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15/06/2023 | FRANCE | N°22/17229

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 15 juin 2023, 22/17229


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 15 JUIN 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/17229 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGQJI



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 29 Septembre 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021033872





APPELANT



M. [E] [H]



[Adresse 2]

[Local

ité 4]



Représenté par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée à l'audience par Me Mathieu EYCHENE, avocat au barreau de PARIS,...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/17229 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGQJI

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 29 Septembre 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021033872

APPELANT

M. [E] [H]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée à l'audience par Me Mathieu EYCHENE, avocat au barreau de PARIS, toque : D19

Intimé dans le RG 22/18383

INTIMEES

S.A.S.U. BRINK'S EVOLUTION, RCS de Paris sous le n°324 613 678, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine DEROT, substitué à l'audience par Me Myriam OUABDESSELAM, avocat au barreau de PARIS, toque : K30

Appelante dans le RG 22/18383

S.A.S.U. LOOMIS FRANCE, RCS de Bobigny sous le n°479 048 597, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée à l'audience par Me Alexandre LIMBOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : L0064

Intimée dans le RG 22/18383

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Avril 2023, en audience publique, Michèle CHOPIN, Conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Loomis France ainsi que la société Brink's Evolution ont pour activité le transport de fonds, le traitement de valeurs et la maintenance des automates permettant la distribution d'espèces.

Le nombre d'acteurs exerçant sur ce marché a diminué au fil du temps, conduisant au quasi-duopole actuel entre ces deux sociétés.

Monsieur [E] [H] a été engagé le 1er juillet 1988 par la société Sytelval, devenue Prosegur Traitement de Valeurs, ci-après, Prosegur.

Au mois de juillet 2019, le groupe Prosegur, au sein duquel Monsieur [H] exerçait en qualité de responsable commercial, a été racheté par le groupe Loomis.

Monsieur [H] a été licencié pour inaptitude le 13 juillet 2021.

Par requête du 27 mai 2021, la société Loomis a soumis au juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris l'autorisation de diligenter une mesure d'instruction in futurum dans les locaux de la société Brink's et au domicile de M. [H].

Par ordonnance du 3 juin 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette requête.

Par exploit du 15 juillet 2021, la société Brinks's a fait assigner la société Loomis et M. [H] devant le juge des référés afin de solliciter la rétractation de l'ordonnance rendue.

Par ordonnance du 29 septembre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a débouté la société Brink's et M [H] de leurs demandes de rétractation et a :

« - dit que la mesure autorisée par l'ordonnance du 3 juin 2021 rendue par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris respecte l'ensemble des conditions prévues par l'article 145 du code de procédure civile ;

- confirmé l'ordonnance sur requête rendue le 3 juin 2021 ;

- débouté la société Brink's et M. [H] de leurs demandes de rétractation de l'ordonnance sur requête du 27 mai 2021 et, plus largement, de l'ensemble de leurs demandes ;

- dit qu'une audience, en présence de l'huissier détenteur des pièces sous séquestre et du conseil de la société Brink's, sera organisée afin de vérifier que les documents placés actuellement sous séquestre respectent les critères s'appliquant au secret des affaires. et aux critères spécifiés par l'ordonnance rendue le 3 juin 2021,

- à l'issue de cette audience, le juge ordonnera la mainlevée totale ou partielle des pièces placées sous séquestre après avoir entendu le requis et/ou ses conseils,

En ce qui concerne la préparation de la levée de séquestre, il devra être procédé comme ci-après :

- communication d'un mémoire dans lequel le requis, la société Brink's, désigne les pièces à la communication desquelles il s'oppose et indique pièce par pièce le motif du refus de cette communication,

- dans le cadre de ce mémoire devront être :

d'une part, désignées les pièces pouvant être communiquées en l'état - catégorie A

d'autre part, les pièces relevant du secret des affaires dont l'exclusion est sollicitée - catégorie B

et enfin, les autres pièces dont l'exclusion est également sollicitée bien qu'elles ne relèvent pas des dispositions relatives à la protection du secret des affaires, et les pièces qui seraient partiellement libérables (en mentionnant les explications nécessaires et en identifiant les paragraphes devant éventuellement être supprimés) - catégorie C

- ce mémoire devra être remis la scp [B] [I] et [T] [K] prise en la personne de l'un de ses associés, en qualité d'huissier de justice, et au président avant le jeudi 27 octobre 2022 avec un support informatique sur lequel les pièces seront triées conformément à la classification du mémoire afin d'y retrouver la même quantité et volumétrie pour que l'huissier puisse procéder à un contrôle de cohérence préalable à l'audience d'examen de la demande de levée de séquestre.

