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06/07/2023 | FRANCE | N°22/16279

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 06 juillet 2023, 22/16279


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 06 JUILLET 2023



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16279 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNHO



Décision déférée à la Cour : ordonnance du 06 juillet 2022 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 21/07857





APPELANTS



Madame [R] [S] [P] agissant tant en

son personnel qu'en qualité d'ayant droit de Madame [G] [T] décédée le [Date décès 5] 2009

[Adresse 3]

[Localité 11]

Née le [Date naissance 6] 1985 à [Localité 9]

Représen...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 06 JUILLET 2023

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16279 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNHO

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 06 juillet 2022 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 21/07857

APPELANTS

Madame [R] [S] [P] agissant tant en son personnel qu'en qualité d'ayant droit de Madame [G] [T] décédée le [Date décès 5] 2009

[Adresse 3]

[Localité 11]

Née le [Date naissance 6] 1985 à [Localité 9]

Représentée par Me Charly AVISSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P285

Madame [Z] [S] [P] agissant tant en son personnel qu'en qualité d'ayant droit de Madame [G] [T] décédée le [Date décès 5] 2009

[Adresse 7]

[Localité 10]

Née le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 9]

Représentée par Me Charly AVISSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P285

Monsieur [Y] [S] [P] agissant tant en son personnel qu'en qualité d'ayant droit de Madame [G] [T] décédée le [Date décès 5] 2009

[Adresse 4]

[Localité 9]

Né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 12] (COMORES)

Représenté par Me Charly AVISSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P285

INTIMEE

Société YEMENIA AIRWAYS

[Adresse 8]

[Localité 13] (YÉMEN)

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Ayant pour avocat plaidant Me Grégory LAVILLE DE LA PLAIGNE, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Me Erwan LE LAY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre, et Mme Dorothée DIBIE, conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

Mme Valérie GEORGET, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Emeline DEVIN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nina TOUATI, présidente de chambre et par Emeline DEVIN, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 30 juin 2009, un aéronef exploité par la société Yemenia Airways (la société Yemenia), en provenance de [Localité 13] (Yemen) et à destination de [Localité 12] (Comores), s'est abîmé en mer, causant la mort de cent cinquante deux passagers, dont celle de [G] [T] épouse [S] [P].

L'époux de la victime, M. [Y] [S] [P], et deux de ses enfants, Mme [Z] [S] [P] et Mme [R] [S] [P] (les consorts [S] [P]), agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'héritiers de [G] [T], ont fait assigner la société Yemenia devant le tribunal judiciaire de Paris, en indemnisation de leurs préjudices.

Saisi d'un incident formé par la société Yemenia, le juge de la mise en état de cette juridiction a, par ordonnance du 6 juillet 2022 :

- déclaré irrecevables comme prescrites les demandes des consorts [S] [P],

- condamné in solidum les consorts [S] [P] aux dépens,

- condamné in solidum les consorts [S] [P] à verser à la société Yemenia la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

Par déclaration du 16 septembre 2022, les consorts [S] [P] ont interjeté appel de cette ordonnance en critiquant chacune de ses dispositions.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions des consorts [S] [P], notifiées le 5 mai 2023, aux termes desquelles ils demandent à la cour, au visa des articles 1240, 2226 et 2241 du code civil, et de l'article 29 de la convention de Montréal du 28 mai 1999, de :

- infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état rendue le 6 juillet 2022,

- rejeter comme non fondé l'incident soulevé par la société Yemenia,

- dire et juger les consorts [S] [P] non prescrits en leur action,

En toutes hypothèses, réformer l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'il a condamné les consorts [S] [P] à payer la somme de 1 000 euros à la société Yemenia au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Yemenia à verser aux consorts [S] [P] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- renvoyer l'affaire à la mise en état pour les conclusions au fond de la société Yemenia.

