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22/06/2023 | FRANCE | N°21/19603

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 22 juin 2023, 21/19603


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 22 JUIN 2023



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19603 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUTS



Décision déférée à la Cour : jugement du 14 septembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS RG n° 19/10885





APPELANTS



Monsieur [T] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 8]

le [Date naissance 5] 1990 à [Localité 19]

Représenté et assisté par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418



Monsieur [P] [Z]

[Adresse 11]

[Localité 9]

Né le [Date...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 22 JUIN 2023

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19603 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUTS

Décision déférée à la Cour : jugement du 14 septembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS RG n° 19/10885

APPELANTS

Monsieur [T] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 8]

Né le [Date naissance 5] 1990 à [Localité 19]

Représenté et assisté par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418

Monsieur [P] [Z]

[Adresse 11]

[Localité 9]

Né le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 19]

Représenté et assisté par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418

Monsieur [N] [Z]

[Adresse 13]

[Localité 10]

Né le [Date naissance 6] 1998 à [Localité 19]

Représenté et assisté par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418

Monsieur [K] [Z]

[Adresse 7]

[Localité 10]

Né le [Date naissance 4] 1999 à [Localité 19]

Représenté et assisté par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418

INTIME

BUREAU CENTRAL FRANÇAIS

[Adresse 1]

[Localité 12]

Représentée par Me Jérôme CHARPENTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1216

Assistée par Me Suzy DUARTE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre, chargée du rapport et Mme Dorothée DIBIE, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

Mme Valérie GEORGET, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Emeline DEVIN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nina TOUATI, présidente de chambre et par Emeline DEVIN, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 16 septembre 2014, vers une heure du matin, [I] [Z] alors qu'il marchait le long de l'autoroute A 26 dans le sens [Localité 14]-[Localité 16], a été victime d'un accident mortel de la circulation dans lequel était impliqué une camionnette immatriculée en Belgique, conduite par M. [W] [B] et assurée auprès de la société Axa Belgique, représentée en France par le Bureau central français (le BCF).

Par acte d'huissier en date du 30 août 2019, les fils de [I] [Z], MM. [T], [P], [N] et [K] [Z] (les consorts [Z]) ont fait assigner le BCF devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 14 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- dit que la faute inexcusable commise par [I] [Z] exclut le droit à indemnisation de ses ayants droit,

- débouté les consorts [Z] de l'ensemble de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les consorts [Z] aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 10 novembre 2021, les consorts [Z] ont interjeté appel de ce jugement en critiquant chacune de ses dispositions.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions des consorts [Z], notifiées le 21 janvier 2022, aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

Vu la loi du 5 juillet 1985,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 septembre 2021 en ce qu'il a :

- dit que la faute inexcusable commise par [I] [Z] exclut le droit à indemnisation de ses ayants droit,

- débouté les consorts [Z] de l'ensemble de leurs demandes tendant à voir condamner le BCF à leur verser à chacun la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec doublement du taux d'intérêt légal jusqu'à la décision à intervenir,

Statuant à nouveau,

- constater le droit à réparation intégral des consorts [Z],

- juger que [I] [Z] n'a pas commis de faute inexcusable de nature à exclure le droit à indemnisation de ses enfants,

- condamner le BCF à verser à MM. [T], [P], [N] et [K] [Z], une somme de 35 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts,

- ordonner le doublement du taux des intérêts légaux, « jusqu'à la date du jugement à intervenir »,

- condamner le BCF à verser aux consorts [Z] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le BCF aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autoriser Maître Dominique Laurier, avocat à la cour, à en recouvrer le montant conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du BCF, notifiées le 12 avril 2022, aux termes desquelles il demandent à la cour de :

Vu la loi du 5 juillet 1985 et notamment les articles 3 et 6,

Vu les articles R.421-2 et R.412-8 du code de la route,

Vu le principe de la réparation intégrale,

- constater que selon les éléments du procès verbal, notamment les témoignages de MM. [B] et le croquis du procès verbal, et selon les éléments de l'expertise en accidentologie, le choc est bien survenu au milieu de la voie de circulation de droite, et non sur l'accotement,

