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15/06/2023 | FRANCE | N°21/19176

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 15 juin 2023, 21/19176


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 15 JUIN 2023



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19176 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETJX



Décision déférée à la Cour : jugement du 21 septembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20/01859





APPELANTE



S.A. [Localité 13] HABITAT

[Adresse 6]

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Représentée et assistée par Me Gonzague PHÉLIP de la SELEURL PHELIP & ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0839





INTIMEES



Madame [K] [M]

[Adresse 4]

[Localité 9]

Née le...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 15 JUIN 2023

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19176 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETJX

Décision déférée à la Cour : jugement du 21 septembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20/01859

APPELANTE

S.A. [Localité 13] HABITAT

[Adresse 6]

[Localité 9]

Représentée et assistée par Me Gonzague PHÉLIP de la SELEURL PHELIP & ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0839

INTIMEES

Madame [K] [M]

[Adresse 4]

[Localité 9]

Née le [Date naissance 3] 1953

Représentée par Me Hélène BLANC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0420

CPAM DE SEINE SAINT DENIS

[Adresse 2]

[Localité 11]

Représentée et assistée par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R295

Société INTER MUTUELLES ENTREPRISES

[Adresse 1]

[Localité 14]

Représentée par Me Tanguy LETU de la SCP LETU ITTAH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Assistée par Me Patrice ITTAH, avocat au barreau de PARIS

Société COME BUHRI NETTOYAGE

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentée par Me Tanguy LETU de la SCP LETU ITTAH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Assistée par Me Patrice ITTAH, avocat au barreau de PARIS

S.A. MAAF

[Adresse 12]

[Localité 7]

Représentée par Me Hélène BLANC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0420

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre, et Mme Dorothée DIBIE, conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

Mme Valérie GEORGET, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Emeline DEVIN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nina TOUATI, présidente de chambre et par Emeline DEVIN, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le mardi 17 octobre 2017, Mme [K] [M], née le [Date naissance 3] 1953, locataire d'un appartement situé au deuxième étage d'un immeuble sis, [Adresse 5] à [Localité 13] appartenant à la société [Localité 13] Habitat, a fait une chute en descendant les escaliers de l'immeuble qui étaient en cours de nettoyage, les travaux d'entretien ayant été confiés par le bailleur à la société Come-Buhri Nettoyage (la société CBN) assurée auprès de la société Inter Mutuelles Entreprises (la société IME).

Mme [M] a été prise en charge par les pompiers qui l'ont conduite à l'hôpital [10] à [Localité 11] (93).

Saisi par Mme [M], le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny a, par ordonnance du 13 mars 2019, ordonné une expertise médicale confiée au Docteur [N] qui a établi son rapport le 2 décembre 2019.

Par actes d'huissier en date du 11 février 2020, Mme [M] a fait assigner la société [Localité 13] Habitat, la société IME, la société CBN et la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis (la CPAM) devant le tribunal judiciaire de Paris afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Par voie de conclusions signifiées le 26 octobre 2020, la société mutuelle d'assurance des artisans de France PJ (la société MAAF), assureur protection juridique de Mme [M], est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement du 21 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris, a :

- déclaré la société [Localité 13] Habitat et la société CBN responsables à hauteur de 50 % du préjudice subi par Mme [M] consécutif à sa chute survenue le 17 octobre 2017,

- condamné in solidum la société [Localité 13] Habitat, la société CBN et la société IME, à indemniser Mme [M] des conséquences de l'accident survenu le 17 octobre 2017, à hauteur de 50 %,

- condamné in solidum la société CBN et la société IME à rembourser à la CPAM les dépenses exposées suite à l'accident de Mme [M], à hauteur de 50 %,

- rejeté l'appel en garantie formé par la société CBN et la société IME à l'encontre de la société [Localité 13] Habitat,

- avant dire droit, sur la liquidation des préjudices de Mme [M] et l'évaluation des dépenses de la CPAM, renvoyé à la mise en état du pôle du contrat, de la responsabilité et de la réparation du préjudice corporel de ce tribunal, 19ème chambre civile, pour conclusions récapitulatives exclusivement sur la liquidation,

- réservé les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que le présent jugement est exécutoire à titre provisoire,

- ordonné la suppression de l'affaire du rôle de la 4ème chambre 1ère section et sa transmission à la 19ème chambre de ce tribunal.

