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21/06/2023 | FRANCE | N°22/02373

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 21 juin 2023, 22/02373


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 21 JUIN 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02373 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFG56



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Décembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° F20/00907





APPELANT



Monsieur [K] [C]

[Adresse 2]

[Adresse

2]



Représenté par Me Anne MACUDZINSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1186





INTIMÉE



S.A.S.U GE ENERGY POWER CONVERSION FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représen...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 21 JUIN 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02373 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFG56

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Décembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° F20/00907

APPELANT

Monsieur [K] [C]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Anne MACUDZINSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1186

INTIMÉE

S.A.S.U GE ENERGY POWER CONVERSION FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Mickaël D'ALLENDE, avocat au barreau de PARIS, toque : R021

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DU LITIGE

M. [K] [C] a été embauché par la société GE Energy Power Conversion France par un contrat de travail du 3 août 1981.

La société GE Energy Power Conversion France a pour activité principale la conception et la fabrication de systèmes de conversion d'énergie électrique.

La convention collective applicable est celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

En fin d'année 2018, la société a informé les représentants du personnel de son projet de mettre en place un « dispositif d'amélioration des conditions de départ volontaire en retraite des salariés âgés de plus de 62 ans ou éligibles à une retraite à taux plein ». Ce projet a été mis en place par décision unilatérale de l'employeur le 1er décembre 2018. Il a ensuite été prolongé jusqu'au 30 juin 2019.

Parallèlement à cette décision, la société a annoncé son projet de mettre en place un dispositif de rupture conventionnelle collective portant sur un nombre de départs volontaires de 126 salariés maximum sur les établissements de [Localité 5], [Localité 3] et [Localité 4].

Les négociations portant sur un projet d'accord collectif visant à mettre en place la rupture conventionnelle collective ont débuté le 19 décembre 2018. Plusieurs réunions ont suivi avant la signature par les trois organisations syndicales représentatives le 22 février 2019 d'un accord majoritaire portant rupture conventionnelle collective pour une durée déterminée allant jusqu'au 30 juin 2019.

Un relevé d'engagements a également été validé avec les organisations syndicales. Ce relevé faisait partie intégrante de la rupture conventionnelle collective et portait notamment sur l'ouverture d'une négociation concernant un plan senior destiné aux salariés proches de la retraite à taux plein qui n'entraient pas dans le champ d'application de la rupture conventionnelle collective.

Après information aux salariés et au comité central d'entreprise, l'accord a été déposé auprès des services de la DIRECCTE, laquelle l'a validé le 13 mars 2019.

A la suite de plusieurs réunions, dont la dernière en date du 28 juin 2019, les organisations syndicales ont finalement refusé de signer l'accord proposé, en invoquant l'absence d'informations sur le remplacement des départs résultant de la rupture conventionnelle collective auxquels s'ajoutaient ceux induits par le plan senior et de l'engagement de la direction de ne remplacer que 20% des départs.

Les 2 et 8 juillet 2019, la société informait les salariés qu'elle ne mettrait pas en place l'aménagement de fin de carrière (plan senior) en raison du refus des organisations syndicales de signer l'accord sur ce sujet.

M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau le 4 août 2020 afin de solliciter des dommages et intérêts résultant d'une discrimination subie en raison de l'âge.

Dans un jugement du 2 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a :

- prononcé la jonction entre les affaires RG 20/895, 20/896, 20/897, 20/898, 20/904, 20/905, 20/906, 20/907, 20/910, 20/911, 20/912 ;

- dit que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur ce litige ;

- dit que les demandeurs n'ont subi aucune discrimination ;

- débouté en conséquence les demandeurs de toutes leurs demandes ;

- dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les parties ;

- dit que chaque partie supportera la charge de ses éventuels dépens.

M. [C] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 11 février 2022.

Dans ses dernières conclusions remises et déposées par RPVA le 1er février 2023 et auxquelles il est fait expressément référence, M. [C] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le concluant des demandes suivantes :

- juger qu'il a été victime d'une discrimination en raison de l'âge ;

- condamner en conséquence la société GE Energy Power Conversion France à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination en raison de l'âge subie, après déduction de l'indemnité de départ à la retraite perçue ;

- condamner la société GE Energy Power Conversion France à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société GE Energy Power Conversion France aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution forcée.

