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06/07/2023 | FRANCE | N°22/19934

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 06 juillet 2023, 22/19934


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 06 JUILLET 2023



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19934 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYDX



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Novembre 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/07002



APPELANT



M. [L] [P]



[Adresse 1]

[Localité 4]
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Représenté par Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209 et assisté par Me Pierre-Alain MARQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : A776



INTIMÉE

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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 06 JUILLET 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19934 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYDX

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Novembre 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/07002

APPELANT

M. [L] [P]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209 et assisté par Me Pierre-Alain MARQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : A776

INTIMÉE

S.A. GREENFLEX, RCS de Paris sous le n°511 840 845 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056 et assistée par Me Richard ESQUIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R144

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 1er juin 2023, en audience publique, Michèle CHOPIN, Conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société Greenflex, spécialisée dans l'accompagnement de la transition environnementale des entreprises et des collectivités, a été fondée en novembre 2009 par M. [Y] [B].

Le 12 octobre 2017, la société Greenflex a été cédée à la société Total Energy Services devenue Total Energie Carbon Solution, M. [B] exerçant les fonctions de président.

Les relations se sont dégradées entre le groupe Total et M. [B] conduisant à sa révocation le 2 juin 2020.

Par ordonnance sur requête du 23 septembre 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné un huissier de justice aux fins de mesure d'instruction au siège social des sociétés Total Energy Services et Total SE, et ce, à la demande de M. [B], celui-ci se prévalant d'une exécution de mauvaise foi du « Protocole Salarié Important » conclu avec le groupe Total en faisant obstacle à la bonne réalisation de Business Plan d'Acquisition déclenchant l'attribution gratuite d'actions de préférence à son profit, signé concomitamment avec le contrat de cession des titres de Greenflex au groupe Total.

Par ordonnance du 19 juin 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a rétracté cette ordonnance, tandis que la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 2 février 2022 a infirmé l'ordonnance rendue le 19 juin 2021, et dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 23 septembre 2020, laquelle produit ses effets.

En janvier 2021, M. [B] a créé une société dénommée R3 Group, « écosystème » proposant des solutions d'efficacité énergétique, concurrente de la société Greenflex.

M. [L] [P], chef de projets chez Greenflex, a rejoint le Groupe R3 en avril 2021.

Invoquant des actes de concurrence déloyale commis à son préjudice par les diverses entités du groupe R3, la société Greenflex a obtenu du président du tribunal de commerce de Nanterre, par deux requêtes distinctes en date du 15 avril 2022, la désignation d'un huissier de justice aux fins de mesure d'instruction in futurum destinées à faire la preuve des manoeuvres déloyales dénoncées, l'une au siège de la société R3 Finance/Nextense, l'autre au siège de la société Idex, partenaire commercial de la société Greenflex.

Les opérations de constat ont été réalisées le 17 mai 2022.

Invoquant la violation de son engagement de non-concurrence par M. [B], l'existence d'agissements fautifs et d'actes de concurrence déloyale par ce dernier, la violation par ses anciens salariés de leur obligation de confidentialité et l'exploitation de documents confidentiels lui appartenant, la société Greenflex a également, par requête déposée auprès du président du tribunal judiciaire de Paris le 29 avril 2022, sollicité la désignation d'un huissier de justice sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile avec pour mission de se rendre au domicile personnel de M. [P] ou en tout autre lieu où celui-ci pourrait exercer son activité au nom et pour le compte de la société R3 Impact ou de toute autre entité du groupe R3, afin de prendre copie de documents de toute nature, à partir d'une liste de mots-clés, pouvant établir la possession de documents confidentiels émanant de la société Greenflex, de l'usage qui a pu en être fait et d'actes de dénigrement commis à son préjudice, M. [P] étant considéré comme l'un des protagonistes des manoeuvres déloyales déployées par le Groupe R3 à son encontre.

Par ordonnance du 29 avril 2022, le juge des requêtes a accueilli cette demande et désigné la scp Asperti-Duhamel en qualité d'huissiers de justice pour réaliser cette mesure.

