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08/03/2024 | FRANCE | N°20/03967

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 08 mars 2024, 20/03967


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 08 MARS 2024



(n° , 2 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/03967 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB7HE



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2020 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 19/02778



APPELANTE

S.A.S. [4]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représentée par Me Frédériqu

e BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0881



INTIMEE

CPAM [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

non comparante, non représentée, dispense de comparution





COMPOSITION DE LA COUR :



En...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 08 MARS 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/03967 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB7HE

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Mai 2020 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 19/02778

APPELANTE

S.A.S. [4]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représentée par Me Frédérique BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0881

INTIMEE

CPAM [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

non comparante, non représentée, dispense de comparution

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles REVELLES, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Monsieur Christophe LATIL, Conseiller

Greffier : Madame Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu au 16 février 2024 puis prorogé au 08 mars 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la S.A.S. [4] (la société) d'un jugement rendu le 22 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3] (la caisse).

EXPOSÉ DU LITIGE

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que [Y] [W] (l'assurée), salariée de la société en qualité de préparatrice de commande depuis le 3 novembre 1992, a souscrit le 8 octobre 2018 auprès de la caisse une demande de prise en charge de maladie professionnelle au titre d'un « sdr canal carpien droit ». Cette déclaration était accompagnée d'un certificat médical initial du 26 septembre 2018 relevant un « sdr canal carpien droit » constaté pour la première fois le 11 septembre 2018. Après instruction, cette affection a été prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels dans le cadre du tableau n° 57 des maladies professionnelles par une décision de l'organisme social notifiée à l'employeur le

13 mars 2019. Après vaine contestation de cette décision devant la commission de recours amiable le 15 mai 2019, la société a porté le litige devant le tribunal de grande instance de Bobigny le 12 septembre 2019 sur rejet implicite.

Le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Bobigny, par jugement du 22 mai 2020, a :

- Déclaré recevable le recours de la société ;

- Débouté la société de sa demande d'inopposabilité de la décision de la caisse du

13 mars 2019 de prise en charge de la maladie déclarée le 8 octobre 2018 par l'assurée au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles ;

- Condamné la société aux dépens ;

- Rappelé que tout appel contre le présent jugement devait, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a jugé que la caisse ayant envoyé le 28 octobre 2018 un double de la déclaration de maladie professionnelle accompagné du certificat médical initial portant mention d'une date de première constatation médicale antérieure, puis ayant informé la société, au moins 10 jours francs avant la date de décision, de la fin de la procédure d'instruction, de la possibilité de consulter le dossier contenant les éléments relatifs à la date de première constatation médicale, et de la date prévue pour prendre sa décision, la société ne pouvait pas valablement soutenir que le caractère contradictoire de la procédure d'instruction n'avait pas été respecté. Sur le fond, le tribunal a jugé qu'au regard des pièces du dossier, la caisse avait pu considérer que l'assurée avait été exposée au risque visé au tableau 57C, et qu'en l'absence de preuve d'une cause étrangère au travail, la société devait être déboutée de sa demande d'inopposabilité de la décision de prose en charge.

La société a interjeté appel le 2 juillet 2020 de ce jugement qui lui avait été notifié

3 juin 2020.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société demande à la cour de :

- La recevoir en son appel, le disant recevable et bien fondé ;

- Infirmer le jugement entrepris du pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny du

22 mai 2020 ;

Statuant à nouveau,

- Juger que la caisse a reconnu une maladie professionnelle du 11 septembre 2018 sans communiquer toutefois à la société de certificat médical initial daté du 11 septembre 2018 ;

- Juger par ailleurs que la caisse n'a pas informé la société qu'elle instruisait une maladie professionnelle du 11 septembre 2018 ;

- Juger que la caisse n'a pas plus informé la société que celle-ci pouvait consulter le dossier de l'assurée, préalablement à sa décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie professionnelle du 11 septembre 2018 ;

- Juger que si la caisse entendait modifier la date de la maladie professionnelle, il lui appartenait d'en informer au préalable l'employeur et de communiquer le document médical de la nouvelle date de la maladie ;

