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08/03/2024 | FRANCE | N°22/02448

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 08 mars 2024, 22/02448


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE [Localité 5]

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 08 MARS 2024



(n° , pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/02448 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFHNB



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Janvier 2022 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 21/01466





APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 5] prise en la personne de la Maire de [Localité 5]

DASES -

Services des Aides Sociales à l'autonomie

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Mme [N] [K] en vertu d'un pouvoir général



INTIME

Monsieur [C] [Z]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Loca...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE [Localité 5]

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 08 MARS 2024

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/02448 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFHNB

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Janvier 2022 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 21/01466

APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 5] prise en la personne de la Maire de [Localité 5]

DASES - Services des Aides Sociales à l'autonomie

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Mme [N] [K] en vertu d'un pouvoir général

INTIME

Monsieur [C] [Z]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Clémentine SOULIÉ, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 23 février 2024, puis prorogé au 08 mars 2024 ,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par M Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur le recours formé par la Ville de [Localité 5], sous-direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé, service des aides sociales à l'autonomie (la Ville de [Localité 5]), à l'encontre de la décision du tribunal judiciaire de Paris en date du 14 janvier 2022 dans un litige l'opposant à [C] [Z] (le bénéficiaire).

EXPOSÉ DU LITIGE

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il convient d'exposer toutefois que l'assuré, né en novembre 1991, est tétraplégique à la suite d'un accident consolidé en janvier 2008 ; qu'il s'est vu attribuer un taux de déficit fonctionnel permanent de 87% ; qu'il bénéficie de la prestation de compensation du handicap-aide humaine (PCH) depuis novembre 2009, à raison de 244 h par mois en emploi direct et aidant familial selon un partage qui a évolué en fonction du plan d'aide accordé ; par décision du 11 août 2015, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a renouvelé l'éligibilité à la PCH-aide humaine jusqu'au 31 octobre 2019, son père étant mentionné, jusqu'au 31 août 2015, comme aidant familial à raison de 244 h et sa mère, à compter du 1er septembre 2015, à raison de 36 h comme aidant familial et de 208 h comme salariée ; que par décision du 4 décembre 2019, l'éligibilité de la PCH-aide humaine a été renouvelée du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2024, à raison de 208 h en emploi direct et 36 h d'aidant familial ; que le 25 janvier 2020, la Ville de [Localité 5] a informé le bénéficiaire que la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) était consultée sur le salariat de son père ; que le 16 octobre 2020, le dossier du bénéficiaire a été révisé du fait qu'il percevait une majoration pour tierce personne (MTP) depuis le 5 février 2020, avantage qui devait être déduit de la PCH-aide humaine ; que par lettre du 17 décembre 2020, la Ville de [Localité 5] a demandé au bénéficiaire de lui rembourser la somme de 21 875,07 euros représentant les heures d'aide humaine payées en tant que salaire à ses père et mère ; que le bénéficiaire a saisi le maire de la Ville de [Localité 5] le 16 février 2021 d'un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) ; que le bénéficiaire a écrit à son député le 15 avril 2021, lequel est intervenu auprès du maire de [Localité 5] ; que le 11 juin 2021, 1'allocataire a porté le litige devant le tribunal judiciaire de [Localité 5] sur rejet implicite de son RAPO contestant l'indu et l'interdiction de salarier les interventions de sa mère ayant fait valoir ses droits à la retraite ; que le 22 juin 2021, la Ville de [Localité 5], au motif que le bénéficiaire était de bonne foi, a prononcé à titre exceptionnel un abandon de la récupération de l'indu.

Par jugement du 14 janvier 2022, le tribunal judiciaire de [Localité 5] a :

- Dit le bénéficiaire partiellement fondé en ses demandes ;

- Dit que les dispositions de l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles n'excluent pas l'emploi salarié des père et mère de la personne handicapée lorsque l'état de celle-ci nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi-constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne, ces père et mère fussent-ils titulaires d'une pension de retraite ;

- Dit en conséquence mal fondée la décision de la Ville de [Localité 5] du 17 décembre 2020 que la Ville de [Localité 5] a d'ailleurs rapportée par courrier du 22 juin 2021 ;

- Condamné la Ville de [Localité 5] à payer au bénéficiaire :

* la somme de 1 993,68 euros au titre de la prestation compensatrice du handicap - aide humaine due pour le mois de décembre 2019 ;

* La somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;

* La somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté le bénéficiaire de ses autres prétentions ;

- Condamné la Ville de [Localité 5] aux dépens.

