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22/06/2023 | FRANCE | N°21/05143

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 22 juin 2023, 21/05143


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 22 JUIN 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05143 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2FK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/01853





APPELANTE



S.E.L.A.R.L. GRANDE PHARMACIE DE WAGRAM prise en la personne de son Gérant, domic

ilié en cette qualité audit siège,



[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056



INTIME



Monsieur [V] [S...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 22 JUIN 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05143 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2FK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/01853

APPELANTE

S.E.L.A.R.L. GRANDE PHARMACIE DE WAGRAM prise en la personne de son Gérant, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

INTIME

Monsieur [V] [S]

[Adresse 1]

[Localité 4]

né le 14 Mai 1978 à Algérie

Représenté par Me Samira CHELLAL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 178

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée conclu le 23 août 2010, d'abord pour une durée de travail à temps partiel puis à temps complet à partir du 24 mai 2011, Mme [V] [S] a été engagée par la société Grande pharmacie Wagram (ci-après la société) en qualité de rayonniste moyennant une rémunération mensuelle brute s'élevant en dernier lieu à la somme de 2 159,78 euros outre une prime d'ancienneté.

Mme [S] a présenté des arrêts de travail sans discontinuer à compter du 20 octobre 2018.

Le 5 novembre 2018 elle a écrit à l'employeur pour dénoncer ses conditions de travail.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle de la pharmacie d'officine du 3 décembre 1997 et la société emploie moins de 11 salariés.

Estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 3 mars 2020 afin d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat travail. Par jugement du 5 mai 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, section commerce, a :

- fixé le salaire de référence à 2 354,16 euros brut,

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur à effet au 5 février 2021,

- condamné la société Grande pharmacie de Wagram à verser à Mme [S] les sommes suivantes :

* 4 708,32 euros à titre d'indemnité de préavis outre 470,83 euros au titre des congés payés incidents,

* 5 393,79 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 3 028,47 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents à l'exercice 2018/2019,

* 783,22 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents à l'exercice 2018/2019,

* 2 134,86 euros à titre de rappel d'indemnités journalières de la sécurité sociale avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2020,

* 14'124,96 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2021,

* 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la délivrance à Mme [S] des documents de fin de contrat,

- débouté Mme [S] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Grande pharmacie de Wagram de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

La société Grande pharmacie de Wagram a régulièrement relevé appel partiel du jugement le 9 juin 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelante n° 2, notifiées par voie électronique le 2 mars 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Grande pharmacie Wagram prie la cour de :

- infirmer le jugement du chef des condamnations prononcées à son encontre au titre de l'indemnité de licenciement, l'indemnité de préavis et les congés payés incidents, l'indemnité de congés payés pour l'exercice 2017/2018, l'indemnité de congés payés afférents à l'exercice 2018/2019, le rappel d'indemnités journalières de la sécurité sociale, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur la base d'un salaire théorique de 2 300,23 euros et d'une ancienneté de huit ans et huit mois,

- condamner et fixer le montant des condamnations prononcées à son encontre aux sommes suivantes :

* 4 983,83 à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 4 600,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, déduction faite du régime des IJSS et de la prévoyance si la cour ne devait pas débouter Mme [S] de sa demande à ce titre,

* 4 600,46 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouter Mme [S] de sa demande au titre des IJSS,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [S] de ses demandes au titre du harcèlement moral, atteinte à son intégrité psychique, altération de son avenir professionnel, exécution déloyale du contrat de travail,

- en tout état de cause, condamner Mme [S] à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Patricia Hardouin Selarl 2H Avocats pour ceux la concernant conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée n°3, notifiées par voie électronique le 28 février 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [S] prie la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Grande pharmacie de Wagram à lui payer les sommes de :

* 4 708,32 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 470,83 euros au titre des congés payés afférents,

* 3 028,47 euros au titre des congés payés afférents à l'exercice 2017/2018 et 783,225 euros au titre des congés payés afférents à l'exercice 2018/ 2019,

* 2 134,86 euros à titre de rappel d'indemnités journalières de sécurité sociale pour la période allant du 16 avril 2019 au 5 juin 2019,

* '2 500 euros' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Grande pharmacie de Wagram à lui verser les sommes suivantes :

* 30'000 euros de dommages-intérêts au titre de l'atteinte à son intégrité psychique,

* 5 000 euros de dommages-intérêts au titre de l'altération de son avenir professionnel,

