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06/07/2023 | FRANCE | N°21/07034

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 juillet 2023, 21/07034


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 JUILLET 2023



(n° 2023/ , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07034 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE3F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/01943



APPELANTE



Madame [T] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Mag

ali LATRY, avocat au barreau de PARIS, toque : C2228



INTIMEE



S.A.S. DEVEXPORT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Lucille CORIOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1089
...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 JUILLET 2023

(n° 2023/ , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07034 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE3F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/01943

APPELANTE

Madame [T] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Magali LATRY, avocat au barreau de PARIS, toque : C2228

INTIMEE

S.A.S. DEVEXPORT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Lucille CORIOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1089

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 avril 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [T] [H] a été engagée par la société Devexport par contrat de travail à durée déterminée, à compter du 3 septembre 1990, en qualité d'attachée de direction export.

A compter du 1er mars 1991, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Mme [H] exerçait en dernier lieu depuis le 2 mai 2012 les fonctions de directrice commerciale, statut cadre.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de commission, de courtage et de commerce intracommunautaire et d'importation-exportation.

Le 2 janvier 2018, Mme [H] a été victime d'un malaise sur son lieu de travail, déclaré comme un accident du travail. Elle a été placée en arrêt de travail à ce titre du 2 au 8 janvier 2018 puis du 26 février au 26 mars 2018. A compter du 15 mars 2018 et jusqu'au 15 juin 2018, elle a été hospitalisée dans une maison de santé.

Le 18 janvier 2018, l'Assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de l'accident du 2 janvier 2018. Le 24 août 2018, elle a reconnu que l'arrêt de travail du 27 mars 2018 était en rapport avec une affection de longue durée.

Mme [H] n'a pas repris son travail à compter du 26 février 2018.

A l'issue d'une visite de reprise le 6 mai 2019, le médecin du travail a déclaré Mme [H] inapte à son poste de travail en précisant : ' L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi '.

Mme [H] a été convoquée par lettre du 9 mai 2019 à un entretien préalable fixé au 22 mai 2019.

Par lettre du 27 mai 2019, elle a été licenciée pour ' inaptitude physique médicalement constatée, avec dispense de rechercher un poste de reclassement compte tenu de (son) état de santé '.

Considérant notamment avoir été victime d'un harcèlement moral et soutenant la nullité du licenciement, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 24 juin 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties a :

- condamné la société Devexport à lui verser les sommes suivantes en application de l'article 1226-14 du code du travail :

* 17 490 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 50 852,88 euros à titre de doublement de l'indemnité de licenciement,

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 9 mars 2020 et jusqu'au jour du paiement, étant rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, fixée à la somme de 5 830 euros brute,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Mme [H] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Devexport du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Devexport de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Devexport aux dépens.

Mme [H] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 30 juillet 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [H] demande à la cour de :

- constater les agissements constitutifs de harcèlement moral qu'elle a subis ;

- prononcer la nullité de son licenciement pour inaptitude compte tenu des actes de harcèlement moral commis par la société Devexport ;

En conséquence,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Devexport à lui payer:

* 17 490 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 50 852,88 euros à titre de doublement de l'indemnité de licenciement,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, et, en conséquence, condamner la société Devexport aux sommes suivantes :

* 116 604 euros à titre d'indemnité pour nullité du licenciement,

* 139 925 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 69 960 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité en matière de santé des salariés ;

- condamner la société Devexport au paiement d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir pour défaut de paiement des sommes mises à la charge de la société Devexport ;

- condamner la société Devexport au paiement des intérêts au taux légal ;

- condamner la société Devexport à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Devexport aux entiers dépens.

Par conclusions transmises par voie électronique le 19 janvier 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Devexport demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [H] les sommes suivantes en application de l'article L.1226-14 du code du travail :

* 17 490 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 50 852,88 euros à titre de doublement de l'indemnité de licenciement,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence,

- juger que l'inaptitude est d'origine non professionnelle ;

En conséquence,

- débouter Mme [H] de ses demandes formulées au titre du caractère prétendument professionnel de son inaptitude, à savoir :

* 17 490 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 50 852,88 euros à titre de doublement de l'indemnité de licenciement ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence,

- condamner Mme [H] à lui régler 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer le jugement en qu'il a débouté Mme [H] du surplus de ses demandes ;

En conséquence,

- juger que Mme [H] n'a subi aucun acte de harcèlement moral ;

- juger qu'elle a parfaitement respecté l'obligation de sécurité en matière de santé des salariés à laquelle elle est tenue en sa qualité d'employeur ;

- juger que le licenciement de Mme [H] est parfaitement fondé ;

En conséquence,

- débouter Mme [H] de ses demandes de :

* 139 925 euros à titre de dommages et intéês pour harcèlement moral,

* 69 960 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité en matière de santé des salariés ;

Par ailleurs, et en tout état de cause,

- juger que le licenciement de Mme [H] est parfaitement fondé ;

- débouter Mme [H] de sa demande formulée au titre de la nullité du licenciement pour inaptitude ;

En conséquence,

- débouter Mme [H] de ses demandes suivantes :

* 116 604 euros à titre d'indemnité pour nullité du licenciement,

* astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir pour défaut de paiement des sommes mises à sa charge et/ou défaut de remise de documents sociaux,

* exécution provisoire de droit,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 mars 2023.