Par déclaration du 2 novembre 2021, la société [Localité 13] Habitat a interjeté appel de ce jugement en critiquant expressément les dispositions par lesquelles le tribunal a déclaré la société [Localité 13] Habitat et la société CBN responsables à hauteur de 50 % du préjudice subi par Mme [M] consécutif à sa chute survenue le 17 octobre 2017, et condamné in solidum la société [Localité 13] Habitat, la société CBN et la société IME, à indemniser Mme [M] des conséquences de l'accident survenu le 17 octobre 2017, à hauteur de 50 %.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions de la société [Localité 13] Habitat, notifiées le 9 mars 2022, aux termes desquelles elle demande à la cour, au visa de l'article 1719 du code civil, de :

- annuler ou, à tout le moins, réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 21 septembre 2021 en ce qu'il a :

- déclaré la société [Localité 13] Habitat et la société CBN responsables à hauteur de 50 % du préjudice subi par Mme [M] consécutif à sa chute survenue le 17 octobre 2017,

- condamné in solidum la société [Localité 13] Habitat, la société CBN et la société IME, à indemniser Mme [M] des conséquences de l'accident survenu le 17 octobre 2017, à hauteur de 50 %,

- statuant à nouveau, constater que la responsabilité quasi délictuelle de la société [Localité 13] Habitat ne saurait être recherchée,

- constater qu'aucune faute du bailleur n'est à l'origine de l'accident de Mme [M],

- constater en revanche que seules des fautes de Mme [M] sont à l'origine de son accident et de nature à exonérer son bailleur de toute éventuelle condamnation,

En conséquence, rejeter l'appel incident de Mme [M] tendant à ce que les sociétés [Localité 13] Habitat, CBN et IME soient condamnées à réparer son entier préjudice,

A titre infiniment subsidiaire, constater que seules des fautes de la société CBN sont susceptibles d'avoir participé à la chute de Mme [M],

- constater que ces fautes sont de nature à exonérer la société [Localité 13] Habitat de toute condamnation,

En conséquence, rejeter les demandes des sociétés CBN et IME tendant à ce que la responsabilité de la société CBN soit partagée avec celle de la société [Localité 13] Habitat,

En tout état de cause,

- condamner solidairement la société CBN et la société IME à garantir la société [Localité 13] Habitat de toute éventuelle condamnation,

- condamner Mme [M] ou tout autre partie succombante au paiement d'une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions des sociétés CBN et IME, notifiées le 17 janvier 2022, aux termes desquelles elles demandent à la cour de :

- recevoir les sociétés IME et CBN en leurs conclusions et les dire bien fondées,

y faisant droit,

à titre principal,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

- déclaré la société [Localité 13] Habitat et la société CBN responsables à hauteur de 50 % du préjudice subi par Mme [M] consécutif à sa chute survenue le 17 octobre 2017,

- condamné in solidum la société [Localité 13] Habitat, la société CBN et la société IME à indemniser Mme [M] des conséquences de l'accident survenu le 17 octobre 2017, à hauteur de 50 %,

- condamné in solidum la société CBN et la société IME à rembourser à la CPAM les dépenses exposées suite à l'accident de Mme [M], à hauteur de 50 %,

et, statuant à nouveau,

- constater les fautes d'imprudence commises par Mme [M] en descendant les escaliers,

- juger que ces fautes sont la cause exclusive de la réalisation du dommage de Mme [M],

- juger que la responsabilité civile de la société CBN ne peut être retenue dans la survenance de la chute dont a été victime Mme [M],

en conséquence,

- mettre hors de cause les sociétés IME et CBN,

- débouter Mme [M] de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre des sociétés IME et CBN,

- débouter Mme [M] de sa demande au titre l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [M] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

à titre subsidiaire,

- juger que la responsabilité de la société CBN dans la survenance de la chute de Mme [M] est partagée avec celle de cette dernière et avec celle du bailleur, [Localité 13] Habitat,

- débouter purement et simplement Mme [M] du surplus de ses demandes fins et conclusions.