En conséquence,

- Juger que la caisse n'a pas respecté le caractère contradictoire de la procédure d'instruction de la maladie professionnelle du 11 septembre 2018 ;

- Dire et juger que la décision de la caisse de reconnaître le caractère professionnel de la maladie du 11 septembre 2018 de l'assurée doit être déclarée inopposable à la société ;

À titre subsidiaire, la Société demande à la cour, sur le non-respect de la troisième condition du tableau 57C des maladies professionnelles, de :

- Constater que le tableau 57C est maladie professionnelle vise une liste limitative des travaux exposant à la maladie « syndrome du canal carpien » ;

- Constater que la société a rédigé un rapport sur l'emploi de l'assurée précisant que cette dernière n'était pas exposée dans les conditions visées par le tableau 57C des maladies professionnelles ;

- Constater que la caisse ne rapporte pas la preuve d'une exposition certaine de l'assurée au risque de sa maladie ;

En conséquence,

- Déclarer que la décision de la caisse de prendre en charge la maladie du

11 septembre 2018 déclarée par l'assurée est inopposable à la société ainsi que l'ensemble de ses conséquences.

La caisse a fait parvenir à la cour, ainsi qu'à la société, avant l'audience ses conclusions et pièces et a sollicité une dispense de comparution.

La société a confirmé avoir reçu les conclusions et pièces de la caisse et ne s'est pas opposée à une dispense de comparution, indiquant qu'elle avait adressé ses conclusions à la caisse.

La dispense de comparution a été accordée à la caisse.

Dans ses conclusions écrites, la caisse demande à la cour, après avoir déclaré l'appel recevable, de :

- Débouter la société de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner la société aux entiers dépens.

En application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l'audience du

20 novembre 2023, et visées par le greffe à cette date, pour l'exposé complet des moyens et arguments développés et soutenus à l'audience.

MOTIF DE LA DÉCISION

1. Sur la date de première constatation de la maladie professionnelle

Moyens des parties

La société soutient que la caisse a reconnu une maladie professionnelle du

11 septembre 2018 sans avoir respecter le contradictoire son égard et n'a pas rapporté la preuve de la date du premier constat de la maladie qu'elle a retenue.

La société explique que la caisse l'avait informée de l'instruction d'une maladie professionnelle du 26 septembre 2018 et jamais d'une maladie professionnelle du

11 septembre 2018. Elle observe que les lettres d'ouverture, de prolongation et de clôture de l'instruction ne font état que de la maladie du 26 septembre 2018. Or, c'est une maladie du 11 septembre 2018 qui a été prise en charge et qui est aujourd'hui contestée. La société conclut qu'en ne produisant aucune lettre relative à la maladie du 11 septembre 2018, la caisse ne justifie pas avoir respecté son obligation d'information vis-à-vis de la société.

La société soutient que précisément, la date de la maladie est un élément susceptible de faire grief puisque c'est le point de départ des prestations servies par la caisse et qu'elle entre dans le calcul du taux de cotisation de l'employeur. La société soutient dès lors que si la caisse entend modifier la date de la maladie professionnelle, il lui appartient d'en informer l'employeur préalablement à sa décision sur la prise en charge et au plus tard lorsqu'elle clôture l'instruction de son dossier. À défaut, la société soutient que le caractère contradictoire de la procédure de destruction d'une maladie professionnelle n'est pas respecté et que la décision la prise en charge doit être déclarée inopposable à l'employeur.

Par ailleurs la société reproche à la caisse de ne pas avoir communiqué le certificat médical du 11 septembre 2018 que l'assurée devait lui transmettre pour faire reconnaître sa maladie du 11 septembre 2018 et non du 26 septembre 2018. La maladie du 11 septembre 2018 ne peut pas être reconnue sans la transmission d'un certificat médical constatant cette maladie à cette date. Selon la société, il incombe donc à l'assurée afin de voir reconnaître une maladie du 11 septembre 2018 de communiquer à la caisse le certificat du

11 septembre 2018, lequel doit effectivement constater la maladie correspondant au tableau. En n'ayant pas communiqué à la société ce certificat du 11 septembre 2018, la caisse n'a donc pas respecté le caractère contradictoire de la procédure.