Les opérations de constat ont été réalisées les 17 et 19 mai 2022, le procès-verbal étant dressé le 20 mai 2022 et les pièces appréhendées ont été séquestrées en l'étude de l'huissier de justice.

Par acte en date du 17 juin 2022, M. [P] a fait assigner la société Greenflex et sollicité la rétractation de l'ordonnance sur requête du 29 avril 2022.

Par ordonnance de référé contradictoire du 15 novembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 29 avril 2022 ;

- rejeté la demande subsidiaire de modification de l'ordonnance présentée par M. [L] [P] ;

- dit que la levée du séquestre des pièces appréhendées par l'huissier de justice, la scp Asperti Duhamel, ne pourra avoir lieu qu'après expiration du délai d'appel de la présente décision ;

- dit que la scp Asperti- Duhamel conservera le cas échéant sous séquestre l'ensemble des pièces copiées et appréhendées dans le cadre de ses opérations de constat des 17 et 19 mai 2022 jusqu'au prononcé d'une décision irrévocable sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ;

- condamné M. [L] [P] à payer à la société Greenflex la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [L] [P] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 28 novembre 2022, M. [P] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 29 avril 2022 ;

- rejeté la demande subsidiaire de modification de l'ordonnance présentée par M. [L] [P] ;

- condamné M. [L] [P] à payer à la société GreenFlex la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [L] [P] aux dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 25 avril 2023, M. [P] demande à la cour, au visa des articles 145, 493 et 494 et suivants du code de procédure civile et des articles R. 153-3 à 153-8 du code de commerce, de :

- réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance présidentielle déférée du 15 décembre 2022 ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- prononcer la rétractation de l'ordonnance du 29 avril 2022 ;

- ordonner la destruction par la SCP Asperti Duhamel de l'intégralité des éléments placés sous séquestre ;

A titre subsidiaire,

- modifier l'ordonnance du 29 avril 2022 afin de limiter son périmètre à ce qui est strictement utile dans la perspective de l'action envisagée au fond ;

- ordonner la destruction par la scp Asperti-Duhamel des éléments placés sous séquestre exclus du périmètre de l'ordonnance modifiée ;

- dire et juger que la levée du séquestre devra se faire dans le respect des dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;

- dire et juger que les éléments appréhendés resteront sous séquestre entre les mains de la SCP Asperti Duhamel jusqu'à l'intervention d'une décision sur la rétractation insusceptible de recours ;

En toute hypothèse,

- condamner la société Greenflex à lui payer 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

M. [P] soutient en substance que :

- l'ordonnance rendue devra être rétractée,

- il n'est fait état d'aucune circonstance concrète justifiant la dérogation au principe du contradictoire, la nature informatique des pièces à appréhender étant insuffisante, le groupe R 3 n'ayant commis aucun acte occulte de nature à caractériser un risque de dissimulation ou de concertation,

- il est faux d'affirmer que préalablement à son départ M. [B] a procédé à une copie du contenu de son ordinateur, et la représentation par la société Greenflex de la situation de M. [P] est délibérément trompeuse,

- de la sorte, il n'existe aucune manoeuvre ni aucun risque de disparition des éléments recherchés,

- il n'existe aucun motif légitime justifiant la mesure in futurum,

- la société Greenflex n'établit aucun soupçon ou fait crédible de concurrence déloyale de nature à lui causer un préjudice,

- la sauvegarde de données par M. [B] n'est pas démontrée, l'engagement de non concurrence de ce dernier est contestable, le recrutement d'anciens salariés de Greenflex étant intervenu après la cessation d'activité de ces collaborateurs,

- les éléments relatifs à la formation dispensée par M [P] sont démentis par les pièces de la société Greenflex tandis que le groupe R3 Finance n'a pas détourné l'opération de financement au profit de Casino, mais participé à un appel d'offres,

- il ne peut être reproché une quelconque violation contractuelle ou complicité de violation d'une clause de confidentialité au groupe R3,

- la mesure ne dispose d'aucun caractère légalement admissible, étant générale et excessive,

- la proportionnalité de la mesure n'a pas été vérifiée.

