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15/06/2023 | FRANCE | N°22/19434

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 15 juin 2023, 22/19434


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 15 JUIN 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19434 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGWYE



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Novembre 2022 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2022047051





APPELANTES



S.C.I. DAUMESNIL, RCS de Paris sous le n°752 739 2

35, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 7]

[Localité 8]



S.A. GENERALI REAL ESTATE SPA...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19434 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGWYE

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Novembre 2022 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2022047051

APPELANTES

S.C.I. DAUMESNIL, RCS de Paris sous le n°752 739 235, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 8]

S.A. GENERALI REAL ESTATE SPA, société de droit italien, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

Et [Adresse 4]

[Localité 8]

Représentées et assistées par Me Charles GUIEN de la SCP GUIEN LUGNANI & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0488

INTIMEE

S.A.R.L. SGB CONSTRUCTION, RCS de Bobigny sous le n°444 883 359, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assistée à l'audience par Me Anne CARUS, avocat au barreau de PARIS, toque : A543

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Mai 2023, en audience publique, Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

******

EXPOSE DU LITIGE

En qualité de maître d'ouvrage, la société Daumesnil, représentée par sa gérante la société de droit italien Generali Real Estate Spa, a effectué une opération de réhabilitation lourde d'un immeuble dont elle est propriétaire, situé [Adresse 5], [Adresse 1], [Adresse 2] et [Adresse 6] à [Localité 10].

Suivant un marché de travaux signé le 21 janvier 2021, elle a confié à la société SGB Construction la réalisation du lot n°01 (installation de chantier/logistique) et du lot n°02 (démolition/gros oeuvre). Le montant global de ce marché a été fixé à la somme de 6.988.519 euros HT soit 8.386.228,80 euros TTC.

Un litige oppose les parties sur le montant de travaux, qualifiés de complémentaires par la société SGB Construction et de supplémentaires par le maître d'ouvrage, devant s'ajouter au prix du marché selon l'entreprise, être inclus dans le prix forfaitaire selon le maître d'ouvrage.

Par acte du 4 octobre 2022, la société SGB Construction a assigné en référé les sociétés Daumesnil et Generali Real Estate devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

- ordonner la suspension du contrat de marché de travaux liant la société SGB Construction à la société Daumesnil selon marché de travaux signé le 21 janvier 2021 et ordre de service en date du 20 janvier 2021 ;

- condamner les sociétés Daumesnil et Generali Real Estate à régler à la société SGB Construction les devis concernant les travaux complémentaires validés par la maîtrise d'oeuvre et déjà exécutés suivants :

devis DAU 005 pour la modification des sections des poutres alvéolaires pour le R+9 indice 0 en date du 2 septembre 2021 pour un montant de 13.148,61 euros HT,

devis DAU 006 pour la création de semelles de poteaux sous carneaux - indice 0 en date du 21 juillet 2021 pour un montant de 1.609,57 euros HT,

devis DAU 010 concernant la variation du cours de l'acier -indice A en date du 2 février2022 pour un montant de 101.211,64 euros HT,

devis DAU 013 pour les renforts béton pour le plancher haut du rez-de-chaussée ' indiceB en date du 25 mai 2022 pour un montant de 24.748,87 euros HT,

devis DAU 016 pour l'additif de la G2 pro - indice B en date du 13 mars 2022 pour un montant de 51.742,83 euros HT,

devis DAU 019 pour les ouvrages non prévus au marché - indice B en date du 11 mars2022 pour un montant de 76.173,69 euros HT,

devis DAU 020 pour une poutre échelle de la cour intérieure - indice C en date du 16février 2022 pour un montant de 6.723,36 euros HT,

devis DAU 021 pour des renforts poteaux au R+5 - indice B en date du 7 juin 2022 pour un montant de 10.000 euros HT,

devis DAU 022 pour des études - indice F en date du 25 mai 2022 pour un montant de14.247,36 euros HT ;

devis DAU 026 pour un curage de réseau d'eaux pluviales existant - indice 0 en date du 18 mai 2022 pour un montant de 1.272,96 euros,

devis DAU 035 pour un linteau du 9ème étage - indice 0 en date du 18 mai 2022 pour un montant de 510 euros HT ;

- juger que cette suspension de travaux interviendra jusqu'à la réception de la garantie de règlement prévue aux dispositions de l'article 1799 du code civil et du règlement des devis susvisés ;

- juger que l'obligation du règlement des devis susvisés ainsi que la fourniture de la garantie de réglement seront assorties d'une astreinte à hauteur de 500 euros par jours de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir ;

- condamner les sociétés Daumesnil et Generali Real Estate au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Les sociétés Daumesnil et Generali Real Estate ont soulevé l'incompétence matérielle du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire. Subsidiairement elles ont sollicité la mise hors de cause de la société General RealEstale et qu'il soit dit n'y avoir lieu à référé.

