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15/06/2023 | FRANCE | N°21/05041

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 15 juin 2023, 21/05041


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 15 JUIN 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05041 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZUM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/00576





APPELANT



Monsieur [C] [I]

C/O Mr [L] [G] - [Adresse 3]


[Adresse 3]



Représenté par Me Johanna BISOR BENICHOU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0504



INTIMÉE



S.A.R.L. GOURMANDISES

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 15 JUIN 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05041 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZUM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/00576

APPELANT

Monsieur [C] [I]

C/O Mr [L] [G] - [Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Johanna BISOR BENICHOU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0504

INTIMÉE

S.A.R.L. GOURMANDISES

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Montasser CHARNI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : BOB69

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er juillet 2017, la société Gourmandises (ci-après la société) a embauché M. [C] [I] en qualité de boulanger pour une durée du travail mensuelle de 151,67 heures, moyennant une rémunération brute mensuelle égale au SMIC.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective de la boulangerie-pâtisserie (entreprises artisanales) (3117) et la société employait moins de onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Suivant jugement du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de M. [I] en annulation de l'arrêté préfectoral du 14 juin 2019 lui refusant un titre de séjour, ayant assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et ayant fixé le pays de destination. Aux termes de ce jugement, M. [I] est un ressortissant tunisien.

Par lettre recommandée datée du 16 janvier 2020, M. [I] a informé la société qu'il prenait acte de son licenciement verbal intervenu le 14 janvier 2020.

Par lettre recommandée datée du 6 janvier 2020 mais prise en charge par la poste le 6 février 2020, la société a convoqué M. [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 17 février 2020.

Par lettre recommandée datée du 31 janvier 2020 et non réclamée, la société a notifié à M. [I] un « avertissement » pour abandon de poste tout en lui demandant de se ressaisir.

Par lettre recommandée datée du 21 février 2020, la société a notifié à M. [I] son licenciement pour faute grave en invoquant un abandon de poste depuis le 13 janvier 2020 ayant gravement perturbé le fonctionnement de l'entreprise.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 22 janvier 2020.

Par jugement du 17 mai 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- ordonné la jonction avec un autre dossier ;

- condamné la société Gourmandises à payer à M. [I] les sommes suivantes :

* 695,99 euros à titre de salaire du 1er au 13 janvier 2020 ;

* 69,59 euros au titre des congés payés afférents ;

* 5 511,98 euros à titre de solde de congés payés à la date du 31 décembre 2019 ;

* 4 818,42 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article « 8252-2 » du code du travail ;

- condamné la société Gourmandises à payer à M. [I] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté le demandeur du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Gourmandises de sa demande reconventionnelle et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Gourmandises aux dépens.

Par déclaration du 7 juin 2021, M. [I] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 février 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [I] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que son licenciement pour faute grave était justifié et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, à titre d'heures complémentaires du 1er juillet 2017 au 14 janvier 2020 et au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité légale de licenciement et à titre d'indemnité en application de l'article 8221-5 du code du travail ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

* 695,99 euros à titre de salaire du 1er janvier au 13 janvier 2020 ;

* 69,59 euros au titre des congés payés afférents ;

* 5 511,98 euros à titre de solde de congés payés à la date du 31 décembre 2019 ;

* 4 818,42 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article L. 8252-2 du code du travail ;

statuant à nouveau,

- fixer son salaire brut moyen mensuel à la somme de 1 606,14 euros ;

à titre principal,

- dire et juger qu'il a fait l'objet d'un licenciement verbal le 14 janvier 2020 ;

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 695,99 euros à titre de salaire de la période du 1er au 13 janvier 2020 ;

* 69,60 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 606,14 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

* 5 511,98 euros au titre du solde de ses droits à congés payés à la date du 31 décembre 2019 (75,5 jours) ;

* 58 376,88 euros à titre d'heures supplémentaires de la période du 1er juillet 2017 au 14 janvier 2020 ;

* 5 837,69 euros à titre de congés payés afférents ;

