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07/03/2024 | FRANCE | N°23/12900

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 07 mars 2024, 23/12900


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 07 MARS 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/12900 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIBAW



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 30 Juin 2023 -Président du TJ de PARIS - RG n° 23/52393





APPELANTES



S.A.R.L. HOPITAL PRIVE DE [12], RCS de Meaux sous le n°746 9

51 292, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 15]

[Adresse 15]



S.A. AXA FRANCE IARD, RCS de Nanterre sous le n°722 057...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 07 MARS 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/12900 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIBAW

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 30 Juin 2023 -Président du TJ de PARIS - RG n° 23/52393

APPELANTES

S.A.R.L. HOPITAL PRIVE DE [12], RCS de Meaux sous le n°746 951 292, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 15]

[Adresse 15]

S.A. AXA FRANCE IARD, RCS de Nanterre sous le n°722 057 460, en qualité d'assureur de la responsabilité civile professionnelle de l'Hôpital privé de [12]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Ayant pour avocat postulant Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Représentées à l'audience par Me Aurélie EUSTACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0456

INTIMÉS

M. [K] [W]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

M. [P] [W], en sa qualité d'ayant-droit de M. [L] [W], décédé le [Date décès 1] 2023

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Mme [U] [W]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

M. [R] [W]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentés par Me Léa PEREZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0174

ASSISTANCE PUBLIQUE - HOPITAUX DE [Localité 13] (AP-HP) HÔPITAL [10]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Ayant pour avocat postulant Me Gilles CARIOU de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141

Représentée à l'audience par Me Mélodie MICHELOU, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 11]

[Adresse 14]

[Adresse 14]

Défaillante, déclaration d'appel signifiée le 23.09.2023 à étude d'huissier

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 1er Février 2024, en audience publique, Laurent NAJEM, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Sonia DAIRAIN

ARRÊT :

- DEFAUT

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [J] [W], alors âgé de 52 ans et souffrant de sclérose en plaques, a été admis à l'Hôpital privé de [12] le 21 juillet 2020 pour suspicion de poussée de sclérose en plaque. Le 30 juillet 2020, M. [J] [W] a chuté de sa fenêtre ouverte du 4ème étage. Le bilan lésionnel mentionne qu'il est conscient mais présente de multiples lésions orthopédiques avec fractures ouvertes des deux membres inférieurs et du bras gauche. Il est transféré à l'Hôpital [10] et en est sorti le 6 septembre 2020. M. [J] [W] est décédé le [Date décès 2] 2020.

Par actes des 28 février, 1er et 6 mars 2023, M. [L] [W], M. [K] [W], Mme [U] [W] et M. [R] [W] ont fait assigner l'Hôpital privé de [12], la société Axa France Iard (son assureur), l'Hôpital [10] et la CPAM de [Localité 16] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de, notamment :

obtenir la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

condamner in solidum l'Hôpital privé de [12], la société Axa France Iard à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de provision valoir sur le préjudice corporel de M. [J] [W] et sur leur préjudice moral.

Par ordonnance réputée contradictoire du 30 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, a :

donné acte des protestations et réserves formulées en défense ;

ordonné une expertise ;

commis pour y procéder

Roland AMATHIEU

(')

Lequel pourra s'adjoindre, si nécessaire, tout sapiteur de son choix, d'une spécialité distincte de la sienne, après avoir avisé les conseils des parties ;

donné à l'expert la mission suivante :

I. Sur les responsabilités éventuellement encourues :

- interroger la partie demanderesse et recueillir les observations du ou des défendeur(s) ;

- reconstituer l'ensemble des faits ayant conduit à la présente procédure ;

- procéder à l'examen du dossier médical et toutes autres pièces produites par les parties concernant [J] [W] ;

- établir l'état médical de M. [J] [W] avant son hospitalisation au sein de l'Hôpital Privé de [12] et après les actes critiqués et consigner les doléances présentées par ses ayant-droits ;

- donner tous éléments sur la forme et le contenu de l'information donnée au patient, notamment quant aux risques courus, en précisant, en cas de survenue de tels risques, quelles auraient été les possibilités et les conséquences pour le patient de se soustraire aux soins en cause ;