* 5 000 euros de dommages-intérêts au titre de l'atteinte à sa dignité,

* 2 000 euros de dommages-intérêts du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail en réparation du préjudice subi consécutif au retard de communication des documents nécessaires au versement des IJSS,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat travail aux torts de l'employeur et dire qu'elle produira les effets d'un licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Grande pharmacie de Wagram à lui verser les sommes de :

* 35'000 euros brut à titre d'indemnité pour nullité du licenciement,

* subsidiairement, 21'187,44 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 759,22 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 2'000 euros de dommages-intérêts pour non-respect du repos compensateur de 50 % pour les heures de travail réalisées au-delà du contingent conventionnel annuel,

* 1 040,56 euros ; 93,65 euros et 1025,82 euros illégalement ponctionnés de son solde de tout compte,

- assortir les condamnations des intérêts de retard au taux légal à compter du dépôt de la requête déposée devant le conseil de prud'hommes avec anatocisme,

- ordonner la remise d'un certificat de travail conforme, d'une attestation destinée au Pôle emploi conforme ainsi que la remise de l'ensemble des bulletins de paie et solde de tout compte conformes, le tout sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l'arrêt à intervenir dans la limite de trois mois, et se réserver le droit de liquider l'astreinte,

- condamner la société Grande pharmacie de Wagram à lui payer la somme de 5 160 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel,

- condamner la société Grande pharmacie de Wagram aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2023.

MOTIVATION':

A titre liminaire, la cour observe que les parties n'ayant pas relevé appel de ce chef de jugement, la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet au 5 février 2021 est acquise.

Sur les effets de la résiliation judiciaire du contrat de travail':

Mme [S] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à faire produire à la résiliation les effets d'un licenciement nul. Elle soutient en effet qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement moral de la part de son employeur.

La société conclut au débouté et à la confirmation du jugement.

Sur le harcèlement moral':

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il en résulte que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

Au soutien de sa demande, Mme [S] invoque les éléments suivants :

- il lui était imposé des tâches sans rapport avec son contrat de travail engendrant un surmenage. Elle s'appuie sur deux attestations d'anciens salariés ainsi que sur l'attestation d'une commerciale pharmaceutique,

- elle a été victime d'une rupture d'égalité avec sa collègue Mme [G], laquelle a été promue au poste de responsable que lui avait promis son employeur alors qu'elle n'avait qu'une année d'ancienneté tandis qu'elle-même en comptait huit et occupait le poste dans les faits. Elle s'appuie sur un courrier de sa part adressé à l'employeur le 5 novembre 2018. La cour considère toutefois qu'aucun élément objectif ne vient corroborer le courrier de Mme [S] et ses affirmations pour établir la promesse alléguée et par ailleurs, Mme [S] ne justifie pas que Mme [G] était dans une situation identique ou similaire à la sienne, aucun élément n'étant produit sur son embauche, ses fonctions, son ancienneté. La rupture d'égalité de traitement alléguée n'est donc pas établie,

- elle subissait des insultes répétées et travaillait dans un climat de pression constante, contrainte de porter de lourdes charges dans des conditions particulièrement éprouvantes en étant obligée d'aller chercher de la marchandise stockée dans la cave laquelle ne respectait aucune norme de sécurité (escalier exigu, absence de lumière, installation électrique dangereuse) ainsi qu'en attestent les deux anciennes salariées déjà citées et ce, quelles que soient les conditions météorologiques, sans aucun moyen à sa disposition pour faciliter le port et le transport de ces charges et alors qu'elle était la seule à qui cette tâche incombait. Elle a également été victime d'une agression en allant déposer la recette de la pharmacie à la banque le 29 février 2016, sur ordre de son employeur, alors que cette tâche ne lui incombait pas. Elle s'appuie sur le compte rendu d'infraction du 1er mars 2016 dont il ressort qu'elle a déposé plainte au commissariat du huitième arrondissement le 1er mars 2016 à la suite de cette agression ainsi que sur les attestations déjà citées des deux anciens salariés de la pharmacie et son propre courrier. La cour observe qu'aucun élément n'est produit pour corroborer les allégations de la salariée sur les insultes qu'elle prétend subir,

- elle a subi des tentatives de pression durant son arrêt de travail, l'employeur n'ayant eu de cesse de la contacter pour l'interroger au sujet de sa reprise de poste, produisant un extrait du son journal d'appel du 5 novembre 2018 et s'appuyant sur son courrier du 5 novembre 2018 dans lequel elle demande à l'employeur d'arrêter ses tentatives d'intimidation,

