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08/03/2024 | FRANCE | N°19/10395

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 08 mars 2024, 19/10395


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 08 MARS 2024



(n° , 2 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10395 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAZHR



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2019 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 19/00239





APPELANTE

Madame [L] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

reprÃ

©sentée par Me Anissa BEN AMOR, avocat au barreau de PARIS, toque : E1864 substituée par Me Jean AMOUGOU SANGALE, avocat au barreau de PARIS



INTIME

CPAM DE LA SEINE SAINT DENIS

[Adresse 1]

[Local...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 08 MARS 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10395 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAZHR

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2019 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 19/00239

APPELANTE

Madame [L] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Anissa BEN AMOR, avocat au barreau de PARIS, toque : E1864 substituée par Me Jean AMOUGOU SANGALE, avocat au barreau de PARIS

INTIME

CPAM DE LA SEINE SAINT DENIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Octobre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles REVELLES, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Greffier : Madame Fatma DEVECI, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour initialement prévu le 15 décembre 2023 et prorogé au 12 janvier 2024, puis au 09 février 2024, puis au 01mars 2024, puis au 08 mars 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre et Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par [L] [W] (l'assurée) d'un jugement rendu le

11 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny dans un litige l'opposant à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Seine-Saint-Denis (la caisse).

EXPOSÉ DU LITIGE

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard.

Il suffit de rappeler que l'assurée, salariée de la société [9] depuis le 12 avril 1991 en qualité de responsable, a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le

6 décembre 2017 à la suite d'un échange verbal avec son responsable ; que le

8 décembre 2017, l'employeur a établi une déclaration d'accident du travail en l'assortissant de réserves ; qu'après instruction du dossier, par décision du 13 mars 2018, la caisse a refusé la prise en charge de l'accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels ; que l'assurée a saisi la commission de recours amiable de la caisse, laquelle a rejeté la requête par décision du 29 août 2018 ; que l'assurée a porté le litige le 22 octobre 2018 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny ; qu'après avoir été déclarée inapte par la médecine du travail, l'assurée a été licenciée le

28 décembre 2018 ; que le recours a été transmis au tribunal de grande instance de Bobigny le 1er janvier 2019.

Par jugement du 11 septembre 2019, le tribunal a :

- Déclaré l'action de l'assurée recevable ;

- Dit mal fondée l'assurée ;

- Dit que la décision de rejet notifiée par la caisse le 13 mars 2018 est bien-fondée ;

- En conséquence, dit que l'accident dont a été victime l'assurée le 6 décembre 2017 n'est pas un accident du travail au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale et ne doit pas être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ;

- Rappelle que la procédure est gratuite et sans frais conformément à l'ancien article R. 144-10 alinéa premier du code de la sécurité sociale.

Le tribunal a retenu que l'assurée n'apportait pas la preuve de la matérialité de l'accident, de sorte que son état ne peut être rattaché à un fait soudain survenu le 6 décembre 2017.

Le jugement a été notifié à une date indéterminée à l'assurée qui en a interjeté appel par déclaration formée par voie électronique le 16 octobre 2019.

L'appel a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur du 28 novembre 2022, puis, à la demande de la caisse, renvoyé à l'audience du 9 octobre 2023, date à laquelle les parties étaient présentes et représentées.

Par conclusions écrites et développées oralement à l'audience par son avocat, l'assurée demande à la cour, au visa des articles L. 411-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de :

- Déclarer recevables ses demandes ;

- Infirmer l'intégralité du jugement rendu par le tribunal des affaires sociales près de tribunal de grande instance de Bobigny le 11 septembre 2019 ;

En conséquence et statuant à nouveau,

- Annuler la décision non motivée de la commission de recours amiable du

6 septembre 2018 ;

- Dire que l'accident du 6 décembre 2017 dont elle a été victime doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle et reconnu dans la mesure où la présomption d'imputabilité n'a pas été renversée ;

- Renvoyer l'assurée devant l'organisme compétent pour la liquidation de ses droits.

Par conclusions écrites et développées oralement à l'audience par son avocat, la caisse demande à la cour de :

- Confirmer la décision de la caisse ayant refusé de prendre en charge l'accident du travail de l'assurée ;

- Débouter l'assurée de ses demandes.

Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions reprises oralement à l'audience puis déposées après avoir été visées par le greffe à la date du 9 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. n° 132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).

