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06/07/2023 | FRANCE | N°21/00297

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 juillet 2023, 21/00297


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 JUILLET 2023



(n°2023/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00297 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5UL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F17/07318



APPELANTE



S.A.S. PFIZER PFE FRANCE

[Adresse 1]

[LocalitÃ

© 4]

Représentée par Me Cédric LIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1065



INTIME



Monsieur [F] [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Mathieu BONARDI,...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 JUILLET 2023

(n°2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00297 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5UL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F17/07318

APPELANTE

S.A.S. PFIZER PFE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Cédric LIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1065

INTIME

Monsieur [F] [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Mathieu BONARDI, avocat au barreau de PARIS, toque : D2149

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Justine FOURNIER

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 25 mai 2023 et prorogée au 06 juillet 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [D] a été engagé par la société Pfizer par contrat de travail à durée déterminée à compter du 8 juillet 2013 et jusqu'au 7 janvier 2014 en qualité de chef de projet, lequel contrat a été renouvelé pour une nouvelle durée déterminée débutant le 8 janvier 2014 et se terminant le 7 janvier 2015. Par contrat conclu le 28 mai 2014, il a été engagé pour une durée indéterminée en qualité de responsable planification clients à effet du 1er juin 2014, avec reprise de son ancienneté au 8 juillet 2013. Dans le cadre d'un apport partiel d'actifs et conformément à l'article L. 1224-1 du code du travail, son contrat de travail a été transféré à la société Pfizer PFE France, ci-après la société, à compter du 29 juin 2015.

En dernier lieu, depuis le 1er novembre 2015, il occupait les fonctions de responsable optimisation de portefeuille, cette qualification ayant été confirmée par avenant du 31 octobre 2016.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Le 28 juin 2016, la société et des organisations syndicales représentatives ont conclu un accord sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ci-après la GPEC, intégrant des possibilités de mobilité externe sous forme de départs volontaires pour des catégories d'emplois menacées au rang desquelles figurait celle de responsable marketing.

Par courriel du 31 mars 2017, M. [D] a demandé à bénéficier du plan de départ volontaire du 28 juin 2016, ce à quoi il lui a été répondu par mail du 12 avril suivant que ses missions étaient différentes de celles d'un responsable marketing.

Par lettre du 24 avril 2017, M. [D] a sollicité la révision de la position de la société en faisant valoir qu'il exerçait bien des missions de responsable marketing.

Après de vaines relances, M. [D] a transmis à son employeur par courriel du 12 juillet 2017 une lettre de démission en indiquant que cette décision était imputable à la société du fait de ses manquements et qu'il quittait ses fonctions avec un départ effectif au plus tard le 13 août suivant.

La société a, par lettre du 13 juillet 2017, confirmé à M. [D] que son poste n'était pas éligible au dispositif de la GPEC puis, le 21 juillet 2017, a accepté la réduction sollicitée du préavis, le contrat de travail ayant pris fin le 13 août 2017.

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 19 novembre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- dit que M. [D] remplissait les conditions d'éligibilité au plan de départ volontaires prévu par l'accord sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences intégrant des possibilités de mobilité externe sous la forme de départs volontaires pour des catégories d'emplois menacées conclu le 28 juin 2016 entre la société et des organisations syndicales;

- condamné la société à payer à M. [D] la somme de 133 697,25 euros à titre de dommages et intérêts pour refus abusif de lui accorder le bénéfice du plan de départ volontaire, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

- dit que les intérêts seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- ordonné la remise par la société à M. [D] d'un bulletin de salaire et d'une attestation Pôle Emploi conformes au jugement, et ce, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

- rejeté le surplus des demandes, en ce compris notamment la demande formée au titre de l'article L.1235-4 du code du travail et les demandes reconventionnelles formées par la société ;

- rappelé qu'aux termes de l'article R.1454-28 du code du travail, sont de droit exécutoires à titre provisoire : 1° le jugement qui n'est susceptible d'appel que par suite d'une demande reconventionnelle ; 2° le jugement qui ordonne la remise d'un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer ; et 3° le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R.1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

