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15/06/2023 | FRANCE | N°21/04986

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 15 juin 2023, 21/04986


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 15 JUIN 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04986 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZND



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F17/00779





APPELANTE



S.A.S. NOMINATION

[Adresse 1]
r>[Localité 3]



Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050



INTIMÉ



Monsieur [T] [S]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représenté par Me Eric ALLIGNE, avoca...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 15 JUIN 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04986 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZND

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F17/00779

APPELANTE

S.A.S. NOMINATION

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

INTIMÉ

Monsieur [T] [S]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Eric ALLIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2458

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 10 février 2015, la société Nomination (ci-après la société) a embauché M. [T] [S] en qualité d'ingénieur commercial, statut cadre 2.2, coefficient 130, moyennant une rémunération brute annuelle fixe de 42 000 euros, soit une rémunération brute mensuelle de 3 500 euros, outre une rémunération variable en fonction de la réalisation des objectifs fixés et définis le 17 février 2015.

La période d'essai, d'une durée de quatre mois, a pris fin le 9 juin 2015.

Par avenant en date du 8 juillet 2015 à effet au 1er juillet, la rémunération fixe a été portée à la somme brute annuelle de 45 000 euros et s'ajoutent à cette rémunération un variable annuel distribuable de 20 000 euros et des primes exceptionnelles ' les commissions et les primes étant définies dans une lettre d'objectifs.

Une lettre d'objectifs signée le 16 juillet 2015 a défini les règles de calcul des commissions pour l'exercice 2015-2016 et les primes d'atteinte des objectifs.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC) et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Dès le mois de juillet 2015, le service commercial au sein duquel travaillait M. [S] a été réorganisé sous la supervision de M. [C] [U].

Par lettre remise en main propre datée du 1er mars 2016, la société a convoqué M. [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 mars 2016 et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée datée du 11 mars 2016 avec avis de réception, la société a notifié à M. [S] son licenciement pour faute grave (insubordination du salarié).

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 2 février 2017.

Par jugement du 7 mai 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la société à payer à M. [S] les sommes suivantes :

* 1 379,92 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ;

* 6 085 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 278 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

* 1 000 euros à titre de rémunération variable ;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la décision ;

- ordonné la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1154 devenu 1343-2 du code civil ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- débouté M. [S] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société de ses demandes reconventionnelles ;

- condamné la société aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 7 juin 2021, la société a régulièrement interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 février 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [S] les sommes suivantes :

* 1 379,92 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ;

* 6 085 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 278 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

* 1 000 euros à titre de rémunération variable ;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

en ce qu'il a rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la décision et ordonné la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil, ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles et condamnée aux dépens de l'instance ;

- juger M. [S] mal fondé en son appel incident et en toutes ses demandes ;

- l'en débouter ;

- condamner M. [S] à lui verser la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il lui a volontairement occasionné ;

- condamner M. [S] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimé transmises par voie électronique le 1er décembre 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [S] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

- dire et juger qu'il est fondé en ses demandes ;

- débouter la société en toutes ses demandes et demandes reconventionnelles ;

- dire et juger que son licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes au titre de tous les préjudices subis :

* 29 400 euros au titre des commissions de ventes non réglées ;

* 73 020 euros au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive ;

* 8 316 euros au titre du rappel de salaire lié à la période non réglée du préavis et à la mise à pied conservatoire ;

* 1 278 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

- prononcer la capitalisation des intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du code civil ;

- condamner pour la procédure d'appel la société à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens au titre de l'article 696 du même code.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur les 'commissions de vente' non réglées

M. [S] soutient que des commissions et des primes lui sont contractuellement dues à hauteur de 29 400 euros selon le calcul suivant :

3 000 euros de primes + 8% de commissions sur un chiffre d'affaires facturé de 330 000 euros soit 26 400 euros. M. [S] se fonde sur le document intitulé Objectifs and Pay Plan 2015-2016 et fait valoir qu'aucune de ces commissions et primes ne lui ont été versées.

Ce à quoi la société réplique que M. [S] prétend à une rémunération variable sur des prévisions de vente et « gonfle » ainsi son chiffre d'affaires en ajoutant une somme de 90 000 euros au titre des renouvellements tacites alors que le dispositif contractuel rémunère les ventes effectives puisque les commissions sont calculées sur les montants facturés. Elle réplique encore que M. [S] a perçu toutes les rémunérations à laquelle il avait droit.