Pour statuer ainsi le tribunal a retenu que le bénéficiaire avait saisi le tribunal dans les délais prescrits par la loi après le rejet implicite de sa contestation par la Ville de [Localité 5] ; que la procédure étant orale devant cette juridiction, les prétentions des parties pouvaient être exposées jusqu'à la clôture des débats ; que le tribunal était donc saisi dans ce litige non seulement du recouvrement de l'indu, auquel la Ville de [Localité 5] avait renoncé, mais également des demandes formulées par le bénéficiaire jusqu'à l'audience du 10 décembre 2021 où les débats ont été déclarés clos. Sur le fond, le tribunal a observé que l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles n'était pas susceptible de plusieurs sens et qu'après avoir interdit le salariat des père et mère retraités de la personne handicapée, il indiquait que toutefois, c'est-à-dire par exception, si son état nécessitait à la fois une aide totale et constante ou quasi-constante pour les actes courants de la vie quotidienne, la personne handicapée pouvait utiliser ces sommes pour salarier un obligé alimentaire du premier degré sans que soit énoncé une limitation quant à la situation de retraité ou non des père et mère. Le tribunal a relevé que le bénéficiaire se trouvait dans l'état de grande dépendance décrit par l'article D. 245-8 pour permettre le salariat de ses parents retraités, de sorte que la demande de paiement d'un indu formée par la Ville de [Localité 5] le 17 décembre 2020 était non fondée. Sur la demande reconventionnelle en paiement, le tribunal a constaté que la décision du 11 août 2015 de la Maison départementale des personnes handicapées de [Localité 5], renouvelée le 4 décembre 2019, mentionnait un accord pour 208 heures par mois d'intervention à titre de salarié, la personne salariée étant la mère, c'est-à-dire une personne constituant un obligé alimentaire du premier degré. Le père du bénéficiaire ayant la même qualité, pouvait donc remplacer son épouse dans cette tâche et constituer la personne désignée dans la décision de la commission des droits à l'autonomie des personnes handicapées. Le tribunal a relevé que le bénéficiaire n'avait pas dissimulé cette éventualité de remplacement entre ses parents et qu'il justifiait avoir réglé à son père son salaire pour le mois de décembre 2019, ainsi que les charges sociales afférentes, de sorte qu'il devait en être remboursé puisque l'interprétation que la Ville de [Localité 5] a faite des dispositions de la loi était erronée. Par contre, il n'a pas retenu la même demande représentative d'un salaire versé aux deux parents de mars à octobre 2020, dès lors que les parents du bénéficiaire avaient été rémunérés en tant qu'aidants familiaux. Sur le préjudice moral, le tribunal a retenu qu'il était constitué dans la mesure où la Ville de [Localité 5] avait fait émettre un titre de paiement le 28 mai 2021 alors que sa prétendue créance était discutée au même moment devant la commission de recours amiable depuis le 18 février 2021.

Le bénéficiaire a relevé appel le 7 février 2022 de ce jugement qui lui avait été notifié le 19 janvier 2022.

L'affaire a été appelée à l'audience du conseiller rapporteur du 8 mars 2023, date à laquelle elle a été renvoyée à l'audience du 28 novembre 2023 à la demande de la Ville de [Localité 5]. L'affaire a été retenue et plaidée à l'audience du 28 novembre 2023, date à laquelle les parties étaient présentes ou représentées.

