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15/06/2023 | FRANCE | N°19/22853

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 10, 15 juin 2023, 19/22853


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 10



ARRÊT DU 15 JUIN 2023



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/22853 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBFH7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Novembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Créteil RG n° 18/06335





APPELANTE



SELARL GTVB, agissant poursuites et diligences ses représentants légaux, domiciliés Ã

¨s qualités audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 11]



Représentée et assisté à l'audience de Me Jérôme ROCHELET de la SELARL LIGNER & ROCHELET, avocat au barreau de PARIS, toq...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/22853 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBFH7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Novembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Créteil RG n° 18/06335

APPELANTE

SELARL GTVB, agissant poursuites et diligences ses représentants légaux, domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 11]

Représentée et assisté à l'audience de Me Jérôme ROCHELET de la SELARL LIGNER & ROCHELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0711

INTIMES

Monsieur [E] [F]

né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 12]

[Adresse 3]

[Localité 6]

ET

GMF ASSURANCES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentés et assistés à l'audience Me Patrice ITTAH de la SCP LETU ITTAH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0120

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été plaidée le 11 Mai 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Florence PAPIN, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

M. Laurent NAJEM, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Valérie MORLET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA , Greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Faits et procédure

Monsieur [B] [I], chirurgien-dentiste, né le [Date naissance 4] 1965 et alors âgé de 49 ans, a le 24 novembre 2014 été victime d'un accident de la route alors qu'il circulait à moto [Adresse 7] (Val de Marne). Il a été percuté par une automobile de marque Citroën, appartenant à Madame [T] [A] et assurée auprès de la SA GMF Assurances, conduite par Monsieur [E] [F].

Les secours ont été appelés et sont intervenus. Monsieur [I] a été transporté à l'hôpital [10] de [Localité 9] (Val de Marne). Il a dû être amputé d'un orteil du pied gauche et subir une greffe de peau au niveau de la cuisse. Il a été hospitalisé un mois, jusqu'au 24 décembre 2014.

Monsieur [I] a le 7 janvier 2015 déposé plainte pour blessures involontaires avec ITT supérieure à trois mois contre Monsieur [F].

L'affaire a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Créteil. La Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) des Yvelines, organisme dont dépend Monsieur [I] est volontairement intervenue à l'instance. Le tribunal, par jugement du 17 juin 2015, a :

Sur l'action publique,

- déclaré Monsieur [F] coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné celui-ci à une amende de 600 euros,

Sur l'action civile,

- déclaré recevable la constitution de partie civile de Monsieur [I],

- déclaré Monsieur [F] entièrement responsable du préjudice subi par Monsieur [I],

- ordonné une expertise médicale de Monsieur [I] confiée au docteur [C] [G],

- fixé à 600 euros le montant de la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert,

- condamné Monsieur [F] à verser à Monsieur [I] la somme de 15.000 euros à titre provisionnel, à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices,

- déclaré le jugement, en ce qui concerne les dispositions civiles, opposable à la compagnie GMF Assurances,

- renvoyé l'affaire sur intérêts civils à une audience ultérieure

L'expert judiciaire a clos et déposé son rapport le 12 avril 2016. Il conclut, notamment, à la consolidation de l'état de santé de Monsieur [I] au 6 mai 2015, avec un déficit fonctionnel permanent de 10%, une pénibilité au travail en station debout prolongée et une absence d'incidence professionnelle et de reconversion.

La SELARL GTVB, société d'exercice libéral de chirurgien-dentiste dont Monsieur [I] est le gérant et au sein de laquelle il exerce son activité, s'est constituée partie civile devant le tribunal en ouverture du rapport d'expertise, sollicitant l'indemnisation de pertes de gains en suite de l'accident.

Le tribunal correctionnel de Créteil, par jugement du 23 février 2018, a :

- liquidé le préjudice de Monsieur [I] à hauteur de la somme de 157.005,88 euros,

- condamné Monsieur [F] à verser à Monsieur [I] la somme de 104.133,25 euros en réparation de son préjudice [après déduction de la somme de 52.207,76 euros prise en charge par la CPAM], provision non déduite, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- condamné Monsieur [F] à verser à Monsieur [I] la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles,

- déclaré le jugement opposable à la CPAM et à la compagnie GMF Assurances, assureur du véhicule de Monsieur [F],

- condamné Monsieur [F] au paiement des frais d'expertise et autres dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires [rejet, notamment, des demandes de Monsieur [I] au titre de pertes de gains professionnels actuels et futurs],

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.

