Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 3
ARRET DU 06 JUILLET 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/16876 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMF6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Août 2021 -Juge des contentieux de la protection de MONTREUIL SOUS BOIS - RG n° 21-00044
APPELANTE
S.A. SOCIETE IMMOBILIERE DE L'INDUSTRIE HOTELIERE DE PARIS
RCS n° 562 034 019
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée et assistée par Me Bernard FAVIER de la SCP DIRCKS-DILLY ET FAVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0165 substitué à l'audience par Me Julien COSTANTINI
INTIMEES
Madame [M] [O] Majeure sous tutelle
née le [Date naissance 1] 1930 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Madame [K] [I] ès qualités de tutrice de Madame [M] [O] veuve [C]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentées et assistées par Me Sabine CHARDON, avocat au barreau de PARIS, toque : R101
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne-Laure MEANO, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
François LEPLAT, président
Anne-Laure MEANO, président
Aurore DOCQUINCOURT, conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par François LEPLAT, Président de chambre et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 21 avril 1957, la Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris (ci-après la SIIHP) a donné à bail à M. [S] [C], époux de Mme [M] [O], un appartement de deux pièces situé au [Adresse 3] à [Localité 11]. Suite au décès de M. [S] [C], le bail s'est poursuivi au profit de Mme [M] [O] veuve [C] ; le loyer mensuel en août 2020 était de 551,43 euros charges comprises.
Le 28 juillet 2020, Mme [U] [C] a déposé une requête en vue de l'ouverture d'une mesure de protection pour sa mère Mme [M] [O] veuve [C].
Le 6 août 2020, Mme [M] [O] veuve [C], après avoir séjourné dans un établissement de rééducation depuis le mois d'avril 2020 à la suite d'une fracture, a intégré l'EHPAD [9] à [Localité 7].
Par lettre du 9 septembre 2020, Mme [U] [C] a donne congé du bail de sa mère au bailleur pour le 9 octobre 2020 ; la SIIHP a accusé réception du congé par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 septembre 2020 avec effet au 10 octobre 2020.
Par jugement du 14 octobre 2020, le juge des tutelles du tribunal judiciaire de Bobigny, chambre de proximité de Montreuil, a ouvert une mesure de tutelle au bénéfice de Mme [M] [O] veuve [C] et désigné Mme [K] [I] en qualité de tuteur.
Par acte du 18 novembre 2020, Mme [M] [O] veuve [C] représentée par Mme [K] [I] a assigné la SIIHP en référé aux fin de voir juger le congé donné le 9 septembre 2020 nul et non avenu, condamner la SIIHP à lui remettre les clés de l'appartement sous astreinte et à lui payer 5.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Par acte du 17 février 2021, la SIIHP a assigné Mme [U] [C] en intervention forcée.
A l'audience du 17 juin 2021, Mme [M] [O] veuve [C], représentée par sa tutrice, Mme [K] [I], a demandé notamment :
* de juger nuls et non avenus le congé donné par Mme [U] [C] le 9 septembre 2020, la procuration donnée par Mme [U] [C] à Mme [A] [H] le 1er octobre 2020, l'état des lieux signé par Mme [A] [H] et l'acte de remise des clés du 6 octobre 2020 et de juger qu'ils lui sont inopposables;
* de condamner la SIIHP à la reloger dans un logement de surface, commodités et équipements similaires, de loyer et charge identique, situé à [Localité 11], sous astreinte, lui payer une indemnité d'un montant équivalent au prix du forfait journalier de l'EHPAD, soit 81,31 euros, à compter du 1er novembre 2020 et jusqu'à son relogement, subsidiairement, lui payer la somme de 62.93 euros à compter du 1er novembre 2020 et jusqu'à son relogement, à défaut de relogement ordonné, lui payer une indemnité forfaitaire de 200.000 euros, en tout état de cause, lui payer une indemnité de 40.000 euros au titre de son préjudice moral et financier.
La Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris et Mme [U] [C] se sont opposées à ces demandes.