- condamné in solidum la société Brink's et M. [H] la somme de 13.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Brink's aux dépens y compris le coût des mesures d'instruction entreprises, dont ceux à recouvrer par le greffe de 33,98 euros TTC dont 5,66 euros de TVA.»

Par déclarations respectives du 27 octobre 2022 et du 06 octobre 2022, la société Brink's et M. [H] ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures, remises et notifiées le 2 mars 2023 par la voie électronique, la société Brink's demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance de référé du Président du Tribunal de Commerce de Paris du 29 septembre 2022 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'elle a :

débouté la société Brink's Evolution de sa demande de rétractation ;

ordonné la tenue d'une audience pour statuer sur la levée du séquestre ;

condamné la société Brink's Evolution et Monsieur [E] [H] in solidum à payer la somme de 13.000 euros à la société Loomis France en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Brink's Evolution aux dépens de l'instance de référé, en ce compris le coût des mesures d'instruction ;

Et, statuant à nouveau,

- dire et juger que la requête de la société Loomis France était irrecevable ;

- dire et juger que la société Loomis France n'établit pas un motif légitime sérieux justifiant la mesure d'instruction autorisée par l'ordonnance sur requête du 3 juin 2021 ;

- dire et juger que ni la requête du 27 mai 2021 ni l'ordonnance du 3 juin 2021 ne justifient de la nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

- dire et juger que la mesure ordonnée par l'ordonnance sur requête du 3 juin 2021 n'est pas légalement admissible, en ce qu'elle est disproportionnée et cause une atteinte illégitime aux droits de la société Brink's Evolution ;

En conséquence,

- prononcer la rétractation de l'ordonnance sur requête du 3 juin 2021 ;

- ordonner la destruction par la scp [B] [I] et [T] [K] du procès-verbal de constat du 18 juin 2021 et de l'intégralité des éléments placés sous séquestre ;

- condamner la société Loomis France à payer à la société Brink's Evolution la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner la société Loomis France aux entiers dépens.

La société Brink's expose notamment que :

- l'irrecevabilité de la requête est mise en évidence par la motivation de l'ordonnance rendue du fait de l'existence d'un litige au fond entre M. [H] et la société Loomis,

- il n'existe aucun motif légitime justifiant la mesure d'instruction, le caractère plausible des agissements constitutifs de concurrence déloyale n'étant pas démontré, le motif légitime n'étant pas caractérisé par l'ordonnance rendue,

- le recrutement parfaitement licite de M. [H] ne rend pas pour autant plausible les agissements de concurrence déloyale qui lui sont imputés,

- de même, les non renouvellement de contrats de la société Loomis ne sont pas constitutifs de concurrence déloyale de la part de la société Brink's, ces contrats étant par nature précaires,

- la chronologie des faits contredit d'ailleurs la thèse de la société Loomis,

- aucune circonstance de justifie la dérogation au principe du contradictoire, laquelle n'est pas caractérisée dans l'ordonnance rendue, ni dans l'ordonnance sur requête,

- la mesure ordonnée ne dispose d'aucun caractère légalement admissible, et est excessive et disproportionnée,

- la condamnation de la société Brink's au titre de l'article 700 du code de procédure civile est excessive.