- fixé à la somme de 5 479,17 euros la moyenne des trois derniers mois de salaire brut de M. [D] au titre de son contrat de travail conclu avec la société ;

- condamné la société aux dépens ;

- condamné la société à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration transmise le 17 décembre 2020, la société a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 29 juin 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris ;

en conséquence,

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société ;

- condamner M. [D] à une amende civile de 3 000 euros pour procédure abusive en vertu de l'article 32 du code procédure civile ;

- condamner M. [D] à verser à la société la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'article 1382 du code civil ;

- condamner M. [D] au paiement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 12 mai 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [D] demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement ;

et par conséquent,

- condamner la société à payer à M. [D] la somme de 133 697,25 euros à titre de dommages et intérêts pour refus abusif de lui accorder le bénéfice du plan de départ volontaire avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- prononcer la capitalisation des intérêts par périodes annuelles conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- ordonner la remise par la société à M. [D] d'un bulletin de salaire et d'une attestation Pôle emploi conformes au jugement, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

- débouter la société de toutes ses demandes ;

- condamner la société aux dépens et à payer à M. [D] 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

à titre subsidiaire,

- juger que la démission de M. [D] doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture du contrat de travail et produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 47 901 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 8 382,68 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 20 532 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

* 2 053 euros bruts au titre des congés payés sur préavis ;

- assortir l'ensemble des condamnations prononcées de l'intérêt légal jusqu'à complet règlement ;

- prononcer la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil (ancien article 1154 du code civil) ;

- ordonner le remboursement des allocations chômage au Pôle Emploi à concurrence de six mois (article L.1235-4 du code du travail) ;

- ordonner la remise, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, des documents de fin de contrat et d'un bulletin de salaire rectifié et conforme à la décision à intervenir ;

en toutes hypothèses,

- débouter la société de toutes ses demandes ;

- condamner la société à payer à M. [D] 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le bien fondé du refus de la société d'accorder à M. [D] le bénéfice du plan de départ volontaire

La société soutient qu'en sa qualité de demandeur, la charge de la preuve incombe à M. [D]. En tout état de cause, elle prétend démontrer qu'il n'entrait pas dans le champ d'application du plan de départ volontaire. Elle fait valoir pour l'essentiel :

- que les dispositions de l'accord sur une GPEC prévoient que le collaborateur doit occuper une catégorie d'emplois menacés et que la direction aura le droit de refuser une demande de mobilité externe lorsque le salarié n'en occupe pas une ; qu'après avis de la délégation unique du personnel (DUP), il a été considéré qu'un emploi de responsable marketing était menacé du fait de la baisse des investissements et des efforts promotionnels sur les produits 'LOEs' (Lyrica et Revatio), la DUP ayant demandé à la direction de bien évaluer la charge de travail résiduelle du portefeuille des produits en promotion ; que parmi les conditions d'éligibilité, le collaborateur devait aussi présenter un projet professionnel soit identifié et concrétisé, soit un projet en voie de concrétisation, ce qui n'était pas le cas ;

- que l'intitulé du poste de M. [D] n'a jamais été celui de responsable marketing et qu'il existe une distinction claire entre les postes de responsable marketing et celui de responsable optimisation portefeuille, non visé par l'accord et qui avait été nouvellement créé ; que l'essence de cet emploi est la gestion de produits non promus à la différence des responsables marketing ; que le poste de M. [D] n'a d'ailleurs été supprimé qu'en 2019 ;

- qu'il importe peu que l'essentiel de son activité ait résidé dans la mise en oeuvre d'actions marketing dès lors que son poste n'était pas celui d'un responsable marketing ; qu'en toute hypothèse, M. [D] n'a jamais travaillé sur les produits LOEs, que les activités marketing qui lui ont été confiées ne constituaient pas le coeur de son métier qui portait sur les produits non promus et que les fiches métier dont il se prévaut n'ont pas été établies par elle.

