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08/03/2024 | FRANCE | N°20/05002

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 08 mars 2024, 20/05002


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 08 Mars 2024



(n° , 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/05002 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCF2Q



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Avril 2020 par le Pole social du TJ d'AUXERRE RG n° 18/00083





APPELANTE

S.A.S. [5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Olivia COLMET DAAG

E, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346



INTIMEE

CPAM 89 - YONNE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS



COMPOSITION DE LA COUR :



En ap...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 08 Mars 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/05002 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCF2Q

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Avril 2020 par le Pole social du TJ d'AUXERRE RG n° 18/00083

APPELANTE

S.A.S. [5]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Olivia COLMET DAAGE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346

INTIMEE

CPAM 89 - YONNE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Madame Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 6 avril 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Auxerre (RG 18-83) dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [U] [W] était salarié de la société [5] (désignée ci-après 'la Société') depuis le 9 avril 1990 en qualité d'ouvrier qualifié de la métallurgie lorsque, le 28 juillet 2017, il a informé son employeur avoir été victime d'un accident survenu sur son lieu de travail que celui-ci a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne (ci-après désignée 'la Caisse') le 31 juillet suivant en ces termes « le salarié portait un sac de poudre (peinture) ; le salarié a dit qu'une douleur serait survenue en portant un sac de poudre . Siège des lésions : dos ; nature des lésions : douleur ». Dans la partie de la déclaration dédiée aux éventuelles réserves de l'employeur, la Société mentionnait « nous faisons parvenir un courrier de réserves », dont elle fournissait le numéro de l'envoi en recommandé.

Le certificat médical initial, établi le 28 juillet 2017 par le docteur [K] du centre hospitalier d'[Localité 3], faisait mention d'un « lumbago » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 1er août 2017.

En raison des réserves émises, la Caisse a initié une instruction et, par courrier du 25 septembre 2017, elle a informé la Société de la fin de l'instruction et de sa possibilité de venir en consulter les pièces et formuler des observations. A la demande de celle-ci, la Caisse lui a adressé une copie des pièces du dossier le 11 octobre 2017.

Puis, par décision du 16 octobre 2017, la Caisse a pris en charge, au titre du risque professionnel, l'accident déclaré par M. [W] le 28 juillet 2017. Elle prendra en charge, à ce titre les arrêts de travail et les soins jusqu'au 29 avril 2018, date de la consolidation fixée par le médecin-conseil.

Saisie par l'employeur le 15 décembre 2017, la commission de recours amiable (également mentionnée 'CRA') a, lors de sa séance du 29 juin 2018, rejeté le recours de l'employeur et confirmé la décision de prise en charge.

C'est dans ce contexte que la Société a formé un recours contentieux devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Yonne.

En application de la réforme des contentieux sociaux issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, l'affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance d'Auxerre.

Par jugement du 6 avril 2020, le tribunal, devenu tribunal judiciaire au 1er janvier 2020, a :

- débouté la société [5] de l'ensemble de ses demandes,

- déclaré opposable à la société [5] la décision de prise en charge par la CPAM de l'Yonne, au titre des risques professionnels, de l'accident du travail du 28 juillet 2017 de M. [U] [W], ainsi que des arrêts de travail et soins découlant de cet accident du travail (sinistre de catégorie 6),

- condamné la société [5] à payer à la CPAM de l'Yonne la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [5] aux dépens de l'instance.

Le jugement a été notifié aux parties le 19 mai 2020 et la Société en a interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 22 juillet 2020.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 13 décembre 2023 lors de laquelle les parties étaient représentées et ont plaidé.

La Société, au visa de ses conclusions récapitulatives, demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Auxerre le 6 avril 2020 et, statuant à nouveau,

- juger qu'elle n'a pas eu accès à l'intégralité des pièces du dossier devant être constitué par la caisse primaire d'assurance maladie dans le cadre de l'instruction de l'accident du 28 juillet 2017 déclaré par M. [U] [W],

- juger que le dossier qu'elle a consulté était incomplet,

- juger que la caisse primaire n'a pas respecté l'obligation d'information qui lui incombe et, en conséquence,

- décider que la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident déclaré par M. [U] [W], est inopposable à son égard, ainsi que l'ensemble de ses conséquences.