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence matérielle du juge prud'homal au profit du tribunal administratif ;

Et statuant à nouveau :

- rejeter l'exception d'incompétence matérielle et se déclarer matériellement compétente ;

- dire et juger qu'il a été victime d'une discrimination en raison de l'âge.

En conséquence :

- condamner la société GE Energy Power Conversion France à lui payer la somme de 83 375,30 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice résultant de la discrimination en raison de l'âge subie, après déduction de l'indemnité de départ à la retraite perçue ;

- condamner la société GE Energy Power Conversion France à lui payer la somme de 2000 euros à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution forcée.

Dans ses conclusions remises au greffe par RPVA le 13 février 2023 auxquelles il est fait expressément référence, la société GE Energy Power Conversion France demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes seulement en ce qu'il a reconnu sa compétence pour statuer sur le présent litige ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le requérant de l'ensemble de ses demandes.

Et, statuant à nouveau :

- in limine litis, se déclarer incompétente au profit du tribunal administratif de Versailles ;

A titre principal :

- constater que la société GE Energy Power Conversion France n'a pas méconnu le principe de non-discrimination en raison de l'âge ;

- débouter en conséquence M. [C] de ses demandes.

A titre subsidiaire :

- constater que M. [C] n'a subi aucun préjudice ;

- débouter en conséquence M. [C] de ses demandes.

En tout état de cause :

- condamner M. [C] à verser à la société GE Energy Power Conversion France la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 14 février 2023.

MOTIFS

- Sur la compétence matérielle

La société GE Power Conversion soulève l'incompétence ratione materiae de la chambre sociale de la cour d'appel de Paris au profit du tribunal administratif de Versailles.

Elle soutient notamment, au visa de l'article L 1237-19-8 du code du travail, que la contestation du contenu d'un accord portant rupture conventionnelle collective (RCC) ne peut être disjointe de sa validation par le Direccte et que ce bloc de compétence est attribué au juge administratif.

Elle souligne qu'en critiquant l'exclusion du dispositif de RCC des salariés à 36 mois de la retraite à taux plein, le salarié conteste les termes mêmes de l'accord portant RCC et donc son contenu, de telle sorte qu'il ne peut saisir le juge judiciaire de ce litige.

Le salarié réplique qu'il a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande d'indemnisation du préjudice résultant de la discrimination en raison de l'âge, non pas au regard du contenu de l'accord de RCC, mais en raison de ses conditions de mise en 'uvre de telle sorte que le juge judiciaire est compétent pour en connaître.

Il sera observé d'emblée que le litige se rapporte non pas à un plan de sauvegarde de l'emploi mais à un accord portant rupture conventionnelle collective régi par des dispositions spécifiques tirées des articles L 1237-19 à L 1237-19-14 du code du travail.

Le bloc de compétence du juge administratif dont se prévaut la société aux termes de l'article L 1235-7-1 du code du travail se réfère exclusivement au plan de sauvegarde de l'emploi et ne peut donc utilement être invoqué en l'espèce.

Les articles L1237-19 et L 1237-19-1 du code du travail, applicables à la cause, disposent respectivement que :

« Un accord collectif peut déterminer le contenu d'une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d'emplois.

L'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation en vue de l'accord précité. »

« L'accord portant rupture conventionnelle collective détermine :

1° Les modalités et conditions d'information du comité social et économique, s'il existe ;

2° Le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d'emplois associées, et la durée pendant laquelle des ruptures de contrat de travail peuvent être engagées sur le fondement de l'accord ;

3° Les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier ;

4° Les modalités de présentation et d'examen des candidatures au départ des salariés, comprenant les conditions de transmission de l'accord écrit du salarié au dispositif prévu par l'accord collectif ;

4° bis Les modalités de conclusion d'une convention individuelle de rupture entre l'employeur et le salarié et d'exercice du droit de rétractation des parties ;

5° Les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement ;

6° Les critères de départage entre les potentiels candidats au départ ;

7° Des mesures visant à faciliter l'accompagnement et le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que le congé de mobilité dans les conditions prévues aux articles L 1237-18-1 à L 1237-18-5, des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ;

8° Les modalités de suivi de la mise en 'uvre effective de l'accord portant rupture conventionnelle collective. 

