérable et caractérisant de par sa permanence un relationnel toxique pour vos interlocuteurs quels qu'ils soient.

La multiplication de vos manquements, leur nature et leurs conséquences trahissent une exécution gravement fautive de la relation contractuelle et justifient votre licenciement pour faute grave, celle-ci rendant impossible la poursuite immédiate de votre contrat de travail. »

A la date du licenciement, les laboratoires galeniques Vernin occupaient à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant cette rupture, M. [B] [M] a saisi le 26 juillet 2019 le conseil de prud'hommes de Melun, aux fins de voir déclarer le licenciement nul pour harcèlement moral et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ordonner sa réintégration et condamner les laboratoires galeniques Vernin à lui verser les sommes suivantes :

* 113.249,50 euros de rappel de salaires et 11.324,95 euros d'indemnité de congés payés afférents correspondant aux salaires échus après son licenciement et avant sa réintégration ;

* 45.241,18 euros de rappel de primes variables et 4.524,18 euros d'indemnité de congés payés afférents ;

* 3.882,24 euros d'indemnité au titre de jours de RTT ;

* 70.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 38.000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

* 19.414,20 euros d'indemnité de préavis et 1.941,42 euros à titre d'indemnité de congés payés y afférents ;

* 20.816,33 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

* 45.241,18 euros à titre de rappel de primes variables ;

* 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

* avec intérêts au taux légal et capitalisation ;

* ainsi qu'aux dépens.

Il demandait en outre d'ordonner le remboursement dans la limite de six mois des allocations chômage perçues et la remise de bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision.

La défenderesse s'est opposée à ces prétentions.

Par jugement du 9 février 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le demandeur a été débouté de ses prétentions et les dépens ont été laissés 'à la charge respective des parties'.

Par déclaration du 1er avril 2021, M. [B] [M] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 17 mars 2021.

Dans ses uniques conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 24 mai 2021, M. [B] [M] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement et réitère l'intégralité de ses demandes, à l'exception de celle tendant à un rappel de salaires, qu'il élève à la somme de 155.313,60 euros brut au titre de la nullité du licenciement pour la période allant du 12 avril 2019 jusqu'au jour de la décision de la cour, outre les congés payés afférents de 15.531,36 euros. Le salarié demande également que les avertissements des 25 juin et 29 septembre 2017 soient annulés.

Dans ses uniques conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 juillet 2021, l'intimée demandent à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu en première instance et sollicite l'allocation de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 24 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1 : Sur l'exécution du contrat

1.1: Sur les rappels de RTT

M. [B] [M] sollicite l'allocation de la somme de 3 882,24 euros, au motif qu'il n'a bénéficié d'aucun jour de RTT entre juillet 2017 et août 2018.

Comme le relève l'employeur, cette demande, qui ne s'appuie sur aucune explication, ni aucun principe, ne peut qu'être rejetée.

1.2 : Sur le rappel de prime

M. [B] [M] sollicite le paiement du bonus correspondant à 30% du salaire annuel, soit la somme de 19 741,61 euros au titre du bonus 2017, 19 741,61 euros au titre du bonus 2018 et 5 757,96 euros au titre du bonus 2019 et au prorata du temps passé au sein de l'entreprise.

L'employeur oppose qu'au vu du contexte de l'affaire, aucune rémunération variable n'est due, au regard des résultats du salarié.

Sur ce

S'agissant des objectifs, il est de principe qu'une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels. Ces objectifs doivent être atteignables.

Par ailleurs, l'employeur peut fixer unilatéralement et modifier les objectifs annuels dans le cadre de son pouvoir de direction sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord préalable du salarié. En revanche, il lui appartient de le faire en début d'exercice et non en cours d'exécution alors qu'il prend connaissance de leur niveau de réalisation. Il est en outre constant que, lorsque les objectifs sont fixés unilatéralement par l'employeur, une communication tardive de ceux-ci les rend inopposables au salarié et qu'en cas d'inopposabilité la rémunération variable doit être versée intégralement à hauteur du bonus cible maximum.

Il ressort des courriels envoyés par le salarié à ses supérieurs depuis 2016 et de ses évaluations, que l'intéressé a perçu des primes importantes en 2015 et 2016, puis une prime réduite de moitié en 2017, par rapport à 2018, puis ramenée à peu voire rien entre 2018 et 2020, que depuis 2015, puis de manière croissante et constante par la suite, le salarié manifeste ses difficultés en raison de l'insatisfaction des clients en particulier du fait des retards de livraison, des prix mal fixés, du temps passé à régler les questions d'approvisionnement et de l'impossibilité d'atteindre les objectifs fixés, que les objectifs de 2017 ont été modifiés sans son accord et qu'il n'a pas accepté les objectifs qualitatifs et quantitatifs imposés pour 2018.