- subsidiairement, la levée de séquestre devra être mise en oeuvre conformément aux dispositions sur le secret des affaires.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 mai 2023, la société Greenflex demande à la cour, au visa des articles 145 et 493 et suivants du code de procédure civile, et des articles L. 151, R. 153-1, R. 153-2 et R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, de :

- confirmer l'ordonnance de référé-rétractation rendue le 15 novembre 2022 par le président du tribunal judiciaire de Paris ;

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions principales ou subsidiaires, et dire n'y avoir lieu à infirmation ou réformation de l'ordonnance précitée du 15 novembre 2022 ni de celle sur requête rendue par le président du tribunal judiciaire de Paris le 29 avril 2022 ;

- ordonner la levée du séquestre des éléments recueillis par l'huissier instrumentaire, la SCP Asperti-Duhamel, en exécution de l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal judiciaire de Paris le 29 avril 2022, conformément aux dispositions des articles R.153-2 et suivants du code de commerce ;

- condamner M. [P] à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés pour ceux la concernant, au profit de la selarl 2H Avocats prise en la personne de Maître [I] [Z] et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Greenflex soutient en substance que :

- il était nécessaire de déroger au principe du contradictoire, ce qui est motivé in concreto dans la requête et l'ordonnance rendue,

- M. [P] a délibérément réalisé une copie servile de documents internes à Greenflex et les a réutilisés dans le cadre d'une présentation commerciale au nom et pour le compte de R3 Groupe, ce qui constitue une manoeuvre déloyale,

- l'intrusion illicite de M. [H] dans le système d'information et les bases de données de la société Greenflex n'est pas niée par M. [P], ce qui est bien caractéristique d'un comportement justifiant le recours à une procédure non-contradictoire,

- la société Greenflex a justifié d'un motif légitime à voir ordonner la mesure destinée à être exécutée au domicile de M. [P], cette mesure étant nécessaire à la protection de ses droits,

- rien ne corrobore les dires de M. [P] quant aux dates auxquelles les salariés concernés ont rejoint le groupe R 3,

- la mesure dispose d'un caractère légalement admissible, le juge des requêtes ayant vérifié sa proportionnalité,

- la mission de l'huissier n'est pas exorbitante,

- la demande subsidiaire de M. [P] devra être rejetée, ne disposant d'aucun fondement juridique et étant particulièrement vague-- précisément, la société R3 Impact, qui a débuté son activité en février 2021, présidée par le groupe R' dispose d'un capital social réparti comme suit : 51% détenus par le groupe R 3, 49% par M. [P],

- outre M. [B], ancien dirigeant de la société Greenflex et fondateur du groupe R3, au moins cinq salariés de la société Greenflex ont quitté cette société pour rejoindre le groupe R3 et y occuper des postes à responsabilité : M [M] (directeur général adjoint de R3 Energy, ancien directeur Energie Industrie de Greenflex), Mme [C] (directrice générale adjointe de R3 Energy, ancienne directrice conseil de Greenflex), M. [H] (directeur des offres de R 3 Finance, ancien directeur des services de Greenflex), Mme [O] (directrice commerciale de R 3 Finance, ancienne directrice commercial France puis directrice des marchés de Greenflex), et M [P] (co-fondateur de R3 Impact, et ancien chef de projet pour la société Greenflex),

- il s'infère de la requête litigieuse que le recrutement de ces anciens salariés de la société Greenflex est 'ciblé'et a minima destiné à faire bénéficier au groupe R3 de leurs compétences, voire d'informations relatives à leur ancien employeur.