Le tribunal correctionnel n'a pas statué sur les demandes indemnitaires de la société GTVB, personne morale dont le préjudice est distinct de celui qu'a subi Monsieur [I], celle-ci s'étant constituée partie civile postérieurement aux réquisitions du ministère public.

Monsieur [I] a interjeté appel de ce jugement.

*

La société GTVB a par actes des 30 mai et 11 juin 2018 assigné Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances aux fins d'indemnisation d'une perte de gains consécutive à l'accident.

Le tribunal, par jugement du 28 novembre 2019, a :

- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances [au vu de conclusions signifiées par la société GTVB la veille de la clôture],

- débouté la société GTVB de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société GTVB aux dépens,

- condamné la société GTVB à payer à la compagnie GMF Assurances une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties.

La société GTVB a par acte du 10 décembre 2019 interjeté appel de ce jugement, intimant Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances devant la Cour.

*

L'expert judiciaire a à nouveau examiné Monsieur [I] et a le 15 avril 2022 rendu un rapport d'aggravation (non versé aux débats mais cité par les parties). Il estime que la coxarthrose développée par l'intéressé n'est pas en lien direct avec l'accident dont il a été victime, mais que l'accentuation de la déformation de son pied entraîne une majoration de son déficit fonctionnel permanent de 1%, le portant donc à 11% (état consolidé au 30 avril 2019).

*

Saisi par Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances d'un incident de caducité de la déclaration d'appel, le conseiller de la mise en état l'a rejeté par ordonnance du 15 juin 2022.

*

La société GTVB, dans ses dernières conclusions n°3 signifiées le 21 mars 2023, demande à la Cour de :

- déclarer l'appel recevable,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

. l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

. l'a condamnée aux dépens,

. l'a condamnée à payer à la compagnie GMF Assurances la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Principalement,

- condamner Monsieur [F] à l'indemniser des préjudices subis,

Principalement,

- condamner Monsieur [F], garanti par la compagnie GMF Assurances, à lui payer la somme de 584.878 euros au titre du préjudice économique lié à la perte de résultats nets pour la période d'arrêt de travail de Monsieur [I] allant du 24 novembre 2014 au 15 avril 2015,

- condamner Monsieur [F], garanti par la compagnie GMF Assurances, à lui payer la somme de 1.019.707,20 euros au titre du préjudice économique lié à la perte de résultats nets pour la période suivant l'arrêt de travail de Monsieur [I] jusqu'à sa consolidation au 1er septembre 2020, ou, subsidiairement, au paiement de la somme de 257.701 euros,

Subsidiairement et avant dire droit,

- condamner Monsieur [F], garanti par son la compagnie GMF Assurances, à lui payer une provision de 500.000 euros,

-désigner tel expert qu'il lui plaira aux fins de :

. déterminer son chiffre d'affaires avant l'accident au cours des années 2010, 2012, 2013 et 2014,

. déterminer son chiffre d'affaires depuis l'accident,

. déterminer la différence entre le chiffre d'affaires tel qu'il apparait aujourd'hui et tel qu'il aurait pu résulter à ce jour de l'évolution constatée avant l'accident,

. évaluer la perte de chiffre d'affaires annuel sur les 14 prochaines années,

En tout état de cause,

- condamner la compagnie GMF Assurances à garantir l'intégralité les condamnations prononcées,

- condamner Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances à lui payer la somme de 12.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [F] aux dépens, qui seront garantis par la compagnie GMF Assurances, avec distraction au profit de la SELARL Ligner & Rochelet.

Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances, dans leurs dernières conclusions signifiées le 7 avril 2023, demandent à la Cour de :

- les recevoir en leurs conclusions et y faire droit,

En conséquence,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, en ce qu'il a :

. rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

. débouté la société GTVB de l'ensemble de ses demandes,

. condamné la société GTVB aux dépens,

. condamné la société GTVB à payer à la compagnie GMF Assurances une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

. ordonné l'exécution provisoire de la décision,

. rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties,

- débouter la société GTVB de toutes ses demandes,

- condamner la société GTVB, représentée par Monsieur [I], à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

*

La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 12 avril 2023, l'affaire plaidée le 11 mai 2023 et mise en délibéré au 15 juin 2023.

*

Sur l'appel de Monsieur [I] contre le jugement du tribunal correctionnel du 23 février 2018 statuant sur les intérêts civils, la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 4 avril 2023, a :

- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire formulée par Monsieur [I],

- rejeté la nouvelle demande d'expertise en aggravation.