- constater que la chaussée n'était pas éclairée et que la présence en pleine voie d'une autoroute d'un piéton de nuit était totalement imprévisible pour le conducteur belge qui n'aurait pu éviter l'accident et n'a évidemment commis aucune faute,

Par conséquent,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que [I] [Z] avait commis une faute inexcusable cause exclusive de l'accident au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 excluant son droit à indemnisation,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que cette exclusion est opposable à ses ayants droits selon l'article 6 de ladite loi,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [Z] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- les condamner au versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens,

Très subsidiairement,

- fixer, en deniers ou quittance, le préjudice d'affection de chacun des fils à la somme de 20 000 euros,

- prendre acte que les précédentes conclusions signifiées le 19 février 2020 valaient offre et limiter les intérêts majorés du 17 mai 2015 au 19 février 2020, l'assiette étant les montants offerts par le BCF et non ceux alloués par la cour,

- réduire l'indemnité sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le droit à indemnisation des consorts [Z]

Le tribunal a retenu que [I] [Z] qui circulait en pleine nuit sur la chaussée de l'autoroute bordée d'une glissière de sécurité, en l'absence de tout éclairage et de tout équipement permettant de le distinguer nettement, après avoir franchi au moins la glissière de sécurité, avait commis une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

Il a par ailleurs relevé que le conducteur de la camionnette ne pouvait voir le piéton alors que la chaussée n'était pas éclairée et que ce dernier ne portait aucun équipement signalant sa présence avec netteté et en a déduit que la faute inexcusable de la victime était la cause exclusive de l'accident.

Les consorts [Z] qui concluent à l'infirmation du jugement font valoir que comme l'ont indiqué ses collègues de travail, [I] [Z] avait quitté l'hôtel dans lequel il était logé pour rentrer chez lui dans la Meuse car ses enfants lui manquaient, qu'il résulte du témoignage de M. [J], employé par la société d'autoroute Sanef en tant que patrouilleur, que quelques instants avant l'accident, il marchait, non sur une voie de circulation mais sur l'accotement herbeux, soit dans un endroit protégé, et qu'il était muni d'une lampe de poche émettant une lumière bleutée, que si les gendarmes ont situé sur leur croquis le point de choc sur la voie de droite de l'autoroute en se fondant sur les seules déclarations du conducteur du véhicule impliqué dans l'accident, il ressort du rapport d'accidentologie établi à leur demande par le cabinet Erget, ayant mis en évidence de nombreuses anomalies, qu'il n'est pas possible de déterminer la localisation de ce point de choc et d'affirmer que [I] [Z] se trouvait sur la voie de droite de l'autoroute au moment de l'impact avec la camionnette.

Ils font observer que selon le rapport du Cabinet Erget, [I] [Z] a été d'abord percuté par la camionnette conduite par M. [W] [B], projeté à une grande distance puis entraîné et balayé par un second véhicule non identifié jusqu'au point où des traces de chair sont visibles sur le cliché n° 2 pris par les gendarmes.

Ils ajoutent que la marche déterminée et cohérente de leur père observée quelques minutes avant l'accident par le patrouilleur de la société Sanef corrobore le fait qu'il a été heurté par le côté droit du véhicule alors qu'il se trouvait éloigné de la voie de circulation.

Ils font observer par ailleurs que [I] [Z], qui travaillait à l'époque de l'accident sur un chantier en cours sur l'autoroute A 26, évoluait dans un milieu qu'il connaissait bien et qu'on ne voit aucune raison pour laquelle celui-ci, après avoir marché plus d'une heure le long de l'autoroute, se serait déporté sur la voie de circulation dans les quelques minutes suivant le passage de M. [J].