En outre la caisse ne démontre pas la date de la maladie retenue. En effet, c'est une maladie du 26 septembre 2018 qui a été déclarée le 8 octobre 2018 et non une maladie du

11 septembre 2018. La charge de la preuve du premier constat médical de la maladie du

11 septembre 2018 pèse alors sur la caisse dans ses rapports avec l'employeur. Or la caisse ne rapporte pas cette preuve, le colloque médico-administratif dont se prévaut la caisse, en dehors de tout élément objectif, n'étant pas suffisant pour apporter cette preuve.

La caisse réplique que l'instruction d'une maladie professionnelle est obligatoirement une instruction médico-administrative et qu'il appartient au médecin-conseil d'étudier le certificat médical initial et les examens complémentaire exigés pour désigner la pathologie et entériner, ou non, le diagnostic. En outre, au regard des éléments dont il dispose dans le dossier, le médecin-conseil fixe la date de première constatation médicale.

La caisse rappelle que la première constatation médicale de la maladie professionnelle n'est pas soumise aux mêmes exigences de formes que le certificat médical initial et peut se déduire de tout élément de nature à révéler l'existence de cette maladie. Cette date fixée par le médecin-conseil peut conduire le service administratif à modifier les références de prise en charge comme au cas d'espèce. En effet, la caisse explique que le médecin-conseil a fixé la date de première consultation médicale au 11 septembre 2018 date d'un électromyogramme (EMG). Le dossier mis à la disposition de la société doit comprendre obligatoirement les divers certificats médicaux intéressants l'assurée. Ce dossier doit être conforme aux exigences de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale. Les examens complémentaires, notamment l'EMG, ne sont pas des pièces devant figurer au dossier. La caisse rappelle qu'elle ne peut mettre à la disposition de la société que les pièces dont elle dispose et non celles qui sont détenues par le médecin-conseil et que l'EMG est un examen couvert par le secret médical et, comme tel, détenu par le médecin-conseil de la CNAMTS.

La caisse fait valoir qu'elle a respecté toutes les étapes de la procédure d'instruction contradictoire de la déclaration de maladie professionnelle (lettre d'information de l'ouverture de l'instruction ; lettre sur le délai complémentaire ; lettre de clôture de l'instruction ; possibilité offerte à la société de venir prendre connaissance du dossier avant la date de prise en charge ; information de la date prévisible de prise en charge). La caisse observe que la société a bien reçu l'offre de consultation le 23 février 2019 et lui a demandé l'envoi des pièces constitutives du dossier. Elle a adressé à la société les pièces visées par l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale, notamment le colloque médico-administratif indiquant la date du 11 septembre 2018 et les caractéristiques du document médical ayant permis de fixer cette date, à savoir un EMG et sa date de réalisation, lequel, élément de diagnostic couvert par le secret médical, n'avait pas à figurer dans le dossier mis à la disposition de la société.

Enfin, la caisse explique que la date de première constatation médicale est nécessairement recherchée au cours de l'instruction et constitue un élément inhérent à la décision. En conséquence, la société a été informée de cette date au cours de l'instruction et lors de la décision de prise en charge. La caisse rappelle que le délai de 10 jours francs pour venir prendre connaissance du dossier a été respecté. La caisse soutient qu'il s'ensuit qu'elle a respecté toutes ses obligations en matière d'instruction contradictoire la déclaration de maladie professionnelle.

Réponse de la cour

Il résulte de la combinaison des articles L. 461-1 et L. 461-2, dernier alinéa, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, que la première constatation médicale de la maladie professionnelle exigée au cours du délai de prise en charge écoulé depuis la fin de l'exposition au risque concerne toute manifestation de nature à révéler l'existence de cette maladie. Si la constatation de la date de première constatation médicale n'est pas soumise aux mêmes exigences de forme que le certificat médical initial accompagnant la déclaration et peut lui être antérieure, les juges du fond appréciant souverainement les éléments de preuve qui leur sont soumis pour fixer cette première constatation médicale à une date différente de celle figurant dans le certificat médical initial.

