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06/07/2023 | FRANCE | N°21/05111

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 juillet 2023, 21/05111


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 JUILLET 2023



(n° 2023/ , 11 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05111 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2AN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mai 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/05077



APPELANTE



Société EUROGEM

[Adresse 3]

[Localité 4]r>
Représentée par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1814



INTIME



Monsieur [W] [B]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Nadia TIAR, avocat au barreau ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 JUILLET 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05111 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2AN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mai 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/05077

APPELANTE

Société EUROGEM

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1814

INTIME

Monsieur [W] [B]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Nadia TIAR, avocat au barreau de PARIS, toque : G0513

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Marie-Charlotte BEHR et Madame Camille BESSON, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre; et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [W] [B] a été engagé par la société Eurogem par contrat de travail à durée indéterminée du 24 août 2012 en qualité de technicien de maintenance, ce à compter du 1er septembre 2012.

Le 1er juillet 2013, il a été promu au poste de responsable technique.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective FEDENE non-cadre.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

M. [B] a été placé en arrêt de travail pour maladie à plusieurs reprises au cours du mois d'avril 2018.

Par lettre du 3 mai 2018, l'employeur l'a mis en demeure de justifier de son absence depuis le terme de son arrêt de travail fixé au 18 avril.

M. [B] a été convoqué par lettre du 14 mai 2018 à un entretien préalable fixé au 25 mai 2018.

Par lettre du 11 juin 2018, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse en raison d'absences injustifiées.

Contestant le caractère réel et sérieux de son licenciement, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 11 mai 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties a :

- condamné la société Eurogem à lui payer les sommes suivantes :

* 17 407,86 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 702,01 euros au titre du rappel de salaires,

* 70,20 euros au titre des congés payés afférents,

* 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise à M. [B] des documents sociaux conformes au jugement ;

- débouté M. [B] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Eurogem de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Eurogem au paiement des entiers dépens.

La société a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 8 juin 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Eurogem demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de :

* 17 407,86 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 702,01 euros au titre du rappel de salaires,

* 70,20 euros au titre des congés payés afférents,

* 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [B] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 ;

- condamner M. [B] aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [B] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse mais le réformant pour le surplus, l'infirmant partiellement ;

Et statuant à nouveau, de :

A titre principal,

- juger nul son licenciement prononcé par la société Eurogem ;

Et ainsi :

- condamner la société Eurogem à lui verser la somme de 29 013,10 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, soit 10 mois de salaire ;

A titre subsidiaire,

- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Et ainsi :

- condamner la société Eurogem à lui verser la somme de 20 309,17 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit 7 mois de salaire) écartant les barèmes de l'article 1235-3-1 du code du travail ;

En toute hypothèse,

- condamner la société Eurogem à lui verser les sommes suivantes :

* 978,32 euros à titre de rappel de salaire lié à la mise à pied,

* 97,83 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,

* 500 euros à titre de rappel de salaire lié à la mise à pied,

* 50 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,

* 8 703,93 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (3 mois de salaire) ;

- condamner la société Eurogem à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- ordonner la remise de bulletins de paie conformes à la décision à intervenir, sous astreinte journalière de 100 euros, la cour se réservant la liquidation de ladite astreinte ;

- juger que les condamnations à intervenir produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 11 juin 2019, sur le fondement de l'article 1231-7 du code civil et que les intérêts échus seront capitalisés annuellement sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 mars 2023.

MOTIVATION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :

' (...) Par courrier recommandé en date du 14 mai 2018, nous vous avons convoqué pour un entretien préalable devant se dérouler le 25 mai 2018, entretien auquel vous vous êtes présenté seul. Nous vous informons que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. Nous vous rappelons les motifs qui nous contraignent à prendre cette mesure :

Vous avez été absent à votre poste de travail à l'issue de votre arrêt de travail se terminant le 18 avril 2018. Depuis cette date, vous avez transmis un justificatif d'arrêt de travail initial uniquement pour la période allant du 24 au 27 avril 2018.

Vous n'avez pas justifié autrement vos absences, malgré l'envoi d'une mise en demeure de transmettre un justificatif du 3 mai à laquelle vous n'avez pas répondu.

En ne vous présentant pas à votre poste de manière injustifiée, vous contrevenez à vos obligations contractuelles. Votre comportement ne permet pas à la société de suivre la réalité de votre activité, ni de vérifier le respect des engagements de la société EUROGEM vis-à-vis de ses clients.