Aux termes de ses conclusions écrites reprises oralement par son mandataire, la Ville de [Localité 5] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire en ce qu'il autorise le bénéficiaire à salarier les interventions de ses parents ;

- Annuler les dommages et intérêts accordés au bénéficiaire ;

- Condamné l'intéressé aux dépens.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil, le bénéficiaire demande à la cour, au visa des articles L. 245-1 et suivant et D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles, de :

- Le déclarer recevable et bien-fondé en ses demandes, fins et prétentions ;

À titre principal,

- Confirmer la décision du tribunal judiciaire de [Localité 5] du 14 janvier 2022 en ce qu'il a :

* Dit que les dispositions de l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles n'exclut pas l'emploi salarié des père et mère de la personne handicapée, lorsque l'état de celle-ci nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels ou une présence constante ou quasi constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne, ces père et mère fussent-ils titulaires d'une pension de retraite ;

* Dit en conséquence mal fondée la décision de la Ville de [Localité 5] du 17 décembre 2020 que la Ville de [Localité 5] a d'ailleurs rapportée par courrier du 22 juin 2021 ;

* Condamné la Ville de [Localité 5] à payer au bénéficiaire :

- La somme de 1 993,68 euros au titre de la PCH-aide humaine due pour le mois de (novembre) et décembre 2019 ;

- La somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;

- La somme de 1 000 euros une application de l'article 700 du code de procédure civile ;

* Condamné la Ville de [Localité 5] aux dépens ;

- Infirmer la décision du tribunal judiciaire de [Localité 5] du 14 janvier 2022 en ce qu'il a :

* Dit le bénéficiaire partiellement fondé en ses demandes ;

* Débouté le bénéficiaire de ses autres prétentions ;

Statuant à nouveau,

- Condamner la Ville de [Localité 5] à lui régler la somme de 3 923,52 euros pour la rémunération de ses deux parents en emploi direct de mars à octobre 2020 ;

À titre subsidiaire,

- Prendre acte de la remise gracieuse accordée par la Ville de [Localité 5] selon décision en date du 22 juin 2021 ;

En tout état de cause,

- Condamner la Ville de [Localité 5] à lui régler 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;

- Débouter la défenderesse de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.

Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, la cour renvoie expressément à leurs productions écrites reprises oralement et développées à l'audience du 28 novembre 2023 puis déposées après avoir été visées par le greffe à cette date.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Moyens des parties

La Ville de [Localité 5] soutient que le bénéficiaire de la PCH ne peut pas être autorisé à salarier les interventions de ses parents dans la mesure où ils sont retraités. Elle se fonde sur l'article D. 245-8 du code de l'aide sociale et de la famille qui énonce que lorsque le membre de la famille employé par la personne handicapée a fait valoir ses droits à la retraite, il ne peut plus être salarié par le bénéficiaire de la PCH. Elle explique que l'adverbe « toutefois » ne fait pas référence au salariat d'une personne retraitée mais introduit la dérogation à l'interdiction de salarier ses père et mère.

La Ville de [Localité 5] observe au cas d'espèce que les père et mère du bénéficiaire ont pris leur retraite en septembre 2013. Elle allègue aussi que les parents du bénéficiaire habitent dans le Jura, ce qui peut soulever la question de la matérialité des interventions effectuées pour le compte de leur fils. Elle soutient qu'il s'agit de protéger les proches aidants et de les préserver de l'épuisement qui les touche souvent et également d'assurer une qualité d'intervention pour le bénéficiaire de la prestation. Même si les parents du bénéficiaire ne sont pas très âgés et qu'ils semblent être en mesure de veiller sur leur fils au cas d'espèce, la loi ne distingue pas entre les différentes situations. C'est l'identité du salarié qui est en cause. Il ne s'agit pas de priver le bénéficiaire de l'aide à laquelle il peut prétendre. Il peut avoir recours à leur aide dans le cadre de l'aidant familial qui permet de dédommager les heures d'intervention des parents auprès de leurs enfants. Elle fait valoir que le mode d'intervention de l'aide humaine n'est pas figé et qu'il est tout à fait possible de le modifier passant ainsi de l'emploi direct au prestataire ou à l'aidant familial. À titre accessoire, elle observe que l'intéressé bénéficiant d'une MTP, cette aide vient en déduction des sommes versées au titre de l'aide humaine. Cependant, si les parents du bénéficiaire étaient aidants familiaux, aucun versement ne serait effectué au titre de la PCH puisque le dédommagement à ce titre est inférieur au montant de la MTP. Elle observe également qu'elle ne remet pas en cause le point relatif à la situation de grande dépendance dans laquelle se trouve l'intéressé, lequel bénéficie d'un plan d'aide lui accordant plus de 08h00 d'aide humaine par jour et qu'il pourrait donc salarier ses parents si ces derniers n'étaient pas retraités. Elle soutient que les dispositions des articles L. 245-12 et D. 245-8 énoncent que les parents ne peuvent être salariés de leur enfant bénéficiaire de la PCH, sauf dans les cas de grande dépendance. Il s'agit dans ce dernier cas des situations où la personne a besoin d'une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne. Elle ajoute, « à titre subsidiaire », si la cour accordait à l'intéressé le droit d'employer ses parents retraités, que cela constituerait une rupture d'égalité face aux autres bénéficiaires de la PCH qui n'emploient pas leurs parents s'ils ont fait valoir leurs droits à la retraite.