MOTIVATION

Sur le harcèlement moral

Mme [H] soutient qu'elle a été victime d'un harcèlement moral et allègue à ce titre :

- un retrait de ses fonctions ;

- une organisation de son isolement ;

- un déménagement de son bureau.

La société Devexport conteste tout harcèlement moral.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Sur le retrait des fonctions

Mme [H] expose qu'elle a été pendant plusieurs années la représentante commerciale et la coordinatrice de la société à l'égard des fournisseurs, des clients cubains, de l'association des entreprises françaises à Cuba et des représentants étatiques. Elle indique qu'elle gérait et coordonnait dans le cadre de ses missions la présence de la société à la foire de [Localité 5] et qu'elle a coordonné cet événement pour les 25 ans de la présence de la société dans ce pays. Elle ajoute qu'en mars 2014, son évolution professionnelle et ses fonctions de pilotage de l'animation commerciale sur la zone Caraïbes et du bureau de [Localité 5] ont été confirmées sur le site internet de la société puis qu'elle a été nommée en qualité de membre du directoire.

Sur le retrait de la coordination du bureau de [Localité 5] et de dossiers, et sur l'absence de communication de mails

Mme [H] allègue qu'à compter de 2015, des dossiers lui ont été retirés de manière insidieuse de sorte que son poste est devenue une 'coquille vide'. Elle soutient à cet égard, qu'elle n'a plus été destinataire en copie d'échanges de mails, que des décisions étaient prises sans concertation, qu'à compter du mois d'octobre 2016 la coordination du bureau de [Localité 5] lui a été retirée, Mme [N] [X], directrice générale, fille du président fondateur de la société, devenant représentante accréditée à Cuba.

A l'appui de son allégation concernant le retrait de la coordination du bureau de [Localité 5], Mme [H] produit un mail du 20 décembre 2001 de M. [X] la nommant aux fonctions de directrice commerciale adjointe et lui confiant ' la responsabilité de coordonner les actions de propection sur le marché cubain, tant au niveau de l'équipe commerciale parisienne (..) qu'au bureau de [Localité 5], la responsabilité principale de l'action commerciale sur Cuba (définition de la politique commerciale, relation avec les directions d'entreprises et de ministères, conduite des négociations de grands contrats) restant à charge de la Direction générale '. Elle verse également aux débats un courriel du 3 janvier 2002 de M. [X] indiquant : ' (...) Maintenant nous avons décidé de déléguer à [T], en étroite relation avec la Direction de l'entreprise, la tâche de coordination des actions commerciales à Cuba, aussi bien avec l'équipe de [Localité 4] qu'avec l'équipe de [Localité 5] (...) ' ainsi qu'un organigramme de la société qui la désigne comme directrice commerciale dans le cadre de la partie d'activité consacrée à Cuba. Elle produit enfin un courriel de Mme [N] [X] du 14 octobre 2016 indiquant notamment : ' (...) Dans quelques semaines je serai officialisé en tant que Représentant accrédité à Cuba quand [R] restera Président de Devexport. Au niveau de la branche, nous avons dégagé [T] de la responsabilité de sa coordination, mission qui lui avait été confiée il y a quelques années, afin qu'elle puisse consacrer suffisamment de temps au développement commercial de nouveaux marchés, notamment les principes actifs de la pharmacie entreprise d'origine indienne et des projets ferroviaires complexes. En tant que Représentant du cabinet, j'assume la responsabilité de la coordination générale de la branche. (...)'.

Concernant l'absence de communication de mails et le retrait de dossiers, elle produit aux débats :

- un échange de mails du 22 février 2017 dont il résulte qu'elle a été invitée à une réunion concernant le transport ferroviaire à Cuba, qu'elle a répondu qu'elle assisterait à cette réunion en compagnie de M. [X] qu'elle avait ajouté à la liste de destinataires et qu'il lui a répondu : ' (...) J'apprécie l'honneur que vous me faites en faisant savoir que je vous accompagnerai. Cependant, je ne pensais pas utile, voire contreproductif d'y aller à 2. (...) En voyant votre message, j'ai hésité à vous laisser y aller seule , mais après réflexion comme j'ai un intérêt fort à rencontrer, avant mon voyage à LH, [W]. [S] et [M] [C], ce dernier un grand copain de [J] [L] ; je vais donc y aller quand même. En tout cas si vous avez des surcharges d'emploi du temps, voici une source d'économies possibles. (...) ' ;

- un échange de mails du 28 mai 2017, aux termes duquel elle se plaint notamment de ne pas avoir été mise au courant d'actions lancées vis à vis de Farmacuba à la suite de la transmission par Mme [F] d'un courriel à Mme [I] et évoque le retrait de la coordination du bureau de [Localité 5] ;