- infirmé le jugement correctionnel en ce qu'il a liquidé le préjudice corporel de Monsieur [I] à la somme de 157.005,88 euros, et condamné Monsieur [F] à verser à Monsieur [I] la somme de 104,133.25 euros en réparation de son préjudice corporel, et confirmé le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

- condamné Monsieur [F] à payer à Monsieur [I], en deniers ou quittances, provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire non déduites, en réparation de son préjudice corporel, les sommes suivantes :

. 3.000 euros au titre des frais divers,

. 725,94 euros au titre de la tierce personne temporaire,

. 9.108,72 euros au titre des dépenses de santé futures,

. 70.000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

. 13.937,16 euros au titre des frais de véhicule adapté,

. 2.114,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

. 30.000 euros au titre des souffrances endurées,

. 18.040 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

. 5.000 euros au titre du préjudice d'agrément,

. 3.500 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

. 3.000 euros au titre du préjudice sexuel,

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus,

- rejeté les demandes au titre des pertes de gains professionnels actuels, des pertes de gains professionnels futurs, et de la perte de valeur des parts sociales,

- condamné la compagnie GMF Assurances à payer à Monsieur [I] des intérêts au double du taux légal à compter du 24 juillet 2015 et jusqu'à l'arrêt devenu définitif,

- sur les indemnités revenant à la victime avant imputation de la créance des tiers payeurs et des provisions versées, condamné la compagnie GMF Assurances à payer au FGAO [Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de dommages] la somme de 5.000 euros en application de l'article L21 1-14 du code des assurances,

- condamné Monsieur [F] à payer à Monsieur [I] la somme de 2.500 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel,

- rejeté la demande de la compagnie GMF Assurances au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale,

- dit le présent arrêt commun à la CPAM des Yvelines et opposable à la compagnie GMF Assurances,

- laissé les dépens d'appel à la charge de l'Etat à l'exception des frais des expertises et des dépens non compris dans les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police qui sont mis à la charge de Monsieur [F].

Motifs

Sur la demande de la société GTVB

Les premiers juges ont rappelé le droit de la société GTVB - victime indirecte de l'accident dont a été victime son gérant et principal actionnaire - à poursuivre l'indemnisation de son préjudice, lequel doit être distingué du préjudice personnel de l'associé principal, doit être certain et en lien causal avec ledit accident. Ils ont cependant observé une augmentation du chiffre d'affaires du cabinet dentaire après l'accident de Monsieur [I], constaté l'absence d'élément de contextualisation ou concernant les conditions internes dans lesquelles a été réalisé le chiffre d'affaires, noté qu'il n'était pas établi que le fait générateur du dommage aurait eu pour conséquence un accroissement des charges de la société GTVB (au vu notamment de l'adhésion du cabinet à un contrat collectif de garantie ayant permis le versement d'indemnités journalières), relevé que l'expert-comptable de la société décrivait une relative stabilité des charges sur la période analysée. Les premiers juges ont enfin fait observer que la société GTVB, arguant du déficit fonctionnel permanent de Monsieur [I] et sa perte de capacité professionnelle de 20%, opérait une confusion entre son propre préjudice et celui du praticien.

La société GTVB reproche aux premiers juges d'avoir ainsi statué. Elle se prévaut de la responsabilité délictuelle à son égard de Monsieur [F], sous la garantie de la compagnie GMF Assurances assureur du véhicule impliqué dans l'accident, et d'un préjudice économique. Elle affirme en effet que Monsieur [I] est l'unique praticien de la structure et que son absence pendant son hospitalisation et son arrêt de travail puis sa réduction de capacité de travail ensuite ont eu une incidence sur ses résultats économiques. Elle évoque sa situation avant l'accident du mois de novembre 2014 et la compare à sa situation depuis celui-ci, produisant aux débats des bilans et comptes de résultat.

Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances ne critiquent pas le jugement, estimant que la société GTVB confond son préjudice et celui de Monsieur [I]. Ils remarquent que l'activité du cabinet dentaire n'a cessé de progresser entre 2011 et 2016 et, en tout état de cause, que l'entreprise ne verse pas aux débats l'ensemble des pièces établissant la réalité d'un préjudice économique (déclaration annuelle des données sociales, bulletins de salaire du personnel, extrait du grand livre comptable « indemnité de gérance », avis d'imposition personnels de Monsieur [I]), soutenant que l'évaluation d'un tel dommage ne peut être appréhendée au seul vu de données économiques annuelles (chiffre d'affaires et résultats nets) mais doit être faite de manière dynamique, contextuelle et globale, afin que les évolutions constatées puissent être imputées de manière directe, certaine et exclusive aux faits dommageables.