Vous avez donc été absent de manière injustifiée aux dates suivantes :

- Le jeudi 19 avril 2018, le vendredi 20 avril 2018 ;

- La semaine du lundi 30 avril au vendredi 4 mai 2018 inclus ;

- La semaine du lundi 14 au vendredi 18 mai 2018 inclus.

Lors de l'entretien, vous avez évoqué avoir fait l'objet d'arrêts de travail qui n'auraient pas été reçu par la société. Toutefois, plus de deux semaines après cet entretien, force est de constater que vous n'avez fait parvenir à la société aucun duplicata des arrêts de travail que vous évoquez. Vos absences sont donc injustifiées.

Par ailleurs, vous avez déclaré vous être représenté à votre poste au mois de mai 2018, à aucun moment vous n'avez informé votre hiérarchie d'une reprise de poste.

Par conséquent, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse ; ce licenciement prendra effet à la première présentation de cette lettre par les services de la Poste.

A cette date débutera votre préavis d'une durée de trois mois, que nous vous demandons d'effectuer et qui vous sera rémunéré aux dates habituelles d'échéance de paie. (...) '.

La société soutient que ce licenciement n'est pas nul et qu'il est fondé sur une cause réelle et sérieuse en raison de la réalité des absences injustifiées du salarié ce en contravention au règlement intérieur.

M. [B] fait valoir que son licenciement est nul car en lien avec une discrimination en raison de son état de santé et soutient à titre subsidiaire qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse en contestant certaines de ses absences et en soutenant que d'autres étaient autorisées. Il ajoute qu'en tout état de cause, son licenciement

constitue une mesure disproportionnée.

Sur la nullité du licenciement

La cour relève à titre liminaire que les premiers juges n'ont pas statué sur cette demande.

M. [B] soutient que son licenciement est nul car la société n'a pas toléré ses absences pour cause de maladie.

La société conteste toute discrimination en raison de l'état de santé du salarié.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, qu'aucune personne ne peut être licenciée en raison de son état de santé.

Selon l'article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions précitées est nul.

Aux termes de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison de la méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

A l'appui de son allégation, le salarié invoque :

- un bilan de podologie établi le 2 mai 2018 ;

- un échange de courriels avec M. [L] le 16 avril 2018 et le 19 avril 2018 ;

- un arrêt de travail du 16 au 18 avril 2018 ;

- un couriel d'un collègue du 4 juin 2018.

Le bilan révèle que M. [B] a besoin d'orthèses. Le courriel établi par un collègue, M. [T], indique qu'il a eu une altercation avec M. [L] le 31 mai 2018 car celui-ci voulait qu'il confirme l'absence de M. [B] sur le site depuis le 18 avril. L'arrêt de travail mentionne un arrêt pour la période du 16 au 18 avril 2018 sans autre indication. L'échange de courriels avec M. [L] révèle que le 16 avril, M. [B] a indiqué qu'il ne pourrait pas venir travailler et qu'il allait chez le médecin pour son pied. M. [L] lui a répondu le même jour : ' Monsieur, je suis surpris que une semaine sur deux vous êtes à l'arrêt, je n'ai pas de remplaçant prévu et cela va mettre en total péril le contrat BNP.' puis a indiqué le 19 avril 2018 à 18h28 : ' Bonsoir vous devez pas reprendre votre poste de travail le 18 avril ' (...) '.

La première pièce démontre que le salarié avait besoin de soins en matière de podologie. Le courriel du collègue ne constitue que ses propres dires et n'est corroboré ni par une attestation établie par ses soins ni par des éléments objectifs. S'agissant des messages de M. [L], responsable hiérarchique du salarié, le second ne fait que lui demander s'il ne devait pas reprendre le travail le 19 avril alors qu'il était en arrêt de travail jusqu'au 18 avril inclus et le premier exprime une surprise en raison d'absences répétées.

Ces éléments ne suffisent pas à laisser supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'état de santé.

En conséquence, M. [B] sera débouté de sa demande au titre d'une indemnité pour licenciement nul.

Sur le bien fondé du licenciement

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Sur l'absence du jeudi 19 avril 2018 et du vendredi 20 avril 2018

La société soutient que M. [B] était absent de manière injustifiée alors que le salarié fait valoir qu'il n'a pas pu reprendre le travail le 19 et le 20 avril, qu'il en a prévenu l'employeur et que ces deux absences ont été autorisées et non payées comme le révèle selon lui les 'feuilles d'heures'.