* 3 212,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 321,23 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 018,34 euros à titre d'indemnité légale de licenciement (ancienneté : 2 ans, 6 mois et 13 jours) ;

* 4 818,42 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article L 8252-2 du code du travail (3 mois) ;

* 9 636,84 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail (6 mois) ;

* 3 500 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'intérêt légal ;

- les dépens ;

à titre subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement pour faute grave est injustifié ;

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 695,99 euros à titre de salaire de la période du 1er au 13 janvier 2020 ;

* 69,60 euros à titre de congés payés afférents ;

* 5 511,98 euros au titre du solde de ses droits à congés payés à la date du 31 décembre 2019 (75,5 jours) ;

* 58 376,88 euros à titre d'heures supplémentaires de la période du 1er au 14 juillet 2020 ;

* 5 837,69 euros à titre de congés payés afférents ;

* 3 212,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 321,23 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 018,34 euros à titre d'indemnité légale de licenciement (ancienneté : 2 ans, 6 mois et 13 jours) ;

* 4 818,42 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article L 8252-2 du code du travail (3 mois) ;

* 9 636,84 euros à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail (6 mois) ;

* 3 500 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'intérêt légal ;

- les dépens ;

en toute hypothèse,

- ordonner à la société de lui délivrer ses bulletins de salaire de la période du 1er juillet 2017 au 14 janvier 2020, son certificat de travail et son attestation Pôle emploi, le tout conforme, sous astreinte globale de 250 euros par jour de retard ;

- débouter la société de toutes ses demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 novembre 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a condamnée à payer au salarié la somme de 4 818,42 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article 8252-2 du code du travail ;

- l'infirmer sur ce point ;

y ajoutant,

- condamner M. [I] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.

L'intimée a notifié par voie électronique des conclusions le 27 janvier 2023 soit postérieurement à l'ordonnance de clôture. De ce fait, ces conclusions sont irrecevables et la cour ne peut pas les prendre en compte.

MOTIVATION

La cour relève que la société n'a pas fait appel incident du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en remboursement d'une dette locative du salarié et que l'appel principal ne porte pas non plus sur ce chef du jugement. La cour constate l'absence d'effet dévolutif à ce titre.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

« (') Nous avons à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave.

Nous avons, en effet, pris connaissance des faits suivants :

Vous n'avez pas repris votre poste de travail depuis le 13 janvier dernier, sans autorisation préalable et sans même nous en informer.

Comme vous pouviez vous en douter, votre comportement a eu pour effet de bouleverser totalement l'organisation de la boulangerie et de provoquer le mécontentement de nos clients, dans une période particulièrement difficile pour l'entreprise, ce que vous n'êtes pas sans savoir.

A ce jour, nous n'avons reçu aucun justificatif à votre absence et vos agissements constitutifs d'un abandon de poste ont, par ailleurs, mis en difficulté votre employeur.

Vous n'avez pas cru devoir vous présenter à votre entretien préalable du 17 février 2020.

Nous ne pouvons plus tolérer ce comportement empreint d'irresponsabilité et qui a pour effet de perturber gravement le fonctionnement de l'entreprise.

Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de cette gravité, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible fusse pendant la durée du préavis ; Le licenciement prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date de première présentation de la présente, sans indemnité de préavis ni de licenciement. ('). »

* sur le licenciement

* sur le licenciement verbal

M. [I] soutient que, le 13 janvier 2020, le gérant de la société lui a dit que, s'il n'était pas content, « la porte était grande ouverte pour lui » et qu'il avait constaté, le 14 janvier suivant, qu'il avait été remplacé et que le gérant de la société lui avait dit qu'« il n'avait plus besoin de lui ». C'est dans ces circonstances que M. [I] soutient qu'il a été licencié verbalement le 14 janvier 2020 et qu'il en a pris acte le 16 janvier suivant.