Aux termes du document signé par les parties et intitulé « Objectifs and Pay Plan 2015-2016 auquel renvoie l'avenant au contrat de travail, « les commissions sont calculées chaque mois sur le montant facturé et versées le mois suivant :

Montant de la commission due = CA facturé x taux de base

Dès que le chiffre d'affaires dépasse 100% de l'objectif annuel, le taux de base est remplacé par le taux de dépassement pour le calcul des commissions.

Aucun plafond n'est fixé pour le calcul et le versement des commissions. »

Le document précise que l'objectif annuel est de 250 000 euros, le variable distribuable de 20 000 euros, le taux de base 8% et le taux de dépassement (taux de base x 1,25).

S'agissant de la prime d'atteintes des objectifs, « en complément des commissions perçues, des primes trimestrielles et une prime annuelle d'un montant total de 5 000 euros seront distribuées si 100% de l'objectif CA est atteint (facturé) par la direction commerciale à chaque période :

Si la direction commerciale atteint 100% de son objectif du 1er trimestre, la prime est de 1 000 euros

Si la direction commerciale atteint 100% de son objectif du 2e trimestre, la prime est de 1 000 euros

Si la direction commerciale atteint 100% de son objectif du 3e trimestre, la prime est de 1 000 euros

Si la direction commerciale atteint 100% de son objectif annuel, la prime est de 2 000 euros ».

Un tableau fixe ensuite les objectifs par mois et par trimestre de M. [S] en euros et hors taxe.

Il ressort clairement des stipulations contractuelles que les commissions sont calculées sur le montant facturé et non sur des prévisions de facturation fondées notamment sur des renouvellements tacites de contrats.

M. [S], allègue au soutien de sa demande un total de vente au 9 février 2016 de 240 000 euros pour un objectif initial de 180 000 euros et produit un document concernant le mois de février 2016 « atterrissage février » dont la cour conclut, d'après le bordereau de pièces, qu'il s'agit de sa pièce n°5C ' ses pièces n'étant pas numérotées. Or, selon ce document, M. [S] a réalisé un chiffre d'affaires de 26 605 euros en février 2016 de sorte qu'il a dépassé l'objectif de 17 500 euros fixé dans le tableau pour le mois de février 2016 mais, alors que son bulletin de paie de mars 2016 mentionne une somme de 2 544 euros au titre des commissions de février, M. [S] n'indique pas la somme qu'il estime lui être due au titre des commissions du mois de février 2016. Par ailleurs, M. [S] qui avance un chiffre d'affaires moyen mensuel de plus de 25 000 euros ne produit pas les CRM qu'il dit avoir rempli pour les mois autres que février 2016.

En résumé, M. [S] ne produit pas de décompte fondé sur le chiffre d'affaires facturé mais se borne à évoquer des montants prévisionnels globaux de sorte qu'il n'établit pas son droit à commission. Sa demande sera donc rejetée.

S'agissant des primes qui sont calculées non en fonction des performances individuelles mais en fonction des performances de la direction commerciale, il ressort des éléments versés aux débats que M. [S] s'est vu allouer une prime de 1 000 euros pour l'objectif atteint collectivement au deuxième trimestre (octobre, novembre et décembre). En revanche, aucun élément ne permet de conclure qu'il s'est vu allouer la prime pour le troisième trimestre (janvier, février et mars). Or, s'agissant d'un objectif collectif, il appartient à l'employeur de démontrer que la direction commerciale n'avait pas atteint son objectif du troisième trimestre pour justifier du non versement de la prime de 1 000 euros au titre de ce troisième trimestre. Ce qu'elle ne fait pas de sorte qu'elle sera condamnée à payer à M. [S] la somme de 1 000 euros au titre de cette prime. Il appartient également à la société de démontrer que la direction commerciale n'avait pas atteint son objectif annuel pour justifier du non versement de la prime annuelle. Ce qu'elle ne fait pas non plus. Elle sera donc condamnée à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre de la prime annuelle.

La décision des premiers juges sera donc infirmée sur le quantum des primes.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« ['] Notre société intervient sur un secteur en pleine mutation et il est nécessaire, pour répondre à l'évolution des demandes que peuvent formuler les clients, de s'adapter aux nouveaux enjeux.

Nous avons de ce fait développé une nouvelle politique commerciale et mis en place de nouveaux outils.