Par jugement contradictoire entrepris du 26 août 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Montreuil sous Bois a ainsi statué :
PRONONCE la nullité du congé délivré le 9 septembre 2020 par Mme [U] [C] à la Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris au nom de Mme [M] [O] veuve [C] pour l'appartement situé [Adresse 3] à [Localité 11] ;
CONDAMNE la SIIHP à payer à Mme [M] [O] veuve [C] la somme de 45.486 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution du contrat de bail, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
CONDAMNE la SIIHP à payer à Mme [M] [O] veuve [C] la somme de 20.000 euros en compensation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
CONDAMNE la SIIHP à payer à Mme [M] [O] veuve [C] la somme de 800 euros et à Mme [U] [C] la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris aux dépens
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 23 septembre 2021 par la SA Société immobilière de l'industrie Hôtelière de Paris
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 14 janvier 2022 par lesquelles la SA Société immobilière de l'industrie Hôtelière de Paris demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement rendu le 26 août 2021 par le Juge des contentieux de la protection près le Tribunal de proximité de Montreuil en ce qu'il a :
' Prononcé la nullité du congé délivré le 9 septembre 2020 par Mme [U] [C] à la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris au nom de Mme [M] [C],
' Condamné la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [C] la somme de 45.486 euros à titre dommages et intérêts pour inexécution du contrat de bail, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
' Condamné la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [C] la somme de 20.000 euros en compensation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
' Condamné la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [C] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
' Condamné la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris aux entiers dépens ;
Et, STATUANT À NOUVEAU,
- DÉBOUTER Mme [M] [C] de tous ses chefs de demande, moyens, fins et conclusions ;
- A titre subsidiaire, réformer le jugement en ce qu'il a condamné la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [C] la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral et FIXER le montant de l'indemnité à la somme de 1.000 euros;
- CONDAMNER Mme [K] [I], ès qualité de tutrice de Mme [M] [C], à payer la somme de 1.500 euros à la Société immobilière de l'industrie hôtelière de Paris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER Mme [K] [I], ès qualité de tutrice de Mme [M] [C], aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Bernard Favier, Membre de la SCP Bernard Favier Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 22 février 2022 par lesquelles Mme [M] [O] représentée par son tuteur Mme [K] [I] demande à la cour de :
JUGER l'appel de la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris mal fondé, la DÉBOUTER de ses demandes, "fons" et conclusions et CONFIRMER le jugement du 26 août 2021;
SUR L'APPEL INCIDENT
CONDAMNER la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à :
- Reloger sa locataire dans un logement de surface, commodités et équipements similaires et de loyer et charges identiques, situé à [Localité 11], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à venir
- A défaut de relogement ordonné, CONDAMNER la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C] une indemnité forfaitaire de 200.000 euros
- A titre de dommages et intérêts,CONDAMNER la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C] :
- une indemnité d'un montant équivalent au prix du forfait journalier de l'EHPAD, de 81,31 euros x 30 jours x 57 mois : 139.040,01 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 2020
- subsidiairement, une indemnité d'un montant équivalent au prix du forfait journalier de l'EHPAD, de 62,93euros x 30 jours x 57 mois : 107.610,30 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 2020
- très subsidiairement, une indemnité d'un montant équivalent au prix du forfait mensuel de l'EHPAD de 798 euros x 57 mois : 45.486 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1e novembre 2020
- Une somme de 40.000 euros au titre du préjudice moral et financier causé à la majeure protégée.
CONDAMNER la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C], représentée par son mandataire judiciaire à la protection des majeurs, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens de l'instance.
En cours de délibéré, la cour a invité les conseils des parties à faire valoir leurs observations sur le sort de l'appel incident de Mme [M] [O] veuve [C], représentée par sa tutrice, et des prétentions en découlant, alors que le dispositif des conclusions ne demande pas l'infirmation ou l'annulation du jugement, et ce au regard des 542, 909 et 954 du code de procédure civile et de la jurisprudence de la cour de cassation (2ème Civ., 17 septembre 2020, n°18-23.626 et 2e civ., 1er juillet 2021, n° 20-10.694, publiés), ce point ayant pour mémoire été mentionné oralement par l'appelant à l'audience de plaidoirie.
Aucune réponse n'a été reçue par la cour.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions remises au greffe et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'appel incident de Mme [M] [O] veuve [C] et ses demandes
Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; cette règle, affirmée par l'arrêt 2ème civ, 17 septembre 2020 (18-23.626, publié) de la Cour de cassation est applicable aux instances introduites par une déclaration d'appel postérieure à la date de cet arrêt.