La cour relève sur les 'feuilles d'heures' que pour le jeudi 19 avril et le vendredi 20 avril, il est indiqué 'absence autorisée non payée'.

La société indique dans ses conclusions que ce document a été renseigné uniquement par le salarié de sorte qu'il n'aurait pas de valeur probante. Elle expose que les salariés renseignent les feuilles d'heures grace à un logiciel interne, qu'elles sont transmises ensuite à leur supérieur qui les transmet au service de la paie. Elle soutient que pour ces deux jours, le supérieur hiérarchique de M. [B] a refusé de valider ces deux journées comme le révèle le document en sa dernière page.

La cour constate en premier lieu que la société ne produit aucune pièce au soutien de son explication quant au renseignement de cette 'feuille d'heures'. En second lieu, elle relève que si en dernière page de ce document il est bien indiqué ' décision 'refuser' par M'[E] [L] le 22 mai 2018.', cette mention a été apportée le 22 mai 2018 soit bien postérieurement à l'établissement du bulletin de paie du mois d'avril 2018 et même postérieurement à la date de convocation à entretien préalable, et qu' en dessous de chaque semaine, figure une rubrique 'validation' mentionnant le nom de M. [P] [I] en qualité de Nplus1 et de M. [O] [H] en qualité de Nplus2 ce dont il se déduit qu'il leur appartenait de valider ou non les mentions figurant sur cet imprimé.

La cour retient en conséquence, que comme indiqué dans ce document, l'absence de M. [B] au cours de ces deux journées était autorisée.

Sur l'absence durant la semaine du lundi 30 avril au vendredi 4 mai 2018 inclus

La cour observe de la même manière que les journées du lundi 30 avril, du jeudi 3 mai et du vendredi 4 mai sont indiquées sur la 'feuille d'heures' comme travaillées, que le mardi 1er mai était chômé et que le mercredi 2 mai est considéré comme une absence autorisée non payée. Le document étant le même, il appelle les mêmes observations que précédemment en ce qui concerne la mention de M. [L] et les personnes en charge de la validation.

En conséquence, la cour retient que l'absence de M. [B] au cours du mercredi 2 mai était autorisée et qu'il n'était pas absent les autres jours.

Sur l'absence durant la semaine du lundi 14 au vendredi 18 mai 2018 inclus

M. [B] soutient qu'il a travaillé durant cette semaine-là sur le site BNP selon un temps aménagé en fonction des soins qu'il devait suivre et en accord avec son employeur. Il produit à ce titre des relevés de badgeage. La société conteste ces pièces en soutenant qu'il s'agit de relevés provenant d'un autre site sur lequel le salarié aurait selon elle travaillé dans le cadre d'un double emploi. M. [B] affirme qu'il s'agit bien de relevés effectués sur le site BNP.

La cour relève en premier lieu comme le souligne M.[B] que sur la 'feuille d'heures', il est indiqué qu'il était présent et a effectué son temps de travail.

En second lieu, elle constate que le salarié produit des relevés de badge attestant de sa présence ces jours-là. La société qui les conteste, se contente de produire des relevés de badge du site BNP sur une période postérieure alors qu'elle aurait pu aisément demander à sa cliente, la BNP, de lui indiquer le numéro de badge de M. [B] et de lui remettre les relevés de badgeage pour la période du 14 au 18 mai 2018 ce qu'elle n'a pas fait. Elle ne produit aucun autre élément de nature à démontrer que le salarié était absent à ces dates.

En conséquence, la cour retient que M. [B] n'était pas absent au cours de cette semaine.

Dès lors, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse sans qu'il soit besoin d'examiner d'autres moyens.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [B] soutient que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail doivent être écartées en ce que cet article ne permet pas une réparation intégrale du préjudice subi par le salarié, qu'il viole l'article 24 de la Charte européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT. Il ajoute que le droit à un procès équitable protégé par la Convention européenne des droits de l'homme n'est plus garanti dès lors que le pouvoir du juge se trouve drastiquement limité.

La société se référant notamment à l'avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, fait valoir que l'article L. 1235-3 du code du travail ne doit pas être écarté en ce qu'il est conforme aux dispositions de la convention n° 158 de l'OIT et que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article.

Selon l'article L. 1235-3-1 du même code, l'article 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues à son deuxième alinéa. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut étre inférieure aux salaires des six derniers mois.