Ce à quoi la société réplique qu'à partir du 13 janvier 2020, M. [I] a cessé de se présenter sur son lieu de travail, en dépit de plusieurs appels téléphoniques passés par l'employeur ce jour-là ; que M. [I] a pris acte de son prétendu licenciement verbal le 16 janvier 2020 pour préparer son contentieux prud'homal. La société fait valoir qu'elle lui a notifié un avertissement pour abandon de poste le 31 janvier 2020 puis qu'elle l'a convoqué à un entretien préalable le 6 février suivant.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que l'employeur, qui a manifesté, avant l'entretien préalable, la volonté irrévocable de rompre le contrat de travail, a procédé à un licenciement verbal dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, les propos rapportés par M. [I] comme ayant été tenus le 13 janvier 2020, outre qu'ils ne sont étayés par aucun élément de preuve, ne manifestent pas une volonté irrévocable de rompre le contrat de travail.

S'agissant de l'échange intervenu le 14 janvier 2020, M. [I] verse aux débats une attestation de M. [L] [G] qui déclare avoir accompagné M. [I] au [Adresse 2] à [Localité 4] correspondant à son lieu de travail et qu'entre trois et six heures du matin, M. [I] n'a obtenu aucune réponse lorsqu'il a frappé à la porte pour prendre son service ; qu'à sept heures du matin, M. [I] est entré dans la boulangerie par l'entrée réservée à la clientèle ; que le « patron » était là mais qu'il n'a pas entendu la conversation entre M. [I] et le « patron ».

Il ne peut être conclu, sur la base de ces seuls éléments, que l'employeur a procédé le 14 janvier 2020 à un licenciement verbal de M. [I] ni que M. [I] ne s'est plus présenté ensuite à son poste de travail en raison d'un tel licenciement.

Par conséquent, le licenciement n'est ni entaché d'irrégularité procédurale ni dépourvu de cause réelle et sérieuse puisque le licenciement verbal allégué n'est pas démontré.

* sur la faute grave

M. [I] soutient que son licenciement pour faute grave n'est pas justifié.

Ce à quoi la société réplique que la présentation d'un faux titre de séjour par le salarié constitue une faute grave et fait valoir que M. [I] lui avait présenté une carte d'identité portugaise lors de l'embauche.

La société réplique également que l'absence injustifiée du salarié est constitutive d'une faute grave et fait valoir que M. [I] s'est absenté sans raison à compter du 13 janvier 2020 et qu'il n'a pas répondu aux appels téléphoniques de son employeur le 13 janvier 2020

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la cour relève, tout d'abord, que la présentation d'un faux titre de séjour n'est pas un grief énoncé dans la lettre de licenciement. L'employeur n'est donc pas fondé à invoquer un tel motif dans le cadre de la présente procédure pour justifier le licenciement pour faute grave.

Ensuite, s'agissant de l'abandon de poste qui est reproché à M. [I], il ressort des éléments de la cause que M. [I] n'a plus travaillé à compter du 13 janvier 2020. Or, la cour ayant considéré que le licenciement verbal allégué n'était pas démontré, l'absence injustifiée de M. [I] est établie. La cour relève également que, le 31 janvier 2020, cette absence avait donné lieu à un avertissement mais qu'elle s'est prolongée après cette sanction.

La société produit une attestation de M. [A] [B], qui déclare qu'au début du mois de janvier 2020, M. [I] lui avait dit qu'il comptait les heures jusqu'à 12h-12h30 pour pouvoir partir tellement « il en avait marre » de travailler et qu'il préférait ouvrir son commerce.

L'absence injustifiée de M. [I] pendant plusieurs semaines rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. Le licenciement de M. [I] n'est donc pas dépourvu de cause réelle et sérieuse et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Corollairement, M. [I] sera débouté de ses demandes d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement. La décision des premiers juges sera également confirmée à ces titres.

* sur l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8252-2 du code du travail

Le salarié soutient que le texte prévoit que la rupture abusive du contrat de travail d'un salarié clandestin est sanctionnée par le versement de trois mois de salaire ce qui justifie, selon lui, sa demande à hauteur de 4 818,42 euros (1 606,14 euros x 3 mois).

