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28/06/2023 | FRANCE | N°21/05564

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 28 juin 2023, 21/05564


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 28 JUIN 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05564 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD4UA



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/01949





APPELANT



Monsieur [H], [N] [K]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Maï LE PRAT de la SELARL VERDIER LE PRATAVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : J018





INTIMÉE



S.A.S.U. LE HUFFINGTON POST

[Adresse 2]

[Lo...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 28 JUIN 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05564 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD4UA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/01949

APPELANT

Monsieur [H], [N] [K]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Maï LE PRAT de la SELARL VERDIER LE PRATAVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : J018

INTIMÉE

S.A.S.U. LE HUFFINGTON POST

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mai 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, en double rapporteur, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport et Monsieur Stéphane THERME, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en leur rapport, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Huffington post (SASU) a employé M. [H] [K], né en 1986, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er avril 2015 en qualité chef du service vidéo.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976, refondue le 27 octobre 1987.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait en dernier lieu à la somme de 3 458,65 €.

Par courrier de notification remis en main propre contre récépissé par la société Huffington post en date du 18 octobre 2018, M. [K] a été mis à pied à titre conservatoire. La lettre indique :

« Monsieur,

Des faits graves vous concernant ont été portés à notre connaissance. Au regard de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous décidons de prononcer à votre encontre une mesure de mise à pied à titre conservatoire qui prend effet à compter de la remise en main propre contre décharge du présent courrier.

La mise à pied à titre conservatoire court jusqu'à la décision définitive qui découlera de l'enquête interne approfondie qui sera diligentée dans les plus brefs délais. C'est pourquoi, nous vous demandons de ne plus vous présenter à votre poste de travail pendant toute la durée de la procédure dirigée.

A l'issue de cette enquête, nous nous réservons pleinement le droit d'engager, à votre encontre, une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement. ['] »

Par lettre notifiée le 2 novembre 2018, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 15 novembre 2018.

M. [K] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 30 novembre 2018 ; la lettre de licenciement mentionne des faits de harcèlements et un comportement inapproprié. Elle indique :

« Monsieur,

Nous avons à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave. En effet, le 16 octobre 2018, un collectif composé de douze journalistes femmes a demandé à être entendu par la Direction de la société afin de l'informer de l'existence de « propos sexistes, racistes et homophobes » « tenus, par écrit et pendant les heures de travail, par le biais de l'outil de communication professionnelle Slack » et des conséquences de ces propos tant sur leur intégrité morale que sur leurs conditions de travail.

Après avoir pris connaissance des captures d'écran qui nous ont été remises par ce collectif et de votre participation active au sein de ce réseau composé d'un groupe de journalistes, nous vous avons informé de votre mise à pied à titre conservatoire et ce jusqu'à ce qu'une décision définitive à votre sujet ait été prise après avoir pris connaissance de vos explications. Pour ce faire, nous vous avons convoqué, par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 novembre 2018, à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement qui s'est tenu le 15 novembre dernier.

Dans l'intervalle, une enquête interne a été déclenchée, menée par [X] [C], Responsable Développement RH et santé au travail Groupe. Lors de l'entretien du 15 novembre dernier, au cours duquel vous avez été reçu par [M] [P], Directrice des ressources humaines Groupe et [I] [S], Directeur de la rédaction, et auquel vous n'avez pas souhaité être accompagné, vous avez immédiatement reconnu avoir tenu des propos inacceptables à l'égard de vos collègues.

De fait, il ressort des documents qui nous ont été remis que vous avez notamment :

- Partagé des informations et appréciations concernant certaines de vos collègues de travail placées sous votre responsabilité hiérarchique et dont vous étiez détenteur en votre qualité de manager, en les présentant, de surcroît, de manière péjorative.