Or, il apparaît que :

- au cours du mois de juin 2021, la CCI [Localité 5] Ile-de-France a organisé une formation animée par M. [P] intitulée 'RSE: relancer l'économie par l'écologie', dispensée en plusieurs modules, les supports de formation estampillés R3 présentant une ressemblance certaine avec la documentation de la société Greenflex, ce qui est établi par le procès- verbal de constat d'huissier des 1er et 3 juin 2022 versé aux débats,

- M. [H], ce qui, in fine, n'est pas contesté, s'est, postérieurement à son départ de la société Greenflex introduit dans le système d'information de cette société, précisément dans le système Greenflex IQ, plateforme d'amélioration de la performance énergétique, environnementale et sociétale développée par la société Greenflex au profit de ses clients le 13 avril 2021, au moyen des logins qu'il s'était attribué en qualité d'administrateur de la plateforme et qui n'avaient pas été totalement désactivés, peu important le contenu des informations obtenues ni leur caractère confidentiel ou non,

- la société Greenflex a été sollicitée en février 2020 par le groupe Casino, son client historique dans le cadre de l'opération par laquelle le groupe Casino allait céder au groupe Aldi 545 magasins de l'enseigne Leader Price et 3 entrepôts ; étant établi que les équipes de la société Greenflex ont travaillé plus de 9 mois au cours de l'année 2020 sur ce projet afin de proposer un montage répondant aux besoins du groupe Casino, il a été mis fin à cette collaboration en novembre 2020 à l'initiative du groupe Casino et le projet élaboré par ses soins a finalement été mis en place par le groupe Casino avec la collaboration de la société Nextense, dont M. [B] détient 30% du capital depuis juin 2020, via sa holding personnelle puis via R3 Group depuis juin 2021,

- la société Idex est partenaire commerciale de la société Greenflex et a conclu avec elle un contrat cadre le 13 juin 2019 comportant des prestations de location financière d'équipements et un accès à la plateforme Greenflex IQ citée plus haut ; or, il s'avère que la société Idex préside le groupe R3 'et détient 51% de son capital , ce qui laisse supposer qu'elle peut faire bénéficier le groupe R 3 d'un accès privilégié à la plateforme et aux informations confidentielles qu'elle contient.

Ainsi, la découverte de cette situation et de ces éléments, en ce inclus la participation éventuelle de M. [P], constituait bien un faisceau d'indices suffisants pour légitimer les suspicions de la partie requérante qui pouvait ainsi craindre des actes constitutifs de concurrence déloyale, au-delà même du débat sur les clauses de confidentialité, non concurrence et non sollicitation invoquées.

Au surplus, il est rappelé qu'agissant sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société appelante n'a pas à rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve d'un manque à gagner et du préjudice en résultant, l'existence de celle-ci se déduisant du positionnement de ses clients historiques.

Au regard des éléments qui précèdent, la société Greenflex est donc légitime à vouloir déterminer l'ampleur de la concurrence déloyale suspectée, susceptible de résulter d'un possible détournement de clientèle au profit de la société R3 Group, avec la collaboration de M [P].

Ainsi, la société Greenflex justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, lui permettant de solliciter une mesure d'instruction afin d'améliorer sa situation probatoire pour un futur procès qu'elle pourrait engager à l'encontre de la société R3 Group et ses anciens salariés lequel n'apparaît pas manifestement voué à l'échec.

Sur la dérogation au principe du contradictoire

Le juge, saisi sur requête, doit rechercher si la mesure sollicitée exige une dérogation au principe de la contradiction. L'éviction de ce principe directeur du procès nécessite que la requérante justifie de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Aux termes de la requête, la société Greenflex a justifié la dérogation au principe de la contradiction par le risque de dépérissement des preuves et la nécessité de créer un effet de surprise, seul garant de l'efficacité de la mesure sollicitée. L'ordonnance qui y fait droit, tenant compte des éléments développés par la requérante, retient que 'compte tenu du risque que, si la partie visée par la mesure ou les personnes travaillant pour son compte venaient à avoir connaissance de celle-ci, elles ne tentent de faire disparaître ou de rendre inaccessibles les éléments de preuve recherchés, qui sont pour la plupart des éléments informatiques ainsi que de prévenir les autres protagonistes visés par les mesures d'investigations'.