A titre subsidiaire, la Société demande à la cour de :

- juger que les prestations servies à l'assuré, M. [U] [W], font grief à Société au travers de l'augmentation de ses taux de cotisation accidents du travail,

- juger que l'employeur rapporte la preuve de l'absence d'imputabilité à la lésion initiale des arrêts de travail pris en charge à compter du 1er septembre 2017, et, en conséquence,

- déclarer inopposables à son égard les arrêts de travail, soins et prestations pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de l'accident de M. [U] [W] à compter du 1er septembre 2017.

A titre infiniment subsidiaire, la Société demande à la cour de :

- constater qu'il existe un litige d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité des lésions, prestations, soins et arrêts de travail indemnisés au titre de l'accident du travail du 28 juillet 2017 déclaré par M. [U] [W],

- ordonner à la Caisse de transmettre au médecin désigné par la société [5] la totalité des documents administratifs et médicaux justifiant la prise en charge des prestations,

- ordonner la mise en 'uvre d'une expertise médicale judiciaire confiée à tel expert avec pour mission de :

o convoquer contradictoirement les parties,

o prendre connaissance de l'entier dossier médical de M. [U] [W] établi par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne au titre de l'accident du 28 juillet 2017,

o déterminer exactement les lésions initiales provoquées par l'accident,

o fixer la durée des arrêts de travail en relation directe et exclusive avec ces lésions,

o dire si l'accident a seulement révélé ou s'il a temporairement aggravé un état indépendant à décrire et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte,

o en tout état de cause, dire à partir de quelle date la prise en charge des arrêts de travail au titre de la législation professionnelle n'est plus médicalement justifiée au regard de l'évolution du seul état consécutif à l'accident,

o fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à l'accident à l'exclusion de tout état indépendant évoluant pour son propre compte.

En tout état de cause, la Société demande à la cour de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure pour qu'il soit débattu du caractère professionnel des soins et arrêts en cause.

La Caisse, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

- constater que la contestation formulée le 2 juin 2009, de la décision notifiée le 9 février 2009, l'a été en dehors des délais légaux fixés par l'article R. 142.18 du code de la sécurité sociale et, en conséquence,

- déclarer le recours présenté irrecevable pour cause de forclusion,

- confirmer, avec toutes conséquences de droit, la décision critiquée.

A titre subsidiaire, la Caisse demande à la cour de :

- dire et juger non fondé en droit l'appel interjeté par la société [5],

- confirmer, avec toutes conséquences de droit, la décision critiquée,

- condamner la Société au paiement de la somme de 150 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 13 décembre 2023 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 8 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel

La Caisse soulève l'irrecevabilité de l'appel formé par la Société, relevant que le jugement querellé a été rendu le 6 avril 2020 et qu'il a été notifié aux parties le 19 mai 2020 ainsi qu'il résulte de l'accusé de réception. Alors qu'elle disposait d'un mois pour interjeter appel, soit jusqu'au 20 juin 2020, elle n'a saisi la cour que par lettre recommandée avec accusé réception reçue le 22 juillet 2020.

La Société fait valoir qu'en vertu de l'ordonnance du 25 mars 2020 qui a prorogé les délais des voies de recours, elle disposait jusqu'au 24 août 2020 pour interjeter appel. Elle était donc dans les délais en le formant le 22 juillet 2020.

Sur ce,

Il résulte des dispositions de l'article 528 du code de procédure civile

Le délai à l'expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n'ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement.

Le délai court même à l'encontre de celui qui notifie.

l'article 538 du même code

Le délai de recours par une voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse; il est de quinze jours en matière gracieuse.