- un mail du 29 mai 2017, par lequel elle se plaint que des actions soient réalisées à son insu ;

- un échange de mails du 28 juin 2017 aux termes duquel elle s'étonne que soit évoquée la question de la prise en charge du dossier Energoimport ce à quoi M. [X] lui a répondu : ' (...) il y a chez Devexport un interlocuteur principal par client et un seul. (...) Le responsable principal Energoimport est [N]- pas illogique que le plus gros client soit sous la responsabilité directe de la DG. (...) ' ;

- un échange de mails du 13 décembre 2017 qui révèle qu'elle s'est plainte de ne pas être ' dans la boucle ' ce à quoi M. [X] a répondu : ' Effectivement, j'aurais dû en faisant réponse à tous penser à vous rajouter à la liste (...) Et de toute façon j'étais bien décidé à vous raconter au retour, ce qui était le plus important pour que vous puissiez continuer à suivre ce projet, (...). Pour répondre à votre question sur la suite, je vous propose de faire entre nous, et avec [N] quand elle en aura le temps, un point régulier sur ce dossier, au moins une fois chaque quinzaine, afin d'en piloter ensemble l'avancement et se répartir les rôles à chaque étape.' ;

- un mail du 24 janvier 2018 adressé à M. [X] par lequel elle se plaint de ne pas avoir eu connaissance de la teneur des échanges avec deux personnes car elle n'a pas été conviée à une réunion du 12 janvier. Par message du même jour, ce dernier lui a répondu ' (...) Je ne me souviens plus bien si le 12 janvier vous étiez là, en déplacement ou en arrêt maladie, mais je peux vous dire que [B] m'avait demandé de le recevoir personnellement avec M. [E] [V], (...). Bien que ces questions ne relèvent pas de votre compétence particulière, je vous en aurai sans difficulté expliqué les problématiques si vous aviez été présente et disponible. (...) ' 

Sur l'éviction du directoire

Elle invoque également son éviction en mars 2017 du directoire de la société, sa démission lui ayant été selon elle demandée.

A l'appui de cette allégation, elle verse aux débats un mail de Mme [X] du 6 mars 2017 ainsi rédigé : ' (...) Par ailleurs nous avons parlé avec le cabinet juridique afin de procéder au changement de membre du Directoire. Il faudrait que tu fasses une lettre de démission adressée au Conseil de Surveillance, datée du 25 février qui sera ensuite suivie d'un Conseil de Surveillance qui en prendra acte. Le CS nommera ensuite [A] qui par sa fonction transversale a le profil adapté à la fonction de Membre du directoire. (...) ' ainsi qu'un message du 9 mars 2017 lui transmettant un modèle de lettre de démission et lui précisant : ' (...) Ci-joint comme demandé, je te joins un modèle de lettre de démission. Je te laisse la finaliser et me la remettre. (...) ' puis sa lettre de démission du 25 février 2017.

Sur l'interdiction de ne pas se rendre à la foire internationale de [Localité 5]

Si Mme [H] allègue qu'en octobre 2017, il lui a été demandé de ne plus se rendre à la foire internationale de [Localité 5], événement déterminant pour rencontrer les clients et les prospects, elle ne produit pas d'élément à ce titre.

Sur la demande de comptes rendus

Mme [H] ajoute que des comptes rendus sur ses activités quasiment en temps réel lui ont été demandés de manière insistante ce qui a généré une surcharge de travail et une pression injustifiée. Elle produit à ce titre des comptes rendus qu'elle a établis antérieurement et qui n'établissent pas l'exigence dénoncée. Elle vise des pièces de la société mais ces éléments révèlent quelques demandes de compte rendu habituelles dans les relations de travail.

Ce fait n'est donc pas établi.

Sur le retrait de ressources humaines

Mme [H] allègue également que le retrait de responsabilités s'est accompagné d'un retrait de ressources humaines dans la mesure où de nouvelles tâches ont été confiées à Mme [Z] [F] avec laquelle elle travaillait depuis plusieurs années pour le développement de projets de l'industrie pharmaceutique ce qui a eu pour effet d'accroître la pression pesant sur elle.

Elle produit à ce titre un échange de mails du 21 mars 2016 aux termes duquel elle reproche à la société d'avoir demandé à une de ses collaboratrices, [G], d'évaluer son activité en soulignant qu'elle n'a pas été avisée de cette demande et que confier d'autres tâches à cette salariée conduira à l'absence de suivi d'une partie de ses dossiers. Ce à quoi il lui a été répondu par la responsable des ressources humaines qu'il s'agissait d'évaluer les tâches effectuées par chacun. Outre que la pièce visée ne concerne pas Mme [F], les éléments produits à ce titre n'établissent pas que des ressources humaines ont été retirées au service de Mme [H].