M. [D] rétorque qu'il appartient à l'employeur qui refuse d'accéder à la demande d'un salarié se portant candidat à un plan de départ volontaire de justifier de la pertinence de son refus et que son poste de responsable optimisation de portefeuille relevait de la catégorie des responsables marketing. Il fait valoir en substance :

- que l'essentiel de son activité résidait dans la mise en oeuvre d'actions marketing, M. [D] se prévalant à cet égard de la gestion de plusieurs actions, projet et étude ;

- que de nombreux autres éléments démontrent le caractère prépondérant de la dimension marketing de son poste, comme son évaluation 2016, les fiches métiers LEEM, sa séniorisation par la commission marketing et son identification en qualité de responsable marketing ;

- que la société lui a attribué de manière unilatérale une catégorie d'emplois inappropriée pour son intitulé de poste, que la mention des produits Lyrica et Revatio visait seulement à expliquer en quoi la catégorie des responsables marketing était concernée et que le fait qu'il ait été chargé de produits non promus ou promus est indifférente, la dimension marketing étant tout aussi présente dans les deux cas.

Aux termes de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Au cas d'espèce, l'accord sur une GPEC signé le 28 juin 2016 entre la société et les organisations syndicales représentatives prévoit au titre du départ volontaire pour projet professionnel ou repositionnement professionnel-congé de mobilité :

- s'agissant des conditions d'éligibilité (article 3.1) :

'Le collaborateur doit occuper une catégorie d'emplois menacés et avoir présenté sa demande avant le terme de la procédure des demandes de mobilité externe sous forme de départs volontaires mentionnées ci-dessus. (...)

Le collaborateur doit présenter un projet professionnel :

* soit identifié et concrétisé :

- présenter un contrat de travail en contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée de six mois et plus.

- produire un extrait de Kbis en cas de création ou reprise d'entreprise ou tout autre document de même nature, et apportant la preuve de la création/reprise d'entreprise.

* soit un projet en voie de concrétisation :

- une ébauche de projet doit être présentée à la commission de suivi prévue à cet effet.

- le collaborateur doit s'engager sur des démarches actives de construction finalisée de son projet avec l'aide d'un consultant d'un cabinet de repositionnement professionnel.

Ce projet peut être :

- un emploi salarié en contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée de 6 mois et plus

- une création/reprise d'entreprise

- une reconversion professionnelle s'accompagnant d'une formation longue durée d'une durée de 6 mois au moins.'.

- s'agissant des modalités de la demande de mobilité externe (article 3.2) :

' (...)

La commission de suivi aura le droit de refuser une demande de mobilité externe lorsque:

* le projet professionnel n'est pas jugé sérieux ou jugé à risque

La Direction aura le droit de refuser une demande de mobilité externe lorsque :

* le salarié n'occupe pas un emploi figurant dans la liste actualisée des catégories d'emplois menacées.

(...)'.

La liste des emplois communiquées le 20 octobre 2016 comprend parmi les catégories d'emploi menacées celle de 'responsable marketing' avec l'indication du 'rationnel' suivant : 'catégorie d'emploi menacée par la baisse des investissements et des efforts promotionnels sur les produits LOEs (Lyrica & Revatio)'.

Pour bénéficier d'un départ volontaire, le salarié doit remplir les conditions prévues et ainsi occuper un emploi figurant dans la liste actualisée des emplois menacés.

En revanche, l'accord ne prévoit pas qu'outre cette condition, l'emploi du salarié doive avoir un lien avec les indications figurant sous la rubrique 'rationnel'qui, comme l'a justement relevé le jugement, visent à expliquer en quoi la catégorie concernée est menacée et non à restreindre la définition de la catégorie d'emploi. Il est dès lors indifférent que M. [D] ait ou non travaillé sur les produits LOEs.

Suivant les lettres de mission des 30 octobre 2015 et 11 juillet 2016 signées par lui, M. [D] s'est vu confier une mission exclusive en tant que responsable optimisation portefeuille, sa nomination à ce poste ayant été confirmée par avenant du 31 octobre 2016, et les bulletins de salaire de M. [D] depuis le mois de décembre 2016 indiquent qu'il occupe un emploi de responsable optimisation portefeuille niveau 7 échelon B.