Le bénéficiaire oppose à la Ville de [Localité 5] qu'il est tétraplégique, reconnu handicapé à 87%, depuis janvier 2008. Il fait valoir qu'en 2014-2015, à la suite d'un bilan réalisé par la MDPH, il a été reconnu en état de grande dépendance et que dans ce cadre, il lui a été accordé 244 heures par mois d'aide humaine, en emploi direct salarié et aidant familial, étant entendu que sa mère, à la retraite depuis 2013, interviendrait à ces deux titres. Il fait valoir que l'emploi salarié de ses parents a toujours été déclaré, et qe ses droits ont été renouvelés en 2019. Il n'a jamais caché à la Ville de [Localité 5] qu'il salariait sa mère puis son père. Il observe que sa situation de grande dépendance n'est pas remise en cause par la Ville de [Localité 5], de sorte qu'il remplit les conditions d'application de l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles et qu'il pouvait, par exception, salarier ses parents retraités.

Réponse de la cour

À titre liminaire, la cour rappelle qu'en raison de la séparation des compétences entre l'instance d'attribution des droits et l'organisme payeur, la CDAPH statue sur l'éligibilité à la PCH et sur le plan de compensation et le président de la collectivité départementale prononce la décision de versement de l'aide et s'assure que les conditions réglementaires sont réunies pour ce versement.

En outre, la PCH n'est pas une allocation mais une prestation en nature de l'aide sociale dont le bénéfice est soumis à des conditions d'éligibilité et à un contrôle d'effectivité. La PCH est une aide financière destinée à compenser la perte d'autonomie des personnes en situation de handicap dans la vie quotidienne et sociale. La PCH peut couvrir : un besoin d'aide humaine ; un besoin d'aide technique ; un besoin d'aménagement du logement ou du véhicule, ou des surcoûts liés au transport ; les charges spécifiques ou exceptionnelles liées au handicap ; un besoin d'aide animalière.

L'aide humaine en particulier sert à couvrir l'intervention d'une tierce personne assurée par un aidant familial, à savoir un membre de la famille qui n'est pas salarié à ce titre, un salarié ou un service prestataire d'aide à domicile.

Dans ce cadre, le premier alinéa de l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles dispose que :

En application du deuxième alinéa de l'article L. 245-12, la personne handicapée ou, si elle est mineure, la personne qui en a la charge peut utiliser les sommes attribuées au titre de l'élément lié à un besoin d'aide humaine de la prestation de compensation pour salarier un membre de la famille de la personne handicapée autre que le conjoint, le concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou autre qu'un obligé alimentaire du premier degré, à condition que ce dernier n'ait pas fait valoir ses droits à la retraite et qu'il ait cessé ou renoncé totalement ou partiellement à une activité professionnelle pour être employé par la personne handicapée ou, si elle est mineure, la personne qui en a la charge. Toutefois, lorsque son état nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi-constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne, la personne handicapée majeure ou émancipée peut utiliser ces sommes pour salarier son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou un obligé alimentaire du premier degré.