Vu les conclusions de la société Yemenia, notifiées le 28 avril 2023, aux termes desquelles elle demande à la cour, de :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2022 en ce qu'elle a :

- déclaré irrecevables comme prescrites les demandes des consorts [S] [P],

- condamné in solidum les consorts [S] [P] aux dépens,

- condamné in solidum les consorts [S] [P] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamner in solidum les consorts [S] [P] à payer à la société Yemenia la somme de 1 000 euros aux titres de l'article 700 et les entiers dépens,

A titre subsidiaire, si la cour de céans devait considérer que les demandes des consorts [S] [P] recevables,

- renvoyer l'affaire à la mise en état devant le tribunal judiciaire de Paris pour conclusions au fond de la société Yemenia.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action des consorts [S] [P] 

Les parties s'accordent sur le fait que les conditions d'application de la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international (convention de Montréal) du 28 mai 1999, publiée par décret n° 2004-578 du 17 juin 2004, sont réunies en ce que les consorts [S] [P] fondent, à titre principal, leur demande d'indemnisation sur les dispositions de ce texte et que la société Yemenia conclut à l'accord des parties sur ce point.

Les consorts [S] [P] concluent à l'absence de prescription de leur action devant le juge civil. Il font valoir que le délai de prescription a été interrompu par leur constitution de partie civile devant le juge d'instruction, le 1er septembre 2009, cette interruption ayant produit ses effets jusqu'à l'ordonnance du juge d'instruction du 6 novembre 2019 qui a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles des ayants droit des victimes directes n'ayant pas la nationalité française dont [G] [T].

Ils ajoutent que la date à retenir concernant la date d'engagement de leur action n'est pas le 22 juillet 2021, date de la signification de leur assignation, mais le 28 mai 2021, date de son expédition, de sorte que leur action n'est pas prescrite.

La société Yemenia soutient en premier lieu, que les consorts [S] [P] ne rapportent pas la preuve de l'existence de leur constitution de partie civile.

Elle fait ensuite valoir qu'en admettant l'existence de cette constitution de partie civile, l'ordonnance du 6 juin 2019 l'ayant déclarée irrecevable a nécessairement fait courir un nouveau délai de prescription de deux ans à compter du lendemain de son prononcé de sorte que les consorts [S] [P] auraient dû agir au plus tard le 7 juin 2021. Aussi, invoquant le fait que l'assignation de ces derniers a été reçue par le service du Bureau du droit international privé et de l'entraide civile du Parquet le 18 juin 2021 et communiquée par le ministère des affaires étrangères à l'ambassade de France au Yemen le 22 juillet 2021, elle conclut à la prescription de l'action des consorts [S] [P].

Sur ce, l'article 35 de la convention de Montréal intitulé « délai de recours » énonce que «  L'action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l'arrivée à destination, ou du jour où l'aéronef aurait dû arriver, ou de l'arrêt du transport.

Le mode du calcul du délai est déterminé par la loi du tribunal saisi. ».

Il en résulte que l'action des consorts [S] [P], soumise au délai de prescription de deux ans à compter du jour où l'aéronef aurait dû arriver, est régie par les règles françaises civiles relatives à la computation du délai de prescription et à ses causes d'interruption.

Il n'est pas contesté par les parties que le vol Y 626 devait arriver à destination le 30 juin 2009, de sorte que le délai de prescription de deux ans court à compter de cette date.

En ce qui concerne les causes d'interruption de prescription, l'article 2241 du code civil pose que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure » et l'article 2242 de ce code ajoute que « L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ».

En l'espèce, les consorts [S] [P] produisent, en cause d'appel, une lettre de leur conseil adressée, le 1er septembre 2009, au tribunal de grande instance de Bobigny, précisant notamment qu'à la suite du décès de [G] [T], « au cours du crash de l'avion qui la transportait aux Comores le 30 juin 2009 qui fait l'objet d'une information judiciaire ouverte à votre Cabinet contre X pour des faits d'homicides involontaires, blessures involontaires ayant entraîné une ITT supérieure à trois mois », « M. [Y] [S] [P] se constitue pour lui et ès-qualités de représentant légal de sa fille mineure [Z] [S] [P]. M. [X] [S] [P] et Mme [R] [S] [P], autres enfants de la défunte se constituent parties civiles » et en ajoutant que « mes clients demandent la réparation de leur préjudice estimé à un million d'euros ».