Enfin, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Aux termes de l'article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître:

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales.

La Charte réclame des Etats qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe. En outre, le contrôle du respect de cette charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux dont la saisine n'a pas de caractère juridictionnel et dont les décisions n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiérent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers de sorte que sa violation ne peut pas être valablement invoquée par M. [B].

La cour relève que l'article 4 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) n'a pas trait à l'indemnisation du préjudice résultant d'un licenciement mais à sa justification et que le salarié n'est pas privé de la possibilité d'en contester judiciairement le motif.

Aux termes de l'article 10 de cette convention, si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Comme le soutient à juste titre M. [B], ces stipulations sont d'effet direct en droit interne dès lors qu'elles créent des droits entre particuliers, qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire.

Le terme 'adéquat' signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et que le barème n'est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. En outre, le juge applique d'office les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractére dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Enfin, aux termes de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Il en résulte que cet article garantit une équité 'procédurale' et que l'évaluation d'un préjudice n'entre pas dans son champ d'application.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention de l'OIT et il appartient à la cour d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article fixés à 3 et 6 mois, M. [B] ayant acquis une ancienneté de 5 ans au moment de la rupture de son contrat de travail.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [B], de son âge, 37 ans, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 17 407,86 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle la société sera condamnée.

La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur les rappels de salaire

La société soutient qu'aucun rappel de salaire n'est dû à M. [B] dès lors que ses absences étaient injustifiées.

M. [B] fait valoir qu'un rappel de salaire lui est dû pour ces périodes d'absence supposées, une retenue sur salaire ayant été pratiquée sur son bulletin du salaire du mois de mai 2018.

La cour a retenu que M. [B] était absent les 19, 20 avril et 2 mai 2018 dans le cadre d'absences autorisées non payées. Aucun rappel de salaire ne lui est donc dû à ce titre.

Elle a également retenu qu'il n'était pas absent au cours des périodes du 30 avril au 1er mai inclus, du 3 mai au 4 mai 2018 inclus et du lundi 14 au vendredi 18 mai 2018 inclus.

Dès lors, pour ces périodes, aucune retenue de salaire ne pouvait être effectuée.

Il résulte des bulletins de paie produits par le salarié que des sommes ont été retenues au titre de ces absences.

Il lui est dû à ce titre un rappel de salaire de 800,44 euros outre la somme de 80,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents au paiement desquelles la société sera condamnée.

Il y a donc lieu d'infirmer la décision des premiers juges sur ce chef de demande.

M. [B] sera débouté de sa demande de paiement d'un rappel de salaire de 500 euros au titre d'une mise à pied qui n'est pas explicitée, aucune mise à pied ne lui ayant été notifiée.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [B] soutient que la société a exécuté de manière déloyale le contrat de travail dans la mesure où il a été victime d'une discrimination illicite et qu'il a été licencié pour un motif fallacieux.

La société fait valoir qu'elle n'a pas exécuté de manière déloyale le contrat de travail.

Aux termes de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

La cour n'a pas retenu que M. [B] avait été victime d'une discrimination en raison de son état de santé. Il appartient à ce dernier de démontrer la mauvaise foi de la société dans l'exécution du contrat de travail ce qui n'est pas suffisamment établi par les circonstances de l'espèce.

En conséquence, il sera débouté de sa demande à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à la société Eurogem de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [W] [B] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 3 mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 18 juin 2019 et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société Eurogem de remettre à M. [W] [B] des bulletins de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Eurogem sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à sa charge.

La société Eurogem sera condamnée à payer à M. [B] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, la décision des premiers juges étant confirmée à ce titre.

Elle sera déboutée de sa demande au même titre, la décision des premiers juges étant confirmée sur ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement sauf en ce qui concerne le montant du rappel de salaire et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Eurogem à payer à M. [W] [B] les sommes suivantes :

- 800,44 euros à titre de rappel de salaire ;

- 80,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents ;

- 2 000 euros au titre des dipositions de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 18 juin 2019 pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour la créance indemnitaire, ceux-ci avec capitalisation dès lors qu'ils seront dus pour année entière,

ORDONNE à la société Eurogem de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [W] [B] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 3 mois d'indemnités,

ORDONNE à la société Eurogem de remettre à M. [W] [B] des bulletins de salaire conformes à la présente décision,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Eurogem aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/05111
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.05111 ?
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