RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 07 Juillet 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/00421 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7AXH
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Novembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 17/00779
APPELANT
Monsieur [N] [I]
[Adresse 9]
[Localité 8]
représenté par Me Franck ASTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0487 substitué par Me Charlotte BOURGALET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0487
INTIMEES
Société [14]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Fernando RANDAZZO, avocat au barreau de PARIS, toque : B1054
CPAM DES YVELINES
[Localité 7]
représenté par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS, toque : R295
SA [12] ([12])
[Adresse 16]'
[Adresse 16]
[Localité 10]
représentée par Me Nicolas MENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1423
[13]
[Adresse 16]'
[Adresse 16]
[Localité 10]
représentée par Me Nicolas MENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1423
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Mai 2023, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre, et de Monsieur Gilles BUFFET, conseiller, chargés du rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Madame Natacha PINOY, Conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre et Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par M. [N] [I] d'un jugement rendu le 13 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, dans un litige l'opposant aux sociétés [13], [12] et [14], en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que, le 18 décembre 2015 à 00 heures 20, M. [N] [I] (l'assuré), agent de service de sécurité incendie, a été victime d'un accident du travail ; qu'une déclaration d'accident du travail a été souscrite le 18 décembre 2015 par la société [12] ; que les circonstances de l'accident mentionnent : 'En poste. Il est tombé d'un escabeau lors d'un réarmement manuel de CCF au 6ème étage' ; que le certificat médical initial établi le même jour indique : ' fracture des deux coudes', un arrêt de travail étant prescrit ; que, par décision du 30 décembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels ; que l'état de santé de la victime a été déclaré consolidé le 23 septembre 2017, un taux d'incapacité permanente de 8% lui ayant été attribué ; que, sur recours de l'assuré, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Paris a, par jugement du 2 octobre 2018, confirmé la décision de la caisse sur le taux de l'incapacité permanente ; que l'assuré a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d'une action tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de la société [12], en qualité d'employeur, et subsidiairement de la société [14] si le tribunal venait à considérer que cette société s'était substituée dans les obligations de la société [12] en qualité de nouvel employeur.
Par jugement du 13 novembre 2018, le tribunal a déclaré recevable et bien fondée la demande de mise hors de cause de la société [13], déclaré l'assuré mal fondé en son recours tant à l'égard de la société [14], son employeur depuis le 30 décembre 2015, qu'à l'égard de la société [12], son employeur jusqu'au 29 décembre 2015 lors de la survenance de l'accident, débouté l'assuré de l'ensemble de ses demandes, déclaré le jugement opposable à la caisse et débouté l'assuré et la société [12] de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement a été notifié à l'assuré le 5 décembre 2018, lequel en a interjeté appel par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 3 janvier 2019.
Aux termes de ses conclusions visées à l'audience auxquelles son avocat se réfère, l'assuré demande à la cour de :
- débouter la société [12] de l'intégralité de ses demandes,
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
- déclarer l'assuré recevable et bien fondé en ses demandes,
en conséquence,
- déclarer l'accident du travail dont a été victime l'assuré le 18 décembre 2015 imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [12],
- condamner la société [12], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à communiquer les coordonnées de son assureur tenu de garantir la faute inexcusable,
- fixer d'ores et déjà au maximum la majoration de l'indemnité en capital attribuée à l'assuré par la caisse,
- avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 Q P C du 18 juin 2010, ordonner la désignation d'un expert spécialisé en orthopédie, avec mission habituelle,
- condamner la caisse à verser à l'assuré la somme de 4.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices,
- dire que la caisse pourra en récupérer le montant auprès de la société [12],
- condamner la société [12] à payer à l'assuré la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Aux termes de leurs conclusions visées à l'audience et auxquelles leur avocat se réfère, les sociétés [13] et [12] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'assuré de ses demandes faute de caractérisation d'une faute inexcusable de son employeur,
en toute hypothèse,
à titre liminaire :
- confirmer la mise hors de cause de la société [13], laquelle n'a jamais eu de lien contractuel avec l'assuré,
- déclarer la société [14] seul employeur de l'assuré à compter du 30 décembre 2015 et la dire seule responsable des conditions de travail du salarié, et des éventuels manquements commis par cette société à compter de cette date et de leurs conséquences,