Au cas présent, il résulte des pièces du dossier de première instance que le jugement a été rendu le 6 avril 2020 et que la Société en a reçu notification le 19 mai 2020 ainsi qu'il résulte de l'accusé de réception qu'elle a signé.

Ce faisant de l'article 1 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire dispose que «Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus ».

l'article 2 poursuivant : «Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

Le jugement a bien été rendu pendant la période visée par l'ordonnance et bénéficie donc de la prorogation du délai d'appel.

Ayant été rendu le 6 avril 2020 et notifié à la Société le 19 mai 2020, celle-ci était recevable a former appel le 22 juillet 2020.

Le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel formé par la Caisse sera en conséquence rejeté.

Sur la régularité de la procédure d'instruction

Au soutien de ce moyen, la Société fait valoir que si la Caisse a accepté de lui adresser copie des pièces du dossier de M. [W] réunies au cours de son instruction, seul le certificat médical initial a été produit alors même que l'intéressé a bénéficié de prolongations d'arrêt de travail ultérieurement. La Caisse avait donc nécessairement reçu, à la date de transmission des pièces, le 11 octobre 2017, d'autres arrêts de travail. Elle estime que ces éléments étaient pourtant de nature à lui faire grief ou qu'à tout le moins ils lui auraient permis de mieux appréhender le dossier puisque ces certificats étaient susceptibles de contenir des descriptions plus précises des lésions, ainsi que des éléments relatifs à un état pathologique antérieur ou étranger. En tout état de cause, elle indique qu'il n'appartient pas à la Caisse de faire un tri entre les éléments qu'elle estime devoir transmettre à la Société. L'absence des certificats médicaux de prolongation n'a donc pas permis à l'employeur de présenter des observations utiles sur le caractère professionnel de l'accident ni ne lui a permis de vérifier et de s'assurer de la continuité des symptômes et des soins prescrits à son salarié.

La Caisse rétorque que l'enquête a été menée conformément aux dispositions des articles R. 441-11 et suivants du code de la sécurité sociale, en ce que l'employeur a participé à l'enquête en retournant son questionnaire, il a été informé du recours au délai complémentaire d'instruction, qu'au terme de celle-ci, il a été avisé par lettre recommandée avec accusé réception de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier ainsi constitué et faire ses observations. La décision de prise en charge a été rendue dans les délais et régulièrement notifiée à l'employeur. Elle rappelle que le délai de 10 jours laissé à l'employeur est un délai préfix qui débute à la date d'envoi du courrier et non à la réception de celui-ci ou des pièces qui lui auraient été adressées. Quant à ces pièces, la Caisse rappelle qu'elle n'est tenue d'aucune obligation de les transmettre à l'employeur et qu'elle n'est tenue de mettre à disposition que les éléments médico-administratifs qui ont déterminé sa décision de prise en charge et qui, par suite, font griefs à l'employeur. Il s'agit en l'espèce de la déclaration d'accident du travail, du certificat médical initial et des questionnaires complétées par les intéressés. Les certificats médicaux de prolongation n'en font pas partie puisqu'ils n'ont pas de lien avec la décision de reconnaissance de l'accident du travail. En conséquence, la décision de prise en charge est opposable à l'employeur.

Sur ce,

Aux termes des dispositions de l'article R. 441-14 alinéa 3 du code de la sécurité sociale

Dans les cas prévus au dernier alinéa de l'article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R. 441-13.

L'organisme social qui instruit la demande de prise en charge d'une maladie professionnelle doit donc informer l'employeur des éléments susceptibles de lui faire grief.

Pour sa part, l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale précise

Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre ;

1°) la déclaration d'accident et l'attestation de salaire ;

2°) les divers certificats médicaux ;

3°) les constats faits par la caisse primaire ;

4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;

5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ;

6°) éventuellement, le rapport de l'expert technique.

Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur, ou à leurs mandataires.

Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.

Ces dispositions énumèrent ainsi les documents devant figurer au dossier, notamment les certificats médicaux.

