RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 08 Mars 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 21/08259 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEOMB
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2021 par le Pole social du TJ de CRETEIL RG n° 19/00247
APPELANT
Monsieur [H] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Madame [G] [V] (Fille)
INTIMEE
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par M. [R] [F] en vertu d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre pour Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre, légitimement empêchée et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par M. [H] [V] d'un jugement rendu le 1er juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Créteil, dans un litige l'opposant à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV).
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [H] [V], né le 30 novembre 1955, a déposé, le 26 décembre 2006, une demande d'évaluation de versement pour la retraite au titre d'années d'études supérieures et d'années incomplètes.
Il a fait l'objet d'une notification d'admission à un versement pour la retraite le 21 juillet 2008 pour l'option 2 concernant l'amélioration du taux de la retraite future et la majoration de la durée
d'assurance prise en compte pour le calcul, portant sur 9 trimestres, le coût du rachat étant évalué à 40.968 euros par prélèvement mensuel sur 5 ans. Une notification de fin de versement lui a été adressée le 2 septembre 2013.
M. [V] a sollicité la liquidation de ses droits à retraite, par imprimé signé le 12 novembre 2017 pour un départ à la retraite au 1er février 2018.
La notification de retraite adressée à M. [V] le 15 février 2018 mentionne que sa pension de retraite a été calculée sur la base d'un salaire de base de 34.790,01 euros, un taux de 50% et 177 trimestres au régime général (maximum autorisé 166). Une revalorisation est intervenue le 6 juin 2018.
M. [V] a saisi, le 26 juin 2018, la commission de recours amiable de la CNAV afin de solliciter le remboursement des 9 trimestres rachetés à tort. Dans sa séance du 9 janvier 2019, cette commission a rejeté le recours de M. [V], qui a porté le litige, le 12 mars 2019, devant une juridiction de sécurité sociale.
Aux termes de ses conclusions soumises au tribunal par son conseil, M. [V] a demandé au tribunal de :
-juger inopposables les conditions d'admission au remboursement des versements pour la retraite invoquées par la commission de recours amiable pour refuser la demande de l'assuré en date du 9 janvier 2019,
- ordonner le rétablissement de son droit au remboursement tel que prévu par l'article 24 de la loi du 9 novembre 2010 des rachats de 9 trimestres inutiles dont il a été privé,
- condamner par conséquent la CNAV au paiement de la somme de 42.156,72 euros revalorisée de tous les coefficients annuels de revalorisation, applicables aux pensions de vieillesse intervenus entre la date du versement et la notification de remboursement,
- à titre subsidiaire,
- constater l'enrichissement sans cause de la CNAV à son préjudice,
- condamner la CNAV à réparer ce préjudice à hauteur de 42.156,72 euros revalorisés de tous les coefficients annuels de revalorisation, applicables aux pensions de vieillesse intervenus entre la date du versement et la notification de remboursement,
- à titre infiniment subsidiaire,
- condamner la CNAV au paiement de la somme de 42.156,72 euros, revalorisée de tous les coefficients annuels de revalorisation, applicables aux pensions de vieillesse intervenus entre la date du versement et la notification de remboursement, à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers et moraux subis,
- condamner, en tout état de cause, la CNAV au paiement de la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Par jugement du 1er juillet 2021, le tribunal judiciaire de Créteil a :
- rejeté le recours formé par M. [V],
- débouté M. [V] de sa demande de rétablissement du droit au remboursement du versement pour la retraite,
- débouté M. [V] de sa demande au titre de l'enrichissement sans cause,
- débouté M. [V] de sa demande de dommages-intérêts,
- débouté M. [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
Le jugement a été notifié à M. [V] le 6 septembre 2021, lequel en a interjeté appel le 30 septembre 2021.
Aux termes de ses conclusions écrites qu'il soutient oralement, M. [V] demande à la cour d'infirmer le jugement, d'ordonner le rétablissement du droit au remboursement tel que prévu par l'article 24 de la loi du 9 novembre 2010, des rachats de 9 trimestres inutiles dont il a été privé, du fait de l'information erronée de la CNAV, et, à titre subsidiaire, l'allocation d'une indemnité réparatrice de la perte du droit à remboursement dont il a été privé, soit 42.156,72 euros revalorisés de tous les coefficients annuels de revalorisation, applicables aux pensions vieillesse intervenus entre la date de paiement du versement et la notification du remboursement. Il indique que ses demandes et arguments sont présentés et développés dans les conclusions présentées au tribunal qu'il redépose.