À compter du 1er juillet 2018, pour sa prise en charge, la date d'une maladie professionnelle est celle de sa première constatation médicale, laquelle est à l'appréciation exclusive du médecin-conseil de la caisse au regard du dossier médical de l'assuré. Ce praticien doit justifier sa décision au regard d'une pièce médicale extrinsèque.

La pièce caractérisant la première constatation médicale d'une maladie professionnelle dont la date est antérieure à celle du certificat médical initial, n'est pas soumise aux mêmes exigences de forme que celui-ci et n'est pas au nombre des documents constituant le dossier qui doit être mis à disposition de la victime ou de ses ayants droit ou de l'employeur en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale.

En application de ces principes, il a été jugé que la date de première constatation médicale retenue par le médecin-conseil peut correspondre à une date indiquée dans une pièce non communiquée à l'employeur, car couverte par le secret médical, mais que le colloque médico-administratif, communiqué à ce dernier, mentionne avec la nature de l'événement ayant permis de la retenir.

En l'espèce, l'assurée a déclaré une maladie le 8 octobre 2018 au titre d'un « sdr [syndrome] canal carpien droit » en joignant un certificat médical initial du 26 septembre 2018 faisant état d'un « sdr canal carpien droit » constaté pour la première fois le

11 septembre 2018.

La demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été instruite par la caisse au regard du tableau n° 57 des maladies professionnelles, intitulé « Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail », et plus précisément de la partie C de ce tableau concernant précisément le « syndrome du canal carpien », avec un délai de prise en charge de 30 jours.

Il est constant que le 22 octobre 2018, la caisse a transmis à la société la déclaration de l'assuré et le certificat médical initial pour une maladie professionnelle du

26 septembre 2018 en application des dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, lettre reçue par la société le 25 octobre 2018. Ensuite, il est constant que la caisse a adressé une lettre de prolongation de l'instruction du 11 janvier 2019 comportant les mêmes informations quant à la date de la maladie professionnelle instruite, à savoir celle du certificat médical initial. Enfin, il est constant que la caisse a adressé à la société une lettre du 21 février 2019, reçue le 23 février 2019, l'informant de la clôture de l'instruction de la maladie du 26 septembre 2018 et de sa possibilité de venir prendre connaissance des pièces du dossier avant la prise de décision qui devait intervenir le

13 mars 2019, date à laquelle la maladie du 11 septembre 2018 a été prise en charge.

La société reproche ainsi à la caisse de ne pas l'avoir informée de l'instruction d'une maladie professionnelle du 11 septembre 2018, ou de ne pas l'avoir informée du changement de date de la maladie, et d'avoir ainsi violé le « principe du contradictoire ».

Néanmoins, il n'est pas contesté que la société a sollicité la transmission des pièces du dossier et que la caisse l'a fait en lui transmettant notamment le colloque médico-administratif, la société ayant eu ainsi accès aux éléments du dossier avant la prise de décision du 13 mars 2019.

En droit, la date de première constatation médicale d'une maladie imputée au travail est déterminée par le médecin-conseil de la caisse dans le colloque médico-administratif. Jusqu'à la décision de prise en charge, le dossier est administrativement instruit sur la base de la date du seul certificat médical initial, de sorte que la date indiquée à l'employeur par la caisse lors de l'ouverture de l'instruction est nécessairement celle de ce certificat jusqu'à la lettre de clôture incluse, et cela même pour assurer l'impartialité de l'instruction, les parties pouvant jusqu'à l'issue du délai qui leur est laissé pour prendre connaissance des pièces du dossier former des observations sur la date de première constatation médicale de la maladie, étant rappelé que la date de première constatation médicale est déterminée au cours de l'instruction par le médecin-conseil dont la décision s'impose à la caisse. Seule la décision administrative de la caisse de prise en charge arrête la date de première constatation qui devient celle de la maladie professionnelle et se substitue, le cas échéant, à la date du certificat médical initial.