- l'employeur a intentionnellement commis une entrave à ses droits, s'agissant de ses droits à percevoir les indemnités journalières versées par la sécurité sociale et l'organisme de prévoyance Klesia, en s'abstenant de retourner la demande de règlement de prestations complétée, ainsi que cela ressort des courriers du directeur régional de l'organisme Klesia en date du 14 décembre 2018. Elle s'appuie également sur un message du 14 janvier 2019 la priant de trouver les relances faites à l'entreprise dont la cour observe qu'elles ne sont pas jointes. Elle verse également aux débats le courrier de son avocat adressé à l'employeur pour qu'il communique ce document, ainsi que l'ordonnance de référé démontrant que l'employeur ne lui communiquait pas ses bulletins de paie,

- l'employeur a refusé de l'informer des suites qu'il donnait à une procédure de licenciement qu'il avait initiée pendant son arrêt de travail après l'avoir convoquée à un entretien préalable qui s'est tenu le 12 juin 2019 alors qu'elle l'a interrogé par courriers des 18 juillet et 3 septembre 2019 qu'elle communique, restés sans réponse alors que la société Klesia a arrêté le versement des prestations journalières complémentaires en lui indiquant qu'elle n'était plus comptée dans l'effectif de l'entreprise depuis le 5 juin 2019 ainsi qu'il que cela ressort selon elle, de l'attestation établie par l'organisme Klesia le 27 septembre 2019,

- l'employeur a procédé à une rétention abusive des bulletins de salaire et a refusé de reverser les indemnités journalières d'arrêt maladie pour la période allant du 15 avril au 5 juin 2019. Elle fait valoir que pour la période comprise entre le 15 avril et le 5 juin, Klesia l'a informée avoir réglé à l'employeur les indemnités journalières complémentaires à raison de 41,86 euros par jour soit au total une somme de 2 093 euros dont elle a sollicité le rappel auprès de l'employeur. Elle produit le courriel de Klesia du 27 septembre 2019 indiquant que l'employeur a été indemnisé jusqu'au 5 juin 2019.

Ces faits, à l'exception des insultes et de la rupture d'égalité de traitement comme il a été vu précédemment dont la matérialité n'est pas établie, pris dans leur ensemble, laissent supposer des agissements de harcèlement moral et il appartient à l'employeur de prouver qu'ils sont en réalité justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

Sur les faits relatifs aux taches imposées à Mme [S] en dehors des fonctions de rayonniste, la société fait valoir que le nouveau gérant M. [O], depuis le 1er avril 2017 avait trouvé une situation économique très difficile et une gestion administrative du personnel quasi inexistante et qu'il devait relever le défi de redresser la pharmacie et mettre en place une nouvelle organisation avec la petite équipe polyvalente à laquelle participait Mme [S] comme rayonniste, étant précisé qu'il lui arrivait de faire d'autres tâches, comme les autres salariés d'ailleurs, et notamment d'aller à la banque faire de la monnaie ou y déposer la recette. La cour observe qu'il n'est produit aucun élément de nature à justifier le partage des taches allégué ni des raisons objectives pour lesquelles, même après son agression, Mme [S] restait seule chargée d'amener la recette à la banque ou de récupérer les espèces.

Sur les pressions exercées sur la salariée pendant ses arrêts de travail, l'employeur explique que s'il a contacté Mme [S] pendant son arrêt de travail, c'était pour connaître sa date de retour puisqu'elle ne donnait pas de nouvelles mais la cour observe que la date de cessation de l'arrêt de travail est fixée par le médecin et non par le patient, de sorte que l'explication avancée ne suffit pas à justifier la violation de l'obligation de sécurité ainsi commise.

S'agissant des entraves aux droits de la salariée, l'employeur les conteste et explique que si la prise en charge de la salariée a été difficile, c'est en raison de ce qu'une erreur matérielle a affecté la date de l'arrêt de travail initial établi par le médecin et fait valoir qu'il a entrepris avec son cabinet comptable toutes les démarches nécessaires pour l'attestation de salaires et la prise en charge des arrêts maladie, que les bulletins de salaire n'ont pu être remis à Mme [S] puisqu'elle avait déménagé sans l'avertir et précise enfin que depuis le 15 avril 2019, il n'était plus astreint à la subrogation pour les IJSS directement payées par la sécurité sociale ni au maintien de salaire celui-ci se faisant depuis cette date directement entre les mains de Mme [S]. Ces éléments sont cependant insuffisants pour justifier pourquoi le 14 décembre 2008 la demande de règlement de prestations complétée et signée par l'employeur n'était toujours pas établie pas plus qu'en janvier 2019, malgré la mise en demeure en ce sens la régularisation n'étant intervenue qu'en avril 2019 ainsi que cela ressort du bulletin de salaire communiqué.