L'article L.1237-19-3 du code du travail précise que « l'autorité administrative valide l'accord collectif dès lors qu'elle s'est assurée :

1° De sa conformité au même article L. 1237-19 ;

2° De la présence des clauses prévues à l'article L. 1237-19-1;

3° Du caractère précis et concret des mesures prévues au 7° du même article L. 1237-19-1;

4° Le cas échéant, de la régularité de la procédure d'information du comité social et économique ».

Les juridictions administratives ont récemment précisé la portée du contrôle opéré par l'autorité administrative saisie de la validation d'un accord collectif portant rupture conventionnelle collective.

Dans une espèce où les requérants soutenaient que la décision de l'administration était entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle avait validé un accord collectif comportant des critères et des modalités de départage des candidats à la rupture conventionnelle ne garantissant pas le respect du principe d'égalité, il a été jugé qu'il n'appartenait pas à l'administration de contrôler les modalités de mise en 'uvre de la rupture conventionnelle collective fixées par cet accord collectif et librement négociées entre l'employeur et les organisations syndicales, mais seulement de s'assurer de la présence des clauses prévues à l'article L. 1237-19-1 précité.

En l'espèce, l'article 11 de l'accord collectif de RCC du 22 février 2019 excluait de l'accord les salariés qui réunissaient les conditions d'une retraite à taux plein dans les 36 mois suivant le dépôt de candidature, car ils devaient bénéficier d'un plan senior.

Cet article était rédigé comme suit :

« Sont éligibles aux mesures de RCC posées par le présent accord les salariés remplissant les conditions cumulatives suivantes :

- Être en contrat de travail à durée indéterminée au sein de la société à la date d'ouverture de la phase de volontariat, sans toutefois :

o Être en préavis à la date de dépôt de sa candidature,

o Avoir signé une rupture conventionnelle individuelle,

o Faire l'objet d'une procédure de licenciement pour motif personnel,

o Avoir demandé un départ à la retraite ou accepté une mise à la retraite,

o Réunir les conditions d'une retraite à taux plein dans les 36 mois suivant le dépôt de candidature.

Les salariés ainsi concernés pourront bénéficier du plan sénior qui sera mis en place au sein de GE PC France (').»

Pièce n°C.8

L'administration a validé l'accord collectif de RCC dans les termes suivants:

« Considérant le relevé d'engagements signé en parallèle de la signature de l'accord RCC à négocier avec les organisations syndicales un accord senior,

Considérant que les salariés concernés par une mise à retraite à taux plein dans les 36 mois pourront bénéficier de ce plan senior qui sera mis en place au sein de GE PC France.

Considérant que ces mesures sont précises et concrètes conformément aux dispositions de l'article L.1237-19-3 du Code du travail ».

Ce faisant, la DIRRECTE a prononcé la validation de l'accord signé au sein de la société le 13 mars 2019 après avoir effectué, de manière exhaustive et adéquate, le contrôle administratif qu'il lui appartenait d'exercer en application du texte précité.

Elle a effectué un contrôle des mesures visant les seniors afin d'éviter toute discrimination que ce soit en les ciblant ou en les écartant exclusivement. Les salariés, y compris les représentants du personnel, n'avaient donc aucune raison, lors de la conclusion de l'accord de RCC, comme lors de sa validation, d'en contester le contenu.

La contestation ne porte pas sur les critères d'éligibilité prévus à l'article 11 de l'accord mais concerne les conséquences pour les salariés de l'absence de plan senior. Elle porte donc sur la mise en 'uvre de l'accord de RCC tel que validé par l'administration et relève ainsi de la compétence matérielle du conseil de prud'hommes.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société GE Power Conversion.

