La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/06/2023 | FRANCE | N°21/19636

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 15 juin 2023, 21/19636


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 15 JUIN 2023

(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19636 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUWX



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Septembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 19/00204





APPELANTS

Monsieur [O] [X]

[Adresse 1]

[Localité 6]

comparant en personne, assisté de Me Olivier PERSONNAZ, avo

cat au barreau de PARIS, toque : B1098



Madame [G] [P] épouse [X]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Olivier PERSONNAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B1098...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19636 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUWX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Septembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 19/00204

APPELANTS

Monsieur [O] [X]

[Adresse 1]

[Localité 6]

comparant en personne, assisté de Me Olivier PERSONNAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B1098

Madame [G] [P] épouse [X]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Olivier PERSONNAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B1098

INTIMÉES

S.A. PLAINE COMMUNE DÉVELOPPEMENT

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me François DAUCHY, avocat au barreau de PARIS, toque : T07

DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE SAINT DENIS - COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 5]

représentée par Madame [L] [W], en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Avril 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Hervé LOCU, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Hervé LOCU, Président

Madame Marie MONGIN, Conseillère

Madame Catherine LEFORT, Conseillère

Greffier : Madame Dorothée RABITA, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Hervé LOCU, Président et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [O] [X] et Mme [G] [P] épouse [X] (les époux [X]) étaient propriétaires d'une emprise de 366 m² à prélever sur le bien immobilier situé [Adresse 1] (93), sur la parcelle cadastrée section AI n°[Cadastre 3] d'une superficie totale de 712 m², ainsi que d'une emprise de 15 m² à prélever sur la parcelle.

Cette parcelle supporte un pavillon d'habitation avec jardin.

L'emprise de 366 m² est un terrain nu en nature de jardin situé à l'arrière de la parcelle ; l'emprise de 15 m², située à l'avant de la parcelle, supporte une remise.

Le bien situé dans le périmètre de la ZAC de la Tour a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique, selon arrêté préfectoral numéro 2017-2888 du 4 octobre 2017.

Par arrêté préfectoral numéro 2017-3406 du 16 novembre 2017, les parcelles situées à l'intérieur de la déclaration d'utilité publique ont été déclarées cessibles au profit de la société d'économie mixte Plaine Commune Développement.

Une ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété a été rendue le 3 avril 2008 au profit de la plaine commune développement.

Par jugement du 7 décembre 2021, après transport sur les lieux du 4 février 2021, le juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Bobigny a :

Fixé la date de référence à la date du plan local d'urbanisme intercommunal approuvé le 25 février 2020 et modifié le 15 décembre 2020 ;

Fixé à la somme de 172.501 euros, en valeur libre, l'indemnité totale de dépossession due par la société d'économie mixte plaine commune développement aux époux [X] se décomposant comme suit :

159.110 euros : indemnité principale

16.591 euros : indemnité de remploi

Rejeté la demande d'indemnité pour perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité formulée par les époux [X] ;

Rejeté la demande d'indemnité pour absence d'exploitation formulée par les époux [X] ;

Condamné la société d'économie mixte plaine commune développement à payer aux époux [X] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société d'économie mixte plaine commune développement aux dépens.

Les époux [X] ont fait appel par lettre recommandée avec réception 10 novembre 2021 limité en ce que le jugement a :

Rejeté la demande de cession de la parcelle AI [Cadastre 4] de reconstruction d'une nouvelle remise dans les limites du terrain, aux frais de la SA d'économie mixte locale plaine commune développement, selon devis, en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en fond de rue ;

Rejeté la demande d'indemnité pour perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité ;

Rejeté la demande d'indemnité pour absence d'exploitation.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :

1/ adressées au greffe le 10 février 2022 par les époux [X] notifiées le 16 février 2022 (AR du 18 février 2022) aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

Infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de cession de la parcelle AI n°[Cadastre 4] et de reconstruction d'une nouvelle remise aux limites du terrain, aux frais de la SA d'économie mixte locale plaine commune développement, selon devis, en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en front de vue, rejeté la demande d'indemnité pour perte de vue, ensoleillement et intimité et rejeté la demande d'indemnité pour l'absence d'exploitation ;

Statuant à nouveau,

Céder la parcelle cadastrée [Cadastre 4] et ordonner la reconstruction, dans les limites de leur terrain, du local partiellement détruit aux frais de la SEM plaine commune développement en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en front de rue ;

Condamner la société plaine commune développement à leur verser la somme de 500.000 euros en réparation de leurs préjudices ;

Condamner la société plaine commune développement à leur verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

2/ adressées au greffe le 8 décembre 2022 par les époux [X] notifiées le 8 décembre 2022 (AR intimé le 15 décembre 2022 et AR CG le 13 décembre 2022) aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

Condamner la société plaine commune développement à verser aux époux [X] la somme de 500.000 euros en réparation de l'intégralité de leurs préjudices, incluant une indemnité de dépréciation du surplus de 321.354 euros.

3/ adressées au greffe le 11 avril 2023 par les époux [X] notifiées le 11 avril 2023 (AR Intimé retour non daté et AR CG le 13 avril 2023) aux termes desquelles les mêmes demandes sont formulées à la Cour.