Sur la réduction des déplacements à [Localité 5]

Mme [H] allègue que la société a remis en cause le nombre de ses déplacements. Elle verse aux débats à ce titre deux échanges de mails du 22 février et du 4 septembre 2017 dont il résulte qu'elle planifie ses déplacements avec Mme [X]. Le seul fait que dans son message du 4 septembre, Mme [X] lui indique : ' Je souhaiterai avoir, comme la dernière fois, un programme prévisionnel de voyage un peu plus précis. La durée est trop longue à mon sens, je n'y suis pas favorable ' en expliquant sa position sur la durée du déplacement n'établit pas que la société a réduit ses déplacement ce d'autant que Mme [H] n'indique pas si ces déplacements lui ont été retirés. De même, la comparaison du nombre de jours de déplacement à [Localité 5] au cours de la période 2000/2017 n'établit pas que la société les a réduits dans la mesure où en 2011, la salariée ne s'y est pas rendue, en 2006 et en 2007, elle s'y est rendue à 22 et 25 reprises et qu'au cours de la période de 2015 à 2017, période au cours de laquelle elle soutient avoir été harcelée, elle s'y est rendue respectivement 38, 32 et 35 fois, peu important à cet égard qu'en 2010 et 2012, elle s'y soit rendue 45 et 49 fois, ce nombre de voyages sur l'ensemble de la période étant exceptionnel et Mme [H] ne produisant pas d'élément quant au retrait au cours de la période objet du litige de voyages nécessaires à son activité.

La réduction des déplacements à [Localité 5] n'est donc pas établie.

Sur le retrait des accès internet

Mme [H] soutient que les accès aux serveurs groupes internet lui ont été retirés mais elle ne produit pas de pièces à ce titre.

Mme [H] produit en outre aux débats une compte rendu d'une réunion avec Mme [X] qui ne constitue que ses propres dires.

Sur l'organisation de son isolement

Sur la dégradation de ses relations de travail avec ses supérieurs et avec ses collègues

Dans cette partie de son argumentation, Mme [H] évoque seulement la dégradation de ses relations avec ses collègues.

Mme [H] soutient que le retrait de ses dossiers et sa mise à l'écart ont conduit à une dégradation de ses relations de travail avec ses collègues. Elle produit à ce titre un mail que lui a adressé Mme [P] le 14 juin 2015 en réponse à un mail de sa part au sujet du déplacement des bureaux, dans lequel celle-ci indique ' (...) Même si la décision de la direction (encore une fois prise en leur absence sans doute pour ne pas se confronter à des réactions immédiates en face à face) est critiquable, et qu'il existe une réelle volonté de t'emmerder (je ne trouve pas d'autre mot) je ne veux pas que tu tombes dans des travers de persécution, ou tu serais la cible à abattre, et ou d'autres tireraient profit ou en tout cas jouerait leur jeu. (...)'. Elle ajoute : ' Chacun à son niveau, essaye de sauver sa peau, un peu d'espace, et je ne pense absolument pas que cela soit fait à ton détriment, mais il devient pour chacun d'entre nous de plus en plus difficile d'exister en tant qu'individu dans cette entreprise, le management est absolument catastrophique, et nous sommes tous sur les nerfs. (...)'

La cour constate que cet écrit n'est pas confirmé par une attestation ou par d'autres éléments objectifs.

Sur le déménagement de son bureau

Mme [H] soutient qu'au mois d'août 2015, elle a été contrainte de changer de bureau pour reprendre le bureau qu'elle occupait avant 2009, bureau petit et isolé, qui ne la rapprochait pas de son assistante alors que leurs anciens bureaux étaient contigus. Elle ajoute qu'elle ne se servait pas de la salle de réunion et que cet emplacement n'était pas plus stratégique dans la mesure où il se situait au milieu de l'équipe chargée des activités commerciales avec le Maghreb et la Chine et que l'équipe chargée des affaires cubaines se situait à l'autre extrémité. Elle précise que des archives étaient entreposées dans ce bureau qui était situé prés d'une salle de réunion mal isolée.

A l'appui de son allégation, Mme [H] produit des plans des locaux avant et après le changement de bureau qui démontrent que son nouveau bureau était plus petit et contigu à une salle de réunion. Elle verse également une photographie montrant des archives entreposées dans un bureau.

Sur le dossier de prévoyance

Mme [H] soutient qu'elle a subi des retards dans le traitement et le paiement de ses indemnités de prévoyance.

Elle produit à ce titre une lettre de mise en demeure du 11 août 2018 dans laquelle elle indique qu'elle n'a pas perçu les indemnités au titre de la prévoyance et que l'organisme de prévoyance Humanis lui a indiqué que la société avait procédé à un premier envoi de son dossier le 18 juin et qu'elle n'a complété sa déclaration que le 24 juillet.

Sur la dégradation de son état de santé

Mme [H] soutient que son état de santé s'est dégradé en raison de ses conditions de travail et elle expose qu'elle a été victime d'une crise de panique le 2 janvier 2018 après que Mme [X] à deux reprises lui a demandé de signer une lettre de demande de rupture conventionnelle du contrat de travail. Elle ajoute qu'elle a dû être à nouveau hospitalisée au cours de la période du 24 septembre au 13 décembre 2019.