Contrairement à ce que soutient la société, il n'appartient pas à l'assurée de rapporter la preuve du premier constat médical de la maladie si celle-ci est différente de celle du certificat médical initial, mais il revient à la caisse de rapporter cette preuve au moyen des éléments recueillis pendant l'instruction par le service médical qui se matérialisent dans le colloque médico-administratif. Les éléments médicaux extrinsèques qui permettent au médecin-conseil de se déterminer doivent être identifiables.

Au cas particulier, il est établi que la date de première constatation au 11 septembre 2018 figure dans la déclaration de maladie professionnelle et sur le certificat médical initial qui lui était joint, sans mention d'un acte particulier. Cette date n'est pas celle du certificat médical initial qui a été établi le 26 septembre 2018 mais est indiquée dans ce certificat médical initial. Dans le colloque médico-administratif du 21 février 2019, le service médical de la caisse a retenu cette date au regard du dossier, indiquant que cette date correspondait à la réalisation d'un électromyogramme (EMG), fixant ainsi la date de première constatation au 11 septembre 2018 (pièce n° 5 de la caisse).

Il est rappelé en outre que même si sa date de réalisation est indiquée dans la déclaration de maladie professionnelle et le certificat médical initial, pour autant l'EMG du

11 septembre 2018 demeure un élément extrinsèque à ces documents, de sorte que s'agissant d'un élément de diagnostic qui est couvert par le secret médical, cet examen n'avait pas à être versé au dossier mis à la disposition de la société avant la prise de décision. Contrairement à ce que soutient la société le colloque médico-administratif, dès lors qu'il se réfère à un acte extrinsèque à date certaine, suffit à rapporter la preuve de la date de première constatation de la maladie professionnelle.

Par ailleurs, la société ne produit aucun élément permettant de nourrir une contestation d'ordre médical sur la pathologie reconnue et la date de première constatation retenue par le médecin-conseil de la caisse au regard de l'EMG.

Ainsi, la mention dans le colloque médico-administratif de l'EMG fixant la date de première constatation médicale au 11 septembre 2018 est certaine et justifiée, de sorte que la caisse établit l'existence de cette maladie à cette date. La mise à disposition de la société de l'entier dossier d'instruction tel que défini par le code de la sécurité sociale lui permettait ainsi d'en prendre connaissance et de constater que la maladie déclarée le

8 octobre 2018 sur la base d'un certificat médical initial du 26 septembre 2018 avait été médicalement constatée pour la première fois le 11 septembre 2018 et qu'en application des règles de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable à compter du 1er juillet 2018, citée par la société dans ses propres écritures, cette date se substituait administrativement à celle du certificat médical initial.

Les autres informations de la lettre de prise en charge (identité de l'assurée, numéro de sécurité sociale, intitulé de la pathologie, numéro identifiant), peu important que la date de la maladie ait été modifiée pour la prise en charge, permettaient à la société de vérifier qu'il s'agissait de la même pathologie dont elle avait été informée le 25 octobre 2018.

Enfin, la caisse n'était pas tenue d'informer autrement la société du changement de date administrative de la maladie qu'au moment de la décision de prise en charge, le code ne lui imposant aucune obligation en la matière hormis celle de mettre à la disposition de la société les éléments du dossier avant sa prise de décision, lesquels doivent permettre à la société de prendre connaissance de la date de première constatation et de la nature de l'élément ayant permis cette détermination par le médecin-conseil, ce qui a été fait au cas d'espèce, cette dernière date devenant la date définitive de la maladie lors de sa prise en charge.

Dans ces conditions, ce moyen sera rejeté.

2. Sur l'exposition au risque

Moyens des parties

La société soutient qu'en retenant que la société ne rapportait pas la preuve d'une cause étrangère au travail susceptible d'expliquer la pathologie déclarée par l'assurée le tribunal a inversé la charge de la preuve. La société fait valoir au contraire qu'il ne lui appartient pas de rapporter la preuve de l'existence d'une cause étrangère au travail mais que c'est à la caisse de démontrer que les conditions du tableau des maladies professionnelles dont elle invoque l'application sont remplies.