4/ adressées au greffe le 9 mai 2022 par la société plaine commune développement, intimée, et notifiées le 10 mai 2022 (AR du 11 mai 2022) aux termes desquelles il est demandé à la cour de :

Dire et juger les époux [X] mal fondés en leur appel et les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Condamner les époux [X] à lui verser la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

5/ adressées au greffe le 24 mars 2023 par la société plaine commune développement, intimée, et notifiées le 28 mars 2023 (AR intimé le 30 mars 2023 et AR CG 31 mars 2023) aux termes desquelles il est demandé à la cour de :

Déclarer irrecevable le mémoire en réplique et récapitulatif d'appel des époux [X] enregistré au greffe le 8 décembre 2022,

6/ adressées au greffe le 18 mai 2022 par le commissaire du gouvernement, intimé, notifiées le 19 mai 2022 (AR du 20 mai 2022) aux termes desquelles il est demandé à la cour de :

Fixer l'indemnité de dépossession comme suit :

Indemnité principale de dépossession de 155.910 euros,

Indemnité de remploi de 16.591 euros.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES :

Les époux [X] concluent que :

Sur la cession de la parcelle AI n°[Cadastre 4] et la reconstruction de la nouvelle remise, en compensation de l'expropriation partielle de l'emprise de terrain nu en fond de rue, ils avaient proposé que leur soit cédée gratuitement la parcelle [Cadastre 4], terrain nu d'une superficie de 16 m², jouxtant leur parcelle AI n°18, ce qui leur permettait de clôturer convenablement leur jardin. La cession de cette parcelle, ne serait en outre, pas un obstacle au projet de construction compte tenu de la disposition des lieux. Le tribunal a refusé cette cession au motif qu'elle ne peut être imposée à l'expropriant. Or, à la lecture du mémoire régularisé par expropriant, celui-ci ne s'est pas positionné sur cette proposition. En outre, le tribunal n'a pas retenu leurs demandes d'obtenir, en sus de la cession de la parcelle AI n°[Cadastre 4], la reconstruction d'un local de 10 m², dans les limites de leur terrain et en limite de propriété, aux frais de l'expropriant et ce selon devis. L'expropriation de l'emprise de terrain nu en fond de rue emporte la démolition intégrale d'un local anciennement affecté à un poste EDF, mais aujourd'hui en leur pleine propriété, présent seulement en partie sur ce terrain. Dès lors, ils n'ont pas à subir sa démolition intégrale qui intervient dans le seul intérêt du constructeur, d'autant plus qu'ils ont réhabilité ce local.

Sur le préjudice de perte de vue, d'enseignement et intimité, les balcons à droite du plan donnent sur le jardin et leur pavillon ce qui aura nécessairement des conséquences préjudiciables compte-tenu de la perte d'ensoleillement, du fait de la proximité et de la hauteur de la construction projetée, de la perte d'intimité alors que les logements édifiés auront une vue directe et plongeante sur le terrain et l'habitation et de l'éviction de plus de 50%. Ces éléments influent négativement sur la valeur vénale de leur bien. L'agent immobilier qu'ils ont mandaté a évalué entre 900.000 et 970.000 euros leur pavillon, et la dépréciation à hauteur de 300.000 euros du fait de l'édification projetée de la perte de 50% du terrain, doit être indemnisée.

Sur le préjudice lié à l'absence d'exploitation, depuis 1984, ils se sont vu interdire tout aménagement de leur jardin au motif de l'expropriation qui n'est intervenue que très récemment. Faute de pouvoir aménager convenablement leur terrain, celui-ci a subi des dégradations par des squatters, ce qui a pu être constaté lors du transport sur les lieux. Surtout, ils ont été contraints d'abandonner leur projet, à savoir l'édification d'un petit collectif de 600 m² et la construction de maisons à caractère familial pour y loger leurs enfants. Ils sollicitent en conséquence le versement d'une indemnité de 200.000 euros en réparation de ce préjudice.

Les époux [X] concluent dans un second jeu de conclusions que :

Concernant le préjudice de perte vue d'ensoleillement et d'intimité, dans ses conclusions 18 mai 2022 le commissaire du gouvernement rappelle l'article L 321-1 du code de l'expropriation. En application de ses dispositions, en cas d'expropriation partielle, le surplus non touché par l'emprise peut se retrouver déprécié et la nécessité de réparer l'entier préjudice oblige l'expropriant à allouer une indemnité de dépréciation du reste de la propriété. Les juges du fond ont un pouvoir souverain pour allouer ou refus une telle indemnité et donc pour apprécier si ces biens subissent une moins-value du fait de l'expropriation partielle. L'indemnité de dépréciation se calcule sur la valeur de l'excédent et s'apprécie en fonction du préjudice causé par l'expropriation. Les époux [X] subissent un préjudice qui provient du fait qu'ils sont privés par l'expropriation partielle de 366m² de la quasi-totalité de leur jardin situé à l'arrière de leur maison. L'expropriation de plus de 51% de la superficie totale de leur terrain initial qui passe ainsi de 712 m² à 331 m² entraîne inévitablement la dépréciation de la maison à usage d'habitation implantée sur l'emprise restante qui se voit privée de la quasi-totalité de son jardin d'agrément situé derrière la maison. La jurisprudence considère depuis longtemps que la suppression d'un jardin privatif constitue une dépréciation du surplus du logement qui en est privé. Pour calculer le montant de l'indemnité de dépréciation du surplus, il convient de valoriser ladite maison. Il s'agit d'une belle maison non mitoyenne. La maison peut être valorisée en comparaison à des références produites par la base PATRIM dans un périmètre géographique de 500 m autour du [Adresse 1] sur la période de janvier 2019 à septembre 2021 pour des maisons de 150 à 350 m². Les époux citent trois références desquelles résulte un prix moyen de 2.449 euros/m². La référence n°2 est celle qui correspond le plus à la maison des époux [X], elle a été vendue pour un prix de 3.246 euros/m². La valeur vénale de la maison des époux [X] ressort au vu de cette référence à 3.246 euros/m² x 330 m² = 1.071.180 euros. On peut considérer que la suppression définitive d'un jardin d'une superficie de 366m² équivaut à une perte importante de la valeur de la maison et entraîne une dépréciation de celle-ci qui peut être fixée à 30% de sa valeur vénale conformément à la jurisprudence du TGI de Nanterre. L'indemnisation doit être fixée à 330 m² x 3.246 euros/m²= 1.071.180 euros x 30% = 321.354 euros.