Au cas d'espèce, l'éligibilité du bénéficiaire à la PCH-aide humaine et le plan de compensation établi par la CDAPH ne sont pas contestés, seule la décision de la collectivité départementale ayant arrêté que le bénéficiaire ne pouvait pas salarier ses parents à ce titre, dès lors qu'ils avaient fait valoir leurs droits à la retraite, est contestée, ainsi que les conséquences de cette décision, à savoir l'indu et la suspension du versement de la prestation.

Il est également constant que la Ville de [Localité 5] ne conteste pas la situation de grande dépendance du bénéficiaire, lequel bénéficie d'un plan d'aide lui accordant plus de 08h00 d'aide humaine par jour qui lui permet de salarier ses parents au sens de l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles. En revanche, considérant que ce droit est éteint lorsque les parents font valoir leur droit à la retraite, elle conteste le droit du bénéficiaire de salarier ses parents depuis qu'ils ont été admis à prendre leur retraite du service public.

Elle fonde sa position sur la lecture de l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles précité dont elle situe à raison la césure à l'adverbe « toutefois ».

Néanmoins, la lecture de cet article ne comporte aucune difficulté de compréhension. Cet article ne distingue pas les parents au regard de leur situation, retraités ou non, pour admettre ou non leur salariat au titre de l'aide humaine d'une personne handicapée, mais distingue seulement les situations de grande dépendance et les autres.

En effet, dans sa première partie, cet article pose clairement un double principe d'interdiction, d'une part celle du salariat du conjoint, du concubin, de la personne avec laquelle le bénéficiaire a conclu un pacte civil de solidarité ou d'un obligé alimentaire du premier degré, et d'autre part celle du salariat au titre de l'aide humaine d'un membre de la famille du bénéficiaire, autre que l'un de ceux précédemment exclus, si ce dernier membre de la famille a fait valoir ses droits à la retraite. Puis, dans sa seconde partie, qui s'ouvre précisément par l'adverbe « toutefois », il pose l'exception de l'état de nécessité qui ouvre la possibilité pour le bénéficiaire de salarier son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité ou un obligé alimentaire du premier degré, sans reprendre la restriction relative à la retraite. Ainsi, la condition posée explicitement dans la première partie correspondant à une situation précise n'est pas reprise dans la seconde partie du texte qui ne s'applique par exception qu'à la situation de grande dépendance de la personne handicapée, et elle ne peut pas être induite par analogie précisément parce que les situations visées ne sont pas analogues et que les parents sont précisément les plus à même d'apporter une aide constante ou quasi-constante, telle que visée par le texte, en préservant l'intimité de la personne handicapée, notamment les nuits et les week-ends.

Il s'ensuit que ce texte ne pose pas l'interdiction que la Ville de [Localité 5] a cru y lire et que l'indu réclamé n'était pas fondé. Là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer. La Ville de [Localité 5] a donc opéré une distinction sans fondement légal.

En outre, le fait pour une personne handicapée de salarier ses parents retraités ne constitue pas une rupture d'égalité comme le suggère étonnamment la Ville de [Localité 5] avec les autres personnes handicapées qui ne le font pas, le fait de salarier ou d'avoir recours à un parent retraité comme simple aidant familial ne relevant que du choix de chaque personne en situation de handicap.

Il importe peu que la Ville de [Localité 5] ait décidé d'abandonner le recouvrement de l'indu, celui-ci n'était pas fondé et devait être annulé, le bénéficiaire ayant droit à la prestation telle dans les limites fixées par le plan d'aide en salariant ses père et mère.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

- Sur la demande en paiement des mois de novembre et décembre 2019 et de mars à octobre 2020

Le bénéficiaire sollicite le paiement de diverses sommes au titre de son père pour la période de novembre et décembre 2019 et pour sa mère pour a période la période de mars à octobre 2020.

La Ville de [Localité 5] ne répond pas à ces demandes.