- décrire tous les soins dispensés, investigations et actes annexes qui ont été réalisés et préciser dans quelles structures et, dans la mesure du possible, par qui ils ont été pratiqués ;

- dire si les actes, soins et traitements ont été attentifs, diligents et conformes à l'état des connaissances médicales à l'époque où ils ont été pratiqués :

' lors de l'établissement du diagnostic,

' dans le choix du traitement et sa réalisation,

' au cours de la surveillance du patient et de son suivi,

' dans l'organisation du service et de son fonctionnement, en précisant si les moyens en personnel et en matériel mis en 'uvre au moment de la réalisation des actes critiqués correspondaient aux obligations prescrites en matière de sécurité ;

- dans la négative, analyser, de façon motivée, la nature des erreurs, imprudence, manque de précautions, négligences [pré, per ou post-opératoires], maladresses ou autres défaillances relevées, et le cas échéant, préciser à quel(s) intervenant(s) elles sont imputables ;

- dire si les lésions et/ou séquelles constatées sont directement imputables aux soins et traitements critiqués et aux éventuels manquements relevés, en précisant l'incidence éventuelle de l'état antérieur ; le cas échéant, dire si ces manquements ont été à l'origine d'une perte de chance et, en ce cas, la chiffrer (en pourcentage) ;

- dire si les dommages survenus et leurs conséquences étaient probables, au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état ; évaluer, le cas échéant, le taux de risque opératoire, en tenant compte de l'état de santé du patient à la date de l'acte en cause et des circonstances ;

- dire ce qu'aurait été de manière probable, à court et moyen terme, l'état du patient en cas d'abstention thérapeutique et si l'état de santé du patient à la suite du dommage survenu est notablement plus grave que l'état ainsi reconstitué ;

- déterminer les causes précises du décès de [J] [W] ;

En cas d'infection présentée par le patient :

- dire à quelle date ont été constatés les premiers signes, dans quel lieu et conditions, à quelle période a été porté le diagnostic et en préciser les signes cliniques ; préciser les moyens du diagnostic (éléments cliniques, para-cliniques, biologiques) ; dire quels sont les types de germes identifiés et à quelle date ont été mises en 'uvre les thérapies ;

- rechercher l'origine de l'infection, si elle a pour origine une cause extérieure et étrangère au(x) lieu(x) où a (ont) été dispensés les soins, quelles sont les autres causes possibles de cette infection et s'il s'agit de l'aggravation d'une infection en cours ou ayant existé ;

- préciser :

' si toutes les précautions ont été prises en ce qui concerne les mesures d'hygiène prescrites par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ; dans la négative, dire quelle norme n'a pas été appliquée,

' si le patient présentait des facteurs de vulnérabilité susceptibles de contribuer à la survenue et au développement de cette infection,

' si cette infection aurait pu survenir de toute façon en dehors de tout séjour dans une structure réalisant des actes de soins, de diagnostic ou de prévention,

' si la pathologie, ayant justifié l'hospitalisation initiale ou les thérapeutiques mises en 'uvre, est susceptible de complications infectieuses ; dans l'affirmative, en préciser la nature, la fréquence et les conséquences,

' si le diagnostic et le traitement de cette infection ont été conduits conformément à l'état des connaissances médicales à l'époque où ils ont été dispensés ;

- en cas de réponse négative à cette dernière question, faire la part entre les conséquences de l'infection stricto sensu et les conséquences du retard de diagnostic et de traitement ;

II - Sur les préjudices :

Même en l'absence de toute faute des défendeurs et en ne retenant pas les éléments du préjudice corporel se rattachant soit aux suites normales des soins, soit à l'état antérieur, l'expert devra déterminer les différents postes du préjudice corporel, avant le décès de M. [J] [W] comme suit :

- les dépenses de santé actuelles,

- les pertes de gains professionnels actuels : indiquer les périodes

pendant lesquelles la partie demanderesse a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle, et en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée, préciser la durée des arrêts de travail retenus par l'organisme social au vu des justificatifs produits (ex : décomptes de l'organisme de sécurité sociale), et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait dommageable ;

- le déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la partie demanderesse a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles et en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;

- les souffrances endurées physiques ou psychiques (les évaluer sur une échelle de 1 à 7),

