Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 28 JUIN 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20359 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGZMV
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Octobre 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/54806
APPELANTE
S.A.R.L. LUXURE RESTAURATION agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Ruth BURY, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
Société SELECTIRENTE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée et assistée par Me Anne-sophie BARDIN LAHALLE, avocat au barreau de PARIS, toque : J048
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Mai 2023, en audience publique, rapport ayant été fait par Patricia LEFEVRE, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre
Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre
Patricia LEFEVRE, Conseillère
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Patricia LEFEVRE, Conseillère, le Président étant empêché, et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
Par acte sous seing privé en date du 1er juillet 2020, la société Sélectirente a donné à bail commercial à la société Luxure restauration les lots n°1, 2 et 8 de l'immeuble en copropriété situé au [Adresse 3], à [Localité 6] moyennant un loyer annuel de 34 000 euros hors taxes hors charges, payable trimestriellement et d'avance, et ramené en application de l'article 4 du contrat, à la somme de 30 000 euros pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 et à celle 32 000 euros pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022.
Le 8 novembre 2021, la société Sélectirente a fait délivrer à la société Luxure restauration un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 37 312,64 euros au titre des frais, loyers et charges impayés selon décompte arrêté au 31 octobre 2021.
Puis faisant valoir que les causes du commandement n'avaient pas été réglées, la société Sélectirente a, par acte extra-judiciaire du 12 mai 2022, fait assigner la société Luxure restauration devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, afin principalement de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail, ordonner l'expulsion de la locataire aux conditions d'usage et obtenir sa condamnation au paiement d'une provision au titre de l'arriéré locatif.
Par ordonnance réputée contradictoire du 20 octobre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
- renvoyé les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles en aviseront, mais dès à présent par provision, tous les moyens des parties étant réservés ;
- constaté à compter du 9 décembre 2021 l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire insérée au bail commercial du 1er juillet 2020 liant les parties ainsi que la résiliation du contrat ;
- dit que la société Luxure restauration devra libérer les locaux situés [Adresse 3] à [Localité 6] et, faute de l'avoir fait, ordonné son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef ;
- fixé le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer, charges et accessoires mentionnés dans le contrat du 1er juillet 2020 comme s'il s'était poursuivi sans résiliation ni retard à compter du 9 décembre 2021 ;
- condamné la société Luxure restauration à payer à la société Sélectirente la somme provisionnelle de 42 500,51 euros au titre des loyers, charges et accessoires échus impayés, terme d'avril 2022 inclus, avec intérêt au taux légal à compter du 12 mai 2022 ;
- condamné la société Luxure restauration à payer à la société Sélectirente l'indemnité d'occupation déterminée selon les conditions fixées au sein du présent dispositif à compter du 2 avril 2022 jusqu'à la libération effective des lieux ;
- condamné la société Luxure restauration aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer et au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus et rappelé que sa décision bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire.
Le 6 décembre 2022, la société Luxure restauration a interjeté appel et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour au visa de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-316, de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, des articles 1104, 1241 et 1343-5 du code civil et des articles 14,15,16, 32-1, 648, 654, 655, 656 et 657, 690 du code de procédure civile, des articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondementales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de :
- à titre principal, annuler l'assignation du 12 mai 2022 et tous actes subséquents ainsi que l'ordonnance entreprise et ses actes subséquents
- en tout état de cause
-à titre subsidiaire, juger que l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans un contrat de bail commercial souscrit sous l'empire de l'état d'urgence sanitaire pour Covid-19 se heurte à une contestation sérieuse et en conséquence, se déclarer incompétent sur toutes les demandes de l'intimé autres que celles relevant de la dévolution de compétence fixée dans l'ordonnance dont appel ;
- à titre plus subsidiaire, ordonner la réouverture des débats ;
- à titre encore plus subsidiaire, lui accorder les plus larges délais pour régler tous les loyers et indemnités dus et par suite, suspendre la réalisation des effets de la clause résolutoire contenue au bail du 1er juillet 2020 ;
- en tout état de cause, débouter la société Sélectirente de toutes ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 12 000 euros à titre de dommages intérêts, outre celle de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 mai 2023, la société Sélectirente soutient, au visa des articles 654 et 655 du code de procédure civile et de l'article 111 du code civil, la confirmation de l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, la condamnation provisionnelle de la société Luxure Restauration à lui payer en principal la somme de 33 631,73 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés au 28 février 2023, augmenté d'un intérêt de retard calculé sur le taux de base bancaire, majoré de quatre points (soit TBB+4) (article 4.6 du contrat de bail) et au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Au soutien de son exception de nullité, la société locataire critique la délivrance de l'assignation non à son siège social dont l'adresse figure au bail, mais sur le lieu de son exploitation. Elle ajoute que si l'huissier instrumentaire n'est pas parvenu à remettre l'acte à personne, c'est en raison d'une présentation en dehors des heures d'ouverture ; elle critique les mentions de l'acte s'agissant des diligences de l'huissier, puisqu'il est fait état, pour justifier des vérifications du domicile, de la présence d'une enseigne or celle-ci (La caverne du couscous) est différente de sa raison sociale et que le courrier a été glissé sous la porte et non comme le prévoit le texte, déposé dans sa boîte aux lettres. Elle prétend que la remise de l'acte doit se faire, par principe au siège social, ainsi que la cour de cassation l'a jugé par un arrêt du 2 mars 2023 qui précise : 'il résulte de l'article 690 du code de procédure civile que la signification d'un acte destiné à une personne morale dont le siège social est connu est faite au lieu de ce siège et, à défaut, en tout autre lieu de son établissement. Ce n'est donc qu'en l'absence d'établissement de la personne morale destinataire de l'acte, que la signification est valablement faite à l'un de ses membres'. Elle affirme enfin l'existence d'un grief puisqu'elle n'a pas été en mesure de se défendre devant le premier juge. Elle évoque également les vices qui affecteraient les actes de saisie-attributions des 5 et 13 décembre 2022, le défaut de dénonciation des actes subséquents, dont la mainlevée du 16 février 2023.