Le salarié doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel (Soc., 26 mai 1994, Bull. n° 181). Il importe qu'elles soient corroborées par d'autres éléments (Soc., 11 mars 1999, n° 97-17.149 ; Civ. 2e, 28 mai 2014, n° 13-16.968).

En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable au travail, sauf pour celui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail. Il en est ainsi d'un choc psychologique survenu au temps et au lieu de travail (2e Civ., 4 mai 2017, pourvoi n° 15-29.411).

En l'espèce, l'assurée a indiqué avoir été victime d'un accident du travail le

6 décembre 2017. Elle explique qu'elle procédait à la mise en place des rayons vers 10h00 lorsque son responsable lui est venu lui parler et qu'à cette occasion elle a ressenti un fort choc émotionnel puisque « une fois de plus » il lui imposait « une surcharge de travail dont elle n'avait pas la responsabilité ». Elle affirme avoir subi une violente crise qui a nécessité l'intervention des pompiers. Elle observe que l'employeur a refusé d'établir une déclaration d'accident du travail de sorte qu'elle a écrit elle-même une lettre le 8 décembre 2017 à la caisse.

Si l'employeur n'a pas immédiatement établi de déclaration, il a néanmoins effectué la déclaration d'accident du travail le 8 décembre 2017.

La déclaration d'accident du travail établie par l'employeur le 8 décembre 2017 précise ainsi que : « La salariée faisait de la mise en rayons. Elle a eu des échanges avec son responsable en considérant que celui-ci lui faisait des reproches de ne pas remplir sa mission d'encadrement. Suite à cet échange, elle est allée au vestiaire et elle a eu une crise de nerfs. » L'employeur indiquait Désiré M. en qualité de témoin.

Par certificat du 12 décembre 2017, le médecin de l'assurée mentionne l'existence d'une « crise d'angoisse (réactionnelle à une altercation verbale) ».

Après l'émission de réserves par l'employeur, la caisse a diligenté une mesure d'enquête par questionnaires.

Désiré M., responsable de magasin et témoin désigné, a complété son questionnaire le

26 janvier 2018, dans lequel il répond à la question « comment s'est produit l'accident ' » : « La victime rangeait le rayon femme. Un échange managérial entre la victime et

moi-même » ; à la question « la victime s'est-elle plainte auprès de vous ' », Désiré M. à répondu : « oui », en précisant : « Elle pleurait suite aux échanges de communication managériale que nous avons eu. » ; à la question « dans quelle condition l'entretien se serait-il déroulé ' », Désiré M. a répondu : « La victime n'a pas accepté les remarques professionnelles dans le cadre de sa mission étant agent de maîtrise ».

Dans le questionnaire qu'elle a complété, l'assurée indique au titre des causes et circonstances de l'accident : « Harcèlement moral - Demande de tâches supplémentaires (ménage, formation, rayons supplémentaires, responsabilité). À la question : « Veuillez décrire avec précision le travail effectué au moment où s'est produit le fait accidentel », l'assurée a répondu : « Suite à l'appel des caissières pour une manipulation au niveau des caisses ». Elle a indiqué qu'elle avait consulté à plusieurs reprises après l'accident et notamment un psychiatre à la demande de son médecin traitant. Par lettre ayant pour objet « informations complémentaires », l'assurée ajoute à son questionnaire que : « Le

6 décembre 2017, j'ai subi une attaque verbale du directeur devant les clients. J'ai eu une crise de nerfs que je n'ai jamais eu au sein de la société et ce depuis 27 ans d'ancienneté. Mon état était critique, je me suis mise à pleurer en sanglots, impossible pour moi de reprendre ma respiration, j'étais en état de choc, je ne cesse de me remémorer la scène encore et encore et ce depuis les faits. Les pompiers m'ont amené à l'hôpital [6] à [Localité 8]. Tout a commencé en juin 2017 avec l'achat du groupe [7], tout a changé, harcèlement moral venant de la hiérarchie, dégradation de l'ambiance au travail, tâches supplémentaires exigées sans changement des contrats (dont le ménage). Je me mets aujourd'hui à consulter un psychiatre suite au conseil de mon médecin. Je suis sous emprise de médicaments (Tertian, Venlafaxine, Zopliclone) donnés par ce dernier. »

