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08/03/2024 | FRANCE | N°19/08903

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 08 mars 2024, 19/08903


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE [Localité 8]

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 08 MARS 2024



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/08903 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPW6



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de [Localité 8] RG n° 16/05218



APPELANT

Monsieur [L] [R]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représenté par Me Anne-sop

hie TODISCO, avocat au barreau de [Localité 8]



INTIMEES

SAS [18] INHOUSE NOM D'ENSEIGNE : [18]

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Maïtena LAVELLE, avocat au barreau de [Local...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE [Localité 8]

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 08 MARS 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/08903 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPW6

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de [Localité 8] RG n° 16/05218

APPELANT

Monsieur [L] [R]

[Adresse 1]

[Localité 7]

représenté par Me Anne-sophie TODISCO, avocat au barreau de [Localité 8]

INTIMEES

SAS [18] INHOUSE NOM D'ENSEIGNE : [18]

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Maïtena LAVELLE, avocat au barreau de [Localité 8], toque : G0317 substituée par Me Pauline FROGET, avocat au barreau de [Localité 8], toque : P0503

SARL [11]

[Adresse 9]

[Localité 3]

représentée par Me Julien CHAOUAT, avocat au barreau de [Localité 8], toque : E1020

CAISSE PRIMAIRE D'ASS URANCE MALADIE DE [Localité 8]

Pôle contentieux

[Adresse 14]

[Localité 8]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de [Localité 8], toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles REVELLES, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Greffier : Madame Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour,initialement prévu le 03 novembre 2023 et prorogé au 15 décembre 2023, puis le 12 janvier 2024, puis au 09 février 2024, puis au 1er mars 2024, puis au 08 mars 2024,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par [L] [R] (l'assuré) d'un jugement rendu le 21 mai 2019 par le tribunal de grande instance de [Localité 8] dans un litige l'opposant à la S.A.S. [18] Inhouse, nom d'enseigne [18], la S.A.R.L. [11] et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8] (la caisse).

EXPOSÉ DU LITIGE

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que l'assuré, intérimaire, a été engagé par la société [18] en qualité de « client mystère » le 1er octobre 2015 pour effectuer une mission de 4 heures le 3 octobre 2015 « d'observation des lieux en fonction des critères et questionnaires donnés par l'employeur » pour le compte de l'entreprise utilisatrice [11] ; que le 1er octobre 2015, la société [11] lui a confirmé la mission en magasin [13] pour deux visites à effectuer le samedi 3 octobre 2015, entre 17 et 20 h au centre commercial [Adresse 15] à [Localité 12] (93) et au centre commercial [Adresse 10] à [Localité 17] (95) ; que l'assuré a sollicité auprès de la société [18] par courriel du 5 octobre 2015 une indemnisation en son nom et au nom de ses parents des préjudices subis à la suite d'une agression dont il a déclaré avoir été victime avec ses parents dans leur voiture personnelle à [Localité 12] le 6 octobre 2015 en direction du site d'[Adresse 10] ; que la société [18] a répondu négativement et a invité l'assuré à se rapprocher de son organisme d'assurance le 9 octobre 2015.

Le 9 octobre 2015, la société [18] a établi une déclaration d'accident du travail mentionnant : « 3 octobre à 19h15, feu rouge, [Adresse 5] à [Localité 12], lieu de travail occasionnel, [l'assuré] était en train de rejoindre son 2e lieu de mission d'intérim, selon le salarié son véhicule aurait été attaqué par 2 individus, voir procès-verbal de police ci-joint, siège des lésions : non précisé, accident connu à 09h39 le 5 octobre 2015 par l'employeur, absence d'autres victimes, sans arrêt de travail, rapport de police établi, accident causé par un tiers. »

Par décision du 13 juin 2016, la caisse a classé la déclaration de cet accident au titre de la législation professionnelle en raison de l'absence de production d'un certificat médical initial. L'assuré ayant contesté cette décision, la commission de recours amiable de la caisse, par décision du 4 octobre 2016, a confirmé le classement du dossier.

L'assuré a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 8] le

17 octobre 2016 en sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Le 4 mai 2018, l'assuré a adressé à la caisse un certificat médical initial daté du

5 octobre 2015 avec « en annexe les originaux des volets 1 et 2 du certificat médical initial » mentionnant au titre des lésions : « peur, angoisse aiguë génératrice d'insomnies et de bouffées anxieuses et remémoration de l'agression » ; avec un arrêt de travail rédigé en ces termes : « resté à son domicile pour le week-end 3-4/10/15 ».