Aux termes de ses écritures remises et notifiées le 7 février 2023, M. [H] demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 29 septembre 2022 en ce qu'elle a :

dit que la mesure autorisée par l'ordonnance du 3 juin 2021 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris respecte l'ensemble des conditions prévues par l'article 145 du code de procédure civile,

confirmé l'ordonnance sur requête du 3 juin 2021 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris,

débouté la société Brink's et M. [H] de leurs demandes de rétractation de l'ordonnance sur requête du 27 mai 2021 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris et, plus largement de l'ensemble de leurs demandes,

organisé une audience de tri des pièces saisies,

condamné in solidum la société Brink's et M. [H] à la somme de 13.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant sur le surplus,

condamné la société Brink's aux dépens y compris le coût des mesures d'instruction entreprises dont ceux à recouvrer par le Greffe de 33,98€ TTC dont 5,66€ de TVA,

Statuant à nouveau :

- juger que les faits sur lesquels portent la requête font déjà l'objet d'une instance au fond,

- juger que ni la requête de la société Loomis France du 27 février 2021 ni l'ordonnance du 3 juin 2021 font état de circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire,

- juger que la société Loomis France n'établit pas un motif légitime sérieux justifiant la mesure

d'instruction autorisée par l'ordonnance du 3 juin 2021,

- juger que la mesure ordonnée sur requête du 3 juin 2021 n'est pas légalement admissible, en ce qu'elle est disproportionnée et cause une atteinte illégitime aux droits de la société Brink's Evolution,

En conséquence,

A titre principal,

- prononcer la rétractation de l'ordonnance sur requête du 3 juin 2021,

- ordonner la destruction par la scp [B] [I] et [T] [K] du procès-verbal de constat du 18 juin 2021 et de l'intégralité des éléments placés sous séquestre,

A titre subsidiaire,

- interdire à la société Loomis de produire les pièces saisies dans le cadre de l'action prud'homale en cours devant le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne initiée par M.[E] [H] le 13 décembre 2019,

En tout état de cause,

- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la société Loomis France,

- condamner la société Loomis France à payer à Monsieur [E] [H] la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner la société Loomis France aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la selarl 2H avocats représentée par Maître Audrey Schwab, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il expose notamment que :

- la mesure sollicitée par la société Loomis sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile est irrecevable dès lors qu'une action au fond est en cours, Monsieur [E] [H] ayant saisi le conseil de Prud'hommes de Saint-Etienne le 13 décembre 2019 afin d'obtenir, entre autres, la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour harcèlement moral,

- il est bien évident que la société Loomis entend se prévaloir de l'embauche de Monsieur [H] par la société Brink's dans le cadre du contentieux prud'hommal,

- la société Loomis ne remplit pas les exigences impératives qui permettent de déroger au principe du contradictoire par requête dès lors que les éléments de preuve recherchés auraient pu être obtenus dans le cadre d'une procédure contradictoire et que ni la requête, ni l'ordonnance ne fait état de circonstances particulières au cas d'espèce qui justifient qu'il soit dérogé au principe du contradictoire,

- en réalité, la société Loomis instrumentalise la procédure de mesure d'instruction in futurum afin d'obtenir de manière détournée des éléments pour nourrir le contentieux prudhommal en cours avec son ancien employé,

- en l'espèce, la mesure qui a été ordonnée le 3 juin 2021 dépasse très largement ce qui était nécessaire et légitime dans la perspective d'une éventuelle action contre la société Brink's en concurrence déloyale,

- si par extraordinaire la cour venait toutefois à considérer que les demandes formulées par la société intimée étaient recevables, et bien fondées, la société Loomis ne pourra utiliser éléments saisis, si tant est qu'ils lui soient utiles, dans le cadre de la procédure prud'homale en cours,

- sa condamnation, solidaire avec la société Brink's, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile est d'une incompréhensible sévérité.

Aux termes de ses écritures, remises et notifiées le 23 mars 2023, la société Loomis demande à la cour de :

- juger que la société Loomis France justifie d'un motif légitime au soutien de sa demande de mesure d'instruction ;

- juger que la société Loomis France a démontré la nécessité de déroger au contradictoire ;

- juger que l'ensemble des mesures d'instructions sollicitées par la société Loomis France aux termes de sa requête du 27 mai 2021 et autorisées par le président aux termes de son ordonnance du 3 juin 2021 sont manifestement proportionnées au but poursuivi et légalement admissibles ;