Tel est le cas lorsque vous indiquez « TULULUTE TULULUTE petit point sur le fragilomètre du service vidéo [D] a eu un coup de chaud sur son scoot, elle prend son aprèm voilà. » « TULULUTE TULULUTE c'était le point sur le fragilomètre du service vidéo »

- Incité vos collègues de travail à tenir des propos insultants, dégradants, à l'encontre de certains de vos collègues.

A titre d'exemple, lorsque vous avez écrit : « Putain j'ai une envie de bitcher les mecs RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH RETENEZ MOI PUTAIN », cela a eu pour conséquence que [J] [R] réponde en insultant l'une de vos collaboratrices : « OUIIIIIIIII Cette bitch d'[E] là. »

Autre exemple lorsque vous avez envoyé le message suivant : « enfin peut-être anecdotique mais [T] NOTRE SPECIALISTE SERIE TELE qui ne va pas au bout du teaser de Stanger Things parce que c'est du 'BLA BLA », la réaction de [A] [Z] a été de répondre : « c'est une pute je te l'avais dit ».

- Tenu vous-même des propos extrêmement dégradants, insultants et humiliants : « mais par contre je crois qu'elle est un peu baisée de la caisse non ' », « pute pute pute pute », « MAIS MEC EN FAIT LE PROBLEME C'EST LES TASSPE FONT CHIER LES TASSPE », « Mais putain le mec aime rien de rien mais mange tes morts, tu chouines sur le foot, tu chouines sur les séries télé, tu chouines sur la vie, CHOUINE SUR TA MERE PUTAIN ».

- Alors que vous aviez conscience que la participation à ce chan était inappropriée : « putain je vous offre du croustillant, je risque mon job pour vous divertir ET VOILA CE QUE JE RECOLTE ».

Votre comportement et votre participation active au sein de ce groupe d'expression sont inacceptables et inexcusables ; ils le sont, en eux-mêmes, compte-tenu des propos que vous avez tenus et alimentés, mais aussi, du fait de votre qualité de manager, qui vous imposait de mettre immédiatement un terme à ces pratiques et de protéger l'intégrité mentale et les conditions de travail des collaborateurs de l'entreprise.

Votre conduite est extrêmement préjudiciable à la bonne marche de l'entreprise et ne peut être tolérée. Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

C'est pourquoi, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Au regard de ce qui précède, votre maintien dans l'entreprise est impossible ; nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave. Votre licenciement prend ainsi effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement, la période non travaillée du 19 octobre 2018 jusqu'à ce jour correspondant à votre mise à pied à titre conservatoire, ne vous sera pas rémunérée. [']. ».

Par courrier en date du 12 décembre 2018, M. [K] a contesté les faits qui lui étaient reprochés et sollicité des précisions. Par courrier en date du 28 décembre 2018 la société Huffington post lui a répondu.

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. [K] avait une ancienneté de 4 ans et 8 mois.

La société Huffington post occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

M. [K] a saisi le 7 mars 2019 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« Indemnité compensatrice de préavis : 6 917,30 €

Congés payés afférents : 691,73 €

Indemnité de licenciement : 16 716,81 €

Rappel de salaires pour la période ayant été couverte par la mise à pied conservatoire : 4 299,11 €

Congés payés afférents : 429,91 €

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 34 586,50 €

Dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail : 6 917,30 €

Rappel de salaire sur la prime du 13ème mois : 569,19 €

Congés payés afférents : 56,92 €

Dépens

Exécution provisoire article 515 CPC. »

Par jugement du 9 décembre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Déboute Monsieur [B] [K] de l'ensemble de ses demandes.

Déboute la société LE HUFFINGTON POST de sa demande reconventionnelle.