Sur la discrimination

En vertu de l'article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L1134-1 dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le salarié soutient avoir fait l'objet d'une discrimination liée à l'âge en présentant les éléments ci-après :

- selon l'article 11 de l'accord collectif de RCC du 22/02/2019 ont été exclus de la possibilité de bénéficier des mesures de l'accord les salariés qui réunissaient les conditions d'une retraite à taux plein dans les 36 mois suivant le dépôt de candidature et ces derniers devaient bénéficier d'un dispositif propre, un plan senior; ce qui constituait obligation de résultat à la charge de l'employeur.

- aucun accord senior n'est cependant intervenu ; les organisations syndicales ayant refusé de conclure le projet d'accord présenté par la direction en raison de l'absence d'information sur le remplacement des départs induits par ce plan senior, la direction ne souhaitant remplacer que 20% des départs.

- en ne mettant pas en place un plan senior, l'employeur a supprimé la justification de leur exclusion au bénéfice de l'accord de rupture conventionnelle collective.

- Exclure les salariés réunissant les « conditions d'une retraite à taux plein dans les 36 mois suivant le dépôt de candidature » équivalait directement ou indirectement à exclure les salariés les plus âgés de l'entreprise.

- la société se prévaut d'accords de rupture conventionnelle signés au sein d'autres entreprises dans des contextes très différents puisque dans ces accords les partenaires sociaux ont fait le choix de mentionner expressément que l'accord de RCC n'est pas un programme de gestion des fins de carrière ou les salariés pouvant faire valoir leur droit à la retraite dans un délai très court.

- les salariés n'ont su que le 8 juillet 2019 - alors que le dispositif d'amélioration des conditions de départ en retraite du 1er décembre 2018 (dit DUE) avait pris fin - qu'il n'y aurait pas de plan senior, et il était donc trop tard pour opter pour ce dispositif.

- concernant l'argument tiré de l'absence d'activation des procédures de signalement de discrimination soutenu par l'employeur, il n'existe aucune obligation pour un salarié de recourir à des procédures de signalement internes pour pouvoir se prévaloir d'une discrimination dont il a été victime.

- suite à l'absence de signature des organisations syndicales, la société aurait dû soit renégocier l'accord de RCC soit mettre en place unilatéralement le plan senior.

- le dispositif du 1er décembre 2018 (dit DUE) ne peut pas être qualifié de « premier plan senior » de « plan senior » au sens de l'accord de RCC.

- Il y a eu une absence de négociations loyales de la part de la société.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, font présumer une discrimination à raison de l'âge.

Il appartient en conséquence à la société de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La société GE Energy Power Conversion France fait valoir tout d'abord que la décision de ne pas proposer la RCC aux salariés réunissant les conditions d'une retraite à taux plein dans les 36 mois suivant leur dépôt de candidature était une mesure fondée sur leur départ à la retraite à brève échéance mais n'équivalait pas à une exclusion des salariés les plus âgés de l'entreprise. Elle souligne à juste titre que le fait d'ouvrir le bénéfice de la RCC aux salariés proches de la retraite les aurait placé dans une situation de précarité moindre que les autres salariés sortants puisque les premiers pouvaient bénéficier à court terme de leur pension de retraite. Elle ajoute que les salariés dont un départ à brève échéance était prévisible n'étaient pas non plus inclus dans le dispositif tels que ceux qui étaient en préavis à la date de leur candidature, ceux qui avaient signé une rupture conventionnelle individuelle, ou qui avaient fait l'objet d'un licenciement pour motif personnel ou encore qui avaient demandé un départ à la retraite ou accepté une mise à la retraite.

Ensuite, la société établit qu'elle avait déjà mis en place des dispositifs financiers en faveur des salariés proches de la retraite.

Elle démontre tout d'abord qu'elle avait instauré depuis le 1er décembre 2018 un premier dispositif dénommé « Dispositif d'amélioration des conditions de départ en retraite » qui bénéficiait aux salariés éligibles à une retraite à taux plein, ou âgés d'au moins 62 ans, à la date de fin du préavis de six mois (pour un départ au plus tard le 30 septembre 2019).

Elle démontre surtout avoir prorogé ce dispositif - qui devait prendre fin le 31 mars 2019 - jusqu'au 30 juin 2019, après l'ouverture aux candidatures à la RCC en mars 2019, pour tenir compte de la situation des salariés en fin de carrière (courriel de la société du 25 mars 2019). Ainsi, après application d'un préavis de six mois, le départ à la retraite à ces conditions était rendu possible jusqu'au 31 décembre 2019. Ce dispositif « DUE » assurait notamment à ses bénéficiaires un doublement de leur indemnité de départ à la retraite.