En conséquence,

- confirmer l'ordonnance rendue le 29 septembre 2022 par le président du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

- confirmer dès lors en toutes ses dispositions l'ordonnance sur requête rendue le 3 juin 2021 par le président du Tribunal de commerce de Paris ;

- débouter M. [H] et la société Brink's Evolution de l'intégralité de leurs demandes, moyens, fins et prétentions ;

Si par impossible, la cour infirmait, fut-ce partiellement, l'ordonnance du 29 septembre 2022 et rétractait et/ou modifiait en conséquence l'ordonnance rendue sur requête le 3 juin 2021 :

- ordonner que la destruction, par la scp [B] [I] et [T] [K], de l'intégralité des éléments placés sous séquestre ne puisse être effectuée qu'à défaut de pourvoi en cassation déposé dans le délai imparti contre l'arrêt à intervenir ;

En tout état de cause,

- condamner la société Brink'Evolutions et M [H] à payer à la société Loomis France la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ;

- condamner la société Brink's Evolution et M [H] aux entiers dépens de l'instance d'appel.

Elle expose notamment que :

- elle nourrit de sérieux doutes quant à la chronologie proposée par la société Brink's et M.  [H] au sujet du recrutement de ce dernier et précise que la date de signature du contrat de travail de M. [H], étonnement proche de son départ de la société Loomis (17 juillet 2020), laisse à penser que la société Brink's avait déjà envisagé de recruter M. [H] avant son licenciement, cette dernière n'étant possiblement pas étrangère à la décision de M. [H] d'extraire frauduleusement les fichiers numériques commerciaux confidentiels de la société Loomis, le jour de son départ effectif,

- seules trois caisses régionales du groupe BPCE, appartenant toutes au secteur géographique d'intervention de M. [H] ont décidé, de manière concomitante à son arrivée au poste de responsable grand compte chez Brink's, de transférer à cette dernière la gestion et la maintenance des automates en procédant à la non-reconduction des contrats conclus historiquement avec la société Loomis, ce, en dehors de toute contrainte calendaire et sans avoir, au cours des années précédentes, manifesté la volonté de faire application du contrat-cadre ATM de manière anticipée,

-les tentatives de la société Brink's et M. [H] de faire valoir que le non-renouvellement des trois contrats susvisés s'explique uniquement par la signature du contrat-cadre ATM ne peuvent convaincre et ont uniquement vocation à minimiser le rôle que M. [H] a joué dans le non-renouvellement de ces trois contrats qui, pour rappel, représente pour la société Loomis une perte annuelle totale de chiffre d'affaires de 4.619.000 euros,

- aux termes de sa requête du 27 mai 2021, la société Loomis a démontré l'existence de circonstances concrètes justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire,

- les mesures sont en outre légalement admissibles,

- elles ont uniquement vocation à renforcer et conserver les éléments de preuve attestant de ce que les documents confidentiels lui appartenant, frauduleusement extraits par M. [H], ont été utilisés par la société Brink's aux fins de démarcher ses clients historiques.

SUR CE,

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n'est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L'application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d'un procès potentiel, non manifestement voué à l'échec, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Sur le motif légitime

L'application de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constatée l'existence d'un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sans qu'il revienne au juge statuant en référé ou sur requête de se prononcer sur le fond.

En l'espèce, la société Loomis soutient à l'appui de sa demande de mesure d'instruction qu'elle soupçonne la société Brink's de se livrer à des actes de concurrence déloyale à son encontre, manifestés par l'embauche de M. [H] et sa complicité.

Il résulte des pièces produites à l'appui de la requête soumise au tribunal de commerce que :

- les sociétés Brink's et Loomis sont dans une situation de duopole sur le marché du transport de fonds, du traitement des valeurs et de la maintenance des automates permettant la distribution d'espèces,

- M. [E] [H] a été engagé par la société Sytelval, devenue Proségur, le 1er juillet 1988 le groupe Prosegur où M [H] exerçait en qualité de responsable commercial ayant été racheté par la société Loomis en juillet 2019,

- il n'est pas contesté que le 25 septembre 2019, M. [H] s'est vu proposer un poste de directeur grands comptes bancaires au sein cette nouvelle entité,