Sur la procédure de licenciement, il fait valoir qu'il y a finalement renoncé, Mme [S] continuant d'adresser des prolongations d'arrêt maladie mais la cour observe que l'employeur n'est pas en mesure de justifier qu'il a informé la salariée de cette décision malgré la demande de celle-ci en date du 18 juillet 2019 sollicitant d'être fixée sur son sort.

En définitive, la cour considère que l'employeur ne justifie pas que les faits matériellement établis qui pris dans leur ensemble laissaient supposer des agissements de harcèlement moral sont en réalité justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers de sorte que la cour retient que Mme [S] comme elle le prétend a bien été victime de d'agissements de harcèlement moral.

La résiliation judiciaire produit en conséquence les effets d'un licenciement nul.

Sur les conséquences de la résiliation judiciaire':

La résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul, Mme [S] qui ne sollicite pas sa réintégration dans l'entreprise est fondée à percevoir outre les indemnités de rupture, une indemnité au titre de la nullité du licenciement qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement':

Mme [S] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser à ce titre la somme de 5 759,22 euros et l'infirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué une somme de 5 393,79 euros. Elle soutient que son indemnité doit être calculée sur la base d'un salaire de référence de 2 354,16 euros comme l'a retenu le jugement et d'une ancienneté de 9 ans, 8 mois et 12 jours, préavis inclus, tandis que l'employeur soutient que les calculs doivent être effectués sur la base d'un salaire de référence de 2 300,23 euros et d'une ancienneté de 8 ans et 8 mois, déduction faite des arrêts maladie selon les dispositions conventionnelles.

Au vu des bulletins de salaire, et de l'attestation pour Pôle emploi, la moyenne de salaire la plus favorable à la salariée se calcule sur les trois derniers mois précédant l'arrêt maladie et s'évalue à 2'949,60 euros. La cour, statuant dans la limite de la demande, condamne en conséquence la société Grande pharmacie Wagram à verser à la salariée la somme réclamée de 5 759,22 euros en application de l'article 21 de la convention collective. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis':

L'article 20 de la convention collective prévoit un délai congé de deux mois pour les salariés bénéficiant d'une ancienneté de services d'au moins deux ans, Mme [S] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser la somme de 4 708,32 euros brut à ce titre outre 470, 83 euros au titre des congés payés afférents. La société s'oppose à la demande en faisant valoir que la salariée étant en arrêt de travail et dans l'incapacité, en raison de son état de maladie, d'exécuter son préavis, ne peut prétendre au bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis et qu'il y a lieu à tout le moins à déduction des sommes perçues au titre des indemnités journalières de sécurité sociale. Cependant, comme le fait valoir à juste titre la salariée, l'indemnité compensatrice de préavis est due en cas de résiliation judiciaire, peu important que la salariée soit en arrêt maladie à cette date et par ailleurs, le cumul avec les indemnités de sécurité sociale est autorisé en la matière de sorte qu'il est fait droit à la demande et que le jugement est confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement nul :

Mme [S] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 35'000 euros brut en réparation de son préjudice. Eu égard à son ancienneté dans l'entreprise, son âge au moment de la rupture (née en 1978), au montant de sa rémunération, aux circonstances de la rupture, à ce qu'elle justifie de sa situation postérieure à celle-ci (ARE depuis le 22 novembre 2021 ) la cour condamne la société à lui verser la somme de 30'000 euros au titre de l'indemnité pour nullité du licenciement suffisant à réparer son entier préjudice.