Condamne la partie demanderesse au paiement des entiers dépens. »

M. [K] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 22 juin 2021.

La constitution d'intimée de la société Huffington post a été transmise par voie électronique le 5 juillet 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 9 mai 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 16 mai 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 5 mai 2023,
M. [K] demande à la cour de :

« Infirmer le jugement rendu le 9 décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes de Paris (N° RG : F 19/01949) en ce qu'il a :

- Débouté Monsieur [H] [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné la partie demanderesse, soit Monsieur [H] [K], au paiement des entiers dépens ;

Et statuant à nouveau :

- Dire et juger que le licenciement notifié par la société LE HUFFINGTON POST à Monsieur [H] [K] est sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 6 917,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 691,73 euros au titre des congés payés afférents ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 16 716,81 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 4 299,11 euros à titre de rappel de salaire pour la période ayant été couverte par la mise à pied conservatoire, outre la somme de 429,91 euros au titre des congés payés afférents ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 17 295,25 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 6 917,30 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 569,19 euros à titre de rappel de salaire sur la prime de treizième mois, outre celle de 56,92 euros au titre des congés payés afférents.

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST à verser à Monsieur [H] [K] la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société LE HUFFINGTON POST aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- Débouter la société LE HUFFINGTON POST de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ainsi que de son appel incident. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 5 mai 2023, la société Huffington post demande à la cour de :

« A titre principal :

CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes du 9 décembre 2020 ;

En conséquence :

DÉBOUTER Monsieur [K] de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation à ce titre.

A titre subsidiaire :

- LIMITER les dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 10.230,06 euros, correspondant à trois mois de salaire en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

En tout état de cause :

- FIXER la rémunération de référence du salarié à un montant 3.410,02 euros bruts ;

- DEBOUTER Monsieur [K] de sa demande de dommages-intérêts au titre des prétendues circonstances vexatoires de son licenciement.

- DEBOUTER Monsieur [K] de l'ensemble de ses demandes y compris au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens ;

- CONDAMNER Monsieur [H] [K] à verser à la société la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

- DIRE que ceux d'appel seront recouvrés par Maître Audrey Hinoux, SELARL LEXAVOUE PARIS VERSAILLES conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et

s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 28 juin 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que M. [K] a été licencié pour les faits suivants :

- avoir participé activement au chan privé RBF en étant conscient que cela était inapproprié ;

- avoir tenu des propos péjoratifs, dégradants, insultants et humiliants à l'égard de certaines de ses collègues ;

- avoir incité ses collègues de travail à tenir des propos dégradants et insultants à l'égard de certaines collègues

Pour contester son licenciement pour faute grave, M. [K] soutient que :

- le motif du licenciement repose sur des propos que l'entreprise lui impute et qui auraient été tenus pendant les heures de travail sur un chan privé intitulé « RBF » pour « Radio Bière Foot » sur la plateforme de communication collaborative Slack ;

- la lettre de licenciement a fixé les limites du litige à des propos tenus par écrit sur le seul chan RBF et non à des SMS ou à des Direct Messages ;

- or la société Huffington post verse aux débats des pièces en partie constituées de photographies de conversations privées (Direct Message) (pièces employeur n°17/2, 17/6, 17/7, 17/8, 17/9 et 17/13) et de SMS (pièces employeur n°17/3, 17/4 et 17/6, 2ème partie) ;

- ces pièces ne sont donc pas issues du « chan RBF » et les propos qui y figurent ne sont par conséquent pas visés dans la lettre de notification du licenciement ;

- il en est de même, par extension, pour les échanges qui apparaissent dans le cadre de conversations dont il est impossible de connaître la chaine où elles s'inscrivent (pièces employeur n°16/4, 16/5, 16/6, 16/7, 16/8, 16/10, 16/11, 16/13, 16/15, 17/1, 17/5, 17/10, 17/11 et 17/12) ;

- seules les pièces employeur 16/1, 16/2, 16/3, 16/9, 16/12, 16/14, 16/16 (2ème partie) et 17/14 semblent être issues de discussions qui seraient intervenues dans le chan privé « RBF » ;

- il conteste avoir reconnu les faits ; Mme [P] n'atteste pas qu'il a reconnu les faits au cours de l'entretien préalable mais simplement qu'il a reconnu avoir participé à ce « chan RBF » (Pièce n°29, page 22) ;