à titre principal :
- constater l'absence de faute inexcusable de la société [12] à l'origine de l'accident survenu le 18 décembre 2015,
en conséquence,
- débouter l'assuré de ses demandes de majoration du capital/rente et d'expertise formulée aux fins d'évaluation des préjudices et plus largement de l'ensemble de ses demandes,
- débouter l'assuré de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'assuré à verser à la société [12] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
à titre subsidiaire :
- débouter l'assuré de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 4.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices,
- laisser les dépens et les frais d'expertise à la charge de l'assuré,
- débouter l'assuré de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions visées à l'audience et auxquelles son avocat se réfère, la société [14] demande à la cour de :
- déclarer recevables et bien fondées ses conclusions,
- confirmer le jugement dont appel,
- dire et juger irrecevable et mal fondée la demande dirigée contre la société [14] qui n'était pas l'employeur de l'assuré au moment de l'accident du travail déclaré,
- dire et juger que la société [14] n'a pas repris les obligations à la charge de la société [12] lors de la reprise du marché de la [Adresse 17] s'agissant de sa responsabilité pour faute,
- débouter la société [12] de l'ensemble de ses demandes à l'égard de la société [14],
à titre subsidiaire,
- constater que l'assuré ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la faute inexcusable alléguée,
- débouter l'assuré de l'ensemble de ses demandes à l'égard de la société [14],
à titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que la faute inexcusable, si elle devait être retenue, a été commise par la société [12],
- condamner la société [12] à garantir la société [14] de toutes les conséquences financières qui résulteraient de la reconnaissance de la faute inexcusable (majoration de la rente ainsi que tous les préjudices quels qu'ils soient, énumérés ou non par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale) tant en principal qu'en intérêts et frais y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience et auxquelles son avocat se réfère, la caisse demande à la cour de :
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice, tant sur le mérite de la demande de l'assuré en déclaration de faute inexcusable que sur sa demande au titre de la majoration de rente,
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur l'évaluation des préjudices prévus à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,
- évaluer, s'il y a lieu, les préjudices complémentaires à leur juste proportion, en excluant les chefs de préjudices dont la réparation est assurée, en tout ou partie, par les prestations servies au titre du livre IV du code de la sécurité sociale,
- dire que la réparation de ces préjudices est versée directement à l'assuré par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur.
En application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées le 11 mai 2023 pour plus ample exposé des moyens développés.
SUR CE :
- Sur la mise hors de cause de la société [13] :
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de la société [13] tendant à sa mise hors de cause, les parties ne contestant pas qu'il n'y a pas eu de contrat de travail entre elle et l'assuré.
- Sur la situation de la société [14] :
Le tribunal a retenu que la société [14] n'avait pas la qualité d'employeur de l'assuré lorsque l'accident est survenu le 18 décembre 2015. La société [12] fait valoir, de manière sibylline et sans en tirer une quelconque conséquence utile dans le cadre du présent litige, que le contrat de travail la liant avec l'assuré a été transféré, par avenant au contrat de travail signé le 16 décembre 2015, à la société [14] et que la société [12] 'ne saurait être tenue responsable ni des conditions de travail de M. [I] connues dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail signé le 16 décembre 2015, ni des éventuels manquements commis par la société [14], ni des conséquences financières de cette exécution de travail et de ces manquements, ni leurs conséquence sur l'état de santé du salarié qui en serait éventuellement dégradé.'
Il est observé que la société [12] reconnaît expressément dans ses écritures que seule la société [14] pourrait être responsable des événements intervenus à compter du 30 décembre 2015 lors de l'exécution du contrat de travail de l'assuré. Ainsi que le relève à juste titre le tribunal, l'avenant de reprise au contrat de travail conclu le 16 décembre 2015 entre la société [14] et l'assuré (pièce assuré n°1) stipule que cette société n'embauchera l'assuré qu'à compter du 30 décembre 2015 ; que l'accident du travail est survenu le 18 décembre 2015 alors que l'assuré se trouvait encore sous la subordination de la société [12], le contrat de travail le liant à cette société étant toujours effectif ; qu'enfin, la société [12] a spontanément rempli la déclaration d'accident du travail en qualité d'employeur.
Aussi, seule la société [12], peut être responsable des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur invoquée par l'assuré.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré l'assuré mal fondé en ses demandes contre la société [14], étant précisé que l'assuré ne forme plus à hauteur d'appel de prétentions contre cette société.