Le dossier a été transmis au tribunal de grande instance de Paris le 1er janvier 2019.

Par jugement du 21 mai 2019, le tribunal a :

- Rejeté l'intégralité des demandes formées par l'assuré ;

- Condamné l'assuré à payer à la société [11] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté toute demande plus ample ou contraire des parties ;

- Dit que les dépens sont supportés par l'assuré.

Le tribunal a retenu que l'assuré demandait simultanément la reconnaissance d'un accident du travail et la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Sur la reconnaissance du fait accidentel et sa prise en charge, le tribunal a jugé que la présomption d'imputabilité ne pouvait pas jouer en l'espèce à défaut de rapporter la preuve que l'accident s'était déroulé au lieu et au temps du travail, de l'absence de témoin et du fait de la tardiveté des constatations médicales, également transmises tardivement à la caisse. Sur la faute inexcusable, en l'absence d'un accident du travail, le tribunal a jugé que la demande était irrecevable à l'égard de l'employeur juridique et qu'il n'y avait pas lieu d'examiner cette demande. Enfin, le tribunal a rejeté la demande d'amende civile formée par la société [11].

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise le 15 juillet 2019 à l'assuré qui en a interjeté appel le 7 août 2019.

L'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 13 octobre 2022 et renvoyée à la demande du conseil de l'assuré à l'audience du 11 septembre 2023, date à laquelle les parties étaient présentes ou représentées.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, l'assuré demande à la cour, au visa des articles L. 411-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale et 696 et 700 du code de procédure civile, de :

- Le recevoir en ses conclusions, et y faisant droit,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à verser des sommes aux sociétés [11] et [18] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- Rejeter les condamnations de l'assuré à payer 800 euros à chacune des sociétés

[18] et [11] au titre de leurs frais irrépétibles devant le pôle social du tribunal de grande instance de Paris ;

- Rejeter la condamnation de l'assuré aux dépens devant le pôle social du tribunal de grande instance de Paris ;

Et, statuant nouveau,

- Dire et juger que l'assuré a été victime d'un accident de travail le 3 octobre 2015 pendant le déplacement professionnel entre deux lieux de travail différents ;

- Dire et juger que la société [18] a commis une faute inexcusable ;

- Débouter les sociétés [18], [11] et la caisse de leurs demandes ;

Par conséquent,

À titre principal,

- Fixer le montant du préjudice moral et physique subi par l'assuré à la somme de 3 000 euros ;

- Dire qu'en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale les sommes allouées en réparation de ces différents chefs de préjudice personnel seront versées directement par la caisse qui en récupérera le montant auprès de [18] ;

À titre subsidiaire,

- Ordonner s'il l'estime nécessaire une expertise médicale judiciaire pour évaluer les préjudices subis et souffrances endurées par l'assuré ;

- Dire que les frais d'expertise et les frais de déplacement de l'assuré seront pris en charge par la caisse en application de l'article L. 322-5 et R. 141-7 du code de la sécurité sociale ;

- Dire qu'il appartiendra à la caisse de procéder à l'avance de l'intégralité des fonds qui pourront être alloués à l'assuré ;

- Allouer une provision de 3 000 euros à l'assuré, à valoir sur la liquidation de son préjudice, provision à verser par la caisse conformément à l'article L. 452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale ;

En tout état de cause,

- Dire que la société [11] garantira la société [18] de l'ensemble des condamnations prononcées ;

- Condamner in solidum la société [18] et la société [11] à payer à maître

Anne-Sophie Todisco la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 au titre des frais irrépétibles engagés ;

- Condamner in solidum les sociétés [18] et [11] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions écrites et développées oralement à l'audience par son avocat, la caisse demande à la cour, au visa de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, de :

À titre principal,

- Confirmer le jugement du 21 mai 2019 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

- Débouter l'assuré de l'ensemble de ses demandes ;

À titre subsidiaire, si la cour devait juger l'assuré recevable en sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable et y faire droit,

- Ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la fixation de la date de consolidation ou de guérison et de fixation du taux d'IPP par le service médical ;

En tout état de cause,

- Condamner tout succombant aux entiers dépens.