Les époux [X] répliquent dans un troisième jeu de conclusions que :

Concernant la prétendue irrecevabilité de la demande de dépréciation du surplus dans le cadre de la procédure d'appel, dans ses conclusions en réplique n°2 la Société PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT soulève l'irrecevabilité de la demande faite au titre de la dépréciation du surplus au motif que : « La demande des appelants tendant à l'allocation d'une indemnité pour dépréciation du surplus d'un montant de 321.354 euros apparaît dès lors constitutive d'une demande formulée pour la première fois en cause d'appel et couvrant un préjudice dont la nature est distincte de celui initialememt allégué et dont le quantum est tout à la fois différent et calculé selon des modalités autres que celles retenues en première instance et dans le mémoire d'appel initial. Elle ne pourra qu'être déclarée irrecevable. En ce sens CA Paris Pôle 4 Chambre 7 - 9 mars 2023 n°21/17340 ». Toutefois, il ressort de la jurisprudence qu'un mémoire complémentaire, alors même qu'il a été déposé plus de trois mois après la date d'appel, n'est pas frappé de déchéance s'il se borne à apporter des précisions ou des justifications à l'appui de la demande formée dans le mémoire principal, ce dernier ayant été déposé en temps utile, ou s'il contient également des éléments en réplique au mémoire de la partie adverse. Il ressort que la question de la dépréciation du surplus ne peut être considérée comme nouvelle et formulée pour la première fois en cause d'appel puisque :

1) La dépréciation du surplus a déjà été évoquée devant le premier juge comme cela apparaît en page 12 du jugement du Juge de l'Expropriation de Bobigny du 7 septembre 2021 dont appel qui précise : « Les époux [X] sollicitent l'allocation d'une indemnité à hauteur de 300.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de vue, l'ensoleillement et d'intimité induites par la construction d'immeuble r+5 devant accueillir 80 logements à proximité immédiate de leur maison, mais également par l'imputation de plus de 50% de leur terrain.

Ils produisent à l'appui de leur demande, d'une part, le permis de construire relatif au programme de construction (pièce Olentaure par, deux estimations de leur pavillon l'une portant sur sa valeur actuelle, l'autre sur la dépréciation de sa valeur en raison de l'édification du programme de

construction de la perte du terrain (pièces 7 et 9). Le juge précise également dans son jugement : « En droit, les indemnités allouées, tant principale qu'accessoires, doivent couvrir l'intégralité du préjudice matériel direct et certain causé par l'expropriation, conformément à l'article L.321-1 du Code de l'expropriation. Il est compétent pour statuer sur le préjudice de dépréciation du surplus lorsque celui-ci résulte de la dévalorisation de la partie du bien non expropriée du fait d'une expropriation partielle. Pour déterminer le quantum d'un tel préjudice, il convient alors d'évaluer la partie du bien non expropriée et d'apprécier la dépréciation liée à la dépossession partielle. »

2) La dépréciation du surplus a également été évoquée dans le mémoire d'appel déposé le 16 février 2022 par les appelants. Le mémoire précise en page 4 que : « En première instance, les époux [X] sollicitaient l'allocation d'une indemnité d'un montant de 300.000 euros correspondant au préjudice subi du fait de la perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité induites par la construction d'un immeuble R+5 devant accueillir 80 logements à proximité immédiate de leur maison, mais également par l'imputation de plus de 50 % de leur terrain.

Le tribunal a toutefois considéré que cette question ne relevait pas de sa compétence. Pour les raisons ci après exposées, il convient d'infirmer le jugement intervenu. « Les éléments susmentionnés influent négativemment sur la valeur vénale du bien, mentionné et souligné dans le mémoire récapitulatif, alors qu'il ne s'agit pas d'une expropriation en marge mais de l'intégralité du jardin. En l'espèce, selon l'agent immobilier mandaté le bien des époux [X] évalué actuellement entre 900.000 euros et 970.000 euros subit une dépréciation à hauteur de 300.000 euros du fait de l'édification projetée et de la perte de 50% du terrain qu'il convient d'indemniser. La jurisprudence citée par l'intimée dans son mémoire n°2 pour argumenter sur l'irrecevabilité de la demande en appel a été rendu dans une situation différente qui ne peut trouver application en l'espèce.