Au cas présent, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même des pièces, données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu'elles étaient nécessaires pour établir l'existence des agissements déloyaux suspectés et l'étendue du préjudice subi mais aussi, au vu du nombre de personnes impliquées, d'un collusion entre elles pour dissimuler ou faire disparaître les éléments recherchés, sans qu'il soit même besoin de démontrer à ce stade son degré de participation aux actes de concurrence déloyale.

Ainsi, au regard des agissements suspectés de concurrence déloyale, il apparaît justifié, de procéder de manière non contradictoire.

La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi suffisamment caractérisée.

L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.

Sur le caractère proportionné de la mesure d'instruction

Les mesures d'investigation doivent être légalement admissibles, les mesures d'investigation générales étant prohibées, de sorte qu'elles doivent être circonscrites dans le temps et l'objet.

Or, l'ordonnance rendue comporte des mots clés pertinents ( Greenflex, Greenflex IQ, IQ, GF, GFX, CCI par exemple), au nombre de 21, dont la combinaison apparaît nécessaire à l'établissement des faits, et prévoit une saisie des éléments correspondants à compter du 1er janvier 2020, soit 5 mois avant le départ de M. [B] de la société Greenflex, et au moment de la participation de cette dernière à l'opération projetée par le groupe Casino.

Cependant, seul le mot clé 'Formation', large et général parait devoir être retiré de la liste de ces mots clés.

De la sorte, et sous cette réserve, les mesures prescrites sont circonscrites dans le temps et l'objet, tout en étant proportionnées au but poursuivi et à la recherche d'éléments probants et l'exercice du droit de la preuve. En effet, il apparaît bien que le respect de la vie privée qui n'est pas un obstacle en soi est respecté dans la mesure où les correspondances personnelles sont exclues, et que l'atteinte au secret des affaires invoquée est limitée aux recherches de preuves en lien avec le litige.

Il ressort des termes de l'ordonnance rendue sur requête que la mesure d'instruction a été circonscrite dans le temps et dans l'objet des recherches.

Il convient encore de rappeler qu'une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue afin de préserver, le cas échéant, le secret des affaires et l'atteinte à la vie privée.

En outre, la violation des droits de M. [P], concerné par la mesure d'instruction n'est pas caractérisée au regard des liens ayant précédemment existé entre ce dernier et la société Greenflex.

Enfin, l'atteinte au secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile et, donc, à la saisie de documents pouvant s'avérer utiles pour préserver le droit à la preuve de la société Greenflex.

Au surplus, M. [P] ne précise pas en quoi le périmètre de la mesure devrait être réduit.

En conséquence, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, sous la réserve citée plus haut, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits de M. [P], tenant compte de l'objectif poursuivi, conciliant le droit à la preuve de l'appelante et le droit au secret des affaires et au respect de la vie privée de l'appelant.

Au regard des motifs qui précèdent, l'appelant sera débouté de sa demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

Sur la demande de levée de séquestre

La demande subsidiaire de M. [P] visant à voir organiser la levée du séquestre dans le respect des dispositions des articles R 153-3 à R 153-8 du code de commerce est sans objet, cette demande ne pouvant prospérer qu'au moment de la procédure de levée de séquestre elle-même.

Il n'y a pas lieu à levée du séquestre des pièces saisies par l'huissier de justice, l'ordonnance sur requête étant partiellement rétractée et l'huissier devant corriger le champ de sa saisie.

Sur les demandes accessoires

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d'instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d'un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une d'elles.

Au regard de l'issue du litige en appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et M. [P] sera condamné à payer à la société Greenflex, contrainte d'exposer des frais irrépétibles en appel, pour assurer sa défense, la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf à modifier la mission confiée à l'huissier comme suit ;

Statuant à nouveau pour ce faire et y ajoutant,

Ordonne la suppression des termes de la mission le mot clé suivant : 'Formation',

Dit que le surplus de la mission telle que définie par l'ordonnance sur requête reste inchangée ;

Rejette toute autre demande,

Condamne M. [P] à payer à la société Greenflex la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens exposés en appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/19934
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;22.19934 ?
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