- l'expert en cyber sécurité (M. [G] [U]) conclut, concernant la force probante des pièces qui sont versées aux débats par Le Huffington Post « Les pièces 16 et 17 ne permettent pas d'authentifier qui est la personne autrice des propos. En effet, sans être expert en informatique, une personne peut tout à fait créer un ou plusieurs profils Slack en choisissant librement un nom et une photographie s'y rapportant. Elle peut alors créer des conversations, qu'elles soient sous forme de channel public, channel privé ou direct messages et les prendre en photo (...) Par ailleurs, les pièces 16 et 17 ne permettent d'identifier ni la source (espace de travail Slack) ni la date complète des messages. Il existe pourtant des raccourcis et une touche sur le clavier pour prendre une capture d'écran totale » (pièce salarié n° 22) ;

- les pièces employeur n°16 et 17 sont dépourvues de toute valeur probatoire dans la mesure où les échanges qui y figurent, ne sont pas authentifiés, ne sont pas datés ou n'ont pas date certaine et, à supposer qu'ils aient eu lieu, ont pu voir leur contenu être créé, corrigé ou modifié par n'importe qui ;

- il y avait une culture d'entreprise tolérante ;

- la mise en garde du 6 septembre 2018 a épuisé le pouvoir disciplinaire ;

- enfin la société Huffington post ne peut se prévaloir des pièces employeur n°16 et 17 qui constituent des correspondances manifestement privées et personnelles ;

- la société Huffington post n'a jamais démontré que les conditions d'obtention des captures d'écran qu'elle produit sont régulières ; si le Huffington Post ne donne pas plus de précisions sur la manière dont les pièces n°16 et 17 ont été obtenues, c'est tout simplement parce qu'elles semblent émaner d'une ou plusieurs personnes non identifiées ayant procédé à une surveillance des correspondances privées tenues par SMS, Direct Messages et chan Slack privé pendant plusieurs mois, sans en avoir eu l'autorisation ni, bien sûr, en avoir été destinataire(s) ; les pièces n°16 et 17 semblent résulter, en définitive, d'une violation des correspondances privées et, à tout le moins, d'une atteinte à la vie privée c'est à dire d'une surveillance illicite et déloyale des salariés connue du Huffington Post (Pièce adverse n°15).

En défense, la société Huffington post soutient que :

- Le 15 octobre 2018, un collectif composé de douze journalistes femmes a demandé à être entendu par la Direction de la Société afin de « l'alerter sur des faits graves qui ont causé une ambiance délétère au sein de la rédaction » (pièce employeur n°13) ;

- la direction s'est immédiatement saisie de cette demande d'entretien et ladite réunion s'est tenue dès le 16 octobre 2018 à 14h30, en présence de (cf. Nos pièces n°14 et 15) ;

- un compte rendu de cette réunion a été rédigé par le collectif lui-même (pièce employeur n°14) ;

- c'est dans ces conditions que des captures d'écran des propos litigieux ont été, pour la première fois, portées à la connaissance des membres de la Direction (pièce employeur n°16) ;

- Mme [E] [W] a également remis à la Direction, à l'issue de cette réunion, un écrit personnel (contenant d'autres captures d'écran ainsi que des SMS échangés avec M. [K]) (pièce employeur n°17) ;

- ces éléments de preuve ont été mis à disposition de l'employeur, de sorte qu'il ne peut se voir reprocher d'avoir eu recours à un quelconque moyen illicite d'obtention de preuve ;

- les propos litigieux ont été tenus sur Slack, un outil de travail mis à sa disposition par son employeur (pièce employeur n° 18) ;

- les faits sont établis par les copies d'écran (pièce employeur n° 16) ;

- son comportement est d'autant plus inacceptable qu'il était le supérieur hiérarchique de certaines des personnes visées ;