L'emploi de M. [D] n'a donc pas pour intitulé celui de responsable marketing mais de responsable optimisation portefeuille non visé par la liste précitée. Toutefois, ce seul intitulé ne saurait suffire à l'exclure alors que compte tenu de la contestation sur ce point, il appartient à la cour de rechercher les fonctions réellement exercées par le salarié afin de déterminer s'il appartient ou non à la catégorie litigieuse de responsable marketing, étant précisé que la catégorie d'emplois doit s'entendre de l'ensemble des salariés exerçant des fonctions de même nature supposant une formation commune.

La fiche décrivant la fonction responsable d'optimisation de portefeuille établie par la société mentionne comme missions :

- coordonner le projet Global Established Pharma Margins (GEPM), avec pour objectif d'optimiser le portefeuille GEP,

- assurer le suivi du portefeuille de produits non promus, proposer et mettre en place les actions destinées à optimiser la performance de ce portefeuille,

- apporter son soutien au responsable Projets & Partenariats en délivrant des études et analyses nécessaires à l'identification et la mise en place de partenariats de business développement.

Le jugement a relevé à raison que cette description comporte de nombreux points communs avec la fiche descriptive du métier de directeur marketing, encore appelé responsable marketing, établie par l'organisation professionnelle des métiers du médicament (LEEM), ce que ne conteste pas la société qui fait seulement valoir que cette fiche, non réalisée par elle, ne définit pas ses postes en interne. Si ce document n'émane pas de la société, il n'empêche qu'il peut être pris en compte dès lors qu'il a été établi par une organisation professionnelle propre à l'industrie pharmaceutique.

La fiche descriptive de la fonction de M. [D] fait référence à un portefeuille de produits non promus.

Cependant, celui-ci verse aux débats une attestation de Mme [B], responsable marketing, qui explique que M. [D] et elle-même étaient rattachés au sein de la même équipe, qu'ils avaient 'les mêmes responsabilités sur des produits promus et non promus' (souligné par la cour), qu'ils se remplaçaient durant leurs congés respectifs et qu'après son départ, elle a été désignée pour reprendre son travail autour du 'patient âgé'. Cette attestation est confirmée par un courriel du 4 septembre 2018 de Mme [C], autre responsable marketing. Elle est aussi confirmée par un mail adressé le 13 avril 2017 par Mme [B] à Mme [P] dans laquelle la première indique : 'Je te confirme mes propos concernant [F]. Je l'ai bien vu en gestion complète de projets marketing produit et environnement, et sur lesquels nous échangeons régulièrement. D'ailleurs nous sommes back-ups mutuels sur nos projets respectifs en cas d'absence /congés' ainsi que par un mail du 10 janvier 2017 de M. [N] affectant des responsables marketing et M. [D] sur divers produits (le Lyrica étant par exemple attribué à M. [D] et Mme [B]), ce qui démontre que le salarié intervenait aussi sur des produits promus. Elle est encore corroborée par les éléments suivants :

- une série de mails de mai 2016 à novembre 2016 portant sur le produit Xalatan démontrant que M. [D] a mis en oeuvre des actions marketing concernant ce produit, le Xalatan étant décrit comme un projet marketing dans l'évaluation 2016 faite par son manager ;

- une autre série de mails de mai 2016 à avril 2017 portant sur le produit Aromasine démontrant qu'il a également mis en oeuvre des actions marketing pour ce produit ;

- encore une autre série de mails de décembre 2016 à mars 2017 portant sur le projet 'patient âgé' justifiant qu'il a pris en charge ce projet en partenariat avec la société Publicis ; la circonstance qu'il s'agisse d'une approche portefeuille comme l'allègue la société est indifférente dans la mesure où la reprise de ce projet par une responsable marketing après son départ prouve que la différence de nature invoquée n'existe pas et où un mail de M. [N] du 31 mai 2017 établit que ce projet était attaché à certains produits ; l'autre circonstance mise en avant par la société selon laquelle Mme [B] était plus spécifiquement en charge de l'aspect marketing du projet n'exclut en rien l'intervention de M. [D] à ce titre puisqu'il était le 'project lead', placé au dessus de cette dernière, et que l'intimé fait justement observer que la gestion de projets fait partie intégrante de la mission d'un responsable marketing ;

- une autre série de mails de mai 2016 à janvier 2017 démontrant que M. [D] a géré une étude marketing confiée à la société Stethos, la pièce sur les objectifs de cette étude produite par la société n'étant pas à même de démentir qu'il s'agit bien d'une activité marketing dès lors que cette étude de satisfaction du client visait en définitive à la mise en place d'actions à l'origine de véritables impacts, que selon la grille de compétence servant à la séniorisation des catégories responsable marketing, ce type d'études relative aux besoins clients rentre dans les missions d'un responsable marketing et que la société Stethos se présente sur son site internet comme une équipe de consultants dédiés aux études de marché et de marketing.