Ainsi l'arrêt de votre Cour en date du 9 mars 2023 n°21/17340 avait trait à une demande nouvelle liée à un demande d'indemnisation de frais engagés venant augmenter la demande d'indemnité principale et de remploi en appel ce qui n'est pas le cas dans notre espèce où il n'y a pas d'augmentation de la demande principale des époux [X] qui reste égale à celle indiquée dans son mémoire d'appel initial de 500.000 euros étant juste précisé dans son mémoire en réplique et récapitulatif du 8 décembre 2023 qu'elle inclut l'indemnité de dépréciation du surplus pour 321.354 euros dans le montant total de son préjudice évalué à 500.000 euros. La Cour ne pourra dès lors que constater que le mémoire en réplique et récapitulatif déposé le 8 décembre par les époux [X] ne contient pas de demande formulée pour la première fois en cause d'appel ni de demande nouvelle non évoquée dans le mémoire d'appel initial du 16 février 2022, et déboutera la Société PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT de l'irrecevabilité soulevée. Les appelants entendent obtenir l'infirmation du jugement intervenu.

La SA d'économie mixte locale plaine commune développement rétorque que :

Sur la valeur des emprises expropriées : les expropriés ne contestent pas le jugement sur le montant de l'indemnité principale de dépossession ;

Sur la demande d'échange de terrain et la construction d'un local à usage de remise, en application de l'article L312-12 du code de l'expropriation, l'exproprié ne peut exiger de l'autorité expropriante une réparation en nature de son préjudice, la seule exception légale procédant de l'alinéa 2 qui ne concerne que les seuls commerçants, artisans et industriels ;

Sur le préjudice pour perte de vue d'ensoleillement, la demande des expropriés s'apparente à un trouble de jouissance qui ne relève pas de la compétence de la juridiction d'expropriation ; en outre, à supposer même qu'un préjudice puisse être allégué à ce titre, l'origine de celui-ci ne se trouve pas dans l'expropriation, mais dans l'édification d'un bâtiment dont le maître d'ouvrage et bénéficiaire de l'autorisation de construire est en tout état de cause distinct de l'expropriant ; il s'agit enfin d'un éventuel préjudice à caractère indirect.

Sur le préjudice lié à l'impossibilité de procéder à des aménagements, l'aménagement d'un jardin et plantations associées ne relève d'aucune autorisation d'urbanisme ; il est donc parfaitement possible de conserver son agrément nonobstant sa situation dans le périmètre d'une opération d'aménagement. La preuve de l'impossibilité dans laquelle se seraient trouvés les expropriés de réaliser un projet de logements collectif n'est pas rapportée, le plan versé aux débats étant un simple croquis, non signé, qui porte sur un bâtiment situé [Adresse 11], voie qui ne dessert en aucune façon l'immeuble concerné par la procédure. Aucune justification n'est apportée du dépôt d'une quelconque demande d'autorisation d'urbanisme tendant à l'édification d'un bâtiment d'habitation collective ou encore d'une ou plusieurs maisons d'habitation sur la parcelle objet de la procédure et qui a été refusée. Le seul document versé aux débats date de 31 ans et concerne la régularisation a posteriori d'une demande de permission voirie relative à la pose d'une clôture.

La SA d'économie mixte locale plaine commune développement rétorque dans un second jeu de conclusions que :

Concernant l'irrecevabilité du mémoire des appelants enregistré le 8 décembre 2022, en application de l'article R. 311-26 du code de l'expropriation, les demandes nouvelles ne peuvent pas être formulées dans les écritures après l'expiration du délai de trois mois imparti pour conclure. Les appelants ont déposé un mémoire le 8 décembre 2022 dans lequel ils formulent des demandes qui n'étaient pas formulées dans le mémoire initial du 16 février 2022 puisqu'ils demandent à la cour de condamner la SA d'économie mixte locale plaine commune développement au versement d'une indemnité de dépréciation du surplus de 321.354 euros. Ils ne sollicitaient à l'origine qu'une indemnité forfaitaire pour perte de vue d'ensoleillement et d'intimité de 300.000 euros. Ces préjudices sont de nature distincte de celui né de la dépréciation de la valeur d'une propriété partiellement expropriée. Cette demande doit donc être déclarée irrecevable.

Le commissaire du gouvernement observe que :

Sur la demande de cession de la parcelle numéro [Cadastre 4] gratuit et de reconstruction d'une nouvelle remise dans les limites du terrain offert à la SEM plaine commune développement, sur devis, en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en fond de rue.

En application de l'article L322-12 du code de l'expropriation, l'exproprié est en droit d'obtenir une indemnité compensatrice liée au préjudice subi dans le cadre de l'expropriation, à savoir la perte de son bien, mais la gratuité n'est pas évoquée.

Par ailleurs, une réparation en nature de préjudice subi n'est possible que pour les seuls commerçants, artisans industriels et il n'est pas fait mention des particuliers.

Le jugement doit donc être confirmé sur le rejet de cette demande.

Sur la demande d'indemnité pour perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité :

Le préjudice évoqué, à savoir la perte de vue, d'ensoleillement et intimité ne peut être directement imputé à l'expropriation mais directement à la construction du futur bâtiment.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande d'indemnité pour absence d'exploitation

Aucune justification concrète et valable tel que le dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme tendant à l'édification de bâtis mentionnés n'est versée aux débats.

Le jugement sera donc confirmé sur le rejet de cette demande.

SUR CE, LA COUR

- Sur la recevabilité des conclusions

Aux termes de l'article R311-26 du code de l'expropriation modifié par décret N°2017-891 du 6 mai 2017- article 41 en vigueur au 1 septembre 2017, l'appel étant du 10 novembre 2021, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.