La même exigence est imposée pour les conclusions de l'intimé qui forme un appel incident, et ce dans les mêmes conditions d'application dans le temps de cette règle.
En effet, l'article 909 du même code dispose que "L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué".
Il ainsi résulte des articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'intimé forme un appel incident et ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que déclarer irrecevables ces demandes, l'appel incident n'étant pas valablement formé (2e civ., 1er juillet 2021, n° 20-10.694, publié).
Pour mémoire, l'article 910-1 du même code dispose par ailleurs que "Les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige".
En l'espèce :
-l'instance a été introduite par une déclaration d'appel formée postérieurement au 17 septembre 2020, de sorte que la portée donnée aux dispositions légales précitées est applicable,
-le dispositif des uniques conclusions de l'intimée ne comporte aucune demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, ni ne visent un chef de dispositif de ce dernier ; elles ne sauraient donc saisir la cour d'un appel incident valablement formé et n'emportent aucun effet dévolutif.
En conséquence, les prétentions de Mme [M] [O] veuve [C] relatives au relogement, aux indemnités et dommages-intérêts, qui sont formulées dans le dispositif de ses conclusions, sous le paragraphe intitulé "SUR L'APPEL INCIDENT ", sont irrecevables, à l'exception de la demande "très subsidiaire" d'une indemnité forfaitaire de 45.486 euros, car elle correspond en réalité simplement à la confirmation du jugement sur ce point.
La cour n'est donc valablement saisie que de cette dernière demande et des demandes formulées en qualité d'intimée et visant au rejet de l'appel principal.
Au final, la cour constate donc qu'elle n'est saisie d'aucun appel incident de Mme [M] [O] veuve [C] par ses conclusions adressées à la cour en application des articles 909 et 910-1 du code de procédure civile et déclare irrecevables les prétentions suivantes, visant à condamner la SIIHP à :
- Reloger la locataire
- à défaut de relogement à lui payer une indemnité forfaitaire de 200.000 euros,
- à titre de dommages et intérêts, à lui payer une indemnité de 139.040,01 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 2020, subsidiairement, une indemnité de 107.610,30 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 2020, et une somme de 40.000 euros au titre du préjudice moral et financier causé à la majeure protégée.
Sur la validité du congé
Le premier juge a considéré en substance que les conditions de la gestion d'affaires sont réunies en l'espèce et que Mme [U] [C] a agi sciemment et utilement dans les intérêts de sa mère en payant les loyers de celle-ci depuis le mois de mars 2020 et en gérant ses relations avec ses créanciers et sa banque, mais qu' elle n'avait toutefois pas qualité pour effectuer des actes de disposition comme la résiliation du bail portant sur son logement, et il en a déduit que le congé était nul.
La SIIHP rappelle que la gestion d'affaire n'interdit pas les actes de disposition et soutient que la résiliation du bail décidée par Mme [U] [C] était un acte utile et opportun de sorte que le congé doit être déclaré valable.
Mme [M] [O] veuve [C] demande la confirmation du jugement et ajoute que la gestion d'affaires mise en 'uvre par Mme [U] [C] a été fautive car elle avait une obligation de conservation des biens du patrimoine de sa mère dans l'attente de la mesure de protection dont elle avait elle-même saisi le juge des tutelles et que la SIIHP, professionnel averti, aurait dû restituer les clés au tuteur dès la demande faite par le juge des tutelles.
Elle soutient également qu'en application de l'article 464 du code civil, selon lequel tous les actes passés par le majeur protégé dans les 2 ans précédant la mise sous tutelle peuvent être annulés en cas de préjudice, pour en déduire que Mme [U] [C] n'a jamais bénéficié d'un mandat exprès valable de sa mère pour résilier le bail.
Ce moyen est inopérant, dans la mesure où il n'est pas soutenu par la SIIHP, et il n'a d'ailleurs pas été retenu par le premier juge, que Mme [U] [C] ait agit sur procuration ou mandat exprès de sa mère. Ce sont les circonstances de la gestion d'affaires qui ont été retenues par le premier juge selon des termes critiqués en partie par la société appelante.
La cour relève en outre que la SIIHP n'invoque plus, même à titre subsidiaire, la théorie du mandat apparent.
Aux termes de l'article 12 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, d'ordre public, le locataire peut résilier le contrat de location à tout moment, dans les conditions de forme et de délai prévues à l'article 15.