Le non respect par la Caisse de son obligation d'information au cours de la procédure est sanctionné, si celle-ci aboutit à une prise en charge de l'accident ou de la pathologie, par l'inopposabilité de la décision de reconnaissance à l'égard de l'employeur.

Il est constant, au regard des pièces produites, que l'employeur a été informé :

- de la fin de la procédure d'instruction, de la possibilité de consulter le dossier et de la date fixée au 16 octobre 2017 pour la prise de décision par courrier de la Caisse du 25 septembre 2017, dont il a accusé réception le 27 septembre 2017,

- de la décision de prise en charge par courrier du 16 octobre 2017 dont il a accusé réception le 18 octobre 2017.

Il n'est pas contesté que la Caisse a transmis à la Société, le 11 octobre 2017, préalablement à sa prise de décision, les pièces du dossier constitué lors de l'instruction à l'exception des certificats médicaux de prolongation, étant précisé que le délai de 10 jours, délai préfix, court à compter de la notification de la clôture de l'instruction, peu important la date de réception des pièces que la Caisse lui a adressées quand bien même elle n'avait aucune obligation de le faire.

Ce faisant, si l'article R. 441-13 précité prévoit que le dossier que l'employeur peut consulter comporte « les divers certificats médicaux détenus par la caisse » sans distinction entre le certificat médical initial et les certificats médicaux de prolongation, il ne peut s'agir, s'agissant d'une procédure de reconnaissance d'un accident du travail, que des certificats établissant la réalité et la nature des lésions et non les certificats médicaux de prolongation qui ne font grief à la Société que dans le cadre d'une contestation de l'imputabilité des lésions à un accident ou une maladie déjà prise en charge au titre du risque professionnel. D'ailleurs, contrairement à l'interprétation qu'elle donne des arrêts de la cour de cassation, la Caisse n'est sanctionnée que lorsqu'elle ne met pas à disposition de l'employeur «un dossier qui comprend l'ensemble des éléments du dossier au vu desquels elle envisage de prendre sa décision et susceptibles de faire grief  ». Il s'agit alors d'instruction concernant les reconnaissances de maladies professionnelles pour lesquelles l'employeur doit pouvoir consulter l'ensemble des pièces médicales permettant de connaître la nature de la pathologie et son évolution. A l'évidence, ce ne sont pas au regard des certificats médicaux de prolongation que la Caisse décide de reconnaître la matérialité d'un accident du travail. Seul le certificat médical initial peut participer à l'objectivation de l'accident, les certificats médicaux suivants n'étant pas de nature à influer sur la caractérisation de la survenance de l'accident, mais sur les conséquences de celui-ci.

La Caisse a donc satisfait à son obligation d'information.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail

Au soutien de ce moyen la Société expose qu'à la lecture des certificats médicaux descriptifs pour la période du 28 juillet 2017 au 29 avril 2018, son médecin consultant, le docteur [H], a, dans une note médicale établie le 28 janvier 2020, relevé un certain nombre d'éléments de nature à remettre en cause le bien-fondé de la prise en charge des arrêts de travail délivrés à M. [W]. Elle estime qu'elle est donc légitime à s'interroger sur la réalité du lien direct et certain entre les lésions, prestations, soins et arrêts de travail et le fait accidentel tel que décrit par la victime.

Subsidiairement, si la cour estimait que cet avis ne permettait pas de renverser la présomption, elle considère qu'à tout le moins, l'avis de son médecin est de nature à introduire un doute sérieux sur le bien-fondé des arrêts de travail délivrés et constitue un commencement de preuve de l'existence d'un litige d'ordre médical sur l'imputabilité et le bien fondé des arrêts pris en charge par la Caisse justifie que soit ordonnée une expertise. La Société estime que lui refuser cette mesure au motif que la présomption d'imputabilité devrait couvrir toute évolution d'un état pathologique antérieur reviendrait à porter atteinte à son droit à un recours effectif de l'article 6-1 de la CEDH alors que la solution du litige ne dépend que de sa réalisation. Lui refuser l'expertise reviendrait à vouloir priver l'employeur de toute possibilité effective de renverser la présomption d'imputabilité.