Par ordonnance contradictoire du 10 novembre 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a :

- rejeté la demande de renvoi formulée par la société Daumesnil et la société Generali Real Estate ;

- s'est déclaré compétent pour connaître du litige ;

- dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la suspension du marché de travaux liant la société SGB Construction à la société Daumesnil puisque la garantie bancaire demandée a été délivrée ;

- dit concernant la demande de paiement de dépenses supplémentaires qu'il n'y a pas matière à référé ;

- renvoyé l'affaire à l'audience collégiale de la 10ème chambre, le 24 novembre 2022, à 14 heures pour qu'il soit statué au fond ;

- condamné la société Daumesnil et la société Generali Real Estate in solidum à verser à la société SGB Construction la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

- condamné la société Daumesnil et la société Generali Real Estate in solidum aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 58,92 euros TTC dont 9,61 euros de TVA.

Par déclaration du 17 novembre 2022, les sociétés Daumesnil et Generali Real Estate ont interjeté appel de cette décision.

Par lettre du 18 novembre 2022, la société SGB Construction a notifié à la société Daumesnil la résiliation du marché de travaux aux torts exclusifs de cette dernière.

Par lettre du 22 novembre 2022, la société Generali Real Estate, représentant du maître d'ouvrage, lui a répondu qu'elle considérait la rupture unilatérale du marché comme un abandon de chantier et que la résiliation du contrat lui était exclusivement imputable, l'invitant à un constat contadictoire des travaux exécutés.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 5 avril 2023, les sociétés appelantes demandent à la cour, au visa des articles L. 211-3 du code de l'organisation judiciaire, L. 721-3 du code de commerce, 873-1 du code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance rendue le 10 novembre 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il :

s'est déclaré compétent pour connaître du litige ;

a renvoyé l'affaire à l'audience collégiale de la 10ème chambre, le 24 novembre 2022, à 14 heures pour qu'il soit statué au fond ;

a condamné la société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa in solidum à verser à la société SGB Construction la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

a rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

a condamné la société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa in solidum aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 58,92 euros TTC dont 9,61 euros de TVA.

statuant à nouveau,

in limine litis, sur l'incompétence de la juridiction commerciale et l'irrecevabilité de la passerelle,

- dire que le président du tribunal de commerce de Paris n'était pas compétent pour connaître de l'action de la société SGB Construction à l'encontre des sociétés Daumesnil et Generali Real Estate Spa, représentant et gérant de droit de la société Daumesnil ;

- déclarer irrecevable le renvoi de l'affaire au fond devant le Tribunal de commerce de Paris en application de l'article 873-1 du code de procédure civile ;

à titre subsidiaire au fond, sur le mal fondé de la passerelle,

- déclarer mal fondé le renvoi de l'affaire au fond devant le yribunal de commerce de Paris faute de réunion des conditions d'application de l'article 873-1 du code de procédure civile ;

sur l'appel incident relatif à la demande de provision de la société SGB Construction,

- confirmer l'ordonnance rendue le 10 novembre 2022 par le président du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société Sgb Construction de sa demande de provision sous astreinte ;

- débouter la société SGB Construction de son appel incident ;

en tout état de cause,

- débouter la société SGB Construction de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société SGB Construction verser à la société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa la somme de 5.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 février 2023, la société SGB Construction demande à la cour, au visa des articles 873 et suivants du code de procédure civile, L.721-3 du code de commerce, 441-10 du code de commerce, 1799 du code civil, L.124-2 du code de la construction et de l'habitation, de :

in limine litis,

- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 10 novembre 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du litige, a condamné in solidum la société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa àverser à la société SGB Construction la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a rejeté toutes demandes plus amples ou contraires de lla société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa, a condamné in solidum la société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe du tribunal de commerce de Paris, liquidés à la somme de 58,92 euros TTC dont 9,61 euros de TVA ;