Il résulte des articles 1301 et suivants du code civil que celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l'affaire d'autrui, à l'insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis dans l'accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d'un mandataire.
Il est tenu d'apporter à la gestion de l'affaire tous les soins d'une personne raisonnable et doit poursuivre la gestion jusqu'à ce que le maître de l'affaire ou son successeur soit en mesure d'y pourvoir.
Selon l'article 1301-3 du code civil, la ratification de la gestion par le maître vaut mandat ; l'utilité de la gestion n'a pas être établie lorsque le maître de l'affaire la ratifie.
En l'absence de ratification, celui dont l'affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant.
L'utilité et l'opportunité de l'acte s'apprécient au moment où il est fait, même si le résultat n'a finalement pas été utile au géré.
Contrairement à ce qu'a retenu en l'espèce le premier juge et à ce qui est soutenu par l'intimée, un acte de disposition peut être accompli par le gérant d'affaires mais sous réserve qu'il remplisse la condition d'utilité.
Il est constant que Mme [M] [O] veuve [C] n'a pas ratifié la décision de résiliation du bail, ayant au contraire indiqué au juge des tutelles qu'elle souhaitait retourner dans son logement.
Il résulte des éléments du dossier, que:
-Mme [M] [O] veuve [C] a quitté son domicile en avril 2020 suite à une fracture du bras et non pas en raison de la maladie d'Alzheimer dont elle souffrait et dont sa fille connaissait déjà l'existence bien antérieurement , comme le montre un courrier de Mme [U] [C] du 26 novembre 2019 (pièce 15 de l'intimée) ; qu'à sa sortie de l'établissement où s'est déroulée sa rééducation pour cette fracture, elle a intégré un EHPAD où elle se trouve toujours ;
-le jugement du 14 octobre 2020 plaçant Mme [M] [O] veuve [C] en tutelle indique que cette dernière est entrée en EHPAD en pensant, "comme le lui avait expliqué sa fille" qu'il s'agissait d'un accueil temporaire et qu'elle "a demandé à retourner à son ancienne résidence et affirmé fermement qu'elle ne souhaitait pas que sa fille s'occupe de ses affaires compte tenu de leur relation conflictuelle" ; que lors de son audition il est apparu que "malgré des facultés cognitives diminuées, Mme [M] [O] était parfaitement capable d'exprimer sa volonté, à savoir retourner vivre à domicile et voir nommer un professionnel plutôt que sa fille pour gérer ses affaires. La majeure à protéger a été capable d'expliquer son choix, en indiquant qu'elle souhaitait finir ses jours là où elle avait vécu pendant plusieurs dizaines d'années avec son époux " ; que le bail a été résilié par Mme [C] et que « le logement a été entièrement vidé des effets personnels de la majeure à protéger. Seule une visite organisée par les soins de l'EHPAD a permis à la majeure à protéger de récupérer quelques-uns de ses effets personnels, Mme [C] ayant prévu de se débarrasser de l'ensemble des biens appartenant à sa mère" ; que la résiliation du contrat de bail a été décidée "en méconnaissance totale du souhait de la majeure à protéger et des préconisations médicales qui indiquent qu'un retour à domicile est possible si des aides sont mises en place", que "Mme [U] [C] a montré qu'elle n'était pas en mesure de protéger les intérêts de sa mère, ni dans le cadre d'une habilitation familiale ni dans le cadre d'une autre mesure".
La SIIHP produit certes une attestation du Docteur [V], médecin gériatre dans l'établissement dans lequel Mme [M] [O] veuve [C] a été hospitalisée en rééducation entre le 15 avril et le 6 août 2020, indiquant que cette dernière "a présenté à sa sortie de l'établissement un état clinique qui ne lui permettait pas de se maintenir à son domicile avec une indication à une institutionnalisation". Toutefois, cette attestation qui a été établie près d'un an plus tard, le 7 avril 2021, reste imprécise et est contredite par les éléments médicaux recueillis par le juge des tutelles.
Aucun autre élément n'est produit contredisant utilement ceux-ci et établissant qu'en septembre 2020, date du congé, Mme [O] était dans un état de santé physique et mental tel que son retour à domicile était impossible ou très inopportun et justifiait une résiliation du bail aussi précipitée, dès le 9 septembre 2020, alors même que le juge des tutelles venait d'être saisi par Mme [U] [C] et alors, en outre, que le loyer, très modeste, était en proportion des ressources de Mme [M] [O] (1.165,60 euros par mois).