- le préjudice esthétique temporaire (l'évaluer sur une échelle de 1 à 7),

- le préjudice sexuel temporaire,

- le besoin en tierce personne temporaire : se prononcer sur la nécessité pour M. [J] [W] d'être assisté(e) par une tierce personne avant son décès ; dans l'affirmative, préciser si cette tierce personne a dû ou non être spécialisée, ses attributions exactes ainsi que les durées respectives d'intervention de l'assistant spécialisé et de l'assistant non spécialisé ; donner à cet égard toutes précisions utiles ;

- le préjudice d'angoisse de mort imminente,

III - Organisation de l'expertise :

Dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des articles 232 248, 263 284-1 du code de procédure civile ;

Dit que l'exécution de l'expertise est placée sous le contrôle du juge spécialement désigné cette fin, en application des articles 155 et 155-1 de ce code ;

a) Les pièces

Enjoint aux parties de remettre à l'expert :

- s'agissant de la partie demanderesse, immédiatement toutes pièces médicales ou para-médicales utiles à l'accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificats de consolidation, documents d'imagerie médicale, compte-rendus opératoires et d'examen, expertises amiable ou judiciaires précédentes,

- s'agissant de la partie défenderesse, aussitôt que possible et au plus tard 15 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sauf opposition expresse de la partie demanderesse sur leur divulgation ;

Dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état ;

Dit que, toutefois, il pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la partie demanderesse, par tous tiers (médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins) toutes pi ces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;

Dit que l'expert s'assurera, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pi ces qui lui sont remises, dans un délai permettant leur étude, conformément au principe de la contradiction ; que les documents d'imagerie médicale pertinents seront analysées de façon contradictoire lors des réunions d'expertise ; que les pi ces seront numérotées en continu et accompagnées d'un bordereau récapitulatif ;

(')

Dit que l'original du rapport définitif (un exemplaire) sera déposé au greffe du tribunal judiciaire de Paris, service du contrôle des expertises, et que l'expert en adressera un exemplaire aux parties et leur conseil avant le 30 juin 2024, sauf prorogation expresse ;

g) La consignation, la caducité

fixé à la somme de 2 000 euros le montant de la provision valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par M. [K] [W], M. [L] [W], Mme [U] [W] et M. [R] [W] à la Régie d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris au plus tard le 29 septembre 2023 ;

dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai impératif ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l'expert sera caduque ;

rejeté la demande en paiement d'une provision formée par M. [K] [W], M. [L] [W], Mme [U] [W] et M. [R] [W] ;

rejeté la demande formée par M. [K] [W], M. [L] [W], Mme [U] [W] et M. [R] [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile  ;

laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

déclaré la présente ordonnance opposable à la CPAM de Seine-et-Marne ;

rappelé que la présente ordonnance est exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration du 18 juillet 2023, l'Hôpital privé de [12] et la société Axa France Iard ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 5 janvier 2024, la SARL Hôpital privé de [12] et la société Axa France Iard demandent à la cour de :

réformer partiellement l'ordonnance de référé du 30 juin 2023 en ce qu'elle les a enjoint de remettre à l'expert «aussitôt que possible et au plus tard 15 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sauf opposition expresse de la partie demanderesse sur leur divulgation» ;

donné pour mission à l'expert de déterminer, parmi les différents postes du préjudice corporel un préjudice sexuel temporaire et un préjudice d'angoisse de mort imminente.

Statuant à nouveau :

enjoindre à la partie défenderesse de remettre aussitôt que possible et au plus tard 15 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse sans que le secret médical puisse lui être opposé ;

supprimer la demande faite à l'expert de déterminer le préjudice sexuel temporaire ;

supprimer la demande faite à l'expert de déterminer un préjudice d'angoisse de mort imminente ;

confirmer les dispositions de l'ordonnance pour le surplus ;

statuer ce que de droit sur les dépens.

Elles font valoir qu'aux termes de la mission dans l'ordonnance déférée, le défendeur, dont la responsabilité est recherchée, peut être empêché de communiquer les pièces médicales qui seraient pourtant indispensables au bon déroulement des opérations d'expertise ; que le secret médical est susceptible d'entrer en conflit avec le principe à valeur constitutionnel garantissant les droits de la défense qui est édicté par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Elles soulignent que la jurisprudence est garante de ce principe fondamental.