Or, depuis plusieurs mois, vous manifestez une réticence nette à l'égard de ces évolutions.

Votre supérieur hiérarchique, Monsieur [C] [U], s'en est entretenu avec vous à plusieurs reprises et vous a donné des instructions précises auxquelles vous n'avez pas donné suite.

Nous vous avons reçu pour nous entretenir avec vous de la difficulté sans que cela ne provoque une quelconque modification de vos méthodes de travail et de votre attitude.

Nous vous avons même notifié un avertissement dans l'espoir d'obtenir un changement de votre part.

A cette occasion puis dans le cadre des échanges qui ont suivi cet avertissement, nous vous avons demandé, non seulement de faire évoluer votre attitude, mais également donné des instructions précises pour vous y aider.

Ainsi, nous avons demandé de :

1.remplir l'outil CRM de toutes les opportunités commerciales sur lesquelles vous travaillez en détaillant leur avancement,

2.compléter votre agenda pour y faire apparaître les rendez-vous que vous prenez (qui doivent être d'au moins 5 par semaines) et ce en ayant une visibilité sur plusieurs semaines afin de permettre à votre supérieur d'efficacement vous assister et de vous soutenir dans la préparation desdits rendez-vous,

3.établir un compte rendu journalier de vos activités,

Nos demandes restent cependant vaines. Votre agenda restant particulièrement obscur et n'ayant reçu aucun compte-rendu d'activité, à l'exception d'un seul, nous vous avons demandé de nous préciser ce que vous aviez fait le mercredi 17 février au matin ainsi que le 19 février.

Notre demande est, là aussi, restée lettre morte.

En définitive, vous avez accumulé plusieurs absences injustifiées le mois dernier.

Vous avez une attitude de défiance ouverte à l'égard de votre supérieur hiérarchique dont vous remettez l'autorité en cause devant les membres de l'équipe commerciale.

Les qualités professionnelles ne peuvent se limiter à des résultats satisfaisants mais incluent tout autant l'adhésion à l'esprit de l'entreprise.

Votre attitude et votre obstination à ne pas donner suite à nos demandes caractérisent une insubordination inadmissible.

Au cours de l'entretien préalable vous nous avez indiqué considérer que la méthode que vous employiez était la plus adaptée et celle mise en place au sein de notre entreprise, inefficace et que vous n'envisagiez donc pas de modifier la situation.

Dans ces circonstances, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave, votre maintien dans l'entreprise étant inenvisageable pendant la durée d'un préavis ['] »

* sur le bien-fondé du licenciement

La société reproche une faute grave à M. [S] qu'elle résume sous l'expression « insubordination inadmissible ».

Ce à quoi M. [S] réplique qu'il avait de très bons résultats voire les meilleurs de l'équipe et qu'il s'agit de la véritable raison de son licenciement.

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

Au soutien de la faute grave reprochée à M. [S], la société invoque une insubordination caractérisée qui s'est manifestée, selon elle, par :

- une « réticence nette » à l'égard de la nouvelle politique commerciale et des nouveaux outils mis en place ;

- le refus de suivre les instructions et de modifier ses méthodes de travail et son attitude : refus de remplir l'outil « CRM » de toutes les opportunités commerciales sur lesquelles le salarié travaille en détaillant leur avancement ; refus de compléter son agenda pour y faire apparaître les rendez-vous (au moins cinq par semaine) avec une visibilité sur plusieurs semaines ; refus d'établir un compte rendu journalier de ses activités ;

- plusieurs absences injustifiées « le mois dernier » (février 2016) ;

- une attitude de défiance ouverte à l'égard de son supérieur hiérarchique, M. [C] [U] avec remise en cause de son autorité devant les membres de l'équipe commerciale.

A l'appui des griefs retenus dans la lettre de licenciement, la société verse essentiellement aux débats des courriels émanant de M. [C] [U], directeur du développement et supérieur hiérarchique de M. [S], chargé d'impulser la nouvelle politique commerciale et de M. [K] [V], directeur général, qui intervient en appui de M. [U] à partir du mois de février 2016 dans les échanges avec M. [S].

L'examen de l'ensemble des courriels produits sur la période allant du mois d'octobre 2015 au mois de février 2016 révèle que M. [U] puis M. [V] ont, à plusieurs reprises, reproché à M. [S] de ne pas se conformer à leurs directives sur les méthodes de travail à mettre en 'uvre : remplir l'outil CRM Salesforce, mentionner sur l'agenda partagé Gmail les rendez-vous de la semaine et des semaines suivantes, envoyer un rapport d'activité quotidien, participer aux sessions phoning de l'équipe.