À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.

L'intimé à un appel incident ou un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui en est faite pour conclure.

Le commissaire du gouvernement dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans le même délai et sous la même sanction que celle prévue au deuxième alinéa.

Les conclusions et documents sont produits en autant d'exemplaires qu'il y a de parties, plus un.

Le greffe notifie à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces qui lui sont transmises.

En l'espèce, les conclusions de s consorts [X] du 10 février 2022, de la société Plaine commune développement et du commissaire du gouvernement du 18 mai 2022 adressées ou déposées dans les délais légaux sont recevables.

Les conclusions hors délai de la plaine commune développement du 24 mars 2023 soulevant l'irrecevabilité du mémoire en réplique des époux [X] du 8 décembre 2022 sont donc recevables au delà des délais initiaux, ainsi que les conclusions hors délai en réponse des époux [X] du 11 avril 2023.

Plaine commune développement indique en effet que dans leur mémoire du 8 décembre 2002 les époux [X] reprennent leur demande d'infirmation du jugement dans les mêmes termes que dans leur mémoire initial d'appel, mais demandent désormais à la cour de : « condamner la société plaine commune développement à verser aux époux [X] la somme de 500'000 euros en réparation de l'intégrité de leur préjudice, incluant une indemnité de dépréciation du surplus de 321'354 euros », alors qu'ils ne sollicitaient pas, en première instance comme dans le cadre de leur mémoire d'appelant du 16 février 2022, d'indemnité pour dépréciation du surplus mais une indemnité pour « perte de vue, d'ensoleillement et intimité » d'un montant forfaitaire de 300'000 euros ; elle en conclut que la demande de l'allocation d'une indemnité pour dépréciation du surplus d'un montant de 321'354 euros apparaît constitutive d'une demande formulée pour la première fois en cause d'appel et couvrant un préjudice dont la nature est distincte de celui initialement allégué et dont le fondement est tout à la fois différent et est calculé selon des modalités autres que celles retenues en première instance et dans le mémoire initial d'appel ; elle demande donc de déclarer irrecevable cette demande.

Les consorts [X] rétorquent que la dépréciation du surplus a déjà été évoquée par le premier juge qui indique : « les époux [X] sollicitent l'allocation d'une indemnité à hauteur de 300'000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité induite par la construction d'un immeuble R+5 devant accueillir 80 logements à proximité immédiate de leur maison, mais également par l'affectation de plus de 50 % de leur terrain.

Ils produisent à l'appui de leurs demandes, d'une part, le permis de construire relatif au programme de construction (pièce n°6) et, d'autre part, deux estimations de leur pavillon, l'une portant sur sa valeur actuelle, l'autre sur la dépréciation de sa valeur en raison de l'unification du programme de construction et la perte du terrain (pièces n° 7 et 9 ».

Il ajoutent que le premier juge a précisé : « en droit, les indemnités allouées, tant principales et accessoires, doivent couvrir l'intégralité du préjudice matériel, direct et certain causé par l'expropriation, conformément à l'article L321-1 du code de l'expropriation.

Il est compétent pour statuer sur le préjudice de dépréciation du surplus lorsque celui-ci résulte de la dévalorisation de la partie du bien exproprié du fait d'une expropriation partielle. Pour déterminer le quantum de tel préjudice, il convient d'évaluer la partie du bien exproprié et d'apprécier la dépréciation liée à la dépossession partielle. »

Ils indiquent que la dépréciation du surplus a également été évoquée dans leur mémoire d'appel déposé le 16 février 2022, celui-ci indiquant en page quatre que : « en première instance, les époux [X] sollicitent l'allocation d'une indemnité d'un montant de 300'000 euros correspondant au préjudice subi du fait de la perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité induite par la construction d'un immeuble R+5 devant accueillir 80 logements à proximité immédiate de leur maison, mais également par l'imputation de plus de 50% de leur terrain. Le tribunal a, toutefois, considéré que cette question ne relevait pas de sa compétence. Pour les raisons ci-après exposées, il conviendra d'infirmer le jugement intervenu. »

« Les éléments susmentionnés influent négativement sur la valeur vénale du bien - mentionné et souligné dans le mémoire récapitulatif - alors qu'il ne s'agit pas de l'expropriation en marge mais de l'intégralité du jardin.

En l'espèce, selon l'agent immobilier mandaté, le bien des époux [X], évalué actuellement entre 900'000 et 970'000 euros (pièce numéro 7 - estimation pavillon), subit une dépréciation à hauteur de 300'000 euros du fait de l'édification projetée et de la perte de 50 % du terrain qu'il convient d'indemniser (pièce numéro 9 - estimation pavillon 2).»

Les conclusions initiales concluaient à : 'statuant à nouveau : condamner la société plaine commune développement à verser aux époux [X] la somme de 500'000 euros en réparation de leurs préjudices. »

Ils concluent en conséquence que leur mémoire récapitulatif en réplique du 8 décembre 2022 ne contient pas de demandes formulées pour la première fois en cause d'appel ni de demande nouvelle non évoquée dans le mémoire d'appel initial du 16 février 2022.