La Caisse rétorque que la victime bénéficie, de droit, de la présomption d'origine instaurée par le législateur au bénéfice du salarié lequel ne supporte pas la charge de la preuve de la relation de cause à effet entre le travail et la lésion constatée. Il s'agit d'une présomption simple qui peut être renversée par l'employeur mais seulement s'il apporte la preuve d'une origine extra professionnelle exclusive excluant tout rôle causal du travail. Cette présomption au travail couvre l'ensemble des prestations servies jusqu'à la guérison ou la consolidation. Au cas de M. [W], elle indique produire tous les documents permettant de justifier de la continuité des symptômes et des soins et de la pertinence des arrêts à savoir les prescriptions d'arrêt de travail à temps complet du 28 juillet 2017 au 29 avril 2018, de la décision de fixation de la date de consolidation avec séquelles non indemnisables du 29 avril 2018 et de l'avis de son médecin-conseil sur la pertinence des arrêts de travail et des soins. Enfin, dans le cadre de la présente audience, elle indique verser l'avis de son médecin-conseil qui explique la durée d'indemnisation par la persistance des douleurs, la nécessité de soins prolongés (séances de kinésithérapie et infiltration) et la nature de l'emploi exercé (exécution de tâches répétitives, prolongées, et des ports de charges). Elle entend souligner enfin que l'employeur n'apporte aucun élément médical pertinent permettant de rapporter la preuve d'une pathologie préexistante ou indépendante, qui évoluerait pour son propre compte et qui serait la cause exclusive des arrêts de travail et soins en cause. Il ne renverse donc pas la présomption d'imputabilité, pas plus qu'il ne justifie de l'existence d'un doute sérieux pouvant justifier l'expertise sollicitée.

Sur ce,

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial de la maladie professionnelle est assorti d'un arrêt de travail, s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident, fait obligation à la caisse de prendre en charge au titre de la législation sur les accidents de travail les dépenses afférentes à ces lésions.

Ainsi, et sans que la Caisse n'ait à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l'accident initial, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.

En conséquence, l'employeur qui conteste le caractère professionnel de l'accident ou des arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident et pris en charge à ce titre, doit détruire la présomption d'imputabilité s'attachant à toute lésion survenue au temps et au lieu de travail, en apportant la preuve que cette lésion est totalement étrangère au travail.

Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n'est donc pas à la Caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l'accident du travail, mais à l'employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré.

Dans le cadre de la présente procédure, la Caisse verse aux débats le certificat médical initial établi le 28 juillet 2017 par le docteur [K] du centre hospitalier d'[Localité 3] faisant mention d'un « lumbago  » et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 1er août 2017.

En produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la Caisse bénéficie de la présomption d'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail laquelle s'étend à toute la durée de l'incapacité jusqu'à la guérison.

Au demeurant, alors que le jeu de la présomption ne l'obligeait pas à le faire, la Caisse produit également l'intégralité des certificats médicaux de prolongation d'arrêts de travail prescrits à M. [W] jusqu'à la date de la consolidation de ses lésions fixée au 29 avril 2018 à savoir ceux établis du 31 juillet 2017 au 18 mai 2018 au titre d'une « lombalgie persistante » ou d'un « lumbago ».

Il peut ainsi être constaté que le siège et la nature des lésions figurant sur l'ensemble des certificats de prolongation sont identiques à ceux mentionnés sur le certificat médical initial ce qui permet de constater une absence de modification de la symptomatologie.

Il appartient donc à l'employeur, qui entend combattre la présomption d'imputabilité, de produire des éléments permettant d'établir, ou à tout le moins de douter, que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étranger au travail.