et ce faisant,

- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 10 novembre 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société SGB Construction de sa demande de paiement de dépenses supplémentaires en ce qu'il n'y aurait pas lieu à référé ;

et statuant à nouveau,

- condamner in solidum la société Daumesnil et la société Generali Real Estate Spa à régler à la société SGB Construction , à titre provisionnel, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à venir, les devis concernant les travaux complémentaires validés par la maîtrise d'oeuvre et la maîtrise d'ouvrage déléguée et déjà exécutés suivants (faisant l'objet de la facture n°22-09-729 en date du 19 septembre 2022 pièce n°7) :

devis DAU 005 pour la modification des sections des poutres alvéolaires pour le R+9 ' indice 0 en date du 2 septembre 2021 pour un montant de 13.148,61 euros HT,

devis DAU 006 pour la création de semelles de poteaux sous carneaux ' indice 0 en date du 21 juillet 2021 pour un montant de 1.609,57 euros HT,

devis DAU 010 concernant la variation du cours de l'acier -indice A en date du 2 février 2022 pour un montant de 101.211,64 euros HT,

devis DAU 013 pour les renforts béton pour le plancher haut du rez-de-chaussée ' indice B en date du 25 mai 2022 pour un montant de 24.748,87 euros HT,

devis DAU 016 pour l'additif de la G2 pro ' indice B en date du 13 mars 2022 pour un montant de 51.742,83 euros HT,

devis DAU 019 pour les ouvrages non prévus au marché ' indice B en date du 11 mars 2022 pour un montant de 76.173,69 euros HT,

devis DAU 020 pour une poutre échelle de la cour intérieure ' indice C en date du 16 février 2022 pour un montant de 6.723,36 euros HT,

devis DAU 021 pour des renforts poteaux au R+5 ' indice B en date du 7 juin 2022 pour un montant de 10.000 euros HT,

devis DAU 022 pour des études ' indice F en date du 25 mai 2022 pour un montant de 14.247,36 euros HT,

devis DAU 026 pour un curage de réseau d'eaux pluviales existant ' indice 0 en date du 18 mai 2022 pour un montant de 1.272,96 euros HT,

devis DAU 035 pour un linteau du 9ème étage ' indice 0 en date du 18 mai 2022 pour un montant de 510 euros HT ;

- débouter la société Daumesnil et la société Generali Real Estate SPA de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Daumesnil et la société Generali Real Estate SPA au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du du code de procédure civile outre les entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur l'exception d'incompétence et la recevabilité de la passerelle

Les appelantes soulèvent l'incompétence de la juridiction commerciale au profit de la juridiction civile en ce que l'action est dirigée contre une société civile immobilière de location d'immeubles, laquelle ne s'adonne pas par cette activité à une exploitation de nature commerciale.

Elles soutiennent par voie de conséquence l'irrecevabilité de la passerelle dont il a été fait application par le premier juge, le tribunal de commerce n'étant pas compétent pour statuer sur le fond du litige.

La société SGB Costruction soutient pour sa part la compétence de la juridiction commerciale, au motif qu'une société civile ayant une activité commerciale a une nature commerciale, la société Daumesnil s'adonnant en l'espèce à une activité de location immobilière aménagée, ce qui constitue une activité commerciale (réalisation d'un ensemble immobilier présentant un ou plusieurs commerces, des bureaux, un restaurant d'entreprise, un espace fitness ainsi qu'un parc de stationnement).

Par suite, l'intimée sollicite la confirmation de la décision du tribunal de commerce qui a renvoyé devant le tribunal de commerce l'examen du fond du litige.

Les appelantes répliquent que si la location immobilière meublée est considérée comme une activité commerciale au sens du droit fiscal, elle demeure une activité civile au sens du droit civil, les meubles ne constituant qu'un accessoire à la location principale portant sur l'immeuble ; qu'en l'occurrence l'activité de la société Daumesnil porte sur la location immobilière de locaux à usage de bureaux et que si des aménagements mobiliers sont prévus dans les espaces communs (hall d'accueil, meeting hub, espace de fitness, zone de détente, restaurant interentreprises), c'est uniquement pour permettre aux preneurs des locaux à usage de bureaux de bénéficier de services annexes qui seront proposés par des prestataires extérieurs et pour lesquels Daumesnil ne retirera aucun gain. Elle ajoute que même s'il était considéré qu'elle se livre à une activité commerciale par la location de locaux meublés, cette activité ne serait qu'accessoire à son activité principale de location immobilière, de nature civile.