Les pièces ainsi versées aux débats par M. [D] relatives à des actions marketing sont très nombreuses. Elles témoignent d'une activité importante déployée réellement sur ce plan par l'intéressé que ne saurait suffire à démentir l'intitulé de ses objectifs au demeurant très génériques et pouvant s'appliquer à un responsable marketing ('contribution aux operating plan 1 Business review, contribution aux projets de business development' etc). Ces objectifs établissent au demeurant que sur le critère de la contribution à l'optimisation du portefeuille, l'indicateur de performance de M. [D] était les REG 21, soit, selon les documents relatifs à ces REG 21, le nombre de déclarations d'arrêt de commercialisation déclenchées par le responsable opération marketing, ce qui contribue à démontrer que M. [D] avait dans les faits un rôle de responsable marketing. Si dans un mail du 21 novembre 2016, ce dernier a validé que sa charge de travail serait de 30% à partir de la prise en charge du projet 'patient âgé' avec l'Aromasine et le support chefs de produits, il s'agissait d'une prévision faite avant le plein démarrage dudit projet et alors que M. [D] menait d'autres actions ou études marketing, même si celles concernant le Xalatan s'est arrêtée en fin d'année 2016.

La part importante de l'activité marketing de M. [D] se trouve encore corroborée, comme l'a retenu par le jugement, par le commentaire de son manager lors de son évaluation 2016 qui indique 'Avec ses connaissances en matière d'analyse et de planification client, [F] a également démontré sa capacité et son intérêt à avoir une vision complète des projets et il a pris la tête de projets marketing (campagnes Aromasine et Xalatan RT, programme du patient âgé avec un réel sens du business basé sur une connaissance approfondie du marché français, du pragmatisme et de l'appétit pour l'innovation)', cette appréciation constituant l'élément prédominant de l'évaluation.

Le fait que M. [D] exerçait pour l'essentiel des fonctions de responsable marketing se déduit encore :

- de sa séniorisation qui a été réalisée par la commission marketing, sur la base de la grille de compétences de la catégorie des responsables marketing, M. [D] ayant été séniorisé comme étant une personne du marketing selon l'indication de la responsable relations sociales lors de la réunion de la délégation unique du personnel du 6 septembre 2016 ;

- de ce qu'il était identifié comme interlocuteur marketing dans plusieurs mails ; qu'ainsi, en décembre 2016, son manager a demandé à la responsable qualité de lui envoyer la liste des formations associées au rôle de responsable marketing, ce dont il suit qu'il bénéficiait du même type de formations ;

- du fait attesté par Mme [P], manager, et par la note d'information consultation du comité d'entreprise du 2 avril 2019 qu'après son départ, le poste de M. [D], officiellement supprimé en 2019, n'a jamais été pourvu mais que ses missions ont été confiées à des responsables marketing, ce qu'indiquent aussi Mmes [B] et [C] concernant le projet patient âgé.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que bien que de création récente, l'emploi de M. [D] correspondait à des fonctions de même nature que celles des responsables marketing, et reposait sur une formation commune de sorte qu'il occupait un emploi relevant d'une catégorie d'emplois menacés et était éligible à ce titre au plan de départ volontaire.