Pour ce faire, la Société produit la note médicale du docteur [H] qui rappelle que :

- le salarié a ressenti une douleur lombaire lors de la manipulation d'une charge, justifiant d'un arrêt de travail limité à trois jours,

- l'IRM effectuée le 1er septembre 2017 a montré l'existence de lésions dégénératives anciennes, sans lésion d'origine accidentelle à savoir une lombo-discarthrose et une arthrose articulaire postérieure étagée, surtout en L4-L5, avec à cet étage une protrusion discale globale plus importante en postérolatéral droit venant au contact du départ de la racine L5 et de la racine niveau du trou de conjugaison. Elle montrait également une saillie discale postéromédiane L2-L3. Cet examen n'a donc montré que les lésions dégénératives anciennes, sans lésion d'origine accidentelle,

- les examens radiologiques effectués n'ont mis en évidence que des lésions dégénératives étagées et évoluées, sans lien avec l'accident qui a été déclaré,

- malgré les constatations cliniques du médecin-conseil lors de son dernier examen de M. [Z], il a considéré qu'il était consolidé le 29 avril 2018, sans séquelles indemnisables et alors même qu'un arrêt de travail était en cours jusqu'au 18 mai 2018, ce dont il déduit que le médecin-conseil a considéré que l'ensemble de la symptomatologie présentée était en rapport avec une pathologie dégénérative antérieure à l'accident ne justifiant pas l'indemnisation de séquelles au titre de celui-ci.

Le docteur [H] estime que l'accident n'a dolorisé que de façon transitoire, une pathologie antérieure d'origine dégénérative et conclut « que les soins et arrêt de travail étaient justifiés au titre de l'accident déclaré jusqu'au 1er septembre 2017, date à laquelle il est avéré que les manifestations douloureuses présentées sont en rapport, de façon exclusive, avec un état antérieur ».

Pour sa part, la Caisse verse aux débats la note médicale de son médecin-conseil en réponse à l'augmentation de la Société, dans laquelle il précise avoir examiné le salarié le 16 avril 2017 (soit avant l'accident litigieux) et le 24 novembre 2017 et avoir constaté :

- une boiterie gauche à la marche,

- le port d'une ceinture lombaire,

- une douleur lombaire à la palpation,

- une contracture musculaire para dorsal,

- un Lasègue lombaire gauche enfin de course,

- une abolition des achillées des achilléens,

- une mobilité normale des hanches et des genoux.

L'examen dynamique de M. [W] permettait de s'assurer que la marche sur la pointe des pieds et les talons étaient possibles mais que l'appui unipodal était instable à droite et à gauche et que l'accroupissement était impossible. Il précisait que n'apparaissait pas d'irradiation aux membres inférieurs ni de paresthésie.

Néanmoins, il notait que la persistance des douleurs lombaires et la nécessité de prolonger les soins justifiaient jusqu'à la date de la consolidation la poursuite des arrêts de travail d'autant que la nature de l'emploi de M. [W], qui effectuait des tâches répétitives prolongées et des ports de charges, ne lui permettaient pas de reprendre son activité.

S'il n'est pas contestable que malgré le dernier examen de M. [W] réalisé en avril 2018 qui constatait divers symptômes, le médecin-conseil a considéré l'intéressé consolidé le 29 avril 2018 tout en autorisant la poursuite de l'arrêt de travail au titre de l'assurance maladie, cet élément n'est pas de nature à remettre en cause l'imputabilité des arrêts de travail avant consolidation à l'accident puisque celle-ci marque la fin de l'évolution des lésions et non la fin de leur existence. Et il s'agit bien, ici, d'une date de consolidation et non d'une guérison. Au demeurant, l'arrêt de l'indemnisation des arrêts de travail au titre du risque professionnel et sa poursuite au titre de l'assurance maladie établit que le médecin-conseil a bien pris en compte l'état antérieur et a su faire la part de ce qui relevait de l'état antérieur et de celui qui relevait des suites de l'accident du travail.