Le représentant de la CNAV demande la confirmation du jugement et remet à l'audience ses conclusions de première instance, ayant exposé que M. [V] réitérait en tous points l'argumentation développée en première instance et ne faisait valoir aucun moyen nouveau. Il est entendu en ses observations.
En application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l'audience du 19 décembre 2023 pour l'exposé de leurs moyens.
SUR CE,
En vertu de l'article 18 de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite mentionné au premier alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, à l'article L. 732-18 du code rural et de la pêche maritime, au 1° du I de l'article L. 24 et au 1° de l'article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite est fixé à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956.
Cet âge est fixé par décret, de manière croissante à raison de quatre mois par génération et dans la limite de l'âge mentionné au premier alinéa du présent article, pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956.
L'article 1er du décret n°2011-916 du 1er août 2011 dispose que la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d'une pension civile ou militaire de retraite sont fixées à 166 trimestres pour les assurés nés en 1955.
Enfin, l'article 24 de la loi du 9 novembre 2010 susvisée prévoit : "I. - Les cotisations versées avant le 13 juillet 2010 en application des articles L. 351-14-1, L. 634-2-2, L. 643-2 et L. 723-10-3 du code de la sécurité sociale, de l'article L. 732-27-1 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L. 9 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite, ainsi que celles versées en application des dispositions réglementaires ayant le même objet applicables aux fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et aux ouvriers régis par le régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, par l'assuré né à compter du 1er juillet 1951 lui sont remboursées sur sa demande à la condition qu'il n'ait fait valoir aucun des droits aux pensions personnelles de retraite auxquels il peut prétendre au titre des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires. Les demandes de remboursement doivent être présentées dans un délai de trois ans suivant la date d'entrée en vigueur de la présente loi. Les assurés concernés, qu'ils résident en France ou hors de France, sont informés de cette possibilité.
Le montant des cotisations à rembourser est calculé en revalorisant les cotisations versées par l'assuré par application chaque année du coefficient annuel de revalorisation mentionné à l'article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale.
II. - Le I du présent article est applicable aux salariés agricoles mentionnés au premier alinéa de l'article L. 742-3 du code rural et de la pêche maritime et aux personnes mentionnées à l'article L. 382-29 du code de la sécurité sociale".
Par conséquent, pour les assurés concernés, la possibilité de remboursement des cotisations versées avant le 13 juillet 2010 n'est offerte que jusqu'au 11 novembre 2013, la loi du 9 novembre 2010 ayant été publiée au Journal Officiel le 10 novembre 2010.
M. [V] fait valoir qu'il avait la possibilité d'acquérir des trimestres, soit 166, afin de pouvoir liquider sa pension de retraite à l'âge de 60 ans, âge légal de départ à la retraite, ce qu'il a fait en procédant au rachat de 9 trimestres le 21 juillet 2008, lequel s'est poursuivi jusqu'au 2 septembre 2013 ; que, du fait de l'adoption de la loi du 9 novembre 2010 fixant l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, le rachat opéré s'avérait inutile ; qu'il a sollicité le remboursement des 9 trimestres rachetés par courrier du 26 juin 2018 ; que la CNAV n'a pas respecté son devoir d'information à son égard de l'obligation qui lui était faite de solliciter le remboursement des trimestres litigieux, la lettre d'information qu'elle a émise le 31 octobre 2011 étant insuffisante; qu'il avait eu des contacts téléphoniques avec la CNAV, les 18 avril et 29 juin 2011, qui lui avait indiqué que les trimestres supplémentaires cotisés engendrerait une surcote; que la CNAV a continué à encaisser les rachats de trimestres jusqu'au 2 septembre 2013 sans réagir ; que la CNAV, dans sa lettre d'information de 2011, s'est bornée à mentionner la faculté pour les assurés de demande le remboursement de leurs trimestres rachetés sans faire la moindre allusion au caractère inutile de ces rachats depuis la réforme de novembre 2010 ; que l'information donnée était donc incomplète et trompeuse ; que M. [V] ne savait pas que le principe de surcote s'appliquait pour tout trimestre cotisé au-delà de l'âge légal uniquement, ses interlocuteurs auprès de la CNAV lui ayant indiqué à tort que la surcote s'appliquerait dès le premier trimestre racheté, et qu'il a donc demandé la liquidation de ses droits à la retraite sans être informé de l'utilité de la solliciter au-delà de l'âge légal pour bénéficier effectivement du dispositif de surcote ; qu'en conséquence, les conditions d'admission au remboursement des versements pour la retraite doivent lui être déclarées inopposables.