- Sur la faute inexcusable :
Le tribunal a considéré, au regard des pièces communiquées par l'assuré, qu'il ne rapportait pas la preuve de la conscience d'un danger de la part de son employeur tandis qu'il ne démontrait pas que l'utilisation de l'escabeau ou l'échelle qu'il avait pratiqué depuis trois ans ait été à l'origine d'un accident ou d'alertes particulières antérieures formées auprès de l'employeur, de sorte que l'assuré n'établit pas la violation d'une obligation de sécurité par son employeur, tandis qu'aucun élément ne permet de caractériser qu'au mépris des règles de sécurité, la société aurait mis en danger son salarié ou aurait pu éviter cette mise en danger éventuelle.
L'assuré soutient qu'alors que, le 18 décembre 2015, il procédait, à la demande de son employeur, aux essais d'asservissement nécessitant ensuite le réarmement manuel du clapet auto-commandé installé sous les plaques de faux plafond à plus de deux mètres de hauteur, l'employeur n'a fourni à son salarié aucun plan de travail répondant aux dispositions des articles R.4353-58 et R.4353-59 du code du travail ; que l'usage d'une échelle est par principe prohibée par l'article R.4353-63 du code du travail et ne pouvait être qu'exceptionnellement utilisée lorsqu'il existait une impossibilité technique de recourir à un plan de travail ou lorsque l'évaluation du risque a établi que le risque est faible et qu'il s'agissait de travaux de courte durée ne présentant pas de caractère répétitif ; que la configuration des lieux visible sur les photographies versées aux débats ne fait apparaître aucune impossibilité technique de recourir à un plan de travail sécurisé ; que, pourtant, aucun équipement de travail alternatif approprié, prioritairement assurant une protection collective des salariés travaillant en hauteur, n'était mise à disposition par la société [12], tel qu'un garde-corps provisoire ou des dispositifs de recueil souples ; que la mise à disposition d'une échelle ou d'un escabeau, même à supposer qu'ils ne présenteraient pas de caractère de dangerosité, n'est pas conforme à la réglementation en vigueur; qu'il résulte du document unique d'évaluation des risques que le risque de chute en cas de contrôle et de vérification des installations techniques est évalué à 9/16, soit un risque élevé; que la société [12] ne pouvait donc recourir à l'utilisation d'une échelle pour procéder au réarmement des clapets auto-commandés et ce d'autant qu'il s'agissait de travaux ayant un caractère répétitif, le réarmement des DAS (clapets/volets) se faisant manuellement et de façon récurrente ; que la société [12] a violé les dispositions des articles R.4353-58 et R.4353-59 et R.4353-63 du code du travail en ne mettant à disposition de son salarié qu'une simple échelle pourtant prohibée par ce type de travail et ne présentant pas la sécurité suffisante pour la réalisation d'un travail dont le risque a été considéré comme élevé par la société ; que la société n'a pas mis en oeuvre les mesures réglementaires nécessaires pour éviter d'exposer son salarié à une chute de 2 mètres 50 alors qu'elle savait que ce travail présentait un risque de chute très important et avait donc nécessairement conscience ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié ; que le plan de prévention des risques établi le 26 mars 2015 entre la société [11], utilisatrice de la [Adresse 17], et la société [12], ne prévoit aucune mesure de prévention pour les travaux en hauteur bien que la colonne T signifiant application totale des mesures de prévention a été cochée ; que la société [12] exposait nécessairement son salarié à un danger pour sa sécurité soit en ne mettant en oeuvre aucune mesure de prévention du risque de chute dont elle avait évalué qu'il était important, soit en ne mettant en oeuvre que deux des quatre mesures préventives (balisage et échelle amarrage ou maintien par une personne pour les interventions ponctuelles) alors qu'elle reconnaissait devoir en appliquer quatre dont notamment l'installation de garde-corps ; que l'échelle utilisée par l'assuré était défectueuse et ne comportait aucun organe de sécurité permettant d'éviter la chute du salarié en cas de rupture de la lanière d'écartement ; que la société [12] avait nécessairement conscience que l'utilisation de l'échelle mise à disposition de l'assuré était risquée et qu'elle ne pouvait être utilisée que ponctuellement et en l'absence d'autres possibilités techniques ; que la société [12] n'a pas respecté son propre plan de prévention, ce manquement ayant causé l'accident dont a été victime l'assuré.