Ce à quoi la société réplique que le licenciement pour faute grave fait perdre au salarié le bénéfice de cette indemnité forfaitaire.

L'article L. 8252-2 du code du travail prévoit que le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite :

(')

2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable.

(')

Lorsque l'étranger non autorisé à travailler a été employé dans le cadre d'un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1, soit des dispositions du présent chapitre si celles-ci lui sont plus favorables.

Le conseil de prud'hommes saisi peut ordonner par provision le versement de l'indemnité forfaitaire prévue au 2°.

Ces dispositions ne font pas obstacle au droit du salarié de demander en justice une indemnisation supplémentaire s'il est en mesure d'établir l'existence d'un préjudice non réparé au titre de ces dispositions.

En l'espèce, M. [I] fonde implicitement mais nécessairement sa demande d'indemnité sur le 2° de l'article L. 8252-2 précité puisqu'il se prévaut du caractère abusif de son licenciement.

Cette disposition ne subordonne pas le bénéfice de l'indemnité forfaitaire au caractère abusif de la rupture de la relation de travail mais M. [I] ne peut toutefois prétendre qu'à l'une des deux indemnités forfaitaires suivantes : soit celle prévue par le 2° de l'article L. 8252-2 du code du travail, soit celle prévue par l'article L. 8823-1 du code du travail dans l'hypothèse d'un travail dissimulé.

Par conséquent, la cour tranchera sa demande une fois qu'elle aura statué sur l'existence ou pas d'un travail dissimulé.

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur le rappel de salaire et les congés payés afférents

Le salarié et la société sollicitent tous deux la confirmation du jugement de sorte que la cour confirme la décision des premiers juges à ce titre.

* sur le solde de congés payés

Le salarié et la société sollicitent tous deux la confirmation du jugement de sorte que la cour confirme la décision des premiers juges à ce titre.

* sur le rappel d'heures supplémentaires et les congés payés afférents

M. [I] soutient que la société a profité de sa situation précaire pour lui imposer des horaires de travail 'démentiels' soit du lundi au samedi, de trois heures du matin à quatorze heures (66 heures hebdomadaires ou 285 heures mensuelles).

Ce à quoi la société réplique que le salarié s'est limité à présenter une demande en paiement de la somme de 58 376,88 euros pour la première fois en janvier 2020. Elle fait valoir qu'elle produit de nombreux témoignages de voisins immédiats, clients ou partenaires de la société dont il ressort que M. [I] travaillait exclusivement du lundi au vendredi de cinq heures du matin à douze heures avec une pause de vingt minutes entre neuf heures et dix heures. La société fait encore valoir qu'elle n'a jamais demandé à M. [I] d'effectuer des heures supplémentaires et que les relevés qu'il fournit sont de simples allégations et ne sont pas probants.

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail dans leur version applicable à l'espèce qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [I] produit des tableaux hebdomadaires de ses horaires de travail pour la période du 1er juillet 2017 au 14 janvier 2020 ainsi qu'un tableau récapitulatif qui fait ressortir, selon ses calculs, 1 064 heures supplémentaires majorées de 25% et 3 059 heures supplémentaires majorées de 50% sur la période de juillet 2017 à janvier 2020 inclus.

Ces tableaux sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, produit plusieurs attestations dont notamment :

- celle de M. [T] [F], client de la boulangerie, qui déclare avoir croisé plusieurs fois M. [I] avec un sac de sport vers 12h30 pour aller jouer au football avec lui ;

- celle de M. [P] [Z], machiniste-receveur, qui déclare habiter dans la rue où est située la boulangerie ; qu'il travaille de six heures du matin à midi ; qu'il passe prendre son pain à la boulangerie vers midi et demi et qu'il croise M. [I] en train de finir son service. Il déclare encore partir vers quatre heures et demie du matin pour aller travailler ; que la boulangerie n'est jamais ouverte à cette heure-là et que M. [I] lui a dit commencer le travail à cinq heures ;