La bailleresse objecte que compte tenu d'une clause d'élection de domicile, les actes délivrés à domicile élu sont réguliers et que l'enseigne était connue de l'huissier instrumentaire puisqu'il avait à cette adresse, délivré le commandement de payer, à M. [Y], qui s'était déclaré responsable et habilité à le recevoir. Elle évoque la force probante attachée aux mentions de l'acte et soutient également la validité des autres actes critiqués pour affirmer que la procédure de référé qu'elle a diligentée et les actes d'exécution subséquents sont réguliers.
La cour, doit au préalable, faire le constat qu'aux termes du dispositif de ses conclusions, l'appelante poursuit la nullité de l'assignation du 12 mai 2022 et des actes subséquents, dont l'ordonnance rendue le 20 octobre 2022 et que le juge des référés (et par conséquent, la cour saisie d'un recours) ne peut pas sans excéder ses pouvoirs prononcer la nullité des actes d'exécution entrepris sur le fondement de l'ordonnance qui lui est déférée, pour des motifs propres à la rédaction ou à la délivrance de ces actes d'exécution.
Ainsi que le soutient la bailleresse, le bail comprend pour son exécution (article 25), une clause d'élection de domicile du preneur dans les lieux loués.
L'article 111 du code civil indique que lorsqu'un acte contient une élection de domicile, les signification, demandes et poursuites relatives à cet acte, pourront être faites au domicile convenu. L'huissier instrumentaire pouvait, sans encourir une quelconque critique, procéder à l'adresse du lieu d'exploitation.
L'acte critiqué décrit comme suit, les diligences effectuées par le clerc : le destinataire de l'acte étant absent, j'ai vérifié la certitude du domicile par les éléments suivants : présence d'une enseigne commerciale sur l'immeuble, locaux fermés au passage du clerc, personne pour recevoir la copie.
La discussion que la société Luxure restauration entreprend sur l'insuffisance de ces diligences est inopérante puisque l'acte a bien été délivré au domicile élu.
Est tout aussi inopérante, la critique de l'heure de passage. En effet, nonobstant le fait que l'indication de l'heure de passage ne figure pas au nombre des mentions prévues par l'article 648 du code de procédure civile, la société Luxure restauration procède par affirmation lorsqu'elle prétend à un passage de l'huissier en dehors des heures d'ouverture, faute de produire la moindre pièce précisant les heures d'ouverture de l'établissement comme d'ailleurs, la présence d'employés, le mercredi 8 novembre 2021 et leurs horaires.
Dès lors, la mention de l'absence du destinataire de l'acte et la fermeture des locaux, qui vaut jusqu'à inscription de faux, suffit à caractériser l'impossibilité de remettre l'acte à la personne morale destinataire et justifie sa remise selon les formes prévues aux articles 656 et 658 du code de procédure civile, l'huissier instrumentaire n'ayant nullement l'obligation de procéder à une seconde tentative de signification pour parvenir à une signification à personne.
L'huissier instrumentaire atteste par une mention qui vaut également jusqu'à inscription de faux, du dépôt de l'avis de passage, sous la porte et de l'envoi de la lettre prévue par l'article 658 du code de procédure civile comportant les mêmes mentions que l'avis de passage et copie de l'acte de signification.
Enfin, il convient de relever que selon l'article 656 du code de procédure civile, l'huissier doit laisser au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage sans imposer un dépôt en boîte aux lettres, dont l'existence et l'accessibilité n'est pas établie.