La société [12] réplique que le réarmement des clapets coupe-feu situés sur la Tour Manhattan s'effectuait en principe de manière automatique par un boitier de commande situé à chaque niveau ; que le réarmement ne nécessitait aucune intervention manuelle directement sur les clapets ni l'utilisation d'une échelle ou d'un escabeau, ne s'agissant pas de travaux en hauteur; qu'exceptionnellement, certains clapets ne se réarmaient pas par télécommande et impliquaient une intervention manuelle directe sur le dispositif actionné de sécurité ; qu'aucune défectuosité ni défaut de conformité de l'escabeau utilisé sur le site au sein duquel l'assuré exerçait son activité n'était connu, celui-ci n'ayant pas utilisé d'échelle ; que l'escabeau comportait tous les systèmes de sécurité nécessaires et avait été vérifié par les préposés de la société avant son utilisation par l'assuré ; que l'origine de l'accident consistait en une rupture de la gâche de sécurité de l'escabeau et qu'il s'agit d'un événement imprévisible pour l'employeur qui ne pouvait avoir connaissance d'un quelconque danger particulier ; que le réarmement des clapets effectué par l'assuré au 6ème étage le jour de son accident n'était pas périlleux ; que les attestations produites par l'assuré sont tant irrecevables que mal fondées ; que l'employeur a pris les mesures nécessaires à la prévention des risques professionnels et notamment aux travaux en hauteur ; qu'un document unique d'évaluation des risques a été établi et un plan de prévention a été signé avec l'entreprise [11] ; que l'assuré était informé des risques identifiés et pris en compte par l'employeur ; que l'assuré a, du temps de la relation de travail, continué à être formé et était, de par son diplôme d'agent des services de sécurité incendie et d'assistance aux personnes, très alerté en matière de sécurité des biens et des personnes ; que l'utilisation d'un escabeau entrait dans ses compétences ; que la société [12] a respecté son obligation de sécurité et qu'aucune faute inexcusable ne saurait être reconnue à son encontre.
L'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été l'origine déterminante de l'accident du travail subi par le salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.
Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou qui aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.
La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, ne vise pas une connaissance effective du danger que devait en avoir son auteur. Elle s'apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d'activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.
Aux termes de l'article R4323-58 du code du travail, les travaux temporaires en hauteur sont réalisés à partir d'un plan de travail conçu, installé ou équipé de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs.
Le poste de travail est tel qu'il permet l'exécution des travaux dans des conditions ergonomiques.
Selon l'article R.4323-59 dudit code, la prévention des chutes de hauteur à partir d'un plan de travail est assurée :
1° Soit par des garde-corps intégrés ou fixés de manière sûre, rigides et d'une résistance appropriée, placés à une hauteur comprise entre un mètre et 1,10 m et comportant au moins:
a) Une plinthe de butée de 10 à 15 cm, en fonction de la hauteur retenue pour les garde-corps ;
b) Une main courante ;
c) Une lisse intermédiaire à mi-hauteur ;
2° Soit par tout autre moyen assurant une sécurité équivalente.
Selon l'article R.4323-61 du code du travail, lorsque des dispositifs de protection collective ne peuvent être mis en 'uvre à partir d'un plan de travail, la protection individuelle des travailleurs est assurée au moyen d'un système d'arrêt de chute approprié ne permettant pas une chute libre de plus d'un mètre ou limitant dans les mêmes conditions les effets d'une chute de plus grande hauteur.
Lorsqu'il est fait usage d'un tel équipement de protection individuelle, un travailleur ne doit jamais rester seul, afin de pouvoir être secouru dans un délai compatible avec la préservation de sa santé.
L'employeur précise dans une notice les points d'ancrage, les dispositifs d'amarrage et les modalités d'utilisation de l'équipement de protection individuelle.
Enfin, l'article R.4323-63 du code du travail dispose qu'il est interdit d'utiliser les échelles, escabeaux et marchepieds comme poste de travail.
Toutefois, ces équipements peuvent être utilisés en cas d'impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs ou lorsque l'évaluation du risque a établi que ce risque est faible et qu'il s'agit de travaux de courte durée ne présentant pas un caractère répétitif.
En l'espèce, il est constant que l'accident du travail dont l'assuré a été victime a consisté en une chute, l'assuré étant tombé d'un escabeau lors du réarmement manuel de CCF (clapets coupe-feu) au 6ème étage de la Tour Manhattan.