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le litige oppose seulement la société Daumesnil, société civile immobilière, à la société SGB Construction, société commerciale, la société Generali Real Estate n'étant que le représentant de la société Daumesnil.

Selon l'article L.721-3 du code de commerce les tribunaux de commerce connaissent :

1° des contestations relatives aux engagements entre commerçants [...],

2° de celles relative aux sociétés commerciales,

3° de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Selon l'article L.211-3 du code de l'organisation judiciaire, "Le tribunal judiciaire connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction."

Aux termes de ses statuts, la société Daumesnil est une société civile immobilière régie par les articles 1832 et suivants du code civil. Elle a pour objet :

- l'acquisition, la propriété, l'administration, l'exploitation et/ou la mise à disposition sous forme de bail ou autrement de tous types d'immeubles et/ou d'ensembles immobiliers à usage commercial de bureau d'habitation ou ou autre ;

- plus généralement, toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à cet objet et susceptibles d'en favoriser la réalisation, à condition toutefois d'en respecter le caractère civil.

La société Daumesnil est donc une société civile par sa forme, et aussi par son objet, son activité n'entrant pas dans le champ des actes de commerce par nature énumérés à l'article L.110-1 du code de commerce. En effet, elle acquiert et administre ses immeubles non pour les revendre mais pour les mettre en location. Or, au contraire de la location de meubles, la location d'immeubles est une activité civile par nature, même si elle est faite de manière habituelle, même si l'immeuble loué est à usage commercial et même s'il est meublé. Si l'immeuble qu'elle destine à la location contient des aménagements meublés dans ses espaces communs, la location de ces aménagements meublés, par l'effet de la location de l'immeuble, présente ici un caractère indirect et accessoire à l'activité principale de location de l'immeuble, de nature civile, alors en outre qu'elle ne tirera pas de bénéfice de ces espaces communs qui seront exploités par des prestataires extérieurs. Par ailleurs, le contrat de louage d'ouvrage que la société Daumesnil, en tant que propriétaire non commerçant, a conclu avec la société SGB Construction pour la réhabilitation de son immeuble, ne constitue pas non plus un acte de commerce.

C'est donc à raison que la société Daumesnil et la société Generali Real Estate soutiennent que la SGB Construction aurait dû engager son action devant le tribunal judiciaire, compétent pour en connaître.

C'est encore à raison qu'elles soutiennent que le tribunal de commerce de Paris ne pouvait faire application de la "passerelle" en renvoyant l'examen du fond du litige devant le tribunal de commerce, alors que cette juridiction n'est pas compétente pour en connaître.

L'ordonnance entreprise sera par conséquent infirmée en ce qu'elle a retenu la compétence du tribunal de commerce et en ce qu'elle a renvoyé l'affaire à l'audience collégiale du 24 novembre 2022 de la 10ème chambre du tribunal de commerce de Paris.

Juridiction d'appel du tribunal judiciaire, la cour évoquera le fond du référé, ce qui n'est pas discuté par les parties.

Sur le fond du référé

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut, en référé, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Au soutien de sa demande de provision, la société SGB Construction fait valoir que les situations dont elle demande le paiement, à hauteur d'une somme totale de 301.388,89 euros HT, ne correspondent pas à des travaux supplémentaires qui devraient rester à la charge de l'entreprise , mais de travaux complémentaires devant être payés par le maître d'ouvrage car ils se sont révélés nécessaires à la réalisation de l'ouvrage conformément aux règles de l'art. Elle indique qu'ils ont été validés par le maître d'oeuvre, la société SK Associés Architectes et par le maître d'ouvrage délégué, la société CBRE, ajoutant que le maître d'ouvrage ne les a contestés que six mois après leur exécution, ce qui corrobore l'existence d'un mandat apparent donné au maître d'oeuvre.