Il est constant que M. [V] a été destinataire par la CNAV d'une lettre d'information du 31 octobre 2011 concernant le remboursement de versement pour la retraite lui notifiant que l'article 24 de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites permettait aux assurés nés à compter du 1er juillet 1951, n'ayant fait valoir aucun de leurs droits aux pensions personnelles de retraite auxquels ils pouvaient prétendre au titre des régimes de retraite de base et complémentaires, de demander le remboursement des cotisations versées au titre d'un versement pour la retraite prévu à l'article L.351-14-1 du code de la sécurité sociale ; que sont remboursables les versements pour la retraite payés, par paiement comptant avant le 13 juillet 2010 ou par paiement échelonné dès lors qu'au moins une échéance a été prélevée avant le 13 juillet 2010 ; que M. [V] était né le 30 novembre 2015 et avait effectué un versement pour la retraite le 21 juillet 2008 ; que s'il n'avait pas demandé à bénéficier d'un avantage personnel de retraite de base ou complémentaire, il pouvait demander le remboursement de son versement pour la retraite jusqu'au 11 novembre 2013, sa demande de remboursement pouvant porter sur la totalité de son versement pour la retraite, M. [V] pouvant choisir de conserver une partie des trimestres validés par ses versements.
Aux termes de ce courrier, la CNAV a porté à la connaissance de M. [V] toutes les informations utiles lui permettant de procéder au rachat de ses trimestres. Elle n'était tenue, au regard de l'article 24 de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010, que de l'informer de cette faculté.
Si les organismes de sécurité sociale sont débiteurs envers leurs allocataires d'une obligation générale d'information, cette obligation leur impose seulement de répondre aux demandes qui leur sont soumises.
Il incombait par conséquent à M. [V] d'interroger la CNAV sur sa situation personnelle concernant l'intérêt du rachat de ses trimestres postérieurement à la réception de la lettre d'information.
M. [V] pouvant cependant aisément comprendre, à la lecture de cette lettre d'information, que les trimestres rachetés pouvaient s'avérer inutiles, ne justifie d'aucune démarche antérieure au 26 juin 2018 auprès de la CNAV concernant sa situation au regard des trimestres litigieux.
Aussi, en l'état d'une information suffisante et opposable à M. [V] , c'est à bon droit que le tribunal a, au regard d'une demande de remboursement formalisée par courrier du 26 juin 2018, retenu que les conditions de l'article 24 de la loi du 9 novembre 2010 n'étaient pas réunies et que la demande de remboursement de M. [V] devait être rejetée.
M. [V] se prévaut, à titre subsidiaire, de l'enrichissement sans cause de la CNAV qui a encaissé les paiements relatifs au rachat jusqu'en septembre 2013.
S'il résulte de l'article 1371 du code civil, applicable en l'espèce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que nul ne peut s'enrichir sans cause au détriment d'autrui, il est rappelé que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise qu'à défaut de toute action ouverte au demandeur et qu'elle ne peut l'être notamment pour suppléer une autre action, que le demandeur ne peut intenter par suite d'une prescription, d'une déchéance ou forclusion ou par l'effet de l'autorité de la chose jugée ou parce qu'il ne peut apporter les preuves qu'elle exige ou par suite de tout autre obstacle de droit.
Or, ainsi que le relève à bon droit le tribunal, M. [V] ne peut agir sur le fondement de l'enrichissement sans cause dès lors qu'il bénéficiait de la possibilité de demander le remboursement des trimestres litigieux, avant de liquider sa retraite jusqu'au 11 novembre 2013 et qu'à défaut de l'avoir fait, il ne pouvait plus formuler une telle demande.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée par M. [V] au titre de l'enrichissement sans cause.
Enfin, sur la demande formée à titre très subsidiaire au titre de la responsabilité de la CNAV, il est rappelé que la caisse n'a pas manqué à son obligation générale d'information, celle-ci n'étant pas tenue à une information individualisée, tandis qu'il n'est pas caractérisé que la CNAV aurait donné des informations erronées ou parcellaires à M. [V] , qui ne peut dès lors se prévaloir d'aucune faute de la CNAV, ainsi que le tribunal l'a relevé.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DECLARE recevable l'appel de M. [H] [V],
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Créteil,
CONDAMNE M. [H] [V] aux dépens d'appel.
La greffière Pour la présidente empêchée