Ils avancent que même en retenant que [I] [Z] a commis une faute en marchant la nuit le long de l'autoroute, cette faute ne revêt pas un caractère d'exceptionnelle gravité.

Ils relèvent également que l'enquête a établi que leur père était dépressif depuis son divorce, qu'il prenait des antidépresseurs et avait consommé de l'alcool le jour des faits, ce dont ils déduisent que son état ne lui permettait pas d'avoir conscience du danger auquel il s'exposait.

Ils considèrent enfin qu'en toute hypothèse, la faute commise par [I] [Z] n'est pas la cause exclusive de l'accident, que ce dernier qui se situait à droite de la voie de circulation avait pu être évité par de nombreux automobilistes, dont le patrouilleur de la société Sanef, qu'il était parfaitement visible puisqu'il disposait d'une lampe torche émettant une lumière bleutée et que M. [W] [B] était ainsi en capacité de l'éviter.

Le BCF objecte qu'il résulte de l'enquête de police que l'accident s'est produit de nuit sur une portion de l'autoroute A 26 dépourvue d'éclairage public et que le point de choc se situe sur la voie de droite de l'autoroute et non sur le talus herbeux ainsi qu'il ressort du croquis de l'accident et des auditions de M. [W] [B], conducteur de la camionnette et de son frère, M. [F] [B], passager avant droit.

Il ajoute que le rapport d'accidentologie établi et complété à sa demande par le cabinet Equad confirme que l'accident s'est bien produit alors que [I] [Z] marchait sur la voie de circulation de droite de l'autoroute et non sur l'accotement, que lors du choc avec la camionnette son corps a été projeté sur plusieurs dizaines de mètres selon une courbe parabolique et a atterri sur la voie de droite, qu'un véhicule a ensuite roulé sur le corps de la victime, qu'il s'agisse de la camionnette ou d'un véhicule non identifié, ce qui explique les traces de projection de chair visibles sur la bande d'arrêt d'urgence plusieurs dizaines de mètres après le point de choc initial.

Le BCF précise que quel que soit l'itinéraire emprunté par [I] [Z], ce dernier a franchi des obstacles interdisant l'accès à l'autoroute et à tout le moins les glissières de sécurité qui n'ont pas été endommagées.

Il en déduit que [I] [Z] a commis une faute inexcusable et ajoute que si la victime présentait un taux d'alcoolémie 2,20 grammes par litre de sang et était, selon ses proches, dépressive, il n'en résulte pas que son discernement ait été aboli.

Le BCF fait valoir enfin que la faute inexcusable de [I] [Z] est la cause exclusive de l'accident, aucune faute n'étant établie à l'encontre de M. [W] [B] qui venait de prendre le volant depuis quelques minutes, roulait à 130 km/h avec son régulateur de vitesses enclenché sur la voie de droite de l'autoroute alors que la circulation était fluide et n'a pu éviter la collision avec [I] [Z] qui se trouvait sur sa voie de circulation.

Il ajoute que si la victime était quinze minutes avant l'accident sur le talus herbeux longeant l'autoroute comme l'a indiqué M. [J] dans sa déposition, elle est ensuite descendue du talus et marchait en plein voie au moment de la collision.

************

Sur ce, aux termes de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elleont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faite inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident.

Seule est inexcusable au sens de ce texte, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

En l'espèce, il ressort de l'enquête pénale que l'accident est survenu le 16 septembre 2014 vers 1 h 05, 1 h 10 du matin sur une portion de l'autoroute A 26 dépourvue d'éclairage public, composée dans le sens [Localité 14]-[Localité 16] de deux voies de circulation et d'une bande d'arrêt d'urgence.

Les gendarmes ont précisé que la circulation était faible à l'heure de l'accident et que la vitesse maximale autorisée est de 130 km/h.

L'audition des collègues de travail de [I] [Z] a permis d'établir qu'il était employé comme chef d'équipe par la société Berthold et était affecté depuis le 1er septembre 2014 sur un chantier portant sur la rénovation du tablier et des enrobés du viaduc de la Somme, sur l'autoroute A 26, et était logé dans un hôtel situé sur la commune de [Localité 17].