Vu les dernières conclusions de Mme [M] et de la société MAAF, notifiées le 25 janvier 2023, aux termes desquelles elles demandent à la cour, sur le fondement des articles 1242 et 1719 du code civil, de :

- déclarer recevable et bien fondée Mme [M] en ses demandes,

- retenir l'entière responsabilité de la société CBN et de la société [Localité 13] Habitat dans la survenance de la chute subie par Mme [M],

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu au moins pour moitié la responsabilité de ces derniers,

- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu 50 % de responsabilité à la charge de la victime,

- les condamner in solidum ainsi que la société IME, assureur de la société CNB, à réparer l'entier préjudice de Mme [M],

- condamner in solidum toutes parties succombantes à payer à la concluante une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner toutes parties succombantes aux entiers dépens.

Vu les conclusions de la CPAM, notifiées le 20 janvier 2022, aux termes desquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de :

- recevoir la CPAM en ses demandes et l'y déclarer bien fondée,

- dire et juger que l'appel de la société [Localité 13] Habitat est mal fondé,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum la société CBN et la société IME à lui rembourser les dépenses exposées suite à l'accident de Mme [M], à hauteur de 50 %,

- condamner la société [Localité 13] Habitat à verser à la CPAM la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner également les mêmes en tous les dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les responsabilités encourues

Le tribunal a retenu que la société [Localité 13] Habitat était responsable des dommages subis par Mme [M] en sa qualité de gardienne du sol sur lequel cette dernière avait glissé en raison de la présence anormale d'une importante quantité d'eau sur le sol. Il a également retenu la responsabilité pour faute de la société CBN en ce qu'elle avait manqué à son obligation de sécuriser les lieux nettoyés en l'absence de panneau posé à l'étage de Mme [M] signalant le danger présenté par la présence d'eau sur le sol. Il a enfin retenu une négligence fautive de Mme [M] qui, ayant constaté que le sol était mouillé, a néanmoins persisté à vouloir emprunter les escaliers chaussée de tongs, en portant un enfant dans les bras et accompagnée d'un chien, en soulignant que cette faute a contribué à son préjudice à hauteur de 50 % limitant ainsi, dans cette proportion, son droit à indemnisation.

La société [Localité 13] Habitat qui relève que sa responsabilité ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité contractuelle du bailleur vis-à-vis de son locataire, soutient d'abord que Mme [M] échoue dans l'administration de la preuve, qui lui incombe, des circonstances de l'accident.

Elle avance que les auteurs des attestations produites, qui n'ont pas assisté à l'accident de Mme [M], ne peuvent confirmer qu'elle a chuté parce que le sol était glissant de sorte que la preuve du lien de causalité entre le nettoyage de l'escalier et la chute de Mme [M] n'est pas rapportée. Elle ajoute que Mme [M] étant chaussée de tongs et portant un enfant, il ne peut être exclu que sa chute ait été provoquée par un faux mouvement ou par une déstabilisation en lien avec sa situation et non avec l'état du sol.

La société [Localité 13] Habitat fait valoir ensuite qu'il incombe à Mme [M] de démontrer la faute du bailleur dans la délivrance de la chose louée.

Sur ce point, la bailleresse fait observer que, même en retenant que la chute de Mme [M] résulte de la présence d'eau sur le sol en raison du nettoyage en cours, ce fait, ponctuel et extérieur à la société [Localité 13] Habitat, dont elle ignorait l'existence, ne peut caractériser une faute dans la délivrance de la chose à sa locataire qui connaissait la configuration des lieux, les jours de nettoyage et la présence d'eau sur le sol visible dès le palier.