Il ressort du jugement déféré : « sur l'indemnité pour perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité : il est souligné que le conseil des expropriés a confirmé au cours de l'audience que la demande ne portait pas sur l'indemnisation de la dépréciation du surplus de la propriété non concernée par l'opération d'expropriation, à savoir la dépréciation du pavillon d'habitation causée uniquement par la perte d'une partie de son terrain, étantobservé au surplus que la valeur du pavillon n'a pas fait l'objet de débats.

En conséquence, la demande expropriée sera rejetée. ».

En tout état de cause, une indemnité accessoire pour dépréciation du surplus peut être formulée pour la première fois en cause d'appel.

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En l'espèce, dans les conclusions d'appelant déposé dans le délai légal de l'article R311-26 du code de l'expropriation, l'appelant demande la cour de :

« vu le jugement rendu le sept septembre 2021 ;

'infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

'rejeté la demande de cession de la parcelle AI numéro [Cadastre 4] de reconstruction d'une nouvelle remise dans les limites du terrain, aux frais de la SA D'ECONOMIE MIXTE LOCALE PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT, selon devis, en contrepartie l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en fond de rue ;

'rejeté la demande d'indemnité pour perte de vue , d'ensoleillement et intimité ;

'rejeté la demande d'indemnité pour absence d'exploitation.

Confirmer le jugement intervenu pour le surplus ;

statuant à nouveau,

'céder la parcelle cadastrée [Cadastre 4] et ordonner la reconstruction, dans les limites de leur terrain, le local partiellement détruit aux frais de la SEM PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en fond de rue ;

'condamner la société PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT à verser aux époux [X] la somme de 500'000 euros en réparation de leurs préjudices ;

'condamner la société PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT à verser aux époux [X] la somme globale de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. »

Dans leur mémoire en réplique récapitulative d'appel numéro 2 hors délai du 11 avril 2023, ils demandent à la cour de :

'Vu le jugement rendu le 7 septembre 2021 ;

Vu l'article L 321-1 du code de l'expropriation,

infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

'rejeté la demande de cession de la parcelle AI numéro [Cadastre 4] de reconstruction d'une nouvelle remise dans les limites du terrain, aux frais de la SA D'ECONOMIE MIXTE LOCALE PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT, selon devis, en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 11 12 en frond de rue ;

'rejeté la demande d'indemnité pour perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité ;

'rejeté la demande d'indemnité pour absence d'exploitation.

Confirmer le jugement intervenu pour le surplus ;

statuant à nouveau,

'céder la parcelle cadastrée [Cadastre 4] et ordonner la reconstruction, dans les limites de leur terrain, du local partiellement détruit aux frais de la PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en front de rue ;

'condamner la société PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT à verser aux époux [X] la somme de 500'000 euros en réparation de l'intégralité de leurs préjudices, incluant une indemnité de dépréciation du surplus de 321'354 euros ;

'condamner la société PLAINE COMMUNE DEVELOPPEMENT à verser aux époux [X] la somme globale de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. »

Il en ressort que les époux [X] ont sollicité dans leurs conclusions du 16 février 2022 la somme de 500'000 euros en réparation de l'intégralité de leurs préjudices, comme dans leur mémoire hors délai du 8 décembre 2022, ils demandaient dans les motifs de leurs conclusions du 16 février 2022 :

DISCUSSION :

A sur la cession de la parcelle AI N°[Cadastre 4] et la reconstruction de la nouvelle remise

B sur le préjudice de perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité

' en l'espèce, selon l'agent immobilier mandaté le bien des époux [X], évalué actuellement entre 90000 et 970000 euros (pièce N°7- estimation pavillon), subit une dépréciation à hauteur de 300000 euros du fait de l'édification projetée et de la perte de 50% du terrain, qu'il convient d'indemniser ( pièce N°9- estimation pavillon 2)

C sur le préjudice lié à l'absence d'exploitation

' les époux [X] sollicitent ainsi l'infirmation du jugement et le versement d'une indemnité de 200000 euros en réparation de ce préjudice'.

Les époux [X] ont donc sollicité dans le dispositif de leurs conclusions une somme de 500000 euros se décomposant en :

-préjudice de perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité : 300000 euros

-préjudice lié à l'absence d'exploitation : 200000 euros.

S'agissant de leur demande de 300000 euros , elle concerne une dépréciation à hauteur de 300000 euros du fait de l'édification projetée et de la perte du terrain, mais au titre du préjudice de perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité et non de la dépréciation du surplus.

Les consorts [X] indiquent développer ce moyen sous l'angle de la jurisprudence relative à la dépréciation du surplus, mais il s'agit bien d'une nouvelle demande de 321354 euros à ce titre, sous couvert d'une demande dans leur dispositif de 500000 euros en réparation de l'intégralité de leurs préjudices, puisqu' il sollicitent dans les motifs de leurs conclusions hors délai :

- préjudice de perte de vue , d'ensoleillements et d'intimité : 321354 euros, correspondant à la dépréciation du surplus ;

- préjudice lié à l'absence d'exploitation : 200000 euros

soit un total de 521354 euros.

Cette demande nouvelle formée hors délai de 321354 euros au titre de la dépréciation du surplus sera donc déclarée irrecevable en application de l'article R321-26 du code de l'expropriation.

- Sur le fond

Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée qui s'impose au juge français, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

Aux termes de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la réserve d'une juste et préalable indemnité.

L'article 545 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Aux termes de l'article L 321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Aux termes de l'article L 321-3 du code de l'expropriation le jugement distingue, dans la somme allouée à chaque intéressé, l'indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées.