Sur ce,

Il ressort des dispositions des articles 2 et 4 du code de procédure pénale que l'action en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction et qu'elle peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Monsieur [F] a définitivement été jugé responsable de l'accident dont Monsieur [I] a été victime le 24 novembre 2014 et condamné à indemniser ce dernier par jugement du 28 novembre 2019.

L'action en indemnisation est en l'espèce présentée par la société GTVB, cabinet dentaire dont Monsieur [I] est le gérant et l'actionnaire principal (à hauteur de 99,998%) et au sein de laquelle il exerce sa profession de chirurgien-dentiste, victime indirecte des faits dont elle est en droit de solliciter réparation au titre d'un préjudice distinct de celui au titre duquel son associé a été indemnisé. L'indemnisation du préjudice professionnel subi par Monsieur [I] n'exclut en effet pas l'indemnisation du préjudice économique subi par la société GTVB, dès lors que celui-ci est distinct et en lien de causalité directe avec les faits dont Monsieur [F] a été reconnu coupable.

Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 du code civil).

L'expert judiciaire désigné par le tribunal correctionnel n'a pas elle-même évalué la diminution de l'activité professionnelle de Monsieur [I], au sein de son cabinet dentaire. Elle a rappelé qu'il doit exercer son activité debout et indiqué qu'il est depuis l'accident obligé de s'asseoir et de faire des pauses, ceci entraînant un allongement et une diminution de son activité. Pour l'évaluation de cette diminution, l'expert reprend l'évaluation personnelle du chirurgien-dentiste, d'« environ 20% »

Le cabinet dentaire verse aux débats ses bilans et comptes de résultat des périodes du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012, du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2013, puis du 1er janvier au 31 décembre 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020. Les comptes clos les 30 septembre 2011 et 31 décembre 2014 sont connus par les reports dans les comptes suivants. Les bilans et comptes de résultat de la société GTVB laissent apparaître un chiffre d'affaires relativement stable et régulier entre 2011 et 2018, s'établissant ainsi :

- exercice 2011 (arrêté au 30 septembre 2011, sur douze mois) : 1.528.902,32 euros,

- exercice 2012 (arrêté au 30 septembre 2012) : 1.439.199,95 euros,

- exercice 2013 (arrêté au 30 septembre 2013) : 1.691.096 euros,

- exercice 2014 (arrêté au 31 décembre 2014, soit sur quinze mois) : 2.249.608,32 euros,

- exercice 2015 (arrêté au 31 décembre 2015, sur douze mois) : 1.785.254,67 euros,

- exercice 2016 (arrêté au 31 décembre 2016) : 1.833.025 euros,

- exercice 2017 (arrêté au 31 décembre 2017) : 1.771.293,10 euros,

- exercice 2018 (arrêté au 31 décembre 2017) : 1.794.640,75 euros.

L'incidence de la diminution de capacité de travail de Monsieur [I] du fait de l'accident du mois de novembre 2014 sur les résultats économiques de la société GTBV n'apparaît pas à première vue au regard de l'évolution de son chiffre d'affaires.

L'année 2014, année de l'accident, correspond à une durée d'exercice non de douze mois, mais de quinze mois du fait de la modification de la date de clôture des comptes. Monsieur [D] [P], expert-comptable de la société GTVB (SARL AJ Audit), indique dans son attestation du 23 mai 2016 que le chiffre d'affaire brut sur la période du 1er novembre 2013 au 31 octobre 2014 s'est élevé à la somme de 2.132.450 euros, soit un chiffre d'affaires brut de 10.662 euros par jour, et « que l'évaluation du résultat sur cette période ramenée à 12 mois, augmentée des frais fixes est de 1 196 729 euros soit 5 984 euros par jour » (caractères gras et souligné de l'attestation). Ce chiffre ne correspond pas à celui que retient le cabinet dentaire, à hauteur de 1.928.235,70 euros pour l'exercice concerné. La société GTBV considère que les indicateurs de l'exercice de l'année 2014, de quinze mois, doivent être rapportés sur 14 mois avant proratisation sur douze mois, en raison de la survenance de l'accident et de la cessation de toute activité du cabinet pendant un mois entier, alors même qu'un contrat de remplacement libéral a pu être signé avec Monsieur [U] [H], chirurgien-dentiste, dès le 28 novembre 2014, pour prendre effet au 1er décembre 2014, une semaine seulement après l'accident. Considérant que l'exercice en cause comprend bien quinze mois, le chiffre d'affaires de 2014 ramené sur douze mois correspond, par simple proratisation, à 1.799.686,40 euros.