Elles soutiennent que la condition posée par le juge des référés contraint la partie défenderesse à s'assurer de l'absence d'opposition de la partie demanderesse dans la communication de ces documents, ce qui conduit à solliciter un accord ; que le droit à la protection du secret médical ne saurait être opposé par le patient aux droits de la défense du professionnel de santé dont l'appréciation de l'éventuelle responsabilité repose nécessairement sur l'analyse de documents de nature médicale.

Elles considèrent que le libellé de la mission porte donc atteinte aux droits du professionnel de santé.

Elles allèguent par ailleurs qu'il n'est pas justifié de demander à l'expert d'évaluer distinctement le déficit fonctionnel temporaire et le préjudice sexuel temporaire, le second étant déjà inclus dans le premier.

Elles font valoir que l'expert ne peut se prononcer sur que des éléments objectifs et ne peut avoir à sa prononcer sur une question aussi peu précise et subjective que celle relative à l'évaluation d'un préjudice d'angoisse de mort imminente. Elles soutiennent que l'existence d'un tel préjudice relève de l'office du juge.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 22 novembre 2023, M. [K] [W], M. [P] [W] ayant-droit de [L] [W], Mme [U] [W] et M. [R] [W] demandent, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, à la cour de :

confirmer l'ordonnance rendue le 30 juin 2023 en toutes ses dispositions ;

débouter l'Hôpital privé de [12] et la société Axa France Iard de l'ensemble de leurs demandes en toutes fins qu'elles comportent ;

condamner in solidum l'Hôpital privé de [12] et la société Axa France Iard au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les consorts [W] précisent que M. [L] [W] est décédé le [Date décès 7] 2023 et que la procédure est poursuivie par son fils, M. [P] [W].

Ils font valoir que l'expert est tout à fait compétent pour déterminer s'il existait ou non un préjudice d'angoisse de mort imminente ; que la Cour de cassation a confirmé l'autonomie de ce préjudice et la liste d'éléments cumulatifs permettant d'en caractériser la réalité.

Ils soulignent que l'expert devra déterminer s'il existe ou pas un préjudice sexuel temporaire qu'il inclura dans l'évaluation du DFT de sorte que ce poste ne fera pas l'objet d'une double indemnisation.

Ils s'en rapportent s'agissant de la communication du dossier médical telle que formulée par les appelantes.

Dans les conclusions notifiées par voie électronique le 26 décembre 2023, l'AP-HP (Hôpital [10]) demande à la cour de :

Recevoir L'AP-HP (Hôpital [10]) en ses écritures et l'y dire bien fondée ;

- Réformer partiellement l'ordonnance de référé en date du 30 juin 2023 en ce qu'elle a :

Enjoint à la partie défenderesse de remettre à l'Expert « aussitôt que possible et au plus tard 15 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sauf opposition expresse de la partie demanderesse sur leur divulgation » ;

Donné pour mission à l'Expert de déterminer, parmi les différents postes du préjudice corporel, un préjudice sexuel temporaire ;

Statuant à nouveau

- Enjoindre à la partie défenderesse de remettre à l'Expert aussitôt que possible et au plus tard 15 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sans que le secret médical puisse lui être opposé ;

- Supprimer la demande faite à l'Expert de déterminer le préjudice sexuel temporaire de M. [W] ;

- Confirmer les dispositions de l'ordonnance rendue le 30 juin 2023 pour le surplus ;

- Débouter toutes les parties de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Statuer ce que de droit sur les dépens.

L'AP-HP fait valoir qu'en mettant en tension le secret médical et les droits de la défense, le juge des référés porte atteinte au procès équitable ; qu'il est contraire au droit de la défense de permettre au demandeur de s'opposer à ce qu'un défendeur puisse produire de son propre chef des documents médicaux qui seraient utiles au bon déroulement des opération d'expertise et à sa défense. Elle considère que s'opposer à une telle communication vide de sens une action en justice intentée dans le but de déterminer une éventuelle responsabilité.