L'intimée invoque au surplus l'article 426 du code civil, selon lequel "le logement de la personne protégée et les meubles dont il est garni, qu'il s'agisse d'une résidence principale ou secondaire, sont conservés à la disposition de celle-ci aussi longtemps qu'il est possible", et rappelle que selon le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, l'acte de résiliation ou de conclusion d'un bail relatif au logement d'une personne protégée doit être regardé comme un acte de disposition.
Si ces dispositions n'étaient certes pas applicables à la date du congé donné, Mme [M] [O] veuve [C] ayant été placée en tutelle par décision du 14 octobre 2020, elles sont toutefois de nature à éclairer l'appréciation de l'utilité du congé litigieux dans le contexte de la présente affaire, un tel acte revêtant une importance particulière au regard du patrimoine et des conditions de vie de la personne à protéger.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la résiliation du bail décidée par Mme [U] [C] ne peut être considérée comme un acte utile à la date à laquelle il a été accompli.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du congé et considéré que celui-ci ne pouvait engager Mme [M] [O] veuve [C].
Par ailleurs, le chef de dispositif du jugement ayant rejeté la demande de relogement de Mme [M] [O] veuve [C] sur le fondement de l'article 1221 du code civil est définitif; par conséquent il convient de constater que le bail n'a pas été exécuté depuis le 10 octobre 2020 et ne peut l'être ; la cour constate donc la résiliation du bail prenant effet à cette date.
Sur l'indemnité compensatoire forfaitaire
La SIIHP ne critique pas en tant que telle, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire, l'indemnité de 45.486 euros qu'elle a été condamnée à verser, en application de l'article 1217 du code civil, à titre de réparation de l'inexécution du contrat, cette somme correspondant au surcoût mensuel de l'EHPAD par rapport au loyer payé par l'ancienne locataire dans le logement litigieux.
Le jugement, dont les motifs sont adoptés, sera donc confirmé sur ce point.
Sur le préjudice moral
Le premier juge a considéré que la SIIHP avait commis une faute lourde ayant causé un préjudice moral à Mme [M] [O] veuve [C] en s'engageant, dès août 2020, à relouer l'appartement alors même que le congé n'avait pas encore été donné et en refusant de remettre à la représentante légale de Mme [O] les clés de l'appartement, alors même qu'elle avait encore la possibilité de le faire et alors que son attention avait été attirée sur la nullité probable du congé par une autorité extérieure au conflit.
La SIIHP qui estime n'avoir commis aucune faute lourde, conclut au rejet de cette demande et, en tout état de cause, à la réduction des dommages-intérêts octroyés à Mme [M] [O] veuve [C].
C'est toutefois par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par l'appelante, laquelle ne produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, et que la cour adopte, que le premier juge, après avoir rappelé que dans le cas où l'inexécution du contrat résulte d'une faute lourde, le débiteur peut être tenu des dommages et intérêts comprenant ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution du contrat, a retenu en substance que:
-la SIIHP a été alertée à plusieurs reprises, par un courrier électronique du juge des tutelles du 9 octobre 2020, puis par plusieurs lettres de Mme [K] [I] en sa qualité de tutrice courant octobre 2020, du risque que le congé soit nul ; que le juge des tutelles lui a expressément demandé de suspendre toute démarche visant à faire intégrer un autre locataire dans le logement et Mme [I] a demandé la restitution des clés ;
-la SIIHP ne démontre pas qu'il lui était impossible de revenir sur la situation de fait existante quand il lui a été demandé de le faire puisque le bail avec M. [T], nouveau locataire, ne comportait aucune date et avait été accordé pour une entrée dans le logement le 1er novembre 2020 seulement,
- que des échanges de mails montrent que c'est Mme [N] [X], directrice de la SIIHP, elle-même, qui a proposé mi août 2020 , alors que le congé n'avait pas encore été donné par Mme [U] [C], de "bloquer" "d'ores et déjà" l'appartement pour le relouer à un tiers, M. [T].