L'employeur a toujours maintenu que ces revendications n'étaient pas justifiées, sans pour autant démontrer que les objectifs étaient atteignables et expliquer la brusque chute des la part variable du salarié.

Contrairement à ce que prétend la société des Laboratoires galeniques Vernin, il lui appartenait de fixer des objectifs pour 2019, tant que le contrat n'était pas expiré, et de lui payer la prime prorata temporis.

Il est constant que la prime à objectifs atteints est égale à 30% de la rémunération de base annuelle.

Dés lors c'est à juste titre que M. [B] [M] sollicite le paiement de primes à objectifs atteints pour 2017 et 2018 et 2019.

Il lui sera alloué les sommes demandées tant au titre de la prime d'objectifs que de congés payés y afférents.

1.3 : Sur le harcèlement moral

M. [B] [M] sollicite la condamnation de la partie adverse à lui payer la somme de 38 800 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral ou, subsidiairement, pour exécution déloyale du contrat de travail en s'appuyant sur des manquements répétés selon lui de l'employeur consistant dans :

- la fixation d'objectifs inatteignables avec absence de versement de la prime sur objectifs en 2017, 2018 et 2019 ;

- le refus d'octroi de jour de RTT avant le passage au forfait jour ;

- deux avertissements infondés ;

- sa mise à l'écart du séminaire de fin d'année, le refus de formations et l'absence d'organisation de visites médicales ;

- la dégradation de ses conditions de travail et de santé.

La société des Laboratoires galeniques Vernin objecte que le salarié ne démontre pas de dégradation de son état de santé découlant des prétendus manquements et qu'il se borne à des affirmations et à la production de pseudo preuves établies par lui-même.

Sur ce

Aux termes de l'article L 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il convient donc d'examiner la matérialité des faits invoqués, de déterminer si pris isolément ou dans leur ensemble, ils font présumer un harcèlement moral et si l'employeur justifie les agissements invoqués par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il a été relevé que l'employeur n'a pas versé les primes d'objectifs dues pour les années 2017, 2018 et 2019, alors que les objectifs qu'il avait fixés en 2017 et 2018 n'étaient pas atteignables et qu'il n'a pas fixé d'objectifs du tout pour l'année 2019.

S'agissant de l'avertissement du 27 juin 2017, il reproche au salarié d'avoir donné une publicité à différents courriels de sa part contestant ses objectifs. Par courriel du 29 juillet 2017, M. [B] [M] répond qu'il s'est borné à mettre en copie ses deux supérieurs hiérarchiques, un membre des ressources humaines et un autre du contrôle de gestion, car concernés par la teneur de ses écrits. Cette explication raisonnable n'est pas remise en cause par la moindre explication de l'employeur. Cet avertissement est donc nul.

S'agissant de l'avertissement du 29 septembre 2017, il lui est reproché d'être arrivé avec 45minutes de retard à une formation et de n'avoir pas réalisé le travail préparatoire. Le salarié a répondu par courriel du 16 octobre 2017 qu'il est arrivé avec seulement 30 minutes de retard en raison de la circulation, que certains salariés ne s'y sont même pas rendus et qu'il est faux de dire qu'il n'avait pas préparé une présentation et joignait celle-ci à son envoi. Cet avertissement doit donc être annulé en l'absence de démonstration par l'employeur de la justification de la sanction, au regard des explications de M. [M].

S'agissant de sa mise à l'écart du séminaire de fin d'année et du refus de formation, ce fait n'est pas contesté.

Le salarié n'établit pas son droit à RTT, ni l'insuffisance des moyens dont il disposait.

S'agissant du défaut de visite de reprise, aux termes de l'article R 4624-31 du Code du travail, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail, après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel. Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.

A la suite de son arrêt maladie du 29 septembre 2018 au 3 février 2019, une visite de reprise avait été programmée pour le 14 mars 2019, de sorte que c'est à tort que le salarié soutient que la société n'a pas organisé son examen par la médecine du travail, même si celle-ci a été tardive.

Si l'attestation produite par le salarié rédigée par son épouse ne peut être retenue compte tenu de la proximité du témoin et du salarié sur les conséquences familiales et psychologiques des problèmes professionnels de son mari, il apparaît néanmoins que les faits établis évoqués ci-dessus pris dans leur ensemble font présumer un harcèlement moral.