Aux termes de l'article L 322-1 du code de l'expropriation le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété ou lorsque l'expropriant fait fixer l'indemnité avant le prononcé de l'ordonnance d'expropriation, à la date du jugement.

Conformément aux dispositions de l'article L 322-2, du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L 322-3 à L 322-6 dudit code - leur usage effectif à la date définie par ce texte.

L'appel des consorts [X] porte sur :

- le rejet de la demande de cession de la parcelle AI numéro [Cadastre 4] et de reconstruction d'une nouvelle remise dans les limites du terrain, aux frais de la SA d'économie mixte locale plaine commune développement, selon devis, en contrepartie de l'expropriation de l'emprise bâtie de 15 m² en front de rue ;

- le rejet de la demande d'indemnité pour perte de vue, d'ensolleillement et d'intimité ;

- le rejet de la demande d'indemnité pour absence d'exploitation.

S'agissant de la date de référence, le premier juge a retenu la date du plan local d'urbanisme intercommunal approuvé le 25 février 2020 et modifié le 15 décembre 2020.

Les consorts [X] ne contestent pas la date de référence.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

A cette date, le bien est situé en zone UP du PLUI, correspondant à une zone de projet urbain.

Pour ce qui est de la nature du bien, de son usage effectif et de sa consistance, il s'agit d'emprises expropriées se situant sur une parcelle supportant un pavillon d'habitation en R+3, avec à l' avant une cour pavée donnant sur la [Adresse 1] et à l'arrière un jardin assez étroit, donnant sur sa longueur sur la [Adresse 10].

Le bien est situé dans un quartier résidentiel situé à proximité immédiate de la station du RER B [Localité 6]-[Localité 8], à proximité des principaux réseaux routiers, en particulier de l'A 86.

Les emprises expropriées, à prélever sur la parcelle sont :

- une emprise de 366 m², en nature de terrain nu, en friche, non entretenu, qui correspond à l'arrière jardin, avec un portail donnant sur la [Adresse 10].

- une emprise de 15 m², située à l'avant du pavillon, à l'angle de la parcelle, supportant un bâtiment de forme rectangulaire, ancien transformateur électrique, utilisé comme remise, sans aménagement particulier dans lequel se trouve un amas de divers objets.

Pour une plus ample description, il convient de se référer au procès verbal de transport.

S'agissant de la date à laquelle le bien exproprié doit être estimé, il s'agit de celle du jugement de première instance conformément à l'article L322-2 du code de l'expropriation, soit le 7 septembre 2021.

-Sur la cession de la parcelle numéro [Cadastre 4] et la reconstruction de la nouvelle remise

Le premier juge indique que l'expropriant a refusé l'indemnisation en nature, par échange de parcelle, sollicitée par les expropriés, que celle-ci ne s'imposant pas à l'expropriant, il ne l'a pas retenu.

Les consorts [X] demandent l'infirmation en indiquant qu'en compensation de l'expropriation de l'emprise de terrain nu en fond de rue, ils avaient proposé que leur soit cédée gratuitement la parcelle [Cadastre 4], terrain nu d'une superficie de 16 m², jouxtant leur parcelle AI [Cadastre 3], ce qui leur permettrait de clôturer convenablement leur jardin.

Ils ajoutent que le tribunal n'a pas retenu en outre leur demande obtenir, en sus de la cession de la parcelle [Cadastre 4], la reconstruction d'un local de 10 m², dans les limites de leur terrain et en limite de propriété, aux frais de la SEM Plaine commune développement, selon devis (pièce numéro 8) ; que l'expropriation de l'emprise de terrain nu en fond de rue emporte la démolition intégrale d'un local anciennement affecté à un poste EDF, mais aujourd'hui en leur pleine propriété, présent seulement en partie sur ce terrain, et que dès lors, ils n'ont pas à subir sa démolition intégrale qui intervient dans le seul intérêt du constructeur, ce d'autant qu'ils ont réhabilité ce local.

L'article L322-12 du code de l'expropriation dispose que les indemnités sont fixées en euros.

Toutefois, l'expropriant peut, en lieu et place du paiement de l'indemnité, offrir aux commerçants, artisan ou à l'industriel évincé un local équivalent situé dans la même agglomération.

Dans ce cas, il peut être alloué au locataire, outre l'indemnité de déménagement, une indemnité compensatrice de sa privation de jouissance.

Le juge statue sur les différends relatifs à l'équivalence des locaux commerciaux offerts par l'expropriant.

Ainsi, l'expropriée est en droit d'obtenir une indemnité compensatrice liée au préjudice subi dans le cadre de l'expropriation, à savoir la perte de son bien, mais la gratuité n'est pas évoquée, et par ailleurs, la réparation en nature du préjudice subi n'est possible que pour les seuls commerçants, artisans industriels, puisqu'il n'est pas fait mention des particuliers et qu'en l'espèce les époux [X] ont la seule qualité de particuliers.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes des époux [X].

- Sur l'indemnité principale

L'appel des époux [X] ne porte pas sur la fixation par le premier juge de l'indemnité principale fixée à 155'910 euros, soit 140'910 euros d'indemnité principale relatives à l'emprise en nature de terrain nu plus, 15'000 euros, d'indemnité principale relatives à l'emprise bâtie.