La société GTVB ne peut ensuite arguer d'une croissance moyenne de son activité avant l'accident de Monsieur [I] de 10% par an, croissance non établie alors même que sur les trois années précédant l'année 2014, son chiffre d'affaires n'a pas été en constante progression, subissant une diminution en 2012, et que les données relatives à l'année 2014, sur quinze mois, rendent la comparaison malaisée, aucun élément probant n'étant produit aux débats permettant de retenir un chiffre d'affaires net sur douze mois tel qu'allégué à hauteur de 1.928.235 euros.

Après 2014, en tout état de cause, le chiffre d'affaires du cabinet dentaire a toujours été supérieur à ce qu'il a pu être entre 2011 et 2014.

Sur les mêmes périodes, le résultat net de la société GTVB a été de 62.255 euros en 2011, de 150.165 euros en 2012, de 245.939 euros en 2013, de 353.195 euros en 2014, de 219.092 euros en 2015, de 211.992 euros en 2016, de 679.472 euros en 2017 et de 192.451 euros en 2018, soit un résultat net irrégulier sans évolution significative en baisse après 2014. Parallèlement, les charges de salaires et traitements du cabinet dentaire étaient de 446.987 euros en 2011, de 366.540 euros en 2012, de 252.497 euros en 2013, de 259.797 euros en 2014, de 245.638 en 2015, de 238.993 euros en 2016, de 271.749 euros en 2017 et de 304.520 euros en 2018, ne révélant ainsi pas d'augmentation significative des dépenses liées à la rémunération du personnel pour pallier une réduction de capacité de travail de Monsieur [I] du fait des conséquences de l'accident.

Ainsi que l'ont fait observer les premiers juges, la société GTVB n'apporte en outre aux débats aucun élément de contextualisation permettant d'inscrire ces données dans leur environnement économique et social entre 2011 et 2018.

Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances relèvent ainsi justement qu'aucune information n'est donnée quant aux charges d'exploitation ou au personnel du cabinet dentaire. La société GTBV affirme que Monsieur [I] est le seul praticien du cabinet sans en justifier. Les comptes de résultat font apparaître des salaires et traitements ainsi que des charges sociales ne permettant pas de distinguer les seuls revenus de l'intéressé. La cour d'appel, statuant sur le recours engagé contre le jugement du tribunal correctionnel de Créteil du 23 février 2018 statuant sur les intérêts civils de Monsieur [I], a dans son arrêt du 4 avril 2023 observé que les comptes de résultat de la société GTVB révélaient que figurent au titre des salaires et traitements des sommes bien supérieures à celles que Monsieur [I] déclare à l'administration fiscale, et a pu en déduire que la société GTVB n'employait pas un seul praticien ou salarié (mais également son épouse Madame [W] [L]).

Monsieur [P], expert-comptable de la société GTVB, dans une attestation établie le 10 septembre 2019, présente le tableau pluriannuel des comptes du cabinet dentaire et, à l'appui de celui-ci, constate « une relative stabilité des charges prises dans leur ensemble sur la période analysée [soit les exercices 2010/2011 à 2013/2014 puis 2015 à 2018] (') et notamment en matière de rémunérations (qu'il s'agisse de la masse salariale ou de la rémunération allouée à la gérance » (caractères gras de l'attestation).

Ainsi, aucun accroissement significatif des charges de la société GTBV, en lien direct avec l'accident de 2014 et ses conséquences sur Monsieur [I], n'est démontré.

Un courrier du 28 décembre 2016 de l'Adis, centre de gestion des produits AGIPI et AGIPI retraite, adressé au conseil de la société GTVB, indique que Monsieur [I], entre les 21 mai 2001 et 15 juillet 2013, puis le cabinet dentaire lui-même à partir du 15 juillet 2015 avaient adhéré au contrat collectif d'assurance-vie CAP « souscrit entre l'AGIPI et l'assureur AXA France VIE SA pour les garanties de Prévoyance, Indemnités journalières en cas d'incapacité totale par accident ou maladie, d'exercer sa profession de chirurgien-dentiste, remboursement des frais professionnels, rente d'invalidité, rente éducation et capital décès » (contrat « Homme Clé » pour la société GTVB, ayant pour assuré Monsieur [I]). La société Adis précise que les indemnités journalières ont été versées au chirurgien-dentiste en suite de son accident et son arrêt de travail. Quand bien même ces indemnités ont été allouées selon un barème forfaitaire et sans subrogation au profit de l'AGIPI, la société GTVB ne démontre pas avoir dû supporter, distinctement, le maintien des salaires versés à son gérant salarié.