La société expose que le tableau n° 57 C prévoit des travaux limitativement énumérés pouvant exposer l'assurée à l'affection du syndrome du canal carpien droit. Or, la société soutient que l'assurée, en sa qualité de préparatrice de commande, n'effectuait nullement les travaux visés limitativement par le tableau. Il ne suffit pas que les mouvements prévus au tableau soient réalisés encore faut-il qu'ils le soient de manière habituelle. Elle rappelle qu'elle a contesté par lettre du 26 novembre 2018 l'exposition de sa salariée au risque visé en détaillant l'ensemble des gestes que cette dernière était amenée à réaliser et en précisant la durée pour chacun d'eux.

La société rappelle qu'il appartient en tout état de cause à la caisse de rapporter la preuve de cette exposition, la simple éventualité de celle-ci étant insuffisante. Or, la caisse ne justifie pas avoir adressé un questionnaire à l'assurée ni avoir procédé à une enquête, et rien ne permet de connaître les éléments qui ont permis à la caisse de conclure que l'assurée se trouvait exposée au risque de sa maladie.

La caisse réplique que le tableau n° 57 C prévoit les gestes et postures de façon limitative susceptibles de provoquer la maladie en cause et précise le délai de prise en charge. La caisse rappelle que la Cour de cassation juge que la lorsque le tableau ne prévoit pas de valeur d'exposition, la maladie contractée par un salarié exposé au risque peut être qualifiée de maladie professionnelle par application de la présomption, dès lors que les conditions du tableau sont remplies ; que la présomption de l'imputabilité ne peut pas être subordonnée à l'exposition continue et permanente du salarié au risque pendant son activité professionnelle ; et que le caractère habituel des travaux prévus au tableau n'implique pas qu'ils constituent une part prépondérante de l'activité du salarié. La caisse ajoute que les constatations consignées dans les procès-verbaux établis par un agent agréé et assermenté chargé d'une enquête administrative font foi jusqu'à preuve du contraire.

Au cas d'espèce, la caisse soutient qu'il ressort de l'enquête qu'elle a diligentée que l'assurée travaillait à temps complet, 32 heures par semaine réparties sur 5 jours, à raison de 06h00 par jour, en tant que préparatrice de commande depuis le 3 novembre 1992, l'ensemble des gestes et postures de la salariée étant par ailleurs détaillés. La caisse ajoute que dans sa lettre du 26 novembre 2018, la société mentionne bien que l'activité de la victime nécessite les mouvements sollicitant les mouvements prévus au tableau, précisant même que la salariée est affectée 4 h par jour à la préparation des commandes et 01h50 au rangement des produits dans les armoires. La caisse fait valoir que ces activités impliquent nécessairement les mouvements visés par le tableau et qu'il importe peu que les produits ne soient pas lourds. Elle ajoute qu'au regard de l'ancienneté dans le poste et le volume horaire journalier des deux activités, le caractère habituel des mouvements est suffisamment établi. Elle soutient que son enquête administrative a permis de constater que les travaux effectués sont conformes à ceux décrits dans la liste limitative du tableau 57C et que la notion habituelle ne peut être que retenue.

La caisse ajoute que le délai de prise en charge de 30 jours a été respecté, la date de la première constatation médicale ayant été fixée au 11 septembre 2018 et la date de fin d'exposition au risque étant située au 2 octobre 2018.

Les conditions du tableau étant remplies, la caisse soutient que c'est à juste titre qu'elle a reconnu l'origine professionnelle de la pathologie présentée par l'assurée. La caisse expose qu'il importe peu, contrairement à ce qu'affirme l'employeur, que les mouvements et travaux n'aient pas une part majeure dans l'activité professionnelle de l'assurée, la société ne pouvant en conséquence pas invoquer le caractère inhabituel de l'exposition au risque.