Le tribunal a fait droit à la demande relative à la prestation pour le salariat du père du bénéficiaire en novembre et décembre 2019 au regard des pièces versées aux débats qui a été effectivement salarié pendant cette période. La Ville de [Localité 5] ne discutant pas le quantum de cette créance, le jugement sera confirmé sur ce point.

En revanche, le tribunal a rejeté la demande du bénéficiaire relative à la mère du bénéficiaire au motif que les parents du bénéficiaire avaient déjà été rémunérés en tant qu'aidants familiaux pendant cette période. Le bénéficiaire ne contredit pas ce fait mais le justifie en ce que le salariat étant contesté par la Ville de [Localité 5], il a rémunéré sa mère au titre d'aidant familial. Il explique que la somme réclamée correspond à la différence entre le tarif de l'aide humaine et celui du salariat. Néanmoins, le choix entre le salariat de l'aide humaine et son emploi en tant qu'aidant familial ne peut pas être remis en cause a posteriori.

Il s'ensuit que le jugement sera également confirmé sur ce point.

- Sur la demande en dommages et intérêts

Moyens de parties

Le bénéficiaire soutient qu'il a subi un important préjudice moral depuis décembre 2020. En effet, le 17 décembre 2020, la Ville de [Localité 5] lui a réclamé plus de 20 000 euros, ce qui lui a causé beaucoup de stress pendant les fêtes de Noël et qu'en réaction il a notamment développé une infection. Ensuite, pour faire valoir sa défense il a dû passer un temps considérable dans la préparation de multiples recours contre la Ville de [Localité 5] au lieu d'avancer sur sa thèse. Enfin, en juin 2021, le comptable public lui a enjoint de régler plus de 20 000 euros dans un délai de 30 jours à peine de poursuites, ce qui a amplement aggravé son préjudice moral, alors même qu'il avait saisi la juridiction pour contester la créance. Il observe que le tribunal ne s'était pas encore prononcé sur le bien-fondé de son recours. Il reproche ainsi à la Ville de [Localité 5] un acharnement injustifié et des méthodes de recouvrement discutables qui doivent être sanctionnés.

À la défense de la Ville de [Localité 5], le bénéficiaire répond que le préjudice moral ne dépend pas de la réalisation de la saisie mais de la crainte et du stress généré par la Ville de décembre 2020 à juillet 2021, d'autant que la Ville a mis la somme en recouvrement avant même l'expiration du délai de 2 mois pour saisir le tribunal. Il soutient qu'il serait bon que la Ville de [Localité 5] attende l'expiration du délai de recours et vérifie l'existence ou non d'un recours avant de mettre une somme en recouvrement. En outre, ce n'est qu'à la suite du recours contentieux que la Ville a décidé de procéder à « un examen précis des éléments en sa possession » et à renoncer au recouvrement de la somme. Il regrette qu'un tel « examen précis » des éléments du dossier n'ait pas été effectué avant toute réclamation, sinon après réception du recours amiable préalable du moins avant la saisine du comptable public en vue du recouvrement.

La Ville de [Localité 5] soutient qu'elle n'a commis aucune erreur en prononçant la récupération de l'indu et que la décision litigieuse entrait dans son champ de compétence, si bien qu'elle a simplement exercé les missions qui lui sont dévolues et que la répétition de l'indu est justifiée dans son principe. La PCH-aide humaine est une prestation en nature soumise à un contrôle d'effectivité par l'administration. Si le contrôle effectué a établi que les conditions de versement de l'aide n'étaient plus réunies, il n'y avait donc pas lieu pour l'administration de perpétuer le versement et elle était autorisée à recouvrer les sommes indûment versées dans la limite de deux ans. Elle souligne que la récupération de l'indu a été abandonnée le 22 juin 2021 dans le cadre du RAPO sur le fondement de la bonne foi du requérant et que dès lors, lorsque l'affaire a été soumise à la juridiction, l'intéressé n'était plus redevable d'aucune somme envers la collectivité parisienne.