Dans son mail du 31 mars 2017 à 11h42 de candidature au départ en GPEC, M. [D] a précisé qu'il finalisait ses recherches et attendait 'la proposition d'embauche d'ici ce soir ou lundi soir que je (te) transfèrerai dès réception. (pour un démarrage en septembre)'. Le même jour à 12h17, M. [D] a adressé à la même interlocutrice de la société sa 'lettre d'engagement', document intitulé au format PDF 'proposition d'embauche [D]'. La cour constate que ce faisant, le salarié a présenté un projet professionnel externe conformément à l'accord. Elle observe que la société, dans ses réponses des 12 avril 2017 et 13 juillet 2017, n'a d'ailleurs jamais refusé le départ de M. [D] pour un motif lié au projet professionnel mais en se prévalant du fait qu'il ne relevait pas de la catégorie d'emploi responsable marketing, qu'il n'est pas justifié d'un refus du projet professionnel par la commission de suivi à laquelle il est fait référence dans les stipulations précitées et que la société fait aussi valoir dans ses écritures au vu du profil LinkedIn de l'intéressé que M. [D] a occupé un poste dans une autre entreprise dès septembre 2017 qu'il semble toujours tenir.

La cour en déduit que M. [D] remplissait les conditions d'éligibilité pour bénéficier du plan et que le refus de la société est abusif.

Sur les dommages et intérêts pour refus abusif d'accorder à M. [D] le bénéfice du plan de départ volontaire

La société conclut au rejet de la demande car M. [D] n'était pas éligible à ce dispositif. En tout état de cause, elle prétend qu'il ne peut revendiquer la totalité des indemnités prévues par le plan, s'agissant de la perte d'une chance, et s'interroge sur le document produit par M. [D] d'estimation des sommes qu'il aurait pu percevoir, ledit document ayant été imprimé en septembre 2017 alors qu'il a quitté la société le 13 août 2017.

M. [D] réplique qu'il n'a pas été privé d'une chance mais des indemnités prévues par le plan, soit d'un montant total de 133 697,25 euros. Il fait valoir que la société n'offre aucun calcul alternatif et que le document produit par lui émane de l'outil de simulation de la société.

Le dommage résultant d'une faute peut constituer un préjudice entièrement consommé lorsque la certitude existe qu'à défaut de faute, la victime aurait évité le préjudice. S'il existe un aléa, le préjudice ne peut être réparé qu'au titre d'une perte de chance qui se définit comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et toute perte de chance ouvre droit à réparation.

En vertu du principe de la réparation intégrale, le préjudice résultant de la faute doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

En l'occurrence, le jugement a justement retenu que le préjudice résultant pour M. [D] de la faute commise par la société n'est pas une perte de chance en l'absence de tout aléa. En effet, si la société n'avait pas opposé à M. [D] un refus illégitime, ce dernier aurait eu droit à l'intégralité de l'indemnité prévue par l'accord sur la GPEC (article 3.8), soit l'indemnité de licenciement, l'indemnité supplémentaire, l'indemnité incitative de départ volontaire, l'indemnité pour perte d'emploi, l'indemnité complémentaire pour dommage.

Au soutien de sa demande, M. [D] produit un document intitulé 'simulation indemnités dans le cadre de la GPEC'. La seule circonstance que ce document ait été imprimé en septembre 2017, après son départ définitif de l'entreprise, ne suffit pas à le rendre suspect et à l'écarter des débats. La cour note qu'il détaille les éléments de la rémunération de M. [D], son âge, son ancienneté et les modalités précises de calcul de chacune des indemnités précitées. Or, la société qui dispose de tous les éléments nécessaires pour apprécier la pertinence des données prises en compte et des calculs opérés ne fait valoir aucune critique sur ces points, lesquels apparaissent aux yeux de la cour comme exacts au vu des pièces versées aux débats (contrat de travail, bulletins de salaire, accord sur la GPEC). Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à titre de dommages et intérêts à M. [D] la somme totale de 133 697,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, et capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur la remise de documents

Le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a ordonné la remise par la société à M. [D] d'un bulletin de salaire et d'une attestation Pôle emploi conformes au jugement, dans le mois de sa notification.

Sur l'amende civile et les dommages et intérêts pour procédure abusive

Au regard du sens de la présente décision, le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a débouté la société de ses demandes à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d'appel, être déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement étant confirmé sur ceux de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant :

CONDAMNE la société Pfizer PFE France à payer à M. [D] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE la société Pfizer PFE France aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00297
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;21.00297 ?
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