- Sur l'indemnité de remploi

L'appel des époux [X] ne porte pas sur l'indemnité de remploi qui a été fixée par le premier juge à la somme de 16'591 euros.

-Sur l'indemnité pour perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité

Les époux [X] ont sollicité en première instance une indemnité à hauteur de 300'000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de vue, d'ensoleillement et d'intimité induite par la construction d'un immeuble en R+5 de 80 logements à proximité immédiate de leur maison, mais également pour l'imputation de plus de 50 % de leur terrain.

Le premier juge après avoir souligné que le conseil des expropriés a confirmé au cours de l'audience que la demande ne portait pas sur l'indemnisation de dépréciation du surplus de la propriété non concernée par l'opération d'expropriation, à savoir la dépréciation du pavillon d'habitation causée uniquement par la perte d'une partie de son terrain, étant observé au surplus que la valeur du pavillon n'a pas fait l'objet de débats, il a indiqué qu'il dispose d'une compétence d'attribution, n'est compétent que pour statuer sur les dommages résultant directement de la seule mesure de dépossession, à l'exclusion de ceux pouvant résulter de la mise en oeuvre de travaux de réalisation du projet déclaré d'utilité publique ; il a en conséquence rejeté la demande des expropriés.

Les époux [X] demandent l'infirmation en indiquant que la construction projetée sera implantée en limites séparatives des deux fonds, ce qui est uniquement permis par l'expropriation de plus de la moitié de leur terrain et que le projet de construction va pouvoir s'établir ainsi à moins de 15 m de leur pavillon, ce qui aura nécessairement des conséquences préjudiciables compte-tenu :

'de la perte d'ensoleillement subi du fait de la proximité de la hauteur de la construction projetée ;

'de la perte d'intimité alors que les logements édifiés auront une vue directe plongeante sur le terrain d'habitation ;

'de l'éviction de plus de 50 % du terrain.

Ils indiquent que ces éléments influent négativement sur la valeur vénale de leur bien, et que selon l'agent immobilier mandaté, leur bien est évalué actuellement entre 900'000 et 970'000 euros (pièce numéro 7), et subit une dépréciation à hauteur de 300'000 euros du fait de l'édification projetée et de la perte de 50 % du terrain, qu'il convient d'indemniser.

Ils sollicitent en conséquence une infirmation en application de l'article L321-1 du code de l'expropriation qui dispose que les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Cette demande correspond à un trouble de jouissance qui ne relève pas de la compétence de la juridiction de l'expropriation, puisque l'origine du préjudice invoqué n'est pas due à l'expropriation mais à l'édification d'un bâtiment dont le maître d'ouvrage est bénéficiaire de l'autorisation de construire (société DEMATHIEU-BARD IMMOBILIER) qui est distinct de l'expropriant.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui s'est exactement déclaré incompétent de ce chef.

-Sur le préjudice lié à l'absence d'exploitation

Les époux [X] ont demandé en première instance une indemnité de 200'000 euros en réparation du préjudice résultant du fait qu'ils n'ont pu jouir normalement de ce terrain compte tenu des directives de la ville, qui leur a interdit dès 1984 l'aménagement en raison de l'opération d'expropriation à venir et de l'abandon forcé de deux projets immobiliers, à savoir, l'édification d'un petit collectif et la construction de maisons pour loger leurs enfants.

Le premier juge a indiqué que les expropriés n'établissaient ni la matérialité de leurs déclarations, en particulier d'avoir été engagés dans un projet immobilier concret sur l'emprise expropriée, ni le lien de causalité entre le prix allégué et la mesure de dépossession résultant de l'opération d'expropriation ; il a en conséquence rejeté leur demande.

Les époux [X] demandent l'infirmation pour les mêmes motifs que ceux avancés en première instance.

Les époux [X] ne rapportent pas la preuve de l'impossibilité de réaliser un projet de logements collectif, puisqu'ils versent aux débats un simple croquis, non signé, qui porte sur bâtiment situé [Adresse 11], voie qui ne dessert pas l'immeuble concerné par la présente procédure ; en outre, aucune justification n'est apportée du dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme pour l'édification d'un bâtiment d'habitation collectif ou d'une ou plusieurs maisons d'habitation sur la parcelle objet de la présente instance et qui aurait été refusée, puisque le seul document versé aux débats (pièce n° 3) concerne la régularisation a posteriori d'une demande de permission de voirie relative à la pose d'une clôture.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a exactement dit que les expropriés n'établissaient pas la matérialité de leurs déclarations, ni le lien de causalité entre le préjudice allégué et la mesure de dépossession résultant de l'opération d'expropriation, et ce , au sens de l'article L321-1 du code de l'expropriation.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il convient de confirmer le jugement qui a condamné plaine commune développement à payer aux époux [X] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de débouter les époux [X] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

- Sur les dépens

Il convient de confirmer le jugement pour les dépens de première instance, qui sont à la charge de l'expropriant conformément à l'article L 312-1 du code de l'expropriation.

Les époux [X] perdant le procès seront condamnés aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;

Statuant dans les limites de l'appel

Déclare recevables les conclusions des parties, sauf à déclarer irrecevable le mémoire hors délai en réplique et récapitulatif d'appel des époux [X] du 8 décembre 2022, s'agissant de la demande nouvelle d'une indemnité de dépréciation du surplus de 321'354 euros ;

Confirme le jugement entrepris ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Déboute les époux [X] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les époux [X] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 21/19636
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.19636 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award