Elle produit à ce titre des arrêts de travail et des justificatifs d'hospitalisation. La cour constate que sur la prolongation de l'arrêt de travail pour accident du travail du 16 février 2018, il est mentionné par le médecin : ' état d'anxiété généralisé IIre à harcèlement moral et situation conflictuelle sur le lieu de son travail manifestations somatiques ++ ', que sur celle du 26 février 2018, il est précisé : ' anxiété généralisée situation très conflictuelle sur lieu de travail (harcèlement) ', que sur celle du 30 juin 2018, il est mentionné ' état dépressif sévère '. Elle verse également aux débats un bulletin de situation concernant une hospitalisation du 24 septembre au 13 décembre 2019.

Il résulte de cette analyse que Mme [H] ne présente pas d'éléments de fait sur l'interdiction de se rendre à la foire internationale de [Localité 5], sur la demande de comptes rendus, sur le retrait de ressources humaines, sur la réduction des déplacements à [Localité 5], sur la dégradation de ses relations avec ses collègues et sur le retrait des accès internet.

Par contre, elle présente des éléments de faits concernant le retrait de la coordination du bureau de [Localité 5], le retrait de dossiers et l'absence de communication de mails, l'éviction du directoire, le déménagement de son bureau, le dossier de prévoyance et la dégradation de son état de santé.

Pris dans leur ensemble, ces éléments de faits laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la société de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

A titre liminaire, la société fait valoir que Mme [H] avait par une première requête du 12 février 2019, saisi le conseil de prud'hommes d'une action en résiliation de son contrat de travail et que, consciente de sa difficulté à caractériser les manquements de l'employeur, elle a abandonné cette demande et ne la reprend pas dans le cadre de la présente procédure. Cette situation est sans incidence sur l'issue du présent litige dès lors qu'il a pour objet de rechercher si la salariée a été victime d'un harcèlement moral et si celui-ci est en lien avec son licenciement pour inaptitude, chaque partie disposant de la liberté de définir ses demandes et les moyens au soutien de celles-ci.

Sur le retrait de la coordination du bureau de [Localité 5], le retrait de dossiers et l'absence de communication de mails

La société soutient que Mme [H] a une vision erronée de la réalité de ses fonctions. Elle fait valoir qu'elle n'était pas coordinatrice du marché cubain, que M. [X] était le représentant accrédité sur Cuba où il se rendait régulièrement. Elle ajoute que la salariée ne représentait la société lors d'événements comme des salons professionnels à Cuba que si M. ou Mme [X] ne pouvait pas s'y rendre. Elle précise que la définition des fonctions de Mme [H] n'était pas contractuelle et qu'à partir de novembre 2016, Mme [N] [X] devenant représentante accréditée à Cuba, la salariée se voyait confier le développement commercial de nouveaux marché en particulier avec l'Inde et des projets plus complexes concernant les chemins de fer à Cuba.

Cependant, il résulte clairement des courriels produits par Mme [H] qu'elle était chargée de coordonner les actions de prospection sur le marché cubain et d'assurer la coordination des actions commerciales à Cuba tant au niveau de l'équipe à [Localité 4] qu'à celui du bureau de [Localité 5]. La société ne produit aucun élément objectif et notamment pas de fiche de fonctions permettant de cerner plus finement les attributions de chacun. Il est établi par le mail adressé par Mme [X] le 14 octobre 2016 que cette coordination du bureau de [Localité 5] avait été confiée à Mme [H] comme elle l'indique expressément dans cet écrit ce d'autant qu'elle indique également que cette coordination lui est retirée. Le fait que les responsables de la société supervisent l'ensemble des actions n'est pas significatif dès lors qu'il est inhérent à toute organisation d'une société que le dirigeant encadre et supervise l'action des salariés.

Vainement la société invoque que ces missions n'étaient pas contractuelles d'une part, car elles ont été définies et confiées par l'employeur, d'autre part car le simple retrait de fonctions sans élément objectif le justifiant est de nature à participer d'un harcèlement moral. En l'occurence, la société expose que ce retrait de fonctions a été compensé par de nouvelles missions. Cependant, elle ne produit aucun élément objectif à ce titre.

Concernant le retrait de dossiers et l'absence de communication de mails :

- s'agissant de l'échange de mails du 22 février 2017, la société soutient que le président de la société pouvait parfaitement se rendre seul à cette réunion institutionnelle impliquant des prises de décision sur le plan financier et que finalement, Mme [H] l'a accompagné. A l'appui de ses dires, elle produit un mail du 24 février 2017 dans lequel M. [X] reproche à Mme [H] des propos tenus. S'il est exact que le président de la société peut décider d'aller seul à une réunion, les termes et le ton employés dans le mail du 22 février 2017 sont particulièrement ironiques. Aucun élément objectif ne permet d'établir que finalement Mme [H] a participé à cette rencontre, aucune mention du message du 24 février ne permettant de s'en assurer ;