La société [18], employeur, représentée par son conseil qui a repris et développé ses conclusions écrites, demande à la cour de :

À titre principal,

- Confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal de grande instance de Paris le 21 mai 2019, en toutes ses dispositions ;

Et ce faisant,

- Dire et juger que l'accident du travail invoqué du 3 octobre 2015 n'étant pas reconnu en accident du travail, la demande de reconnaissance de faute inexcusable formulée par l'assuré ne saurait aboutir ;

- Débouter, en conséquence, l'assuré de ses demandes ;

À titre subsidiaire, si par impossible, la cour devait retenir la responsabilité de l'employeur,

- Dire et juger que la société [18] ne saurait être déclarée responsable des conséquences de l'accident du travail de l'assuré survenu le 3 octobre 2015 ;

- Dire et juger que seule la société [11] doit supporter les conséquences financières de la reconnaissance de sa faute inexcusable ;

- Dire et juger que, si pour les besoins du raisonnement, le tribunal devait retenir la responsabilité de la concluante, il condamnera la société [11] à la relever et garantir indemne de l'ensemble des condamnations qui pourraient être mises à sa charge ;

- Dire et juger, dans cette hypothèse, qu'il conviendra d'ordonner une expertise judiciaire ayant pour objet d'évaluer les préjudices de l'assuré en fixant une mission d'expertise conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation ;

- Dire et juger, en conséquence, que la mission de l'expert sera libellée de la façon suivante :

* Convoquer les parties ;

* Se faire remettre l'entier dossier médical de l'assuré ;

* Examiner l'assuré ;

* Décrire les lésions résultant directement et exclusivement de l'accident du travail de l'assuré survenu le 3 octobre 2015 ;

* Déterminer le déficit fonctionnel temporaire et le quantifier ;

* Évaluer le pretium doloris en lien direct et exclusif avec l'accident précité ;

* Déterminer si l'assuré a subi un préjudice esthétique et un préjudice d'agrément en lien direct et exclusif avec son accident du travail ;

- Déterminer si l'assuré a bénéficié d'une assistance tierce personne temporaire ;

* Déposer un pré-rapport qui sera soumis au contradictoires des parties qui pourront présenter que dire ;

* Déposer un rapport et l'adresser aux parties ;

- Dire et juger qu'il appartiendra à la caisse de procéder à l'avance de l'intégralité des fonds qui pourront être alloués à la victime ;

- Débouter l'assuré de ses demandes tendant à voir condamner la caisse [18] à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Le condamner à verser à la concluante la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Par conclusions écrites et développées oralement à l'audience par son avocat, la société [11], société utilisatrice, demande à la cour de :

- La recevoir en son argumentation et se faisant,

À titre principal,

- Confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal de grande instance de Paris, le 21 mai 2019, en toutes ses dispositions ;

- Dire et juger que l'accident du travail invoqué en date du 3 octobre 2015 n'étant pas reconnu en accident du travail, la demande de reconnaissance de faute inexcusable formulée par l'assuré ne saurait aboutir ;

- Débouter l'assuré de l'ensemble de ses demandes ;

À titre subsidiaire, si par impossible la cour de retenir la responsabilité de la société [11],

- Dire et juger que la société [11] ne saurait être déclarée responsable des conséquences de l'accident survenu le 3 octobre 2015 ;

- Dire et juger, dans cette hypothèse, qu'il conviendra d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire ayant pour objet d'évaluer les préjudices de l'assuré en fixant une mission d'expertise conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation ;

- Dire et juger, en conséquence, que la mission de l'expert sera libellée de la manière suivante :

* Convoquer les parties ;

* Se faire remettre l'entier dossier médical de l'assuré ;

* Examiner l'assuré ;

* Décrire les lésions résultant directement et exclusivement de l'accident du travail de l'assuré survenu le 3 octobre 2015 ;

* Déterminer le déficit fonctionnel temporaire et le quantifier ;

* Évaluer le pretium doloris en lien direct et exclusif avec l'accident précité ;

* Déterminer si l'assuré a subi un préjudice esthétique et un préjudice d'agrément en lien direct et exclusif avec sa maladie professionnelle ;

* Déposer un pré-rapport qui sera soumis au contradictoires des parties qui pourront présenter que dire ;

* Déposer un rapport et l'adresser aux parties ;

- Dire et juger qu'il appartiendra à la caisse de procéder à l'avance de l'intégralité des fonds qui pourront être alloués à la victime ;

- Débouter l'assuré de ses demandes tendant à avoir condamné la société à isatis et lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- Condamner l'assuré au paiement d'une amende sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- Condamner l'assuré au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour a soulevé d'office l'irrecevabilité de la demande d'amende civile formée par la société [11] sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Invitées à répondre, les parties ont fait valoir leurs observations sur ce point.

Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions écrites reprises et développées oralement à l'audience du

11 septembre 2023, puis déposées après avoir été visées à cette date par le greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la matérialité de l'accident et sa prise en charge au titre de la législation professionnelle

Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. n° 132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).

L'assuré doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel (Soc., 26 mai 1994, Bull. n° 181). Il importe que ses affirmations soient corroborées par d'autres éléments (Soc., 11 mars 1999, n° 97-17.149 ; Civ. 2e, 28 mai 2014, n° 13-16.968).

En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable au travail, sauf pour celui qui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail.

Il est admis que des troubles psychiques peuvent caractériser un accident du travail, si leur apparition est brutale et liée au travail, même si la lésion n'est pas constatée le jour des faits.

En l'espèce, la présomption d'imputabilité ne peut jouer dans la mesure où l'assuré ne rapporte pas la preuve que l'accident s'est déroulé au lieu et au temps du travail et qu'une lésion s'est produite à cette occasion.

En premier lieu, les liens contractuels entre l'assuré, son employeur et l'entreprise utilisatrice ne sont pas en cause. Toutefois, le seul fait que le 3 octobre 2015, l'assuré était chargé de visiter deux magasins pour le compte de la société utilisatrice n'établit pas pour autant que l'assuré était au lieu et à l'heure de l'accident qu'il invoque, étant rappelé qu'il s'agit du véhicule de ses parents, conduit par son père.

En deuxième lieu, il convient de relever que la déclaration d'accident du travail a été établie par la société [18] le 9 octobre 2015 et reçue par la caisse le 11 mai 2016 comme en atteste le tampon figurant sur le document. Cette déclaration faisait état du fait accidentel en ces termes : « 3 octobre à 19h15, feu rouge, [Adresse 5] à [Localité 12], lieu de travail occasionnel, [l'assuré] était en train de rejoindre son 2e lieu de mission d'intérim, selon le salarié son véhicule aurait été attaqué par 2 individus, voir procès-verbal de police ci-joint, siège des lésions : non précisé, accident connu à 09h39 le 5 octobre 2015 par l'employeur, absence d'autres victimes, sans arrêt de travail, rapport de police établi, accident causé par un tiers. »

Pour tenter d'établir la matérialité de l'accident, l'assuré produit un procès-verbal de plainte pénale dressé le 3 octobre 2015 à 21h50 évoquant une agression qui aurait été commise à 19h15-19h30 au [Adresse 4] à [Localité 12]. Ce procès-verbal a été dressé sur les déclarations de [J] [B], père de l'assuré, qui évoque un vol à la portière commis par deux individus à son détriment alors qu'il était dans son véhicule avec son épouse, sans jamais mentionner la présence de son fils, et étant précisé que son épouse était restée avec une fonctionnaire de police pour recevoir des premiers soins.

L'assuré complète ce procès-verbal de plainte par les attestations de ses parents qui se présentent comme les victimes des deux agresseurs, à savoir [I] [O]-[B] et [J] [B] Ces attestations ont été rédigées en serbe le 20 mars 2017 et traduites en français par un traducteur non identifié. Il ressort de ces attestations que l'assuré serait resté dans le véhicule sur le parking pendant que son père et sa mère étaient au commissariat pour faire leur déposition et que c'est la raison pour laquelle il n'aurait pas été mentionné dans le procès-verbal. Toutefois, même si l'assuré était resté dans le véhicule sur le parking pendant que ses parents déposaient une plainte, rien n'empêchait ses parents d'indiquer qu'il était présent dans le véhicule pendant l'agression. Ensuite, la difficile maîtrise de la langue française par les intéressés ne paraît pas pouvoir expliquer cette absence de déclaration. En effet, outre que le procès-verbal a été signé par le père de l'assuré « après lecture faite par [lui]-même », il n'est pas mentionné que [J] [B], fonctionnaire de l'ambassade serbe à [Localité 8], ne comprenait pas et ne lisait pas le français. De surcroît, si le fils de l'intéressé n'apparaît pas dans le procès-verbal, [J] [B] a pu désigner un témoin de la scène, [C] [U], et donner son numéro de téléphone mobile en affirmant que ce dernier lui avait indiqué la direction de fuite des individus, ce qui apparaît peu compatible avec une méconnaissance de la langue française.