La société Daumesnil et son représentant opposent une contestation à cette demande, qualifée de sérieuse, faisant valoir :

- qu'en vertu de l'article 1793 du code civil régissantles marchés à forfait, l'entreprise n'est pas en droit de réclamer une augmentation du prix convenu pour des travaux modificatifs et supplémentaires qu'elle a été contrainte de réaliser, à défaut de disposer d'une autorisation écrite préalable du maître d'ouvrage et d'un accord sur le prix ;

- que c'est uniquement en présence d'un bouleversement économique du contrat, c'est à dire lorsque les modifications apportées en cours de travaux, à la demande du seul maître d'ouvrage, s'avèrent d'une importance telle qu'elles rendent la nature et le coût de l'ouvrage différents de ce qu'ils auraient dû être d'après les prévisions du projet initial, que le marché perd son caractère forfaitaire et que l'entreprise peut alors réclamer le règlement de ses travaux supplémentaires ;

- que le caractère indispensable des travaux supplémentaires ou leur validation par le maître d'oeuvre voire le maître d'ouvrage délégué sont donc inopérants pour justifier un droit à paiement complémentaire venant en sus du prix forfaitaire du marché ;

- que sur les onze devis dont il est demandé le paiement par SGB Construction, six ont déjà été validés par Daumesnil pour une somme globale de 109.246,51 euros HT, en sorte que le montant des travaux non validés par le maître d'ouvrage s'élève à la somme de 192.142,38 euros HT ;

- que parmi ces devis non validés, le devis n°10, d'un montant de 101.211,64 euros TTC, porte sur une demande de révision de prix au titre de l'augmentation du prix des matériaux et n'a jamais été validé par la maîtrise d'oeuvre ni a fortiori par la maîtrise d'ouvrage déléguée ;

- que compte tenu du retard considérable pris par la société SGB Construction dans l'exécution de ses travaux (plus de 400 jours de retard à la date de la résiliation de son marché), la SCI Daumesnil a logiquemen refusé cette révision non-contractuelle du prix du marché ;

- qu'ainsi la réclamation de la société SGB Construction au titre de travaux exécutés et validés par la maîtrise d'oeuvre et indispensables à la réalisation conforme de l'ouvrage s'élève en réalité à 90.931,05 euros HT (déduction faite du devis n° 10) ;

- que cette somme de 90.931,05 euros HT correspond aux devis n° 19, 22 et 35, lesquels ne résultent pas d'une commande préalable de la société Daumesnil en lien avec une demande de modification du projet, mais qui ont pour objet de réclamer une plus-value pour des travaux qui ont été exécutés en raison, selon l'entreprise, d'insuffisances et/ou d'erreurs du dossier de conception, relevant de la responsabilité du maître d'oeuvre ;

- que selon l'article 7 du contrat (CCAG), seul le maître d'ouvrage , sur proposition du maître d'oeuvre, est habilité à proposer des travaux supplémentaires par ordres de service ou par voie d'avenants ;

- que la société Daumesnil n'a jamais donné aucun mandat exprèsni au maître d'oeuvre ni au maître d'ouvrage délégué de valider en ses lieu et place les devis de travaux supplémentaires de la société SGB Construction ;

- que l'appréciation d'un éventuel mandat apparent, a fortiori entre professionnels, ne relève pas en tout état de cause de l'office du juge des référés, juge de l'évidence ;

- qu'en outre, la société Daumesnil oppose une exception de compensation au titre de la retenue contractuelle de bonne fin et des pénalités de retard contractuelles, en vertu desquelles la société SGB Construction est débitrice d'une somme de 2.482.228,52 euros TTC envers le maître d'ouvage ainsi qu'il ressort du certificat de paiement n°17 émis en vérification de la situation de travaux de la société SGB Construction établi au mois d'août 2022 par le maître d'oeuvre, le certificat de paiement n°18 faisant ressortir une dette complémentaire de 66.094,48 euros TTC ;

- que la société Daumesnil est aussi en droit d'opposer l'exception de compensation en raison des surcoûts qu'elle va être contrainte d'assumer pour reprendre les désordres affectant les ouvrages de la société SGB Construction.