L'employeur n'oppose qu'une dénégation ou ne justifie pas sa décision notamment de refuser la formation qu'il souhaitait.

Au vu des éléments ainsi retenus par la cour et significatifs, pris dans leur ensemble, à savoir deux avertissements nuls, mise à l'écart d'une formation et d'un séminaire et non-paiement des primes, le harcèlement moral doit être retenu.

La somme de 5 000 euros réparera exactement le préjudice subi.

2 : Sur le licenciement

La société des Laboratoires galeniques Vernin reproche à M. [B] [M] son insubordination, le chantage vis à vis de sa hiérarchie, en subordonnant l'accomplissement de certaines tâches ou la transmission de certaines informations à l'acquiescement de l'entreprise à certaines de ses demandes, un ton et des propos inadaptés vis à vis de sa hiérarchie et un comportement dénigrant et déplacé envers la société et ses salariés.

M. [B] [M] soulève la prescription des faits reprochés comme remontant à plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire et en tout état de cause les conteste.

2.1 : Sur la prescription

En application de l'article L. 1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que le comportement du salarié se soit poursuivi ou réitéré dans ce délai et s'il s'agit de faits de même nature.

Ainsi la lettre de licenciement impute au salarié une mauvaise réaction du salarié à la suite de la réponse adressée directement par son supérieur hiérarchique à un client en relation avec le salarié, refus d'admettre que l'on puisse lui demander un calendrier de ses tournées, ton inapproprié en termes sciemment irrespectueux et insolents, voire insultants ou vulgaires à l'égard de son supérieur hiérarchique, ordres et directives et un courriel de février 2018 adressé au président de la société tenant des propos insultants avec chantage pour obtenir un remboursement indû.

Tous ces agissements participent d'une attitude irrespectueuse et agressive à l'égard de sa hiérarchie pouvant aller jusqu'à l'insubordination. Les derniers éléments de preuve fournis par l'employeur remontent au mois même du licenciement et en particulier du 3 février 2018, de sorte que la prescription n'est pas acquise.

2.2 : Sur la cause du licenciement

Les motifs doivent être précis et matériellement vérifiables.

Aussi les griefs de la lettre de licenciement ne doivent être examinés que dans la mesure où ils ne se bornent pas à des reproches vagues flétrissant des attitudes générales, mais dans la seule mesure où ils se réfèrent à des faits précis.

Il est versé aux débats des échanges entre le salarié et des collègues ou son supérieur hiérarchique, M. [D], entre avril 2018 et février 2019, dans lesquels il s'exprime en termes directs, parfois familiers et impératifs, notamment pour reprocher vivement à M. [D] d'avoir répondu directement à un client sur une correspondance où celui-ci n'avait été mis qu'en copie, ce qui perturbait le travail et qu'il entendait qu'on le laissât travailler sans le gêner, renvoyant M. [D] à son assistante sur certaines de ses demandes et déclarant ne pas avoir besoin des personnes du développement.

Dans ces mêmes courriers, le salarié manifeste son intention de s'investir pour conserver son emploi.

Certes, le salarié met en parallèle sa volonté de 'repartir pour réaliser un travail fructueux' en, précisant souhaiter 'au préalable' la levée de son second avertissement, mais ces propos qui s'apparentent à un chantage doivent être relativisés au regard de l'annulation de cet avertissement.

Les propos du salarié reposant parfois sur des critiques légitimes, voire constructives, conservent une forme, qui sans être injurieuse n'en est pas moins incompatible avec le respect de la hiérarchie et la préservation d'une communication sereine au sein de l'entreprise.

Aucun autre grief exprimé de manière précise et matériellement vérifiable n'est démontré.

Au regard de l'ancienneté du salarié, les fautes en question ne justifiaient pas le licenciement et celui-ci ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

2.3 : Sur la qualification du licenciement

Aux termes de l'article L. 1152-3 du Code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Les griefs de l'employeur sont pour partie exacts, quoique non proportionnés à un licenciement, les échanges entre le salarié et l'employeur démontrent qu'une sanction d'un niveau inférieur était nécessaire. La rupture n'est pas liée au harcèlement moral, comme en témoigne le fait que non seulement les griefs étaient justifiés quoique non traités avec suffisamment de retenue, mais aussi parce que l'engagement de la procédure disciplinaire a fait suite à un courriel du salarié manifestant de manière rigide son intention de poursuivre sa manière de travailler avec le client Gifrer comme il l'entendait.

Faute de lien avec le harcèlement moral, le licenciement ne sera pas déclaré nul, mais sera reconnu sans cause réelle et sérieuse.