Il s'ensuit que la présence de l'assuré dans le véhicule au moment de l'agression dénoncée n'est pas établie autrement que par ses propres déclarations et celles de ses parents, postérieures, et en contradiction avec le procès-verbal de plainte.

En troisième lieu, la cour relève qu'aucun certificat médical initial n'a été produit par l'assuré auprès de la caisse comme de son employeur dans un temps proche de l'accident allégué. La caisse a classé sans suite le dossier pour ce motif. À la suite de la contestation de l'assuré, la commission de recours amiable de la caisse a confirmé le classement du dossier dans la mesure où le certificat médical initial n'avait toujours pas été produit. En cours de procédure, par lettre du 2 mai 2018, reçue le 4 mai 2018 par la caisse, l'assuré a produit un certificat médical initial, avec ses volets 1 et 2, établi par un médecin généraliste le 5 octobre 2015, lequel mentionnait au titre des constatations détaillées : « Peur, angoisses aiguës génératrices d'insomnies et de bouffées anxieuses et de remémorations de l'agression. » Ce certificat du 5 octobre 2015 ne prescrivait aucun arrêt de travail mais constatait que l'assuré était resté au domicile pendant le week-end du 3 et 4 octobre 2015. En outre, ce certificat médical initial indiquait la consolidation avec séquelles au

5 octobre 2015, avec la mention « verra le psychiatre ».

Ainsi, le certificat médical a été communiqué à la caisse avec ses volets 1 et 2 deux ans après les faits. Autrement dit, le certificat médical initial a été adressé à la caisse avec les volets devant être conservés par le médecin à la limite de la prescription.

En outre, la lésion qui serait en lien avec l'accident tel qu'il a été déclaré n'a été constatée, selon le certificat médical produit, que deux jours après les faits et « consolidée » dès sa constatation avec renvoi devant une psychiatre, renvoi qui ne sera jamais justifié.

En effet, l'assuré produisait également une attestation établie par un psychologue de l'association [16], le 12 mai 2016, dans laquelle ce professionnel indiquait avoir reçu à quatre reprises l'assuré, dont il ne donne que le patronyme et non le prénom, et que ce dernier présentait les signes cliniques d'un syndrome psycho-traumatique se manifestant par : des reviviscences traumatiques accompagnées d'une angoisse massive avec un vif sentiment d'insécurité et de l'hyper-vigilance ; des troubles du sommeil (insomnie) accompagnés de cauchemars à répétition ; des troubles de l'appétit. Ce psychologue indiquait également que, bien qu'atténués, les troubles nécessitaient encore la poursuite d'une prise en charge psychologique. Cependant, ce psychologue ne faisait pas état d'une quelconque agression et en particulier de l'agression sur ses parents perpétrée 8 mois auparavant.

Aucune des pièces présentées, contemporaines des faits, ne permet d'établir un lien médical entre l'apparition de la lésion psychologique et l'agression dénoncée par les parents de l'assuré et dont il allègue également avoir été la victime.

La preuve n'est donc pas rapportée qu'une lésion serait survenue au temps et au lieu de travail et qu'il serait en tout état de cause survenu un syndrome psycho-traumatique dans les mêmes circonstances de temps et de lieu.

L'assuré ne démontre donc pas la survenance d'un accident du travail le 3 octobre 2015.

Dans ces conditions, en l'absence d'accident du travail, la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ainsi que la demande de réparation du préjudice allégué, ne sauraient prospérer.

Le jugement déféré sera donc intégralement confirmé.

Enfin, les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, sur lesquelles la société [11] fonde sa demande de condamnation de l'assuré à une amende civile, ne peuvent être mises en 'uvre que de la propre initiative du juge saisi. Comme cela a été soulevé d'office à l'audience, cette demande de la société [11] est irrecevable. Par ailleurs, aucun élément du dossier ne justifie que la juridiction prononce de sa propre initiative une amende civile.

L'assuré qui succombe, sera condamné aux dépens qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière d'aide juridictionnelle. Les demandes au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

DÉCLARE recevable l'appel de [L] [R] ;

CONFIRME le jugement rendu le 21 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Paris ;

DÉBOUTE [L] [R] de l'intégralité de ses demandes ;

DÉCLARE irrecevable la demande de la S.A.R.L. [11] fondée sur les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la S.A.S. [18] Inhouse, nom d'enseigne [18], la S.A.R.L. [11] et [L] [R] de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [L] [R] aux dépens qui seront recouvrés en application des règles de l'aide juridictionnelle.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/08903
Date de la décision : 08/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-08;19.08903 ?
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