- s'agissant de l'échange de mails du 13 décembre 2017, la société fait valoir qu'il en résulte que Mme [H] n'a pas été mise à l'écart et qu'au contraire, elle était totalement associée par le dirigeant de l'entreprise aux projets d'envergure et concernant le mail du 24 janvier 2018, elle soutient que M. [X] avait vocation à tenir cette réunion et qu'il a informé Mme [H] de sa teneur. Cependant, la cour constate que dans les deux cas, la réponse de M. [X] est intervenue après une plainte de Mme [H] et qu'il n'a pas spontanément informé la salariée de ces éléments. La cour relève également que la société ne produit pas d'élément objectif concernant les échanges de mails du 28 et du 29 mai 2017 ainsi que du 28 juin 2017 aux termes desquels Mme [H] s'étonne que des dossiers soient évoqués à son insu. En outre, elle ne conteste pas que ces dossiers relevaient du domaine d'activité de la salariée. S'il peut arriver comme le soutient la société d'omettre une personne en copie d'un message, la répétition de ces faits et le ton employé par M. [X] dans le message du 24 janvier indiquant à Mme [H] alors qu'elle venait de subir un accident du travail ' Je ne me souviens plus bien si le 12 janvier vous étiez là, en déplacement ou en arrêt maladie', établissent que des dossiers ont été traités en dehors de Mme [H] et que des messages ne lui ont pas été adressé, sans qu'aucun élément objectif ne le justifie.

Sur l'éviction du directoire

La société rappelle que le directoire est nommé par le conseil de surveillance et que le mandat de Mme [H] pouvait être remis en cause indépendamment des fonctions salariales exercées. Elle fait valoir que la révocation de ce mandat est intervenue sur la base d'éléments purement objectifs, que Mme [H] lui a demandé un modèle de lettre de démission et qu'elle était avant tout soucieuse de voyager en classe business.

La cour constate que la société indique que le conseil de surveillance a considéré que Mme [H] ne s'était pas installée dans une réflexion de dirigeante et l'avait libéré de son mandat de sorte qu'il ne peut pas être retenu que la salariée a librement démissionné de son mandat. La cour relève en outre qu'il résulte de l'organigramme produit aux débats que le conseil de surveillance était présidé par M. [X] et avait pour membre Mme [X], celle-ci étant par ailleurs présidente du directoire. Enfin, la société ne cite pas les éléments objectifs qui fonderaient cette révocation et n'en produit pas.

Sur le déménagement de son bureau

La société soutient à ce titre que Mme [H] n'a pas été informée au dernier moment de ce changement de bureau, qu'elle en a été informée en même temps que le reste de l'équipe par un mail de Mme [X] du 13 juin 2015, que cette décision était fondée sur des éléments objectifs et relevait de son pouvoir de direction. Elle fait valoir que le premier objectif était de mieux répartir les effectifs dans les bureaux, de rapprocher les binomes commerciaux/assistantes et de réintroduire une cohérence géographique selon les zones d'intervention.

Elle produit à ce titre le plan des bureaux après le déménagement, les photographies du nouveau bureau de Mme [H] et le mail adressé par celle-ci à Mme [X] le 17 juin 2017.

Les photographies produites sont celles d'un bureau normal et il est en outre démontré par le plan qu'il est contigu à une salle de réunion. Cependant, si le plan produit comprend des zones colorées, aucune légende de couleur n'est produite de sorte qu'il n'est pas démontré que les modifications dans l'attribution des bureaux avaient pour but de rapprocher les salariés par secteur commercial. La cour relève en outre que ce but n'est pas non plus mentionné dans le courriel de Mme [X] du 13 juin 2015. Il résulte également du plan et de ce mail que les bureaux de Mme [H] et de Mme [P] ont été permutés, que le bureau occupé antérieurement par la salariée désormais occupé par Mme [P] était plus grand que celui dans lequel elle a déménagé. Aucun élément objectif n'est produit à l'appui de ce changement de bureau.

Sur le dossier de prévoyance

La société conteste tout retard apporté au traitement du dossier de Mme [H] à ce titre et fait valoir que les difficultés rencontrées sont dues à un défaut de transmission par la salariée des justificatifs d'indemnités journalières de sécurité sociale. Elle ajoute qu'elle lui a proposé une avance de 3 400 euros.

Elle produit aux débats de nombreux échanges de mails et courriers notamment avec l'organisme de prévoyance Humanis qui démontrent qu'elle a sollicité auprès de Mme [H] dès le 17 mai 2018 ses décomptes de sécurité sociale, qu'elle les lui a demandés à nouveau par courrier du 1er juin 2018, qu'elle en a été destinataire le 11 juin 2018 et qu'elle a transmis les éléments à Humanis le 18 juin. Il est également établi par un mail du 1er août 2018 que la société s'est adressée à nouveau à Humanis.

Ainsi, la société justifie par ces éléments objectifs qu'elle n'a pas négligé le dossier de prévoyance.