Ainsi apparaît-il que M. [S] n'a pas participé à la session phoning du 24 novembre 2015 et qu'en dépit de l'insistance de M. [U] pour qu'il assiste aux suivantes et les note dans son agenda, M. [S] n'a pas participé à celle du 5 janvier 2016. A cet égard, un courriel envoyé par M. [U] le 5 janvier 2016 à l'équipe détaille les résultats de la session et mentionne 0 pour M. [S].

Ainsi apparaît-il également que M. [U] a sollicité M. [S] sur l'état de ses rendez-vous le 2 décembre 2015 pour « tourner » avec lui et que, le 14 décembre 2015, il a relancé M. [S] en l'absence de réponse et de mention de rendez-vous sur son agenda. Il apparaît encore que, le 14 décembre 2015, M. [U] a demandé à M. [S] un point sur ses dossiers avec les prévisions et les planifications de rendez-vous et que M. [S] a répondu à ce message le 16 décembre 2015 de manière lapidaire sur les prévisions dans les dossiers évoqués sans communiquer aucune information sur ses rendez-vous.

Il apparaît enfin que, le 6 janvier 2016, M. [U] a de nouveau reproché à M. [S] de ne pas remplir son agenda Gmail et de ne pas renseigner CRM Salesforce sur son activité. Sont produits des extraits de l'agenda de M. [U] paramétré pour faire apparaître les agendas des membres de son équipe dont celui de M. [S] à la date du 6 janvier 2016 pour toutes les semaines du mois de janvier : les rendez-vous de M. [S] apparaissent en rouge et seuls deux sont inscrits pour le mois de janvier alors que M. [S] ne se plaint pas d'avoir des difficultés à trouver des clients et revendique de très bons résultats et que l'objectif de cinq rendez-vous par semaine est demandé aux salariés.

Le 22 janvier 2016, M. [U] envoie un courriel à M. [S] dans lequel il constate son absence au point individuel qui était prévu.

Il ressort encore de ces courriels que M. [S] a fait l'objet de plusieurs recadrages par M. [U] et qu'un avertissement lui a été notifié le 16 février 2016 par M. [V]. Le 17 février 2016, M. [V] rappelle précisément à M. [S] les consignes qui lui ont été données par courriel envoyé à 11h22 au salarié. Par courriel envoyé à 13h13, M. [S] répond qu'il est entre deux rendez-vous, que son agenda est à jour et ses affaires connues et demande ce qu'il doit mettre dans le rapport d'activité. Par courriel envoyé à 17h24, M. [V] lui répond et lui rappelle que le sens de ce qui lui est demandé a déjà été expliqué et relève qu'il n'a pas eu le reporting de la veille, ni celui du jour et qu'un seul rendez-vous est noté dans l'agenda pour le 17 février. Par courriel du 22 février 2016 à 17h39, M. [S] envoie à M. [V] et à M. [U] un reporting lapidaire des affaires sur lesquelles il a travaillé au cours de la journée.

Si les courriels manifestent que l'employeur a appelé l'attention de M. [S] sur la nécessité de suivre les nouvelles méthodes et d'utiliser les nouveaux outils mis en place et qu'il a déploré que M. [S] ne le fasse pas, en dépit de ses demandes réitérées pendant plusieurs mois, le refus de M. [S] de se soumettre aux directives de sa hiérarchie n'est pas objectivé sur la durée par la production d'éléments tels que des extraits de l'outil CRM et de l'agenda Gmail. A cet égard, seule une extraction de l'agenda à la date du 6 janvier 2016 pour les semaines du mois de janvier sont versées aux débats. La cour observe, en outre, qu'aucune attestation des auteurs des courriels n'est versée aux débats.

Dès lors, il ressort des éléments produits par l'employeur que M. [S] s'est montré très lapidaire dans les réponses à sa hiérarchie sur son activité en deux occasions et qu'il n'a pas souhaité que M. [U] l'accompagne lors de ses rendez-vous.

S'agissant de l'attitude de M. [S] en réunion d'équipe à l'égard de son supérieur hiérarchique, le courriel de M. [U] du 22 octobre 2015 se borne à évoquer un comportement déplacé sans préciser les faits ou les propos reprochés à M. [S].