Il y a lieu de relever :

- que les parties sont en totale opposition sur la charge du coût des travaux complémentaires ou supplémentaires dont il est demandé le paiement provisionnel par l'entreprise de gros oeuvre à son maître d'ouvrage, comme cela résulte de tout ce qui précède ;

- qu'il résulte des pièces au dossier qu'en réponse (écrite) aux réclamations de l'entreprise, le maître d'ouvage a discuté de manière circonstanciée chaque situation de travaux supplémentaires ;

- que s'agissant d'un marché de travaux à prix forfaitaire, sont applicables les dispositions de l'article 1793 du code civil, aux termes desquelles, lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ;

- que comme le souligne l'appelante, c'est uniquement en présence d'un bouleversement économique du contrat, c'est à dire lorsque les modifications apportées en cours de travaux, à la demande du seul maître d'ouvrage, s'avèrent d'une importance telle qu'elles rendent la nature et le coût de l'ouvrage différents de ce qu'ils auraient dû être d'après les prévisions du projet initial, que le marché perd son caractère forfaitaire et que l'entreprise peut alors réclamer le règlement de ses travaux supplémentaires ;

- qu'au regard de ces règles très strictes applicables au marché à forfait et des contestations opposées par le maître d'ouvrage telles que précédemment exposées, la réclamation de l'entreprise de gros oeuvre au titre de ses travaux complémentaires ou supplémentaires exige un examen approfondi de chaque situation de travaux, auquel le juge des référés, juge de l'évidence, ne peut se livrer ;

- que depuis la demande en paiement de la société SGB Construction, le marché de travaux a été résilié à son intitiative, celle-ci considérant la rupture exclusivement imputable au maître d'ouvrage, ce dernier estimant l'inverse ;

- que sont produits par le maître d'ouvrage plusieurs constats d'huissier de justice portant sur les retards imputés à l'entreprise et sur les désordres entachant ses travaux ;

- que sont aussi produits des certificats de paiement établis par le maître d'ouvrage, sous la signature du maître d'oeuvre et du maître d'ouvrage délégué , fin août et fin septembre 2022, qui font ressortir une créance totale de 2.548.323 euros revendiquée par le maître d'ouvrage qui se plaint d'un retard considérable dans l'exécution des travaux et de désordres ;

- qu'est encore produit un courrier du maître d'oeuvre en date du 18 octobre 2022, faisant état de fissures et malfaçons affectant les travaux de la société SGB Construction ;

- que l'exception d'inexécution ainsi opposée et étayée par le maître d'ouvrage, dont le bien fondé relève de l'appréciation du juge du fond, rend sérieusement contestable la demande de provision de l'entrepreneur de gros oeuvre ;

- que ce dernier reconnaît lui-même la nécessité de faire les comptes entre les parties puisque le 4 novembre 2022, il a assigné la société Daumesnil et son représentant en référé- expertise, demandant que l'expert ait pour mission de faire les comptes entre les parties au marché de travaux conclu le 21 janver 2021 ;

- que par ordonnance du 3 mars 2023, il a été fait droit à cette demande par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, qui a notamment chargé l'expert d'examiner la liste des devis de travaux supplémentaires présentés par la société SGB Construction jusqu'à la résiliation du marché, de dire si ces devis ont pour origine des demandes préalables de modification du projet de construction par le maître d'ouvrage, ou, à défaut, s'ils ont pour origine une sous-estimation des quantitiés imputables à l'architecte ou toute autre cause imputable à un intervenant à l'acte de construire, de dire aussi si les travaux supplémentaires, objet des devis, étaient ou non nécessaires à la réalisation de l'ouvrage confié à la société SGB Construction ;

- qu'ainsi la question même du montant de la provision revendiquée par l'entreprise à l'encontre du maître d'ouvrage fait l'objet de l'expertise judiciaire ordonnée, de même que les délais d'exécution des travaux et les désordres dont se plaint le maître d'ouvrage.

Il en résulte que la demande de provision de la société SGB Construction se heurte à contestation sérieuse et qu'il ne peut donc y avoir lieu à référé sur cette demande. L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

La nature du litige et les comptes à faire entre les parties commandent de laisser à la charge de chacune ses dépens et frais irrépétibles, tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence matérielle, renvoyé l'examen du fond du litige devant le tribunal de commerce et condamné les sociétés Daumesnil et Generali Real Estate aux dépens et au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau de ces chefs infirmés,

Dit que l'action de la société SGB Construction relevait de la compétence du tribunal judiciaire de Paris,

Dit en conséquence que l'affaire ne pouvait être renvoyée au fond devant le tribunal de commerce de Paris,

Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens et frais irrépétibles de première instance,

Confirme l'ordonnance pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit que chaque partie supportera la charge des ses dépens et frais irrépétibles d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/19434
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;22.19434 ?
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