- du 25 octobre au 8 novembre 2018, des entretiens individuels avec les membres du collectif de femmes ainsi que les participants du groupe RBF se sont tenus (pièce employeur n°32) ;

- à l'issue de cette enquête, l'entreprise a prononcé 13 sanctions à l'égard des journalistes hommes ayant participé au groupe RBF dont 3 licenciements, 8 avertissements, 1 mise à pied disciplinaire et 1 rappel à l'ordre ;

- c'est par une interprétation parfaitement erronée que l'appelant affirme que son licenciement repose sur les seuls « propos tenus dans le chan RBF », afin d'exclure les « direct messages » envoyés sur Slack, en dehors du groupe RBF et les SMS ;

- s'agissant des captures de SMS, ces derniers sont intégrés au témoignage de Mme [W] (destinataire des SMS) pour illustrer ses propos (pièce employeur n°17).

- la valeur probante des captures d'écran n'est pas sérieusement contestable ;

- M. [K] qui conteste toute valeur probante aux éléments tirés des captures d'écran, n'en conteste pourtant pas utilement le contenu en démontrant soit qu'il s'agirait d'un faux profil, soit que les propos tenus en son nom sur le fil de discussion aient été émis à son insu ;

- la pièce salarié 22 est dépourvue de valeur probante ;

- aucune violation du secret des correspondances n'est établie au regard du caractère professionnel de l'outil Slack

- les échanges ont été valablement obtenus par l'entreprise, de sorte que la cour ne pourra que les accueillir comme élément de preuve

- le moyen relatif à la culture d'entreprise est inopérant ;

- l'employeur n'a pas épuisé son pouvoir disciplinaire le 6 septembre 2018.

Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.

Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société Huffington post n'apporte pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir que M. [K] a incité ses collègues de travail à tenir des propos dégradants et insultants à l'égard de certaines collègues.

Le grief de ce chef est rejeté.

En revanche, il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société Huffington post apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir que M. [K] a participé activement au chan privé RBF en étant conscient que cela était inapproprié et a tenu des propos péjoratifs, dégradants, insultants et humiliants à l'égard de certaines de ses collègues.

Ces deux griefs sont établis.

En effet, la cour retient que, par courrier électronique du 15 octobre 2018, un collectif de 12 journalistes femmes (dénommé Collectif Huff) a demandé à être reçu en urgence dans le cadre d'un entretien collectif par le directeur de la rédaction, le directeur délégué, la rédactrice en chef adjointe, le chef d'édition pour « alerter sur des faits graves qui ont causé une ambiance délétère au sein de la rédaction », qu'au cours de la réunion du 16 octobre 2018, deux membres de ce collectif ont lu un texte dans lequel il est indiqué, notamment, les points suivants :

« nous avons découvert fortuitement l'existence de conversations racistes, sexistes et homophobes, contenu dans le cadre professionnel sur l'outil de travail Slack, entre plusieurs hommes de la rédaction dont certains chefs. Ainsi dans le chan RBF, plusieurs collègues masculins échangent quotidiennement, par écrit et pendant les heures de travail des propos dégradants et humiliants, et des insultes à l'encontre des journalistes femmes de la rédaction. Les auteurs quotidiens de ses propos sont de quinzaine de journalistes masculins de la rédaction soit quasiment la moitié des effectifs. (..)

Ces propos nous ont profondément atteint dans notre dignité.(...)

Ces agissements répétés entraînent donc la dégradation générale de nos conditions de travail et portent atteinte à notre dignité à notre bien-être dans l'entreprise qui sont garanties contractuellement. De plus cette pratique malsaine récurrente en ligne ne peut qu'influencer négativement les comportements réels de ces mêmes journalistes hommes envers leurs collègues féminines dans la vie quotidienne de l'annexion. D'ailleurs, vous pourrez trouver dans ces captures d'écran un procédé particulièrement parlant. L'un des chefs diffus divulgue de temps en temps à tous les hommes du chan les noms de celles qui lui font part de leur absence le matin et parle de « fragilomètre ». Il dit des choses du genre : « Attention, aujourd'hui, le fragilomètre est remporté par une telle » au prétexte que ladite personne n'a pu se rendre au travail pour des raisons de santé. Un autre chef de service demande à ce que tous ses collègues masculins le plaignent et insultent la collègue avec qui il a eu une discussion qui semble avoir déplu. Nous espérons que vous prendrez la mesure de la gravité de la situation. »