Il résulte des termes de cette lettre que M. [Y] [S] [P], Mme [Z] [S] [P] et Mme [R] [S] [P] se sont constitués partie civile et ont manifesté la volonté de mettre en jeu la responsabilité de la compagnie aérienne exploitant l'avion accidenté. En outre, il résulte des autres documents produits que le juge d'instruction en charge du dossier de l'accident d'avion a accusé réception de la constitution de partie civile, le 5 janvier 2010 et les a régulièrement informés de l'état d'avancement de la procédure, de sorte que la preuve de la constitution de partie civile de M. [Y] [S] [P], Mme [Z] [S] [P] et Mme [R] [S] [P] est ainsi rapportée.

Ensuite, par ordonnance du 6 juin 2019, le juge d'instruction a constaté l'irrecevabilité des constitutions de partie civile des ayants droit de Mesdames et Messieurs (...) [G] [T] après avoir relevé que « Vu l'information judiciaire ouverte en France des chefs susvisés sur le fondement des article 113-7 et 113-11 du code pénal et des article 689 et 693 du code de procédure pénale au regard des 65 victimes françaises qui se trouvaient dans l'aéronef appartenant à la compagnie de droit yéménite Yemenia Airways s'étant écrasé aux Comores. Il ressort des textes précités que seule la nationalité française d'une victime directe d'une infraction commise à l'étranger par une personne de nationalité étrangère permet d'appliquer la loi française aux faits dont cette personne a été victime ; les constitutions de partie civile d'ayants droit de victimes des même faits, mais de nationalités autres que française, auraient dû être déclarées irrecevables, la loi pénale française n'étant pas applicable au moment des faits les concernant ».

A la suite de cette décision et au regard des dispositions du code civil précitées, la société Yemenia admet que dans la mesure où la cour retiendrait que la constitution de partie civile des consorts [S] [P] est établie, l'effet interruptif de la prescription de cette constitution de partie civile s'est poursuivi jusqu'à cette décision du 6 juin 2019, de sorte qu'un nouveau délai de prescription de deux ans a commencé à courir à compter du 7 juin 2019 pour expirer le 7 juin 2021.

Les parties s'opposent néanmoins, sur la date de l'action engagée par les consorts [S] [P] devant le tribunal judiciaire de Paris.

Ceux-ci soutiennent que la date à retenir est celle de l'expédition de leur assignation, le 28 mai 2021, alors que la société Yemenia se prévaut de la date de réception de l'assignation par le service du bureau du droit international privé et de l'entraide civile du Parquet le 18 juin 2021 ou de sa communication par le ministère des affaires étrangères à l'ambassade de France au Yemen le 22 juillet 2021.

Sur ce, aux termes de l'article 647-1 du code de procédure civile, « la date de notification, y compris lorsqu'elle doit être faite dans un délai déterminé, d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ainsi qu'à l'étranger est, à l'égard de celui qui y procède, la date d'expédition de l'acte par l'huissier de justice ou le greffe ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent ».

Il en résulte que c'est la date de la remise de l'assignation au Parquet français, qu'il convient de prendre en compte sans qu'il y ait lieu de rechercher à quel moment une copie a été remise à son destinataire par les autorités étrangères.

En l'espèce, la société Yemenia ayant son siège social à [Localité 13] au Yemen, l'assignation des consorts [S] [P] a été transmise au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris par acte d'huissier du 28 mai 2021.

Il en résulte que la prescription n'étant acquise que le 7 juin 2021, l'action engagée devant le tribunal judiciaire de Paris par les consorts [S] [P] le 28 mai 2021 n'est pas prescrite.

L'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2022 est infirmée en ce qu'elle a déclarée prescrite l'action des consorts [S] [P].

Sur les autres demandes

Les consorts [S] [P] sollicitent l'infirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'elle les a condamnés à verser à la société Yemenia la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au regard de la solution du litige, il convient d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2022 en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Yemenia, qui succombe dans ses prétentions, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de condamner la société Yemenia à payer aux consorts [S] [P] la somme globale de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

statuant publiquement par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

- Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2022 en l'ensemble de ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Déboute la société Yemenia Airways de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en indemnisation engagée par M. [Y] [S] [P], Mme [Z] [S] [P] et Mme [R] [S] [P],

- Condamne la société Yemenia Airways à payer à M. [Y] [S] [P], Mme [Z] [S] [P] et Mme [R] [S] [P], en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme globale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,

- Condamne la société Yemenia Airways aux dépens de première instance et d'appel,

- Dit que la procédure se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Paris.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 22/16279
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;22.16279 ?
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