La société [Localité 13] Habitat invoque à titre subsidiaire, comme cause d'exonération de sa responsabilité, la faute de la victime ayant concouru à la réalisation de son propre dommage ; elle fait valoir que Mme [M], en raison de la manière dont elle était chaussée et du fait qu'elle tenait dans ses bras un enfant, aurait dû redoubler de prudence et de vigilance dans ses déplacements, alors qu'ayant parcouru plusieurs mètres sur son palier, elle ne pouvait ignorer que le sol était humide et donc glissant.

Le bailleur recherche enfin, à titre infiniment subsidiaire, la garantie de la société CNB et de son assureur, la société IME, en soutenant que si la cour retenait que le sol était glissant et que cette information avait été insuffisamment signalée, cela ne pourrait être imputable qu'à la société de nettoyage, en charge de cette prestation, qui devait limiter l'aspersion du sol au strict nécessaire et que si cette humidité était susceptible de créer un risque pour les usagers, il lui incombait d'installer une signalisation adéquate de manière à prévenir du danger les occupants de l'immeuble.

Mme [M], qui ne conteste pas l'application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, fait valoir que la société [Localité 13] Habitat est responsable des conséquences dommageables de sa chute sur le fondement contractuel.

Elle soutient d'abord que le bailleur doit au preneur une jouissance paisible pendant la durée du bail prévue à l'article 1719 du code civil, de sorte qu'il appartenait à la société [Localité 13] Habitat d'entretenir correctement les parties communes de l'immeuble et de veiller à la sécurité des locataires en faisant injonction à l'entreprise d'entretien, qu'elle rémunère, de signaler que l'escalier était glissant.

Elle estime que les témoignages qu'elle produit, émanant de deux personnes arrivées rapidement après les faits, démontrent que sa chute est due au caractère anormalement glissant du sol qui venait d'être nettoyé à grande eau ajoutant qu'elle rapporte la preuve de la concomitance entre sa chute et le défaut d'entretien des escaliers ou, à tout le moins, du manque de signalisation de son caractère dangereux.

Elle en déduit que n'ayant pu bénéficier d'une jouissance paisible de l'immeuble dans lequel la société [Localité 13] Habitat lui loue un appartement, puisqu'elle a glissé dans l'escalier, la responsabilité du bailleur doit être retenue.

Elle conteste toute faute de sa part à l'origine de son dommage, estimant qu'il ne saurait lui être reproché ni d'avoir ignoré le jour et l'horaire du nettoyage habituel de l'immeuble, alors qu'en l'espèce les opérations ont été effectuées un mardi et non pas comme habituellement un jeudi, d'autre part, de ne pas avoir porté de chaussures qui maintiennent les chevilles pour emprunter les escaliers, et d'avoir descendu les escaliers avec sa petite-fille dans ses bras alors qu'elle n'avait pas d'autre solution en l'absence d'ascenseur dans l'immeuble. Elle ajoute que la preuve d'un faux mouvement de sa part n'est pas rapportée.

Elle invoque également la responsabilité délictuelle de la société CBN d'une part, parce que c'est son action qui a rendu le sol glissant et d'autre part, en l'absence de signalisation, au niveau de son palier au deuxième étage, du danger représenté par le sol mouillé quand bien même il y aurait eu une telle signalisation dans le hall de l'immeuble, laquelle ne permettait pas d'avertir les locataires qui empruntaient les escaliers pour descendre.

Elle précise enfin que la responsabilité de la société CBN, si elle devait être retenue n'exonérerait pas le bailleur de sa responsabilité alors qu'il la rémunère et qu'il lui appartient de vérifier qu'elle respecte bien les règles de sécurité qui bénéficient aux occupants de l'immeuble.

Les sociétés CBN et IME contestent toute responsabilité de la société CBN, tant sur le fondement de l'article 1240 du code civil que sur celui de l'article 1242 de ce code. Elles soutiennent pour des motifs similaires à ceux développés par la société [Localité 13] Habitat d'une part, que l'imputabilité de l'accident à la présence d'une importante quantité d'eau sur le sol, qui pourrait caractériser une anormalité, n'est pas démontrée et d'autre part, que Mme [M] a commis des fautes exclusives de sa responsabilité.