S'agissant du préjudice sexuel temporaire, elle soutient que le déficit fonctionnel temporaire comprend à la fois la gêne dans les actes de la vie courante, les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice sexuel temporaire, de sorte que la Cour de cassation a jugé qu'il n'y avait pas lieu à distinction.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

L'Hôpital privé de [12] et la société Axa France Iard ont fait signifier leurs conclusions le 30 octobre 2023 à la CPAM de [Localité 16].

Cette dernière n'a pas constitué avocat.

SUR CE,

Sur les conditions de remise des documents

L'article L.1110-4 du code de la santé publique dispose, notamment, que « toute personne prise en charge par un professionnel de santé (...) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne, venues à la connaissance du professionnel (...). Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. (...) La personne est dûment informée de son droit d'exercer une opposition à l'échange et au partage d'informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment. Le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende (...) ».

Aux termes de l'article R.4127-4 du même code : « le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.

Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ».

Le caractère absolu de ce secret destiné à protéger les intérêts du patient, qui souffre certaines dérogations limitativement prévues par la loi, peut entrer en conflit avec le principe fondamental à valeur constitutionnelle des droits de la défense, étant rappelé que constitue une atteinte au principe d'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'éléments de fait indispensables pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions.

En l'espèce, en soumettant la production de pièces médicales par les défendeurs, dont la responsabilité est susceptible d'être ultérieurement recherchée, à l'absence d'opposition de l'autre partie au litige, et dès lors, à la volonté discrétionnaire de cette dernière alors que ces pièces sont indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction et, par suite, à la manifestation de la vérité, l'ordonnance entreprise a porté atteinte aux droits de la défense des appelants et de l'AP-HP.

Cette atteinte est excessive et disproportionnée, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce que l'une des parties au litige peut être empêchée, par l'autre, de produire les pièces nécessaires au bon déroulement des opérations d'expertise et à sa défense.

En outre, la cour observe que si les consorts [W] s'en rapportent sur ce point, ils ne manifestent pas un accord exprès de sorte qu'une opposition de leur part serait toujours possible pendant le cours des opérations d'expertise, si cette faculté d'opposition était maintenue.

Il y a lieu dès lors d'infirmer la décision entreprise de ce chef, il sera précisé que le secret médical ne pourra pas être opposé aux défendeurs s'agissant de la production de pièces.

Sur le préjudice sexuel temporaire

Le déficit fonctionnel temporaire inclut le préjudice sexuel temporaire (Cass. 2e civ., 11 déc. 2014, n° 13-28.774 : JurisData n° 2014-030686) ; il en résulte que ce préjudice ne pourra pas être indemnisé de manière autonome.

Cependant, au titre des chefs de mission, le fait de viser expressément cette composante du déficit fonctionnel temporaire permet de parfaitement prendre en compte cet aspect, susceptible d'influer sur l'appréciation exhaustive du déficit fonctionnel temporaire.

Cette précision est par conséquent pertinente et il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a visé le préjudice sexuel temporaire.

Sur le préjudice d'angoisse de mort imminente

L'angoisse d'une mort imminente se distingue du poste des « souffrances endurées », lesquelles sont définies par la « nomenclature Dintilhac » comme toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est à dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation.

(Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624 et 20-17.072, FB+R : JurisData n° 2022-004390)

Il existe sur ce point des critères suffisamment précis liés à l'état de conscience de l'intéressé, en se fondant sur les circonstances de son décès, lorsqu'il est demeuré, entre la survenance du dommage et sa mort, suffisamment conscient pour avoir conscience du caractère inéluctable de sa propre fin. Tous éléments que l'expert judiciaire est en mesure d'éclairer.

Le caractère spécifique de ce préjudice et le principe de la réparation intégrale justifient le chef de mission sur ce point.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a fait droit à cette demande.

Sur les autres demandes

Les dispositions au titre des dépens de l'ordonnance déférée ne sont pas critiquées.

A hauteur d'appel, chacune des parties conservera la charge des dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions ayant limité la production des pièces par les défendeurs ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Dit que les défendeurs devront remettre à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 15 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sans que puisse leur être opposé le secret médical ;

Confirme la décision entreprise pour le surplus des dispositions déférées ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/12900
Date de la décision : 07/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-07;23.12900 ?
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