Réponse de la cour

Il résulte des dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Il appartient à la caisse subrogée dans les droits du salarié qu'elle a indemnisé, de démontrer que les conditions du tableau des maladies professionnelles dont elle invoque l'application sont remplies.

Au cas d'espèce, la société conteste l'exposition au risque de l'assurée dans les conditions fixées au tableau.

Selon le tableau n° 57 C des maladies professionnelles, la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer un syndrome du canal carpien comprend des travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d'extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main.

L'assurée exerçait la fonction de préparatrice de commande.

Selon le questionnaire de l'assurée, cette dernière réalisait : 1/ des mouvements d'extension du poignet droit et gauche de façon habituelle et répétée mais non prolongée, elle était exposée à ce geste en poussant les caisses pour les envoyer sur d'autres chaînes de préparation ; 2/ des mouvements de préhension de la main droite de façon habituelle, répétée et prolongée, en tenant la planche sur laquelle était posée la feuille de commande, en prenant les boîtes de médicaments, les sirops et les sticks froids pour les vaccins ; 3/ des pressions sur le talon de la main droite de façon habituelle, répétée et prolongée lorsqu'elle tenait le crayon pour cocher les commandes en appuyant le poignet sur la planche où était posée la feuille ; 4/ des appuis carpiens du côté droit de façon habituelle en écrivant sur les bons de commande le poignet sur la planche. Sur la nature des travaux, l'assurée explique qu'elle préparait les caisses froides avec sticks congelés pour les vaccins, les commandes de boîtes de diverses tailles, de sirops, parfois deux à la fois dans une main, le tout pendant 02h00 au minimum ; qu'elle portait des cartons plus ou moins lourds ; qu'entre les préparations, elle rangeait les produits stockés dans des cartons et cagettes en plastique et les mettait en rayons. L'assurée expose qu'elle travaillait environ 06h00 par jour et 32 heures par semaine ; qu'elle utilisait des stylos et des cutters ; que les objets manipulés étaient en moyenne de 10 à 13 kilos ; et qu'elle porte des gants l'hiver pour les sticks froids. L'assurée fait état de conditions de travail normales et d'une rapide cadence de travail en raison de contraintes de temps. Elle mentionne également le port d'un appareil pour scanner les médicaments sur l'avant-bras gauche l'obligeant à forcer plus de la main droite (pièce n° 11 de la caisse).

Selon la lettre de la société du 26 novembre 2018 produite au cours de l'instruction, l'assurée, engagée le 11 mars 1992, en qualité de préparatrice de commande, était polyvalente. Son activité professionnelle était répartie comme suit : « - rangement des produits dans les armoires : 01h50 par jour ; - préparation de commande au simple face : 04h00 par jour ; - préparation de commande au double-face : néant ; - remplissage des goulottes du magasin automatique : néant ; - contrôle des commandes : 01h00 par jour ». La société précise que : « La préparation des commandes consiste principalement à aller chercher des produits pharmaceutiques très peu lourds dans des armoires de rangement sans portes installées dans des allées sur une distance d'environ 20m, puis de les déposer à l'intérieur d'une caisse située sur un convoyeur automatisé qui permet le déplacement des caisses sans avoir à les porter. Tout au long du process de récupération du produit, la salariée scannait le code barre de la caisse, du bon de commande et parfois du médicament avec un PDA (appareil informatique individuel et portatif) afin d'assurer une traçabilité optimum de la commande, telle que l'exige le code de la santé publique. Cette pratique est utilisée sur la préparation du simple face, du double face ainsi que du froid. » La société indique que cette activité ne génère jamais une contrainte au niveau du canal carpien droit et explique que : « Elle est particulièrement polyvalente en termes de sollicitation des membres supérieurs, puisque la salariée est exposée à une alternance de mouvements des bras liés à la récupération des produits mais aussi de marche à pied sans effort et sans port de charge. À noter par ailleurs, que [dans la société], le travail n'est pas chronométré et qu'aucune cadence n'est imposée à [l'assurée], ni à ses collègues. Par ailleurs, comme il convient de le constater, lorsqu'il est question de manutention au sein de notre activité, il est question de charges très légères qui restent largement en deçà des recommandations de plusieurs organismes, notamment l'INRS. » Enfin, la société soutient que : « Au cours de son activité professionnelle, [l'assurée] n'a pas été exposée de la manière dont le conçoit le tableau MP 57C. De par notamment son temps partiel ainsi qu'à sa polyvalence, aucune sur sollicitation et exposition au risque n'est envisagée. » (pièces n° 4 de la société et n° 12 de la caisse).