2.4 : Sur les conséquences financières du licenciement

2.4.1 : Sur les indemnités d'origine contractuelle

En l'absence de reconnaissance de la nullité du licenciement, les demandes de réintégration et de rappels de salaire au titre de la période écoulée depuis la rupture seront rejetées.

Aux termes de l'article L. 1234-1 du Code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

Au vu du salaire de l'intéressé la cour retient un salaire de 5 393,56 euros et condamne la société des Laboratoires galeniques Vernin à lui payer une indemnité de préavis de 16 180,68 euros outre 1 618 euros d'indemnité de congés payés y afférents.

Aux termes de l'article R 1234-3 du Code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

En l'absence de justification par le salarié de son calcul du salaire moyen retenu, la cour retient le montant proposé par l'employeur, soit la somme de 15 291,75 euros.

2.4.2 : Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [B] [M] sollicite la somme de 70 000 euros en invoquant son ancienneté, son investissement dans le développement de l'entreprise, ses charges de famille comme père de quatre enfants, l'état psychologique dans lequel l'a plongé son environnement professionnel et l'arrêt de travail de trois mois subi d'octobre à décembre 2017.

L'employeur objecte que l'intéressé a retrouvé un emploi au bout de trois mois et que la somme demandée n'est pas justifiée par la preuve d'un préjudice correspondant.

Sur ce

Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris au cas présent, compte tenu de l'ancienneté du salarié entre 3 et 10 mois puisqu'il n'avait pas encore tout à fait 11 ans d'ancienneté au moment de la rupture.

Il est justifié que M. [B] [M] a été au chômage du 15 mai 2019 à la suite de la rupture jusqu'au 31 août 2020, en ce qu'il a bénéficié pendant cette période 259 allocations journalières. La cour ne saurait retenir au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et comme le fait le salarié, l'indemnisation des conditions d'exécution du contrat déjà prises en compte au titre du harcèlement, seules les conséquences de la rupture ayant lieu d'être réparées au titre des dommages-intérêts en question.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [B] [M], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme de 25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.4.3 : Sur le remboursement des indemnités de chômage

En application de l'article L 1235-4 du Code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois à compter du jour de son licenciement, dès lors qu'il ne s'agit pas du licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

2.4.5 : Sur les documents sociaux

Au vu des motifs qui précèdent, il sera ordonné la délivrance des documents de fin de contrat sollicités dans les conditions prévues au dispositif, sans qu'il soit nécessaire de fixer une astreinte.

3 : Sur les intérêts, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les sommes allouées de nature contractuelle, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes. Les autres sommes de nature indemnitaire porteront intérêts à compter de la décision qui les a prononcées. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu'il l'est demandé, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile de condamner la société des Laboratoires galeniques Vernin qui succombe à verser à M. [B] [M] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d'appel.

L'employeur qui succombe sera débouté de ces chefs et condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

INFIRME le jugement déféré sauf sur les demandes de nullité du licenciement, de rappel de salaire pour licenciement nul, d'indemnité de congés payés y afférents et d'indemnité de RTT et sur la demande de la société des Laboratoires galeniques Vernin au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Statuant à nouveau ;

CONDAMNE la société des Laboratoires galeniques Vernin à payer à M. [B] [M] les sommes suivantes :

- 45 241,18 euros de rappel de rémunération variable ;

- 4 524,18 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 5 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 25 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 16 180,68 euros d'indemnité de préavis ;

- 1 618 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 15 291,75 euros d'indemnité de licenciement ;

- 1 000 euros d'indemnité au titre de frais irrépétibles de première instance ;

CONDAMNE la société des Laboratoires galeniques Vernin aux dépens de première instance ;

Y ajoutant ;

ANNULE les deux avertissements des 25 juin et 29 septembre 2017 ;

ORDONNE la délivrance par la société des Laboratoires galeniques Vernin à M. [B] [M] dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt d'un bulletin de paie récapitulatif, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes au présent arrêt ;

DIT que les sommes allouées de nature contractuelle, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes. Les autres sommes de nature indemnitaire porteront intérêts à compter de la décision qui les a prononcées.

ORDONNE la capitalisation des intérêts courus pour une année entière dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

ORDONNE le remboursement par la société des Laboratoires galeniques Vernin à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées à M. [B] [M] à compter du jour du licenciement dans la limite de six mois ;

CONDAMNE la société des Laboratoires galeniques Vernin à payer à M. [B] [M] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

CONDAMNE la société des Laboratoires galeniques Vernin aux dépens d'appel ;

Le greffier Le président de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/03347
Date de la décision : 13/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-13;21.03347 ?
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