La cour observe que la SIIHP se contredit en ce qu'elle soutient à la fois d'une part n'avoir commis aucune faute en se bornant à rechercher, sans s'engager, un nouveau locataire dès le mois d'août 2020 ce qui lui apparaît légitime puisque Mme [U] [C] l'avait informée qu'elle donnerait congé prochainement du bail de sa mère, et d'autre part que son engagement envers M. [T] était ferme, quoique verbal, et l'obligeait puisque dès le 17 août 2020 elle avait annoncé la localisation, la surface et le montant du loyer charges comprises, de sorte qu'elle ne pouvait revenir sur cet accord après la réception du congé litigieux.
De plus, compte tenu des sérieuses alertes qui lui avaient été données par le juge des tutelles et la tutrice, la SIIHP, professionnel averti qui réalise des opérations à finalité locative, ne peut prétendre que la réintégration de Mme [M] [O] veuve [C] dans son logement était "juridiquement douteuse" ; en outre, l'affirmation selon laquelle les locaux n'étaient déjà plus adaptés à la situation de la locataire en octobre 2020 est douteuse au vu des circonstances précitées, étant observé que l'intéressée soutient cette argumentation en se référant aux termes du jugement entrepris rejetant la demande de relogement alors que le premier juge a apprécié la situation et statué sur ce point environ un an plus tard.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SIIHP pour faute lourde ayant entraîné un préjudice tenant au fait que Mme [M] [O] veuve [C] n'a pu revenir chez elle alors qu'elle en avait manifesté à plusieurs reprises la volonté en particulier devant le juge des tutelles, qui a noté qu'elle avait été capable d'expliquer ses choix en indiquant qu'elle souhaitait finir ses jours là où elle avait vécu pendant plusieurs dizaines d'années avec son époux, qu'elle a donc été privée de ses repères spatio-temporels, ce qui chez une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer est susceptible de fortement dégrader son état, que l'impossibilité pour une personne âgée de passer les dernières années de sa vie là où elle a toujours vécu et la privation d'une personne vulnérable de ses repères sont constitutifs d'un préjudice moral qui en l'espèce est directement lié à la non restitution de l'appartement.
Toutefois l'appréciation de l'étendue du préjudice moral subi par Mme [O] doit être ramené à de plus justes proportions dans la mesure, notamment, où il résulte des éléments du dossier que sa situation se dégradait suffisamment pour justifier un placement sous tutelle et que sa perspective de pouvoir se maintenir encore un certain temps dans son logement indépendant devait être relativisée, aucun élément actualisé sur la situation de l'intéressée, qui réside toujours en Ehpad n'étant produit à cet égard.
Le jugement sera donc infirmé en ce qui concerne le montant des dommages intérêts octroyés à Mme [M] [O] veuve [C] qui seront ramenés à la somme de 10.000 euros.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
La SIIHP ayant perdu pour l'essentiel son procès puisque la plupart des prétentions qu'elle formulait ont été rejetées, les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties, et il est équitable d'allouer à Mme [M] [O] veuve [C] une indemnité de procédure de 2.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Constate qu'elle n'est saisie d'aucun appel incident de Mme [M] [O] veuve [C], agissant par son représentant légal, Mme [I], dans ses conclusions adressées à la cour en application des articles 909 et 910-1 du code de procédure civile ;
Déclare en conséquence irrecevables les prétentions de Mme [M] [O] veuve [C], agissant par son représentant légal, Mme [I], et visant à condamner la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à :
- reloger sa locataire
- A défaut de relogement, à payer à Mme [M] [O] veuve [C] une indemnité forfaitaire de 200.000 euros
- à titre de dommages et intérêts,condamner la société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C] :
- une indemnité de 139.040,01 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 2020
- subsidiairement, une indemnité de 107.610,30 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 2020
- une somme de 40.000 euros au titre du préjudice moral et financier
Confirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris, sauf en ce qu'il condamne la Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C] la somme de 20.000 euros en compensation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Et statuant à nouveau,
Condamne la Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C], agissant par son représentant légal, Mme [I], la somme de 10.000 euros en compensation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris ;
Rejette toutes demandes plus amples ou contraires,
Et y ajoutant,
Condamne la Société Immobilière de l'Industrie Hôtelière de Paris à payer à Mme [M] [O] veuve [C], agissant par son représentant légal, Mme [I], la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens d'appel se seront partagés par moitié entre les parties,
Rejette toutes autres demandes.
La greffière Le président