Si la lecture comparée de ces deux pièces fait apparaître une contradiction sur l'appui carpien, le mouvement décrit par l'assurée n'étant pas mentionné par la société qui n'indique pas l'usage de la planche sur laquelle était posé le bon de commande confié à l'assurée, il convient de relever que la société n'est pas crédible dans ses affirmations lorsqu'elle conteste l'exposition au risque en ce qu'elle se borne surtout à critiquer le caractère « flou » des travaux visés au tableau et se focalise sur le les chaînes « double face » et « simple face » sans expliciter les gestes accomplis et en ignorant totalement le bon de commande nécessaire à l'exécution du travail et la planche sur laquelle ce bon était posé et sur lequel l'assurée devait intervenir. Il importe peu que les charges aient été légères dans le cas de cette pathologie.

Les déclarations de la société et de l'assurée suffisent pour retenir que cette dernière travaillait 32 h par semaine réparties sur 5 jours, à raison de 06h00 par jour minimum, en tant que préparatrice de commande depuis le 3 novembre 1992 et que son travail consistait d'une part à préparer les commandes en disposant des boîtes de médicaments, des sticks et des sirops retirés d'un rayon pour être placés dans des cartons, et d'autre part à ranger les produits en stock dans les rayons. L'assurée ajoute qu'elle devait porter les cartons pour les changer de chaîne. Il ressort des précisions de la société que la préparation de commandes consistant à récupérer les produits pharmaceutiques dans les armoires et les déposer sur le convoyeur représentait 04h00 de travail par jour et que le rangement des produits dans les armoires représentait 01h50 par jour.

Par ailleurs, les affirmations de l'assurée ne sont pas contradictoires et ne sont pas sérieusement remises en cause par les déclarations de la société dans sa lettre du

26 novembre 2018 qui ne détaille pas les gestes en cause mais seulement décrit le process de préparation en son ensemble.

Ainsi, au regard de l'ancienneté de l'assurée à son poste (depuis le 3 novembre 1992) et du volume horaire journalier de son activité (au moins 6 heures) comprenant des mouvements prévus au tableau, peu important que seul l'appui carpien ne ressorte que des dires de l'assurée, le tableau ne prévoyant pas le cumul des gestes mais la réalisation d'au moins l'un d'entre eux, l'exposition de l'assurée à des travaux visés au tableau n° 57 C apparaît suffisamment établie par l'enquête administrative diligentée par la caisse.

La société ne le conteste d'ailleurs pas formellement dès lors qu'elle ne conteste que le seul caractère habituel de cette exposition.

Néanmoins, le caractère habituel des travaux exposant l'assurée au risque en cause n'implique pas qu'ils constituent une part prépondérante de son activité (Cass., Civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-17.005). Il suffit que l'assurée ait été exposée au risque de façon journalière pour que le caractère habituel soit établi, ce qui est le cas en l'espèce.

En conséquence, les conditions de prise en charge édictée par le tableau n° 57 C des maladies professionnelles relatif à un syndrome du canal carpien droit sont réunies dans ce dossier et la reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie présentée par l'assurée le 11 septembre 2018 doit être déclarée opposable à la société.

Ce moyen sera également rejeté.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé.

La société, succombant en cette instance, devra en supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

DÉCLARE l'appel recevable ;

REJETTE les moyens de la S.A.S. [4] ;

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 22 mai 2020 ;

CONDAMNE la S.A.S. [4] aux dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/03967
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;20.03967 ?
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