L'exception de nullité de l'assignation, qui seule aurait permis d'invalider l'ordonnance entreprise et les actes subséquents, ne peut pas prospérer et sera rejetée.
En second lieu, la société Luxure restauration demande à la cour,
- en tout état de cause
-à titre subsidiaire, de juger que l'acquisition de la clause résolutoire dans un contrat de bail commercial souscrit sous l'empire de l'état d'urgence sanitaire pour Covid-19 se heurte à une contestation sérieuse et en conséquence, se déclarer incompétente sur toutes les demandes de l'intimé autres que celles relevant de la dévolution de compétence fixée dans l'ordonnance dont appel ;
- à titre plus subsidiaire, d'ordonner la réouverture des débats ;
- à titre encore plus subsidiaire, de lui accorder les plus larges délais pour régler tous les loyers et indemnités dus et par suite, suspendre la réalisation des effets de la clause résolutoire contenue au bail du 1er juillet 2020.
Force est de constater, que la société Luxure restauration qui à titre principal soutient l'annulation de la décision entreprise, ne prétend pas ensuite à son infirmation.
Or en application de l'article 954 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
En l'espèce, le dispositif des conclusions de l'appelante, qui fixe les limites du litige dont la cour est saisie, ne contient aucune demande d'infirmation de la décision déférée et dès lors la cour ne peut que confirmer l'ordonnance entreprise notamment lorsqu'elle constate l'acquisition de la clause résolutoire avec ses conséquences de droit.
La demande de réouverture des débats n'est soutenue par aucun moyen pertinent et sera rejetée.
La société Luxure restauration présente une demande de délai, sur le fondement des dispositions de l'article L 145-41 du code de commerce.
En l'absence de tout effort pour réduire sa dette que le premier juge a fixé à la somme de 42 500,51 euros (arrêtée au 1er avril 2022), puisque les paiements dont excipe la locataire sont intervenus en exécution des saisies-attribution diligentées par la bailleresse, la demande de délai ne peut pas prospérer. De surcroît, la demande de suspension des effets de la clause résolutoire se heurte à la confirmation du constat de l'acquisition de cette clause et de l'expulsion de la locataire, par ailleurs effective depuis le 27 février 2023, date de remise des clés à la bailleresse.
Enfin, visant l'article 1241 du code civil et citant dans le corps de ses conclusions les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, la société Luxure restauration sollicite l'allocation d'une somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle avance que la société Sélectirente a obtenu au terme d'actes illégaux (d'exécution) remise des clefs au commissariat saisi par l'huissier, tout en annihilant la valeur du bail commercialement ainsi illégalement appréhendé, causant un nouveau procès à venir sur le fond, pour réparation dudit préjudice relatif à la valeur du bail commercial ainsi anéanti.
Elle dénonce la malice procédurale de la bailleresse qui aurait saisi le juge des référés, aux termes d'un acte critiquable et ne l'a pas informé que le bail avait été signé durant le régime d'exception prévu à l'ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 et de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, puis qui a accumulé les irrégularités à l'occasion des actes d'exécution et s'est ensuite abstenue, devant la cour de produire les actes de dénonciation des saisies et mainlevée et de faire état des sommes perçues lors des saisies attributions.
Nonobstant le fait que le sens de l'arrêt exclut que la société Luxure restauration puisse prétendre à un abus de droit dans la conduite de l'instance devant le juge des référés ou devant la cour, la société Luxure restauration se contente d'arguer d'un préjudice qui, en l'absence du moindre élément pour justifier de sa réalité et de son quantum, demeure hypothétique, réclamant qui plus est le paiement d'une créance et non d'une provision, seule condamnation que le juge des référés peut prononcer sans excéder ses pouvoirs.
Enfin la société Sélectirente ramène sa créance provisionnelle arrêtée au 28 février 2023 à la somme de 33 631,73 euros et sollicite que la condamnation de la locataire soit assortie, ainsi qu'elle le réclamait dans son assignation, d'intérêts de retard calculés sur le taux de base bancaire, majoré de quatre points (soit TBB+4).
En l'absence d'appel incident, la cour ne peut pas modifier la décision entreprise en ce qu'elle alloue les intérêts moratoires au taux légal. Elle ne peut pas plus, y compris à la baisse, modifier le quantum d'une condamnation provisionnelle, faute d'être saisie d'un appel principal ou d'un appel incident de ce chef.
Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées. La société Luxure restauration sera condamnée aux dépens d'appel et à payer une indemnité complémentaire au titre des frais exposés par la société Sélectirente pour assurer sa défense devant la cour.
PAR CES MOTIFS,
Rejette l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance présentée par la société Luxure restauration ;
Confirme l'ordonnance du 20 octobre 2022 ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Luxure restauration à payer à la société Sélectirente la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA CONSEILLERE