Elles ajoutent qu'il ne saurait être reproché à la société CBN, l'absence de signalisation des travaux de nettoyage en cours alors qu'un panneau de signalisation à destination des visiteurs n'habitant pas l'immeuble indiquait, au rez-de-chaussée, que le sol était glissant, et que les occupants de l'immeuble connaissaient les jours de nettoyage des parties communes.

********

Sur la responsabilité de la société [Localité 13]-Habitat

En application du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, Mme [M], titulaire d'un bail à usage principal d'habitation conclu avec la société [Localité 13] Habitat, ne peut rechercher la responsabilité du bailleur que sur le fondement de la responsabilité contractuelle et non sur celui des dispositions de l'article 1242, alinéa 1, du code civil.

Le bailleur doit, en application de l'article 1719 du code civil, entretenir la chose louée en état de service à l'usage pour laquelle elle a été louée, cette obligation s'étendant, lorsque comme en l'espèce le bailleur est propriétaire de l'immeuble entier, à l'entretien des parties communes permettant d'accéder aux lieux loués.

Par ailleurs si le bailleur doit, en vertu de ce même texte, assurer la jouissance paisible des parties communes et éléments d'équipement commun, il n'est débiteur d'aucune obligation de résultat quant à la sécurité des locataires.

Enfin, aux termes de l'article 1721 du code civil, « il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail ».

Il résulte de ces textes que la condamnation du bailleur à réparer le préjudice corporel subi par un locataire à la suite d'une chute dans les escaliers communs implique que soit caractérisé, soit un défaut d'entretien par le bailleur ou le prestataire qu'il s'est substitué dans l'exécution de cette obligation, soit l'existence d'un vice ou d'un défaut empêchant l'usage par le preneur de la chose louée ou de nature à faire obstacle à sa jouissance paisible.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société [Localité 13] Habitat a conclu avec la société CBN, société spécialisée, un marché de travaux portant sur le nettoyage des parties communes de l'immeuble.

La matérialité de l'accident de Mme [M] résulte du rapport d'intervention de la brigade des sapeurs pompiers de [Localité 14] qui mentionne qu'une équipe est intervenue le 17 octobre 2017 à 13 heures 48 pour une chute dans les escaliers du [Adresse 5] à [Localité 13].

Pour justifier des circonstances de sa chute, Mme [M] verse aux débats une attestation de sa fille, Mme [D] [T], établie le 20 octobre 2017, trois jours après les faits, qui expose qu'habitant l'immeuble, elle a été avertie, par la femme qui nettoyait les parties communes, de la chute de sa mère dans les escaliers en cours de nettoyage et trempés, « sans avertissement pour signaler que les sols étaient mouillés » et qu'elle s'est immédiatement rendue auprès d'elle. Elle verse également aux débats le témoignage de M. [L], menuisier qui travaillait dans l'immeuble, et atteste avoir vu Mme [M] accidentée dans les escaliers, en cours de nettoyage, et très mouillés sans être signalés par un panneau de danger.

Toutefois, ces attestations qui n'émanent pas de témoins directs de l'accident, ne permettent pas d'en déterminer les circonstances exactes, alors qu'il est constant que Mme [M] lorsqu'elle a descendu les escaliers communs, en cours de nettoyage, était chaussée de tongs ne permettant pas de maintenir ses chevilles, qu'elle portait un enfant dans les bras et était accompagnée d'un chien.

Il est seulement établi que les marches de l'escalier, dans lequel Mme [M] est tombée venaient d'être nettoyées, de sorte qu'elles étaient encore mouillées, l'appréciation subjective de la quantité d'eau présente sur le sol par les témoins, ne suffisant pas à établir qu'elle excédait celle nécessaire à l'entretien des lieux ni à démontrer l'existence d'un vice ou d'un défaut de cet élément d'équipement commun en empêchant l'usage pour un locataire normalement vigilant ou de nature à faire obstacle à sa jouissance paisible.