Sur les demandes indemnitaires au titre de l'exécution du contrat de travail':

Mme [S] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 30'000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à son intégrité psychique. Elle fait valoir que depuis 2018, ses arrêts de travail successifs font mention d'un état dépressif lié au travail que la médecine du travail a constaté son inaptitude et qu'elle est suivie par deux médecins spécialistes un psychologue et un psychiatre. La cour relève qu'il n'est produit aucun avis d'inaptitude établie par le médecin du travail et que la seule pièce émanant de celui-ci est un courrier adressé à au médecin traitant de Mme [S] faisant état de ce qu'elle déclare être en souffrance au travail et qu'elle ne peut reprendre et lui demandant de prolonger son arrêt de travail. En revanche, il ressort du compte du certificat médical du psychiatre en date du 30 janvier 2023 que Mme [S] est suivie pour trouble anxio-dépressif depuis le mois d'octobre 2018, la cour rappelant que l'arrêt de travail a débuté le 20 octobre 2018. La cour ayant retenu que Mme [S] avait été victime d'agissements de harcèlement moral condamne l'employeur à lui verser la somme de 10'000 euros de dommages-intérêts suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

En second lieu, Mme [S] sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'altération de son avenir professionnel. Elle fait valoir que malgré son dévouement elle ne peut plus envisager aujourd'hui une quelconque évolution de sa carrière. La cour considère cependant qu'elle ne justifie pas ainsi d'un préjudice distinct de celui qui a été indemnisé au titre de la nullité du licenciement, de sorte que sa demande de dommages-intérêts est rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

En troisième lieu, Mme[S] réclame la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre de l'atteinte à sa dignité mais elle ne justifie pas par là d'un préjudice distinct de celui qui a été indemnisé au titre de l'atteinte à son intégrité psychique. Sa demande est donc rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

En quatrième lieu, Mme [S] demande la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 2 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail notamment en raison du retard dans la communication des documents nécessaires au versement des IJSS. Elle reproche à l'employeur de lui avoir fait subir des pressions intentionnelles, de n'avoir répondu à aucune de ses correspondances pour obtenir le règlement des IJSS et d'être resté taisant sur le sort de la procédure de licenciement qu'il avait initiée et de ne pas avoir respecté non plus ses repos compensateurs. Sur ce dernier point la cour observe que Mme [S] a présenté une demande de de dommages-intérêts distincte. Par ailleurs les fautes alléguées de l'employeur ont été reconnues comme il a été vu précédemment mais Mme [S] ne justifie pas d'un préjudice ditinct de celui qui a été indemnisé précédemment. Elle est donc déboutée de sa demande et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre des repos compensateurs':

Mme [S] explique qu'elle a effectué 181,5 heures supplémentaires en 2017 et 323,25 heures supplémentaires en 2018, heures qui n'ont jamais été contestées par l'employeur et qui lui ont été payées mais elle soutient que ces heures ont conduit à un dépassement du contingent annuel fixé à 130 heures par l'article 13 de la convention collective de sorte qu'elle a réalisé 51,5 heures supplémentaires au-delà du contingent conventionnel en 2017 et 223,25 en 2018. Elle prétend elle n'a pas bénéficié de contrepartie obligatoire en repos alors qu'en application de l'article L. 3121'33 et L. 3121'38 du code du travail sauf stipulation conventionnelle plus favorable, toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ouvre droit à une contrepartie obligatoire en repos fixée à 50 % pour les entreprises de 20 salariés au plus. Dès lors elle sollicite une somme de 2 000 euros de dommages-intérêts pour non-respect du repos compensateur, faisant valoir qu'elle a été surmenée.

La société Grande pharmacie Wagram est restée taisante sur cette demande.

La cour au vu des buletins de salaire établissant qu'en 2017 et 2018 Mme [S] a effectué des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel de 130 heures sans qu'il soit justifié qu'elle a bénéficié de la contrepartie obligatoire en repos condamne condamne la société à lui verser la somme de 1'000 euros de dommages-intérêts suffisant à réparer eon entier préjudice. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la demande au titre des retenues sur salaires :

Mme [S] reproche à l'employeur d'avoir procédé à des retenues sur salaire à hauteur des sommes de 1 040,56 euros, 93,65 euros au titre d'une déduction de prime d'ancienneté et 1 025,82 euros à titre de trop perçu ainsi que cela ressort de son solde de tout compte.

La société Grande pharmacie de Wagram est restée taisante sur cette demande et ne présente en conséquence ni explication ni justificatif relatifs aux retenues effectuées de sorte que la cour fait droit à la demande présentée par la salariée et condamne la société Grande pharmacie Wagram à lui verser les sommes réclamées.

Sur les demandes présentées au titre des congés payés pour les exercices 2017/2018 et 2018/2019 :

Mme [S] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser les somme de 3 028,47 euros au titre des congés payés afférents à l'exercice 2017/2018 et 783,225 euros au titre des congés payés afférents à l'exercice 2018/2019.