La société justifie ensuite qu'en cas de signature du plan senior, les salariés souhaitant en bénéficier pourraient en faire la demande par écrit à la DRH jusqu'au 31 octobre 2019. En outre, les salariés ayant bénéficié d'un départ à la retraite dans le cadre de la décision unilatérale depuis le 1er janvier 2019 bénéficieraient des majorations de leur allocation de départ à la retraite prévues dans l'accord senior en complément des indemnités déjà reçues. (Pièce C16 - courriel de la Société General Electric Energy Power Conversion France du 25 juin 2019). L'accord « Plan Seniors » ainsi envisagé était un complément à cette déclaration unilatérale et aurait permis de couvrir l'intégralité des salariés à moins de 36 mois de la retraite sans inscription à Pôle Emploi. Ainsi, l'employeur justifie avoir remodelé le dispositif afin de le rendre encore plus favorable et en renouvelant sa durée d'application.

La société rappelle également l'étendue des obligations qui pesaient sur elle aux termes de l'accord portant RCC et du relevé d'engagement qui lui était connexe. Elle établit ainsi qu'elle était tenu uniquement d'ouvrir et poursuivre les négociations portant sur le Plan Seniors.

L'article 22 de l'accord d'entreprise portant création d'un dispositif de rupture conventionnelle collective était en effet rédigé dans les termes suivants :

« Engagements complémentaires de la Direction (GPEC, accord seniors')

Conscientes que les départs qui seront mis en 'uvre dans le cadre de l'accord de Rupture conventionnelle Collective ne peuvent permettre à eux seuls d'adapter l'entreprise GE Power Conversion à la situation économique actuelle, les Parties signataires conviennent de maintenir le dialogue social en mettant en place les actions décrites dans le relevé d'engagements signé le 22 février 2019 ».

Le relevé d'engagements du 22 février 2019 visé par l'accord de RCC était pour sa part rédigé comme suit :

« les Parties signataires, la Société GE Power Conversion (ci-après « la Société ») et les Organisations syndicales (ci-après « les OS ») conviennent de maintenir le dialogue social en mettant en place les actions suivantes, sur les sujets et dans le calendrier précisés ci-dessous :

(I) Engagements de la Direction

(i) Inviter les Organisations Syndicales à la négociation d'un plan seniors

(type APS) pour une mise en place au plus tard le 15 avril 2019 ['] ».

Ce relevé d'engagements a été signé par les organisations syndicales signataires de l'accord RCC.

Contrairement à ce que soutient le salarié, la direction s'est seulement engagée, aux termes des clauses précitées, à négocier sans s'astreindre à obtenir un quelconque résultat. Les termes utilisés portaient en effet sur une « invitation » des organisations syndicales à négocier un plan senior puis un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Aucune obligation de résultat n'avait été mise à la charge des parties. Du reste, le DIRECCTE a bien relevé dans sa décision de validation du 13 mars 2019 : « considérant le relevé d'engagements, signé en parallèle de la signature de l'accord RCC, à négocier avec les organisations syndicales un accord seniors ». L'administration a donc visé une simple obligation de négocier, mais pas de conclure un accord, ni de mettre en place un tel plan de manière unilatérale.

Ensuite, la société établit avoir mené loyalement les opérations en vue de la conclusion de l'accord avec les organisations syndicales.

Elle s'y est conformée en ouvrant les négociations sur un projet de Plan Seniors en avril 2019. (Pièce n° 15 - Courriel de la Société General Electric Energy Power Conversion France du 20 juin 2019 et version finale du projet d'accord « Plan Seniors »).