- M. [H] est en arrêt maladie depuis le 17 octobre 2019 et a saisi le 13 décembre 2019 le conseil de prud'hommes de Saint-Etienne aux fins de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur,

- il a été licencié par la société Loomis pour inaptitude le 13 juillet 2020, sa clause de non concurrence étant levée,

- il s'infère de la requête litigieuse que M. [H] aurait été sollicité puis engagé par la société Brink's, à un poste identique à celui qui lui avait été proposé chez Loomis, alors que son contrat de travail avec la société Loomis était en cours, notamment pour extraire des fichiers numériques commerciaux confidentiels, puis pour démarcher des clients.

Sur le premier point, et la sollicitation puis l'embauche de M. [H] par la société Brink's, la société Loomis produit les rapports de deux cabinets de recherches et expertise informatique (Intermédiations Commerciales et Investigations et Financial Intelligence et Processing) qui concluent que :

- M. [H] a bien été engagé par la société Brink's au poste de responsable grands comptes, rattaché à la direction régionale Sud Est, région que la société Loomis souhaitait lui confier,

- l'analyse de fichiers de l'ordinateur de M. [H], restitué le 17 juillet 2020 indique que ce dernier a procédé à l'effacement de 11.372 documents et qu'il est en possession sur des périphériques de stockage USB de documents de travail appartenant à la société Loomis.

Ainsi, la découverte de cette situation et de ces éléments, M. [H] étant alors licencié pour inaptitude par la société Loomis,constituait bien un faisceau d'indices suffisants pour légitimer les suspicions de la partie requérante qui pouvait ainsi craindre des actes constitutifs de concurrence déloyale, au-delà même de la procédure prud'hommale menée par M. [H]. Si en effet, les preuves recherchées dans le cadre de la procédure sur requête pourraient également servir cette procédure prud'hommale, la mesure litigieuse a bien été sollicitée dans l'éventualité d'un procès en concurrence déloyale, sur un fondement juridique distinct, de sorte qu'il ne peut utilement être soutenu qu'à la date de la requête le juge prud'hommal était déjà saisi d'un litige identique au fond.

Par ailleurs s'il n'est pas méconnu que M. [H] disposait d'une clause de non-concurrence, qui avait été levée au moment de son licenciement pour inaptitude, force est de constater que son contrat de travail était rompu depuis peu par la société Loomis et qu'il est néanmoins relevé que, sur une période de temps relativement courte, trois des clients historiques de la société Prosegur ont annoncé leur intention de résilier les contrats de prestations de gestions et maintenance des automates bancaires souscrits.

Si ces éléments ne peuvent à eux seuls suffire à caractériser une concurrence déloyale, ils constituent néanmoins des indices suffisamment sérieux permettant de démontrer, de ce chef, l'existence d'un motif légitime pour justifier la mesure d'instruction sollicitée.

Au surplus, il est rappelé qu'agissant sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société appelante n'a pas à rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve d'un manque à gagner et du préjudice en résultant, l'existence de celle-ci se déduisant du positionnement de ses clients historiques.

Enfin, pour étayer ses soupçons de détournement de clientèle, la société Loomis produit les contrats desdits clients historiques dont il ressort que leur départ engendrerait une perte de chiffres d'affaires annuelle de 4.619.000 euros.

Au regard des éléments qui précèdent, la société Loomis est donc légitime à vouloir déterminer l'ampleur de la concurrence déloyale suspectée, susceptible de résulter d'un possible détournement de clientèle au profit de la société Brink's.

Ainsi, la société Loomis justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, lui permettant de solliciter une mesure d'instruction afin d'améliorer sa situation probatoire pour un futur procès qu'elle pourrait engager à l'encontre de la société Brink's lequel n'apparaît pas manifestement voué à l'échec.

Sur la dérogation au principe du contradictoire

Le juge, saisi sur requête, doit rechercher si la mesure sollicitée exige une dérogation au principe de la contradiction. L'éviction de ce principe directeur du procès nécessite que la requérante justifie de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Aux termes de la requête, la société Loomis a justifié la dérogation au principe de la contradiction par le risque de dépérissement des preuves et la nécessité de créer un effet de surprise, seul garant de l'efficacité de la mesure sollicitée. L'ordonnance qui y fait droit, tenant compte des éléments développés par la requérante, retient que les circonstances exigent pour la préservation des preuves dont il est sollicité la mise à disposition que les mesures ne soient pas prises contradictoirement.