La société Grande pharmacie Wagram conclut à l'infirmation du jugement sans présenter de moyen à l'appui de sa demande.

La cour considère au vu des bulletins de salaire que restaient dus au titre de l'exercice 2017/ 2018 29 jours de congés payés et 17,50 jours pour l'exercice 2019 et confirme en conséquence le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande présentée par Mme [S].

Sur la demande de remboursement des indemnités journalières de sécurité sociale versées par Klesia pour la période allant du 15 avril 2019 au 5 juin 2019 :

Mme [S] fait valoir que l'employeur ne lui a pas versé les indemnités qu'il a reçues de l'organisme Klesia jusqu'au 5 juin 2019 ainsi que cela ressort du mail de cet organisme du 27 septembre 2019 attestant des versements jusqu'au 5 juin.

L'employeur s'oppose à la demande en faisant valoir qu'il a reversé les indemnités perçues jusqu'au 15 avril 2019 ainsi que cela ressort du bulletin de paie d'avril 2019 qu'il produit aux débats dont la cour observe qu'il fait effectivement apparaître un paiement de 7 367,36 euros. Il soutient qu'il n'a plus perçu d'indemnité au-delà de cette date et que n'étant pas tenu à la subrogation ni au maintien de salaires, les paiements se faisant depuis cette date directement entre les mains de Mme [S], il n'avait pas à procéder au versement sollicité. Il s'appuie sur les bordereaux de Klesia directement adressés à Mme [S], preuve selon lui du versement direct entre les mains de celle-ci.

La cour observe au vu de ces bordereaux que si les sommes ont été versées et transmises à la société pour la période du 19 mars 2019 au 1er avril 2019 puis du 2 avril 2019 au 15 avril 2019, les bordereaux suivants ont été transmis directement à Mme [S] du 21 septembre 2019 au 28 octobre 2019 puis du 12 novembre 2019 au 9 décembre 2019 et qu'il n'est donc pas établi que Mme [S] a perçu directement les indemnités entre le 16 avril 2019 et le 20 septembre 2019 d'autant qu'il ressort du mail de Klesia en date du 27 septembre 2019 que l'employeur a été indemnisé jusqu'au 5 juin 2019. La cour fait donc droit à la demande dans les termes de celle-ci et confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser à Mme [S] la somme de 2 134,86 euros à titre de rappel d'indemnités journalières.

Sur les autres demandes :

Sur la remise des documents sociaux, la cour condamne la société Grande pharmacie Wagram à remettre à Mme [S] un bulletin de paie récapitulatif, le solde tout compte, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi rectifés conformément au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte, la demande en ce sens est rejetée.

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire, à compter de la décision qui les prononce.

La capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343'2 du code civil.

La société Grande pharmacie Wagram, partie perdante, est condamnée aux dépens et doit indemniser Mme [S] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 2'000 euros en sus de la somme allouée en première instance, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS':

LA COUR statuant contradictoirement et pas mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf :

- en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au 5 février 2021,

- sur le quantum des condamnations prononcées au titre de l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, des indemnité de congés payés afférents à l'exercice 2017/2018 et 2018/2019 du rappel d'indemnités journalières de sécurité sociale pour la période allant du 16 avril 2019 au 5 juin 2019 et de l'article 700 du code de procédure civile,

- et en ce qu'il a débouté Mme [V] [S] de ses demandes de dommages-intérêts au titre de l'altération de son avenir professionnel, atteinte à sa dignité, exécution déloyale du contrat de travail,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la société Grande pharmacie Wagram à verser à Mme [V] [S] la somme de 10'000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en raison de l'atteinte à son intégrité psychique,

DIT que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la société Grande pharmacie Wagram à verser à Mme [V] [S] les sommes de :

* 30'000 euros à titre d'indemnité pour nullité du licenciement,

* 5 759,22 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 1 000 euros de dommages-intérêts pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos,

* 1 040,56 euros outre, 93,65 euros et 1 025,82 euros au titre des retenues effectuées sur le solde de tout compte,

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire, à compter de la décision qui les prononce,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière,

ORDONNE la remise d'un certificat de travail d'une attestation destinée au pôle emploi, d'un bulletin de paie récapitulatif et du solde de tout compte conformes à la présente décision,

DÉBOUTE Mme [V] [S] de sa demande d'astreinte,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Grande pharmacie Wagram,

CONDAMNE la société Grande pharmacie Wagram aux dépens et à verser à Mme [V] [S] la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/05143
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;21.05143 ?
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