Les dépositions de ses collègues de travail et celle du veilleur de nuit de l'hôtel établissent que [I] [Z], après avoir consommé de l'alcool, a quitté l'hôtel vers minuit avec ses bagages en indiquant que ses enfants lui manquaient.

Le trajet emprunté par [I] [Z] pour rejoindre l'autoroute A 26 fait l'objet d'hypothèses divergentes émises par les deux cabinets d'accidentologie Erget et Equad, dont aucune n'est établie.

M. [J], employé par la société Sanef en qualité de patrouilleur, a indiqué devant les services de gendarmerie qu'il roulait sur l'autoroute A 26 en direction de Gauche, lorsqu'il avait vu à 00 h 50 ou 00 h55, à la hauteur du point kilométrique PK 168.000, une personne vêtue de couleur sombre marchant sur l'accotement à une dizaine de mètres du bord de la chaussée, précisant qu'il avait ralenti mais ne s'était pas arrêté et avait poursuivi sa patrouille, cette personne n'ayant pas un comportement dangereux et marchant sans tituber et sans faire de geste brusque sur le talus herbeux et non sur la bande d'arrêt d'urgence.

Il a précisé qu'il lui avait semblé apercevoir dans son rétroviseur en s'éloignant que cette personne tenait une petite torche émettant une lumière de couleur bleutée.

M. [J] a indiqué avoir informé le poste central d'exploitation de [Localité 18] de la présence du piéton puis avoir été rappelé vers 1 h 00, 1 h 05 par le poste central qui lui a demandé de rejoindre le piéton pour assurer sa protection et l'a ensuite informé, alors qu'il allait raccrocher, que celui-ci venait de se faire percuter par un véhicule.

Il a ajouté qu'il avait fait demi-tour et s'était rendu sur les lieux de l'accident, au point kilométrique PK 168. 000, où il avait remarqué une personne allongée sur la première voie et un fourgon stationné sur la bande d'arrêt d'urgence, précisant qu'il avait posé des cônes de Lübeck sur la première voie.

M. [W] [B], entendu par les gendarmes, a expliqué qu'il venait de Belgique avec son frère et se rendait à [Localité 15], qu'il venait de prendre le volant et roulait à 130 km/h sur la voie de droite avec le régulateur de vitesse lorsque l'accident s'était produit vers 01 h 05 ; il a indiqué qu'il n'avait eu le temps de voir la victime et n'avait pas fait usage de ses freins avant l'impact.

Il a ajouté qu'il avait percuté le piéton à l'avant droit de la camionnette et que le corps était resté sur la chaussée et qu'il s'était immédiatement déporté sur la bande d'arrêt d'urgence en gardant le contrôle du véhicule.

M. [F] [B] a expliqué qu'il avait roulé pendant une heure puis avait passé le volant à son frère, qu'il s'était assoupi, avait entendu un grand « boum » et s'était réveillé, précisant que le pare-brise de son côté était enfoncé et complètement émietté et qu'il ne voyait plus rien.

Il a ajouté que son frère s'était garé sur la bande d'arrêt d'urgence en mettant ses feux de détresse, qu'ils étaient descendus du véhicule, qu'un camion était arrivé entre temps et qu'il lui semblait qu'il avait roulé « sur ce que son frère avait percuté ».

Les photographies de la camionnette accidentée permettent de confirmer que le choc s'est produit au niveau de la partie avant droite du véhicule.

Il ressort des analyses, que [I] [Z] avait un taux d'alcool de 2,20 grammes d'alcool par litre de sang.

L'examen médical du corps réalisé par le Docteur [E] mentionne un fracas osseux du crâne et du massif facial, une fracture de l'ensemble du plastron sterno-costal, une rupture de la paroi abdominale avec extériorisation des viscères, et une destruction quasi-complète des membres inférieurs ; il est précisé que le décès est compatible avec un traumatisme à très haute cinétique.