La Cour, dans cet arrêt du 4 avril 2023, relève que « la valorisation d'une société est complexe, et dans une structure qui comme dans le cas de la SELARL GTVB, est quasiment unipersonnelle (deux salariés) et familiale, et qui détient de multiples actifs non professionnels, le résultat net ne constitue pas un indicateur pertinent » constatant par ailleurs que « le niveau d'activité de la société est en progression ». La Cour de céans s'interroge également sur la pertinence ce cet indicateur, qui peut enregistrer des charges ou produits exceptionnels ou encore des reprises sur amortissements et provisions et transferts de charges, des crédits d'impôts du fait de dons, etc., venant minorer le résultat net comptable et diminuer les charges fiscales, éléments non directement liés à l'activité du cabinet dentaire. Cet indicateur ne tient pas non plus compte de l'évolution des conditions d'exercice de l'activité de la société GTVB, alors que Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances ont pu constater, sur le site internet société.com, que celle-ci a un temps disposé de trois cabinets, un à [Localité 13] et deux à [Localité 11], mais que le cabinet versaillais avait fermé le 1er août 2013, avant l'accident.

Les éléments produits aux débats et analysés ne permettent en conséquence pas de distinguer un préjudice économique propre à la société GTVB, distinct du préjudice professionnel de Monsieur [I], subi depuis l'accident dont celui-ci a été victime le 24 novembre 2014 du fait de Monsieur [F] et en lien direct et certain avec celui-ci.

C'est en conséquence à juste titre que les premiers juges, considérant que la société GTVB échouait à démontrer la réalité d'un préjudice personnel du fait de l'accident de Monsieur [I], ont débouté celle-ci de ses demandes indemnitaires. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la demande d'expertise

Les premiers juges, rappelant qu'une mesure d'expertise ne pouvait être ordonnée en vue de suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve, ont rejeté la demande en ce sens présentée par la société GTVB.

La société GTVB maintient sa demande d'expertise comptable, si la Cour estime que les comptes sociaux ne lui permettent pas de déterminer son préjudice économique exact.

Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances, relevant que la société GTVB refuse de communiquer les pièces nécessaires à la démonstration de son préjudice, s'opposent à la demande ainsi présentée.

Sur ce,

L'article 232 du code de procédure civile dispose certes que le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, une consultation ou une expertise, sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.

Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances, estimant la production des bilans et comptes de résultat de la société GTVB insuffisante pour établir la réalité de son préjudice économique, a, en première instance et encore devant la Cour de céans, invité le cabinet dentaire à communiquer sa Déclaration Annuelle des Données Sociales (DADS) des années 2012 à 2016, les bulletins de salaire de son personnel salarié des mois de septembre 2014 à juin 2015, un extrait de son grand livre comptable des exercices de 2011 à juin 2015 faisant apparaître les indemnités de gérance et les avis d'impôts personnels de Monsieur [I] relatifs aux années 2012 à 2015, sans qu'il soit répondu à cette requête. Ainsi, non seulement la société GTVB échoue à établir la réalité de son préjudice, mais se refuse en outre à communiquer les éléments en sa possession permettant de l'établir.

Les premiers juges ont en conséquence à juste titre rappelé qu'en aucun cas une mesure d'instruction ne pouvait être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve qui lui incombe, ainsi que cela résulte des termes de l'article 146 du code de procédure civile, et débouté la société GTVB de sa demande subsidiaire d'expertise judiciaire. Le jugement sera également confirmé sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la société GTVB.

Ajoutant au jugement, la Cour condamnera la même société GTVB, qui succombe en son recours, aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Tenue aux dépens, la société GTVB sera également condamnée à payer à Monsieur [F] et la compagnie GMF Assurances la somme équitable de 3.000 euros en indemnisation des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SELARL GTVB aux dépens d'appel,

Condamne la SELARL GTVB à payer à Monsieur [E] [F] et la SA GMF Assurances la somme de 3.000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 19/22853
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;19.22853 ?
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