Les éléments versés aux débats illustrent la loyauté avec laquelle la direction a mené les négociations, notamment :

- le projet d'accord proposé aux partenaires sociaux comportait une série de dispositifs avantageux pour les salariés proches de la retraite (Pièce C 16 - Courriel de General Electric Energy Power Conversion France du 25 juin 2019 ) :

- dans le cadre des négociations, la direction justifie avoir tenu compte de plusieurs propositions portées par les partenaires sociaux et le projet d'accord a été amendé en conséquence (pièce précitée C16);

- la direction a également revu le projet d'accord afin d'augmenter le montant des indemnités proposées et a indiqué s'être alignée sur les montants de la « prime additionnelle » prévue chez APS. (Pièce C 14- courriel de la Société General Electric Energy Power Conversion France du 13 juin 2019 ) ;

- La société justifie qu'elle a toujours communiqué aux organisations syndicales avant chaque réunion de négociation une documentation fournie servant de base de travail pour la négociation du plan senior, reprenant les points d'accord et les points à négocier. (Pièce n° 23 : Invitations aux réunions de négociation du second « Plan seniors » (du 12 avril au 20 juin 2019).

- Les représentants du personnel élus en central et en local ainsi que les représentants syndicaux, ont été régulièrement été informés et associés à la mise en 'uvre du dispositif. Plus particulièrement, le Comité central d'entreprise (CCE) a été informé sur le suivi et la mise en 'uvre de l'accord (le 4 avril 2019 « Point RCC », le 23 mai 2019 « Information et consultation sur la mise en 'uvre du dispositif de rupture conventionnelle collective au sein de GE PC France », le 19 juin 2019 « Information et consultation sur la mise en 'uvre du dispositif de rupture conventionnelle collective au sein de GE PC France »)

- 10 réunions de négociation sur les contours de l'accord ont été tenues :

. les 13, 22 et 28 mars 2019 ;

. les 5, 12, 18 et 30 avril 2019 ;

. le 22 mai 2019 ;

. le 18 juin 2019 ;

. le 20 juin 2019.

- conformément à leur souhait, un délai de réflexion supplémentaire a été laissé aux organisations syndicales jusqu'au 28 juin 2019 (Pièce n° 16 - Courriel de General Electric Energy Power Conversion France du 25 juin 2019).

- En réponse à la double affirmation du salarié indiquant d'une part qu'il n'avait su que le 8 juillet 2019 - alors que le dispositif du 1er décembre 2018 avait pris fin - qu'il n'y aurait pas de plan de seniors et qu'ainsi il était trop tard pour opter pour ce dispositif et d'autre part que « l'employeur l'avait, par sa mauvaise information, empêché de faire ce choix », il sera relevé que les diverses communications de la Direction sur le sujet dès le mois de décembre 2018 et diffusées « à tout le personnel de l'entreprise GE Energy Power Conversion France », dont il est justifié aux débats, lui avaient permis d'avoir connaissance du « dispositif d'amélioration des conditions de départ en retraite » bien avant sa clôture le 30 juin 2019. La société précise à juste titre que le 8 juillet 2019, les salariés ont seulement été informés de l'absence d'accord sur le nouveau Plan Seniors, sans que cela n'impacte les candidatures reçues auparavant dans le cadre du « Dispositif d'amélioration des conditions de départ en retraite » du 1er décembre 2018.

- Si le plan senior n'a pu aboutir, c'est en raison de l'opposition des organisations syndicales qui ont refusé de signer l'accord à l'issue de la dixième réunion qui s'était tenue le jeudi 20 juin 2019, alors qu'aucun désaccord n'avait été exprimé préalablement. Le refus était en outre fondé sur une insuffisance du taux de remplacement des départs.

Enfin, et conformément à la RCC et au relevé d'engagements signé par les parties, la direction ne s'est jamais engagée à mettre en place de façon unilatérale les termes de l'accord rejetés par les syndicats.

Il résulte de tout ce qui précède que la société apporte aux agissements qui lui sont reprochés des justifications objectives étrangères à toute discrimination liée à l'âge. La demande de dommages-intérêts formulée par le salarié sera en conséquence rejetée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Ce dernier sera en revanche condamné au paiement d'une somme de 500 euros au profit de la SASU GE Energy Power Conversion sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris.

Condamne M. [K] [C] au paiement d'une somme de 500 euros au profit de la SASU GE Energy Power Conversion sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [K] [C] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 22/02373
Date de la décision : 21/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-21;22.02373 ?
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