Sur la dégradation de l'état de santé de Mme [H]

La société soutient que l'altération de l'état de santé de la salariée n'est pas due à ses conditions de travail mais à des problèmes personnels. Elle fait valoir que le médecin ayant signé la prolongation d'arrêt de travail pour la période du 4 au 8 janvier 2018 est son beau-frère. Elle souligne que Mme [H] a été placée en arrêt de travail dans le cadre de l'accident du travail uniquement du 2 au 3 janvier puis du 4 au 8 janvier 2018 compte tenu de la décision de la CPAM.

A l'appui de ses dires, la société produit un courrier de l'assurance maladie du 15 mars 2018 qui indique que ' la lésion invoquée sur le certificat médical n'est pas imputable au sinistre référencée ci-dessus ' c'est à dire l'accident du travail du 2 janvier 2018. Elle produit également des arrêts de travail dont un du 12 février 2018 est un arrêt de travail initial dans le cadre d'un accident du travail.

La cour a indiqué dans l'exposé du litige que la salariée avait été en arrêt de travail dans le cadre de son accident du travail au cours des périodes du 2 au 8 janvier 2018 puis du 26 février au 26 mars 2018 comme démontré par un relevé de prestations de sécurité sociale.

Il est indifférent que le médecin ayant signé l'arrêt de travail du 4 janvier 2018 soit le beau-frère de Mme [H] ce qui n'est d'ailleurs pas démontré, dès lors que par sa signature il a engagé sa responsabilité en qualité de médecin, qu'il a indiqué constater un malaise dans un contexte professionnel, que l'accident du travail a été reconnu par l'assurance maladie et que les indications ayant trait à un état dépressif et à un état d'anxiété ont été portées par un autre médecin.

La cour retient en conséquence que la société n'apporte pas d'éléments objectifs concernant la dégradation de l'état de santé de la salariée.

Il résulte de cette analyse que Mme [H] a subi un harcèlement moral caractérisé par le retrait de la coordination du bureau de [Localité 5], un retrait de dossiers et l'absence de communication de mails, une éviction du directoire et le déménagement de son bureau, ces agissements ayant entraîné la dégradation de son état de santé.

Elle a subi à ce titre un préjudice caractérisé par les pièces médicales produites aux débats qui sera indemnisé par l'allocation de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts au paiement de laquelle la société sera condamnée.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur la nullité du licenciement

Par application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

La société soutient que l'inaptitude constatée par le médecin du travail était consécutive à une maladie simple dès lors que la salariée n'a été en arrêt de travail dans le cadre d'un accident du travail que pendant quelques jours et qu'elle se trouvait en arrêt de travail pour maladie simple depuis plus d'un an lorsque le médecin du travail a constaté son inaptitude. Elle ajoute que Mme [H] 'instrumentalise' l'accident du travail dans un contexte de négociation d'une rupture conventionnelle et qu'elle rencontrait des difficultés personnelles.

La cour relève que Mme [H] a été placée en arrêt de travail pour accident du travail, que des médecins ont considéré qu'elle souffrait d'un état d'anxiété généralisé consécutif à un harcèlement moral et à une situation conflictuelle sur son lieu de travail puis d'un état dépressif sévère le 30 juin 2018, son inaptitude ayant été constatée le 6 mai 2019, le médecin du travail la déclarant inapte à son poste de travail en précisant : ' L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ' alors que Mme [H] n'a pas repris le travail depuis le 26 février 2018. Il ressort de ces éléments concordants que l'inaptitude constatée par le médecin du travail est en lien avec le harcèlement moral qu'elle a subi et que dès lors, son licenciement pour inaptitude est nul par application des dispositions précitées.

Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article parmi lesquelles la nullité afférente à des faits de harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [H], de son âge, 56 ans, de son ancienneté, 28 ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, Mme [H] justifiant avoir perçu des prestations chômage jusqu'au 30 avril 2021, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, une somme de 116 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur les dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité

Mme [H] soutient qu'elle a alerté à plusieurs reprises son employeur ainsi que le médecin du travail sur les agissements qu'elle subissait et que la société n'a pas mis en oeuvre de mesures pour faire cesser ces agissements.

La société fait valoir qu'en réponse au mal-être exprimé par la salariée, elle a organisé une rencontre et a saisi le médecin du travail. Elle ajoute avoir été contrainte d'intervenir à plusieurs reprises pour empêcher Mme [H] de travailler le dimanche.

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige,

l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, si la société justifie avoir adressé des mails à la médecine du travail et avoir indiqué à Mme [H] qu'elle ne devait pas adresser de messages professionnels pendant son arrêt de travail, il convient de relever qu'elle ne démontre pas la mise en oeuvre en son sein de mesures de prévention et d'actions pour faire cesser les agissements de harcèlement moral qui ont perduré.