Si le certificat médical initial a été établi le 12 décembre 2017 par le médecin traitant de l'assurée, le compte rendu hospitalier établi au centre hospitalier de [Localité 8], indique que l'assurée est arrivée à l'hôpital le 6 décembre 2017 à 12h51 et qu'elle en est sortie le même jour à 17h28. Ce compte-rendu indique qu'elle est arrivée avec les pompiers d'[Localité 5] et qu'elle venait de son lieu de travail. Le diagnostic principal posé par le médecin sur place est une : « Attaque panique (angoisse) ». Il est également indiqué qu'à 12h54 lors de l'enregistrement, l'infirmière d'accueil a indiqué que la patiente était amenée par les pompiers pour une crise d'angoisse à la suite d'une dispute avec son chef et que la patiente parlait de harcèlement moral. L'infirmière indique : « Patiente en pleur en ia ».

Un certificat médical du 6 décembre 2017, établi au service des urgences de l'hôpital, est versé au dossier. Le médecin hospitalier prescrit un arrêt de travail jusqu'au

11 décembre 2017 au titre d'une « crise d'angoisse ».

Enfin, la fiche d'intervention des pompiers est versée au débat. Il en résulte que les pompiers sont intervenus à 11h00 et que sur place ils ont découvert une « femme de 55 ans ayant fait une crise d'angoisse suite à une dispute ». Ils ont constaté : « hyperventilation - mal de tête - pas de nausée - pas de vomissement - pas de céphalées ». À 12h30, la coordination médicale les a dirigés vers l'hôpital de [Localité 8].

Cette fiche d'intervention des pompiers, ce compte-rendu hospitalier et ce certificat d'arrêt de travail confirment les déclarations de l'assurée qui a indiqué qu'elle avait quitté l'entreprise pour se rendre à l'hôpital accompagnée des pompiers qui étaient intervenus sur place et que les premières constatations médicales ont été effectuées à l'hôpital.

Dans le cadre de l'instance, l'assurée a produit plusieurs attestations de collègues (pièces n° 6, 7, 7-1, 7-2 et 7-3). Néanmoins, si elles attestent de la dégradation des conditions de travail et des qualités professionnelles de l'assurée, ces attestations n'apportent aucun élément utile quant aux faits du 6 décembre 2017.

Il importe peu dans le cadre de la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident que celui-ci soit la conséquence d'une détérioration des conditions de travail à la suite du rachat de l'entreprise par une autre et que les changements intervenus dans la gestion du magasin soient ressentis, à tort ou à raison, par l'assurée comme du harcèlement. L'exactitude ou non de ce dernier point est sans emport sur le fait accidentel du

6 décembre 2017 qui ne peut être déterminé que par l'apparition soudaine d'une lésion au temps et au lieu du travail, de sorte que l'argumentation de la caisse qui se borne à soutenir qu'il n'y avait aucun événement soudain mais seulement un trouble anxiodépressif qui serait la conséquence d'une série d'événements à évolution lente et non celle d'un événement soudain puisque le harcèlement remonterait en réalité à juin 2017. C'est à tort que la caisse soutient que « l'entretien managérial » ne remplit pas les caractères de soudaineté requis pour reconnaître un accident du travail dès lors que celui-ci rentre dans le cadre d'une démarche de harcèlement. En effet, il ressort au contraire de l'ensemble des éléments du dossier qu'au cas d'espèce cet « entretien managérial » au temps et lieu du travail a eu pour conséquence immédiate de provoquer un choc psychologique à l'assurée, lequel a été immédiatement pris en charge par les pompiers puis constaté par un médecin hospitalier et qui a justifié un arrêt de travail.

Il résulte de ces éléments que l'assurée démontre donc l'existence d'une lésion caractérisée par un choc psychologique en lien de causalité avec son travail, de telle sorte que c'est à tort que la caisse a refusé la prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels, étant observé que la caisse ne rapporte pas la preuve d'une cause totalement étrangère au travail ni l'existence d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.

Le jugement déféré sera donc infirmé et il sera fait droit aux demandes de l'assurée.

La caisse, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

DÉCLARE l'appel de [L] [W] recevable ;

INFIRME le jugement rendu 11 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny ;

Statuant à nouveau,

DIT que l'accident du 6 décembre 2017 dont a été victime [L] [W] doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels en qualité d'accident du travail ;

RENVOIE [L] [W] devant la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la

Seine-Saint-Denis pour la liquidation de ses droits ;

CONDAMNE la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Seine-Saint-Denis aux dépens.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/10395
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;19.10395 ?
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