Au cas présent, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même des pièces, données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu'elles étaient nécessaires pour établir l'existence des agissements déloyaux suspectés et l'étendue du préjudice subi.

Ainsi, au regard des agissements des appelants suspectés par la société intimée de se livrer à des actes de concurrence déloyale, il apparaissait justifié, de procéder de manière non contradictoire.

La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi suffisamment caractérisée.

L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.

Sur le caractère proportionné de la mesure d'instruction

Les mesures d'investigation doivent être légalement admissibles, les mesures d'investigation générales étant prohibées, de sorte qu'elles doivent être circonscrites dans le temps et l'objet.

Or, l'ordonnance rendue comporte des mots clés pertinents (organisation commerciale et Proségur, Celda et tarifs et Prosegur, BPAura et tarifs et Prosegur, BNP et tarifs et Prosegur, Grille tarifaire et Loomis par exemple), dont la combinaison apparaît nécessaire à l'établissement des faits, et prévoit une saisie des éléments correspondants à compter du 1er juillet 2019 date à compter de laquelle M. [H] a cherché à quitter la société Loomis.

De la sorte, les mesures prescrites sont circonscrites dans le temps et l'objet, tout en étant proportionnées au but poursuivi et à la recherche d'éléments probants et l'exercice du droit de la preuve. En effet, il apparaît bien que le respect de la vie privée qui n'est pas un obstacle en soi est respecté dans la mesure où les correspondances personnelles sont exclues, et que l'atteinte au secret des affaires invoquée est limitée aux recherches de preuves en lien avec le litige.

Il ressort des termes de l'ordonnance rendue sur requête que la mesure d'instruction a été circonscrite dans le temps et dans l'objet des recherches.

Il convient encore de rappeler qu'une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue afin de préserver, le cas échéant, le secret des affaires et l'atteinte à la vie privée. Dans ces conditions, il sera observé que M. [H] ne pourra qu'être débouté à ce stade de la procédure de sa demande tendant à voir interdire la société Loomis d'utiliser les pièces saisies dans la procédure prud'hommale.

En outre, la violation des droits de M. [H], concerné par la mesure d'instruction n'est pas caractérisée au regard des liens ayant précédemment existé entre ce dernier et la société intimée et le but poursuivi par celle-ci.

Enfin, l'atteinte au secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile et, donc, à la saisie de documents pouvant s'avérer utiles pour préserver le droit à la preuve de la société Loomis.

Au surplus, la société Brink's qui n'a pas sollicité l'organisation d'une procédure de tri des pièces saisies, ne précise pas en quoi, selon elle, celles-ci devraient être protégées au titre du secret des affaires au sens de l'article L.151-1 du code de commerce, dès lors qu'il s'agit de documents relatifs aux conditions d'embauche d'un ancien salarié de la société Loomis mais aussi de documents, informations commerciales et techniques et de documents relatifs aux relations commerciales engagées avec ses clients.

En conséquence, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits de la société Brink's et de M. [H] et, tenant compte de l'objectif poursuivi, concilie le droit à la preuve de l'appelante et le droit au secret des affaires et au respect de la vie privée des appelants.

Au regard des motifs qui précèdent, les appelants seront déboutés de leur demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d'instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d'un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une d'elles.

Au regard de l'issue du litige en appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et la société Brink's et M. [H] seront condamnés solidairement à payer à la société Loomis, contrainte d'exposer des frais irrépétibles tant en première instance qu'en appel, pour assurer sa défense, la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf sur le sort des dépens et frais irrépétibles,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette toute autre demande,

Laisse à chacune des parties la charge des dépens de première instance et d'appel par elle exposés,

Condamne in solidum la société Brink's Evolution et M. [H] à payer à la société Loomis la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en première instance et en appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/17229
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;22.17229 ?
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