Il est établi que les travaux en hauteur sur les faux-plafonds s'effectaient avec un escabeau.
A cet égard, l'employeur avait prévu que le salarié devait utiliser l'escabeau de la réserve et être accompagné par un collègue, comme le prévoyait le plan de prévention (attestation de M. [O]-production société [12] n°4).
L'assuré fait valoir que la configuration des lieux au 6ème étage de la Tour Manhattan permettait de recourir à un équipement assurant la protection des travailleurs par l'installation d'un plan de travail conforme aux préconisations de l'article R.4323-59 du code du travail et que l'employeur ne pouvait recourir à l'utilisation d'un escabeau pour les travaux en hauteur sur les clapets.
A cet égard, l'employeur n'invoque ni ne justifie d'aucune impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs.
Par ailleurs, il résulte du document unique établi par l'employeur (production assuré n°47) que, pour le contrôle et la vérification des installations techniques, la probabilité d'apparition du risque en cas de chute est évaluée à 3/4. Le risque de chute est donc considéré par l'employeur comme important.
Aussi, il est établi que l'employeur, en ne mettant à disposition du salarié qu'un escabeau pour le réarmement manuel en hauteur des clapets, ne s'est pas conformé aux prescriptions impératives de l'article R.4323-63 du code du travail qui prohibent tout usage de cet équipement dès lors, d'une part, qu'il n'existait aucune impossibilité technique de recourir à un dispositif de protection collective comprenant notamment des garde-corps intégrés ou fixés répondant aux conditions de l'article R.4323-59 et,d'autre part, que l'évaluation du risque de chute a établi que ce risque n'était pas faible, et ce, indépendamment du fait de savoir si le réarmement manuel des clapets présentait un caractère habituel ou non, les conditions de la dérogation prévue par l'article R.4323-63 étant cumulatives ('lorsque l'évaluation du risque a établi que ce risque est faible et qu'il s'agit de travaux de courte durée ne présentant pas un caractère répétitif').
Par conséquent, ayant méconnu la réglementation en vigueur concernant les travaux en hauteur, l'employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité et avait ou aurait dû avoir conscience, avant la survenance de l'accident de l'assuré, du danger auquel il était exposé et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Aussi, le jugement sera infirmé et la faute inexcusable de l'employeur retenue.
- Sur les conséquences de la faute inexcusable :
Seule la faute inexcusable de la victime- entendue comme une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience - est susceptible d'entraîner une diminution de la majoration du capital ou de la rente servis à la victime.
La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue à l'exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal du capital versé à l'assuré en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.
Il y a lieu par ailleurs d'ordonner une mission d'expertise, dans les termes fixés comme suit au dispositif, à l'effet de permettre une appréciation des différents chefs de préjudice subis par l'assuré, tant énumérés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que non couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale.
L'assuré a souffert, du fait de l'accident, d'un traumatisme du coude droit (fracture parcellaire de la tête radiale peu déplacée) et un traumatisme du coude gauche (luxation postérieure avec fracture de l'olécrâne très déplacée associée à une fracture parcellaire de la tête radiale homolatérale) ayant nécessité une immobilisation pour le coude droit et une intervention chirurgicale pour le coude gauche, avec évolution défavorable. L'assuré a également développé un syndrome post-traumatique important et a bénéficié d'un accompagnement psychologique avec prise d'un traitement psychotrope (certificat du docteur [P] du 20 septembre 2017 et ordonnances et certificats médicaux du docteur [F]- productions assuré n°32 à 40).
Il y a donc lieu de lui accorder une indemnité provisionnelle de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels et moraux, somme qui sera avancée par la caisse.
Il convient, en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, de dire que la société [12] devra rembourser à la caisse les sommes dont cette dernière est tenue de faire l'avance.
La demande de l'assuré tendant à se voir communiquer les coordonnées de l'assureur de la société [12] est sans intérêt, les indemnités allouées étant versées par la caisse.
La caisse dispose d'un recours à l'encontre de l'employeur et elle pourra récupérer à son encontre l'ensemble des sommes qu'elle aura avancées en indemnisation des préjudices subis par l'assuré ainsi que la majoration du capital qui lui a été alloué conformément à l'article 452-2 du code de la sécurité sociale.
Les dépens seront réservés.