La ville de [Localité 5] rappelle qu'au cas d'espèce, la décision litigieuse a été prononcée le 17 décembre 2020 et que le bénéficiaire a formé un RAPO le 16 février 2021, lequel a fait l'objet d'un rejet implicite le 16 avril 2021. Elle observe qu'elle n'a été informée que postérieurement à l'émission du titre qu'un recours contentieux avait été formé le 11 juin 2021 et que dès le 22 juin 2021, elle a annulé l'indu, les services comptables ayant été immédiatement requis d'annuler la procédure, de sorte que la créance n'a jamais été mise en recouvrement et que le bénéficiaire n'a subi aucun préjudice.

Réponse de la cour

La responsabilité de la Ville de [Localité 5] ne peut être recherchée que sur le terrain du droit commun de la faute quasi-délictuelle des articles 1240 et suivants du code civil, ce qui suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Au cas d'espèce, le bénéficiaire invoque trois éléments : la réclamation de l'indu avant la fête de Noël, l'obligation de faire valoir et défendre ses droits en 2020-2021 et enfin la mise en recouvrement avant la fin de la procédure contentieuse.

Or si la réclamation de l'indu est mal fondée en raison d'une lecture erronée du texte applicable, sa réclamation dépend d'un calendrier qui ne tient pas compte des festivités du calendrier civil mais des règles de prescription applicables aux restitutions de l'indu en matière sociale, lesquelles sont abrégées. Ensuite, l'indemnisation du temps pris pour la défense de ses droits se résout dans l'indemnisation des frais irrépétibles. Enfin, et pour les même raisons que le premier point, la mise en recouvrement répond à des impératifs procéduraux en lien avec les délais de prescription et la Ville de [Localité 5] était en droit de préserver sa créance qu'elle croyait fondée, peu important le mérite de cette conviction.

L'erreur de lecture d'un texte ou une divergence d'interprétation d'une règle de droit ne sont pas constitutives d'une faute, sauf à prouver que cette lecture ou interprétation était erronée à dessein. Le bénéficiaire ne rapporte aucune preuve d'une intention dolosive de la Ville de [Localité 5] qui a exercé ses prérogatives sans excéder son champ de compétence et a seulement commis une erreur grossière d'interprétation d'un texte en extrapolant une condition restrictive prévue dans un cas précis et bien déterminé à un autre cas totalement distinct pour lequel cette restriction n'avait pas été instituée par le pouvoir réglementaire. Cette erreur de la Ville de [Localité 5] a pu être soumise à un juge et être rectifiée selon les voies de droit. Il s'ensuit qu'aucune faute n'est établie à l'encontre de la Ville de [Localité 5] au cas d'espèce.

Ensuite, si le bénéficiaire invoque avoir développé une infection en raison du stress et de l'angoisse provoquée par cette procédure et avoir perdu du temps pour sa thèse, il ne verse aucune pièce au débat établissant ces deux faits.

Enfin, le recouvrement de l'indu n'ayant pas été mis à exécution, et la procédure ayant été poursuivie sans acharnement, contrairement à ce que soutient le bénéficiaire, aucun préjudice, matériel ou moral, n'est établi.

Dans ces conditions, le jugement sera infirmé sur ce point et la demande du bénéficiaire en dommages et intérêts sera rejetée.

-Sur les demandes annexes

La Ville de [Localité 5] succombant pour l'essentiel en son appel sera condamnée aux dépens.

En outre, elle sera condamnée à payer au bénéficiaire la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

DÉCLARE recevable l'appel de la Ville de [Localité 5], sous-direction de l'action sociale, service des aides sociales à l'autonomie, représentée par son maire en exercice ;

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné la Ville de [Localité 5] à payer à [C] [Z] la somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;

Et statuant à nouveau sur ce seul point, et y ajoutant,

DÉBOUTE [C] [Z] de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral ;

CONDAMNE la Ville de [Localité 5], sous-direction de l'action sociale, service des aides sociales à l'autonomie, représentée par son maire en exercice, à payer à [C] [Z] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Ville de [Localité 5], sous-direction de l'action sociale, service des aides sociales à l'autonomie, représentée par son maire en exercice, aux dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 22/02448
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;22.02448 ?
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