La cour retient qu'à l'occasion de cette réunion, des membres du collectif ont remis à l'employeur des captures d'écrans d'ordinateur faisant apparaître les discussions litigieuses avec les noms de leurs auteurs, dont celui de M. [K], et qu'une des journalistes, ancienne salariée de l'entreprise a versé son long témoignage dactylographié illustré par des captures d'écrans mais aussi par ses échanges de SMS entre elle-même et son supérieur, M. [K], qui participait au fil de la discussion litigieuse.

Ainsi, la société Le Huffington Post ne peut se voir reprocher d'avoir obtenu de façon déloyale un moyen de preuve au soutien du licenciement prononcé à l'encontre de M. [K] dès lors que les captures d'écran utilisées à l'appui des griefs ne procèdent pas d'une recherche de l'employeur mais ont été spontanément remis à ce dernier par des salariées se plaignant d'une atteinte à leur dignité et à leur bien-être dans l'entreprise.

M. [K] n'est pas fondé à invoquer le respect de sa vie privée et le secret des correspondances en ce que les propos en cause ont été échangés sur une plate-forme de discussion (Slack) à visée exclusivement professionnelle, durant le temps de travail et ont porté sur les relations professionnelles entre collaborateurs au sein de l'entreprise.

En effet, l'accès restreint à la liste de discussion RBF (Radio-Bière-Foot), car réservé à certains salariés de la société Le Huffington Post, et le fait que les échanges n'étaient pas destinés à être diffusés au-delà de cette liste ne privent pas la plate-forme et les messages qui y étaient échangés de leur caractère professionnel et ne permettent pas de les considérer comme faisant partie de la sphère de la vie privée des salariés y participant.

Au surplus, les circonstances selon lesquelles des salariées ne faisant pas partie de la liste de diffusion ont pu avoir connaissance des propos échangés à leur sujet et les rumeurs au sein de la société sur l'existence d'une telle liste (message du 6 septembre 2018 du directeur de la rédaction libellé : « J'entends parler de Chans Slack secrets dans lesquels les uns rabaisseraient les autres (...) » attestent d'un manque de confidentialité des discussions.

Certes, M. [K] produit l'analyse des pièces versées par la société Le Huffington Post faite par un consultant qui indique :

« Les pièces 16 [note de la cour : captures d'écran remises à la Direction le 16 octobre 2018] et 17 [note de la cour : témoignage de Mme [E] [W] remis à la Direction le 16 octobre 2018] ne permettent pas d'authentifier qui est la personne autrice des propos. En effet, sans être expert en informatique, une personne peut tout à fait créer un ou plusieurs profils Slack en choisissant librement un nom et une photographie s'y rapportant. Elle peut alors créer des conversations, qu'elles soient sous forme de channel public, channel privé ou direct messages et les prendre en photo. Ainsi, sans avoir de connaissances poussées en informatique, il est très simple de créer un espace de travail sur Slack, créer des utilisateurs, créer le channel « radio-bière-foot » puis rédiger des dialogues et enfin prendre une photo. De même, les pièces n°17/2, 17/6, 17/9 sont des photographies d'une conversation privée (Direct Message), entre deux personnes qui sont dénommées [Y] [F] et [H] [K]. La mention « Message @ [Y] [F] » montre que la personne qui est devant l'écran de l'ordinateur devrait être [H] [K] s'adressant à [Y] [F]. Il peut s'agir d'une conversation créée par un tiers (cf ci-dessus) ou cela peut résulter de l'intrusion d'un tiers sur la session Slack d'[H] [K] . (après récupération d'un mot de passe) ou sur la session de l'ordinateur d'[H] [K] . Un tiers

qui ferait ainsi intrusion pourrait prendre connaissance des conversations passées et écrire ce qu'il souhaite sous le nom d' [H] [K] ».