Par ailleurs, il résulte des éléments versés aux débats que les faits se sont déroulés un mardi, jour habituel du nettoyage de l'immeuble - comme le précise la présidente de la société CNB dans un courriel du 14 novembre 2018 - et que le palier qu'a emprunté Mme [M] en sortant de chez elle, qui venait d'être nettoyé, était également mouillé, ce dont elle pouvait se convaincre dès la sortie de son appartement.

Dans ces conditions, la circonstance qu'un panneau signalant les opérations de nettoyage en cours et invitant les usagers à la prudence n'ait été implanté que dans le hall de l'immeuble et non sur chaque palier, ne caractérise ni une mauvaise exécution des travaux de nettoyage des parties communes par la société CBN auquel le bailleur a délégué son obligation d'entretien, ni une défectuosité de l'escalier ayant rendu celui-ci anormalement glissant ou dangereux pour les locataires, étant observé qu'une telle signalisation à chaque étage n'est rendue obligatoire par aucun texte légal ou réglementaire.

Il résulte de ce qui précède qu'il n'est établi aucun manquement de la société [Localité 13] Habitat à ses obligations contractuelles en lien de causalité avec le dommage corporel subi par Mme [M].

Sur la responsabilité de la société CBN

La responsabilité de la société CBN est recherchée - et a été retenue par le tribunal - sur le fondement de l'article 1240 du code civil aux termes duquel « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Or comme il l'a été précédemment relevé, il n'est pas démontré la présence sur le sol d'une quantité d'eau excédant celle nécessaire au nettoyage en cours des parties communes.

Par ailleurs, pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, il ne peut être reproché à la société CNB de ne pas avoir implanté à chaque étage un panneau signalant les opérations de nettoyage en cours et invitant les occupants à la prudence, ce qu'aucun texte légal ou réglementaire ne prévoit, alors qu'il incombait à Mme [M], qui pouvait se convaincre de ce que le sol était mouillé dès la sortie de son appartement, de prendre les précautions qui s'imposaient, ce qu'elle n'a pas fait en descendant l'escalier, chaussée de tongs, avec un enfant dans les bras.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'aucune faute de la société CBN en lien de causalité avec la chute de Mme [M] n'est caractérisée de sorte que sa responsabilité n'est pas engagée à ce titre.

La responsabilité de la société CBN est également recherchée sur le fondement de l'article 1242, alinéa 1, du code civil qui institue une responsabilité de plein droit, objective, en dehors de toute notion de faute qui pèse sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage, dont ce dernier ne peut s'exonérer totalement qu'en prouvant l'existence d'une cause étrangère, du fait d'un tiers ou d'une faute de la victime revêtant les caractères de la force majeure.

Lorsque la chose est par nature immobile, la preuve qu'elle a participé à la production du préjudice incombe à la victime qui doit démontrer que la chose, malgré son inertie, a eu un rôle causal et a été l'instrument du dommage par une anormalité dans son fonctionnement, son état, sa solidité ou sa position.

En l'espèce, la seule présence d'eau sur les marches des escaliers lors de leur nettoyage ne suffit pas à établir leur caractère anormalement glissant ou dangereux.

La responsabilité de la société CBN n'est donc également pas engagée à ce titre.

***********

Au bénéfice de ces observations, il convient d'infirmer le jugement et de rejeter les demandes de Mme [M], de la société MAAF formées à l'encontre de la société [Localité 13] habitat, de la société CBN et de l'assureur de cette-dernière, la société IME.

Les demandes de la CPAM, qui en sa qualité de subrogée n'a pas plus de droit que la victime qu'elle a indemnisée seront également rejetées.

Sur les demandes annexes

Compte tenu de la solution du litige, les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être infirmées.

Mme [M] et la société MAAF qui succombent dans leurs prétentions supporteront la charge des dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande, en revanche, de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Déboute Mme [K] [M] et la société mutuelle d'assurance des artisans de France PJ de l'ensemble de leurs demandes,

Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [K] [M] et la société mutuelle d'assurance des artisans de France PJ, aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/19176
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.19176 ?
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