En tout état de cause, le seul fait qu'il existe un état antérieur n'exclut pas le jeu de la présomption d'imputabilité des lésions à l'accident du travail dès lors que celui-ci a concouru à l'aggravation de cet état de santé. En d'autres termes, dans l'hypothèse où un accident du travail est la cause de l'aggravation d'un état pathologique antérieur, c'est néanmoins la totalité de l'incapacité de travail consécutive à cette aggravation qui doit être prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels puisque la présomption d'imputabilité s'étend à toutes les conséquences du fait accidentel. Seule la démonstration que la pathologie prise en charge par la Caisse relèverait exclusivement de cet état préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étranger au travail pourrait permettre un renversement de la présomption.

Or, le docteur [H], qui relève l'existence d'un état antérieur qui n'a jamais été contesté puisque documenté, et qui ne conteste pas que l'accident a pu doloriser celui-ci, conclut, sans étayer son allégation d'une quelconque pièce de nature médicale, que les soins et arrêts de travail étaient justifiés jusqu'au 1er septembre 2017, date à laquelle 'il est avéré que les manifestations douloureuses présentées sont en rapport, de façon exclusive, avec un état antérieur'. Aucun élément n'est produit pour expliquer la date ainsi retenue, le fait qu'elle corresponde à la réalisation d'une IRM n'étant pas un élément pertinent pour ce faire.

En tout état de cause, le docteur [H] ne justifie pas qu'à cette date, seul l'état antérieur a évolué pour son propre compte et que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence exclusive de l'état pathologique préexistant.

Il résulte de ce qui précède qu'aucun des documents produits par la Société ne permet de renverser la présomption d'imputabilité, ni ne constitue au regard de leur généralité, un commencement de preuve d'une cause extérieure aux arrêts qui justifierait le recours à une expertise, étant rappelé que l'expertise médicale doit trancher un différent d'ordre médical quant à l'état de santé de l'assuré, ce qui suppose que la partie qui la sollicite fasse état d'éléments de nature à remettre en cause, ou à tout le moins de douter, de l'exactitude ou de la pertinence du diagnostic posé par le médecin conseil. Ce n'est pas le cas en l'espèce, ainsi qu'il vient de l'être démontré.

A ce titre, c'est de manière inopérante que la Société évoque la violation de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pour être privée de toute possibilité de contester efficacement la décision de la caisse primaire.

Si, comme elle le relève, la CEDH énonce que « le droit d'accès à un tribunal, composante du droit au procès équitable, suppose que le justiciable jouisse d'une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits », la cour constate qu'elle pouvait obtenir les documents médicaux par l'intermédiaire de son médecin consultant et qu'en tout état de cause la présente procédure démontre qu'elle a pu avoir accès au juge.

En outre, l'employeur n'était pas démuni pour connaître les éléments de la situation de son salarié puisque :

- d'une part, en application de l'article L. 411-6 du code de la sécurité sociale, la victime doit justifier son absence auprès de son employeur notamment par l'envoi du certificat médical et l'employeur connaît ainsi la durée de l'arrêt de travail ;

- d'autre part, en application de l'article L. 315-3 du code de la sécurité sociale, il peut solliciter la Caisse afin de déclencher tout contrôle médical qu'il estime utile ;

- enfin, au titre de la loi du 19 janvier 1978, l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de contrôle, solliciter une contre visite médicale s'il dispose de réels motifs pour remettre en cause la durée de l'indemnisation.

Force est de constater que la Société n'a utilisé aucun de ces moyens.

Enfin, en vertu des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées. Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d'ordonner une mesure d'instruction sollicitée par une partie, sans qu'il soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable pas plus qu'une violation du principe de l'égalité des armes.

En conséquence, la demande d'expertise sera rejetée et la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne de prendre en charge, au titre du risque professionnel, les arrêts de travail et les soins prescrits à M. [W] à compter du 28 juillet 2017, date de l'accident, jusqu'au 29 avril 2018, date de la consolidation de ses lésions, est opposable à la Société.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En l'espèce, la Société qui succombe supportera les dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et sera condamnée à verser à la Caisse la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel formé par la société [5] recevable,

CONFIRME le jugement rendu le 6 avril 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Auxerre (RG18-5002) en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société [5] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Société aux dépens.

PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/05002
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;20.05002 ?
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