Mais, cette analyse a été commandée par un salarié cherchant à se disculper et se fonde, non pas sur des données techniques précises issues de l'exploitation du système en cause, mais sur des considérations générales sur la protection des données et la sécurité informatique.

Surtout, il doit être relevé que la simple lecture des messages, par les sujets qui y sont abordés, les circonstances professionnelles qui y sont relatées, les relations sociales avec telle ou telle collaboratrice qui y sont décrites, les références à des événements précis de la vie professionnelle de l'un ou l'autre des interlocuteurs qui y sont contenues et la complicité professionnelle unissant les interlocuteurs, atteste de l'authenticité des captures d'écran et de l'absence de doute sur l'identité des auteurs mentionnés.

Cette absence de doute sur l'authenticité des messages et sur l'identité de leurs auteurs est, par ailleurs, confirmée par le recoupement entre, d'une part, les échanges litigieux de la liste RBF et, d'autre part, des SMS échangés par Mme [W] avec M. [K].

En ce qui concerne l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur, le message du 6 septembre 2018 du directeur de la rédaction libellé en ces termes : « J'entends parler de Chans Slack secrets dans lesquels les uns rabaisseraient les autres : Outre le fait que c'est vraiment nul, sachez juste que n'est rien de secret dans les outils professionnels. On ne peut pas empêcher que ça se fasse hors du milieu pro mais là oui » ne peut pas être considéré comme une sanction puisqu'il s'agit d'une communication générale adressée collectivement aux salariés de l'entreprise et non une mesure individuelle dirigée contre un salarié ayant une incidence sur son contrat de travail et son dossier professionnel.

L'imprécision des termes employés démontre qu'à cette date l'employeur n'avait pas une connaissance exacte des faits susceptibles d'être reprochés ni de l'identité de leurs auteurs. En tout état de cause, même à considérer que l'employeur avait connaissance des griefs pouvant être articulés à l'appui d'une sanction à l'encontre de M. [K], il doit être relevé que le salarié a été convoqué à un entretien préalable par lettre du 2 novembre 2018 et qu'ainsi l'employeur a engagé la mesure disciplinaire moins de deux mois après son message du 6 septembre 2018, soit dans le délai de l'article L. 1332-4 du code du travail.

Il résulte donc de l'ensemble des éléments ci-dessus que l'employeur rapporte la preuve que M. [K] est bien l'auteur des messages particulièrement injurieux, sexistes et dégradants reprochés dans la lettre de licenciement et que ceux-ci ont porté atteinte à la dignité des salariées visées qui ont déclaré s'en trouver déstabilisées, démotivées et fragilisées, y compris sur le plan de leur santé.

La diffusion de messages à caractère pornographiques (« goatses ») sur les messageries professionnelles de certains collaborateurs (pièce salarié n° 14) n'autorisait pas M. [K] à participer à une liste de discussion portant gravement atteinte, par les propos injurieux, sexistes et dégradants contenus, à l'honneur et à la dignité de collègues femmes nommément désignées ou, en tout état de cause, identifiables.

La société Le Huffington Post était donc parfaitement légitime à considérer que les agissements de M. [K] étaient constitutifs d'une faute grave qui rendait impossible la poursuite des relations contractuelles de travail entre les parties, y compris pendant la période de préavis.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [K] de l'ensemble de ses demandes.

Sur les autres demandes

La cour condamne M. [K] aux dépens en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner M. [K] à payer à la société Huffington post la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant,

Condamne M. [K] à payer à la société Huffington post la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Condamne M. [K] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/05564
Date de la décision : 28/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-28;21.05564 ?
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