Les gendarmes ont établi un croquis de l'accident sur lequel ils ont localisé le point de choc sur la voie de droite de l'autoroute A 26 au niveau du point PK 168 + 100 et le corps de la victime 50 mètres plus loin sur la même voie, étant observé que le positionnement du corps après l'accident sur la voie de droite est confirmé par le témoignage de M. [J].

La localisation du point de choc sur la voie de droite et non sur la bande d'arrêt d'urgence ou le talus herbeux est confirmée par l'analyse du cabinet Equad qui relève que le choc initial à une vitesse de 130 km/h a entraîné la projection du corps sur plusieurs dizaines de mètres sur la même voie selon une courbe parabolique avec un déport latéral très faible et que dans le cas où un second véhicule aurait roulé sur le corps de la victime, cela implique également que celle-ci était positionnée sur la voie de droite de l'autoroute, sauf à retenir que les deux véhicules circulaient sur la bande d'arrêt d'urgence.

Par ailleurs, les clichés photographiques réalisés par les services de gendarmerie permettent de constater que la glissière de sécurité, bordant l'autoroute A 26 dans le sens [Localité 14]-[Localité 16] à partir du point kilométrique PK 168.000, n'a pas été dégradée lors de l'accident, ce qui exclut que [I] [Z] soit demeuré sur le talus herbeux où il a été vu par M. [J], 5 à 10 minutes avant l'accident.

Au vu des données qui précèdent, il est établi que [I] [Z], alors qu'il se trouvait en sécurité sur le talus herbeux longeant l'autoroute A 26, a, sans raison valable, descendu ce talus, franchi les glissières de sécurité et la bande d'arrêt d'urgence et marché sur la voie de droite de l'autoroute, alors qu'il n'était équipé d'aucune tenue réfléchissante permettant d'être vu de loin, qu'il était vêtu de couleur sombre, qu'il faisait nuit et que l'autoroute était dépourvue d'éclairage public.

Ce comportement caractérise une faute d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, étant observé que ni l'état d'imprégnation alcoolique de la victime qui marchait selon M. [J] sans tituber, ni son état dépressif sur l'importance duquel aucun document médical n'est fourni, ne permettent d'établir que son discernement était aboli.

Il est ainsi démontré que [I] [Z] a commis une faute inexcusable dont il convient de vérifier si elle a été la cause exclusive de l'accident, ce qui est contesté.

En l'espèce, il ne peut être reproché à M. [W] [B], conducteur de la camionnette, qui circulait sur la voie de droite de l'autoroute à 130 km/h, dans les limites de la vitesse maximale autorisée, et à une vitesse adaptée aux conditions de la circulation qui selon les constatations des gendarmes était faible à cette heure de la nuit, de ne pas avoir anticipé la présence inopinée d'un piéton sur sa voie de circulation alors que celui-ci ne portait aucune tenue réfléchissante permettant d'être vu de loin, qu'il était vêtu de couleur sombre, qu'il faisait nuit et que l'autoroute était dépourvue d'éclairage public.

Il convient d'observer que si selon le témoignage de M. [J] la victime tenait une lampe de poche, ce n'est qu'en s'éloignant qu'il a aperçu cette lampe dans son rétroviseur, ce qui témoigne de ce qu'elle n'était pas visible avant d'avoir dépassé le piéton.

Dans ces conditions, il est démontré que la faute inexcusable de [I] [Z] est bien la cause exclusive de l'accident mortel dont il a été victime le 16 septembre 2014, ce qui exclut le droit à indemnisation de ses proches en application de l'article 6 de la loi du 5 juillet 1985.

Le jugement sera confirmé.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

Les consorts [Z] qui succombent en leur recours supporteront la charge des dépens d'appel.

L'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

- Condamne MM. [T], [P], [N] et [K] [Z] aux dépens d'appel,

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/19603
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;21.19603 ?
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