Quant à la réponse faite par M. [S] le 14 décembre 2015 sur le « draft de propal », elle ne manifeste pas un refus d'accomplir un travail mais évoque des difficultés et présente des arguments.

Dans ces conditions, la société est défaillante dans la preuve qui lui incombe de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. La décision des premiers juges sera donc confirmée à ce titre.

* sur les conséquences du licenciement

* sur l'indemnité compensatrice de préavis 

M. [S] sollicite la confirmation de la somme allouée en première instance soit 6 085 euros tandis que la société ne conclut pas spécialement sur cette indemnité.

Suivant l'article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.

L'article L. 1234-5 du code du travail dispose :

Lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L. 1235-2.

En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, l'indemnité compensatrice de préavis due à M. [S] correspond au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis d'une durée d'un mois soit la somme de 6 085 euros. La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur l'indemnité légale de licenciement

M. [S] sollicite la confirmation de la somme allouée en première instance soit 1 278 euros tandis que la société ne conclut pas spécialement sur cette indemnité.

Aux termes de l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction applicable en l'espèce,

En application de l'article L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail dans leur rédaction applicable à la date du licenciement et eu égard à la moyenne des douze derniers mois de salaire revendiquée par M. [S], la société sera condamnée à payer à M. [S] la somme de 1 278 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, dans la limite du quantum de la somme sollicitée, et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Toutefois, selon l'article L. 1235-5 du même code dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives :

1° Aux irrégularités de procédure, prévues à l'article L. 1235-2 ;

2° A l'absence de cause réelle et sérieuse, prévues à l'article L. 1235-3 ;

3° Au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l'article L. 1235-4.

Le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Toutefois, en cas de méconnaissance des dispositions des articles L. 1232-4 et L. 1233-13, relatives à l'assistance du salarié par un conseiller, les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l'article L. 1235-2 s'appliquent même au licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

En l'espèce, M. [S] soutient qu'il a été victime d'un harcèlement moral de la part de l'employeur et que ce harcèlement s'est poursuivi après son licenciement puisque la société a reproché à la société Histoire d'Adresses de vouloir l'embaucher. A cet égard, M. [S] produit aux débats des sms que Mme [R] [W] aurait échangé avec M. [U]. Néanmoins, en l'absence d'attestation de Mme [W], ces sms ne permettent pas d'établir avec certitude l'identité des personnes qui les ont échangés.

M. [S] fait valoir être resté deux ans sans emploi et justifie avoir été admis au bénéfice de l'aide au retour à l'emploi à compter du 18 octobre 2016 et en bénéficié toujours au 30 septembre 2017 et produit ses avis d'imposition pour 2019 et 2020. M. [S] ne fournit pas d'autres éléments sur sa situation professionnelle.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge - 41 ans - de son ancienneté - un peu plus d'un an - de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il sera alloué à M. [S], en application de l'article L. 1235-5 du code du travail, une somme de 15 000 euros, suffisant à réparer son entier préjudice. La décision des premiers juges sera donc confirmée à ce titre.

* sur le rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire

M. [S], qui sollicite un rappel de 2 231 euros résultant de l'application de la fraction 11/30e à la somme de 6 085 euros, ne justifie d'une retenue de salaire au titre de la mise à pied conservatoire qu'à hauteur de la somme de 1 379,92 euros pour la période du 2 au 11 mars 2016. En l'absence d'éléments complémentaires, la société sera condamnée à lui payer cette somme et la décision des juges du fond sera confirmée à ce titre.

Sur les autres demandes

* sur les intérêts et leur capitalisation

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce. La capitalisation des intérêts dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

* sur le remboursement à Pôle emploi

En application de l'article L. 1235-5 du code du travail, il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [S], eu égard à son ancienneté inférieure à deux ans.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens et la décision des premiers juges au titre des dépens de première instance sera confirmée.

La société sera également condamnée à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles. La décision des premiers juges au titre de ces frais sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions hormis sur le quantum des primes;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Nomination à payer à M. [T] [S] la somme de 3 000 euros au titre de la prime du troisième trimestre et au titre de la prime annuelle;

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

DIT n'y avoir lieu d'ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] [S] ;

CONDAMNE la société Nomination à payer à M. [T] [S] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes;

CONDAMNE la société Nomination aux dépens en appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04986
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.04986 ?
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