La société [12], qui succombe, sera condamnée à payer à l'assuré une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celui-ci.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DECLARE l'appel interjeté par M. [N] [I] recevable ;
INFIRME le jugement rendu le 13 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en ce qu'il a dit M. [N] [I] mal fondé en son recours à l'égard de la société [12] et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de cette société;
CONFIRME le jugement pour le surplus ;
Et statuant à nouveau :
JUGE que l'accident du travail dont M. [N] [I] a été victime le 18 décembre 2015 est dû à la faute inexcusable de la société [12] ;
ORDONNE la majoration au taux maximal légal du capital versé à M. [N] [I] en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale ;
Avant dire droit sur la réparation des préjudices personnels de M. [N] [I]:
ORDONNE une expertise médicale judiciaire et désigne pour y procéder
M. [J] [L]
Clinique [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Tél : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX02]
Email : [Courriel 15]
DONNE mission à l'expert de :
- Entendre tout sachant et, en tant que de besoin, les médecins ayant suivi la situation médicale de M. [N] [I],
- Convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception,
- Examiner M. [N] [I],
- Entendre les parties ;
DIT qu'il appartient à M. [N] [I] de transmettre sans délai à l'expert ses coordonnées (téléphone, adresse de messagerie, adresse postale) et tous documents utiles à l'expertise ;
DIT qu'il appartient au service médical de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines de transmettre à l'expert sans délai tous les éléments médicaux ayant conduit à la prise en charge de l'accident, et tous documents utiles à son expertise ;
RAPPELLE que M. [N] [I] devra répondre aux convocations de l'expert, et qu'à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l'expert, l'expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;
DIT que l'expert devra :
- décrire les lésions occasionnées par l'accident du 18 décembre 2015 ;
- en tenant compte de la date de consolidation fixée par la caisse, et au regard des lésions imputables à l'accident du travail, fixer :
* les déficits fonctionnels temporaires en résultant, total et partiels ;
* le taux du déficit fonctionnel permanent ;
* les souffrances endurées, en ne différenciant pas dans le quantum les souffrances physiques et morales ;
* le préjudice esthétique temporaire et permanent ;
* le préjudice d'agrément existant à la date de consolidation, compris comme l'incapacité d'exercer certaines activités régulières pratiquées avant l'accident ;
* le préjudice sexuel ;
- dire s'il existe une perte des possibilités de promotion professionnelle ou une diminution de ces possibilités,
- dire si l'assistance d'une tierce personne avant consolidation a été nécessaire et la quantifier ;
- dire si des frais d'aménagement du véhicule ou du logement ont été rendus nécessaires ;
- Fournir tous éléments utiles de nature médicale à la solution du litige ;
DIT que l'expert constatera le cas échéant que sa mission est devenue sans objet en raison de la conciliation des parties et, en ce cas, en fera part au magistrat chargé du contrôle de l'expertise ;
DIT que l'expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la chambre 6.13 ;
ORDONNE la consignation par la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines auprès du Régisseur de la cour dans les 60 jours de la notification du présent arrêt de la somme de 1.200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert ;
DIT que l'expert devra de ses constatations et conclusions rédiger un rapport qu'il adressera au greffe social de la cour ainsi qu'aux parties dans les 4 mois après qu'il aura reçu confirmation du dépôt de la consignation ;
DEBOUTE M. [N] [I] de sa demande de communication des coordonnées de l'assureur de la société [12] ;
ALLOUE à M. [N] [I] une indemnité provisionnelle d'un montant de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels et moraux ;
DIT que la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines devra verser directement à M. [N] [I] l'indemnité provisionnelle accordée ;
DIT que la société [12] devra rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines l'ensemble des sommes qu'elle aura avancées en indemnisation des préjudices subis par M. [N] [I] ainsi que le capital représentatif de la majoration du capital qui lui a été alloué conformément à l'article 452-2 du code de la sécurité sociale ;
CONDAMNE la société [12] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines le coût de l'expertise ;
RESERVE les dépens ;
CONDAMNE la société [12] à payer à M. [N] [I] une somme de 2.000 euros en remboursement des frais irrépétibles qu'il a exposés ;
RENVOIE l'affaire à l'audience de la chambre 6.13 en date du :
Mardi 28 mars 2024 à 13h30
en salle Huot-Fortin, 1H09, escalier H, secteur pôle social, 1er étage,
DIT que la notification de la présente décision vaudra convocation des parties à cette audience.
La greffière La présidente