En conséquence, elle sera condamnée à verser à Mme [H] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur l'indemnité conventionnelle spéciale de licenciement et l'indemnité compensatrice

Mme [H] soutient que la maladie dont elle souffre a une origine professionnelle de sorte que la société doit être condamnée à lui payer une indemnité conventionnelle spéciale de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La société fait valoir que Mme [H] n'est pas fondée à solliciter cette indemnité dans la mesure où elle n'a pas été victime d'un harcèlement moral et son inaptitude n'est pas d'origine professionnelle.

Par application des dispositions de l'article L. 1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

En l'espèce, la cour a retenu que l'inaptitude de Mme [H] était en lien avec le harcèlement moral subi. Elle a donc au moins partiellement une origine professionnelle. Dès lors, la salariée doit bénéficier d'une indemnité spéciale de licenciement et d'une indemnité compensatrice.

Sur l'indemnité compensatrice

La société fait valoir que le salaire à prendre en compte est de 5 692,91 euros bruts et non de 5 830,21 bruts comme retenu par la salariée.

Il résulte du calcul qu'elle produit comparé aux bulletins de paie versés aux débats que le salaire de Mme [H] doit être fixé à la somme de 5 692,91 euros.

En conséquence, il est dû à Mme [H] au titre de l'indemnité compensatrice la somme de 17 078,73 euros.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Cette indemnité n'étant pas une indemnité compensatrice de préavis, elle n'ouvre pas droit à une indemnité compensatrice de congés payés.

La décision des premiers juges sera confirmée en ce qu'ils ont débouté Mme [H] de sa demande à ce titre.

Sur l'indemnité spéciale de licenciement

Aux termes de l'article 15 de la convention collective applicable, l'indemnité de licenciement se calcule de la manière suivante :

A partir d'un an d'ancienneté dans l'entreprise, il sera alloué aux salariés licenciés, sauf pour faute grave ou lourde, une indemnité distincte du préavis tenant compte de leur ancienneté dans l'entreprise et calculée comme suit :

- jusqu'à dix années d'ancienneté dans l'entreprise : un quart de mois par année d'ancienneté ;

- après dix années d'ancienneté dans l'entreprise : un quart de mois par année d'ancienneté pour les dix premières années et un tiers de mois par année d'ancienneté à partir de la onzième année.

(...)

Le montant de l'indemnité de licenciement ne pourra pas dépasser la somme correspondant à douze mois de salaire.

Le traitement mensuel pris en considération pour le calcul de cette indemnité sera égal au 1/12 des sommes perçues au cours des 12 derniers mois, ou, si cela est plus avantageux, à la moyenne des rémunérations des 3 derniers mois. Cette moyenne prend en compte financièrement les mois de préavis effectués ou non.

Pour l'application de l'alinéa précédent, il sera procédé en tant que de besoin à la reconstitution du salaire correspondant à l'horaire habituel normal du poste de travail de l'intéressé.

Il en résulte que l'indemnité conventionnelle de licenciement pour un salarié ayant acquis une ancienneté supérieure à 11 ans n'est pas plus favorable que l'indemnité légale de licenciement calculée sur le fondement de l'article R. 1234-4 dans sa rédaction applicable au litige.

La société soutient qu'il convient de déduire du calcul de l'ancienneté, les périodes d'arrêt de travail pour maladie.

Cependant, compte tenu de l'origine professionnelle de l'inaptitude, il n'y a pas lieu de déduire les périodes d'arrêt de travail.

Aux termes de l'article 954 du code de procédure cicile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Alors que dans le corps de son dispositif, Mme [H] sollicite le paiement de la somme de 53 932,83 euros à ce titre, dans leur dispositif elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui payer la somme de 50 852,88 euros.

Par application de l'article L. 1226-14 du code du travail, compte tenu du montant du salaire retenu, de l'ancienneté de la salariée et de l'indemnité conventionnelle de licenciement de 47 771,93 euros qui lui a été versée au moment de la rupture du contrat de travail, la société sera condamnée à lui payer la somme de 50 852,88 euros dans la limite de sa demande.

La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur l'astreinte

Aucune circonstance de l'espèce ne conduit à assortir les condamnations à paiement de sommes d'une astreinte.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à la société Devexport de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [T] [H] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 9 mars 2020 et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Devexport sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à sa charge.

Elle sera condamnée à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, la décision des premiers juges étant confirmée à ce titre. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Devexport à payer à Mme [T] [H] la somme de 50 852,88 euros à titre de doublement de l'indemnité de licenciement, en ce qu'il a débouté Mme [T] [H] de sa demande de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice, en ce qu'il a débouté la société de sa demande au titre des frais irrépétibles et en ce qui concerne les dépens,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de Mme [T] [H] nul,

CONDAMNE la société Devexport à verser à Mme [T] [H] les sommes suivantes :

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 116 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité ;

- 3 000 euros au titre des dipositions de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

CONDAMNE la société Devexport à payer à Mme [T] [H] la somme de :

- 17 078,73 euros à titre d'indemnité compensatrice,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Devexport de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes soit le 9 mars 2020,

DIT à avoir lieu à astreinte,

ORDONNE à la société Devexport de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [T] [H] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Devexport aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/07034
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.07034 ?
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