- celle de M. [X] [R], « commercial farine », qui déclare passer à la boulangerie tous les quinze jours et avoir constaté que M. [I] quitte son poste de travail vers douze heures ;

- celle de Mme [W] [U], qui déclare habiter au-dessus de la boulangerie et constate qu'il n'y a aucune activité dans la boulangerie entre quatre heures et cinq heures du matin lorsqu'elle part au travail ; que, lorsqu'elle travaille de nuit, elle rentre vers cinq heures et quart du matin, qu'il n'y a pas de lumière dans la boulangerie à cette heure-là et que les moteurs du pétrin ne sont toujours pas en marche ;

- celle de M. [S] [H], serveur au bar Trianon qui se trouve en face de la boulangerie, qui déclare avoir croisé à plusieurs reprises M. [I] sortant de la boulangerie vers midi et demi lorsqu'il allait chercher des baguettes ;

- celle de Mme [J] [E], voisine et cliente, qui déclare entendre le bruit des machines de boulangerie et la radio à partir de cinq heures du matin car elle habite dans la cour juste au-dessus du fournil-laboratoire ;

- celle de M. [D] [M], « responsable secteur », qui déclare que les livreurs ne peuvent pas livrer entre quatre heure et demie et cinq heures et demie du matin car il n'y a personne à la boulangerie.

Partant, eu égard à l'ensemble de ses éléments, la cour retient l'existence d'heures supplémentaires, mais dans une proportion moindre que celle avancée par M. [I] et condamne la société à payer à M. [I] les sommes suivantes :

* 10 558 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires ;

* 1 055,80 euros au titre des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

M. [I] soutient que la société ne pouvait ignorer les heures de travail qu'elle lui imposait et estime que son intention de dissimuler est, dès lors, établie.

La société ne développe aucune argumentation en réponse à cette demande.

Selon l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du code du travail prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La somme importante allouée au titre du rappel d'heures supplémentaires est révélatrice de l'intention de dissimuler des heures de travail accomplies régulièrement.

Par conséquent, sur la base d'un salaire brut mensuel de 1 581,14 euros calculé sur la base des bulletins de paie versés aux débats, M. [I] peut prétendre à une indemnité de 9 486,84 euros tandis que, sur le fondement du 2° de l'article L. 8252-2 du code du travail, il ne peut prétendre qu'à une indemnité de 4 743,42 euros.

En l'espèce, l'indemnité la plus favorable au salarié est donc celle prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail.

Ainsi la société sera-t-elle condamnée à payer à M. [I] la somme de 9 486,84 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail. La décision des premiers juges sera donc infirmée en ce qu'elle a alloué à M. [I] une somme de 4 818,42 euros au titre de l'article L. 8252-2 du code du travail et en ce qu'elle l'a débouté de sa demande d'indemnité forfaitaire au titre de l'article L. 8223-1 du code du travail.

Sur les autres demandes

* sur la remise des documents

La société devra remettre à M. [I] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

* sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens en appel et la décision des premiers juges sur les dépens de première instance sera confirmée.

La société sera également condamnée à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La décision des premiers juges sur les frais irrépétibles sera confirmée puisqu'aucune des parties n'a sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté les deux parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

CONFIRME, dans la limite des chefs déférés à la cour, le jugement sauf en ce qu'il a alloué à M. [C] [I] une indemnité forfaitaire sur le fondement de l'article L. 8252-2 du code du travail, l'a débouté de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et des congés payés afférents et de sa demande d'indemnité forfaitaire sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Gourmandises à payer à M. [C] [I] les sommes suivantes :

* 9 486,84 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail ;

* 10 558 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires ;

* 1 055,80 euros au titre des congés payés afférents ;

ORDONNE à la société Gourmandises de remettre à M. [C] [I] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision ;

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

CONDAMNE la société Gourmandises à payer à M. [C] [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Gourmandises aux dépens en appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/05041
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.05041 ?
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