La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/06/2023 | FRANCE | N°19/09286

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 15 juin 2023, 19/09286


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRET DU 15 JUIN 2023



(n° 339, 5 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/09286 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CASQ3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 18/00545





APPELANTE



Société GCS INGENIERIE - RCS Bobigny so

us le numéro 428 758 973

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Tanguy LETU, avocat au barreau de PARIS





INTIME



Monsieur [N] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représe...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 15 JUIN 2023

(n° 339, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/09286 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CASQ3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 18/00545

APPELANTE

Société GCS INGENIERIE - RCS Bobigny sous le numéro 428 758 973

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Tanguy LETU, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [N] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Côme LIONNARD, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 32

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.

ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES

M. [N] [Y] a été engagé par la société GCS INGENIERIE à compter du 20 janvier 2017 en qualité de Chef de projet - Ingénieur logiciel (niveau 1, coefficient 310), par contrat de professionnalisation à temps plein. La date de début du contrat a été fixée au 30 janvier 2017 et devait prendre fin le 18 janvier 2019. La moyenne des salaires s'élevait en brut à 1 484,71 euros.

La société, qui est une entreprise de service numérique spécialisée en informatique de gestion, emploie plus de 11 salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil du 15 décembre 1987.

Le 29 juin 2017, le salarié a adressé à son supérieur, M. [L] responsable commercial, un courriel portant réclamation d'une rémunération variable.

M. [Y] a alors été convoqué, le 11 juillet 2017, à un entretien préalable en vue d'une rupture anticipée de son contrat de travail fixé au 21 juillet 2017. Il a aussi fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.

Par lettre recommandée datée du 26 juillet 2017, M. [Y] s'est vu notifier la rupture de son contrat pour faute grave dans les termes suivants :

«'Le 29 juin, alors que vous étiez en congés payés nous avons reçu un mail déformant nos propos où vous teniez un discours insolent frisant l'injure et le diffamatoire à l'encontre de votre responsable hiérarchique comme le démontre les quelques termes suivants :

«Ta stratégie de management est décevante et les arguments que tu avances pour justifier tes décisions sont inconcevables. Le cas typique du management destructif est celui d'un manager pervers davantage focalisé sur ses besoins et ses succès'

Tu n'es pas sérieux lorsque tu dis que je ne suis pas efficient ' Que le ROI est négatif !

Moi qui suis payé une misère 85 % du SMIC EN BRUT.

Il va falloir que tu t'arrange. '.il serait regrettable de gâcher mon engagement, cette nouvelle et fructueuse collaboration à cause d'un management inapproprié et destructeur. De la folie.

Comme convenu, je rentre de congé mercredi 5, mais inutile d'attendre mon feu vert.

Bien à toi pour le moment et que ça dure'».

Nous ne pouvons bien évidemment tolérer plus longtemps votre attitude constitutive d'un manquement particulièrement grave à l'exécution des relations contractuelles de travail.

La rupture anticipée de votre contrat de travail à durée déterminée est donc immédiate. »

Contestant la régularité et le bien-fondé de la rupture de son contrat, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny, par requête en date du 27 février 2018.

Par jugement contradictoire du 23 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :

Dit le licenciement pour faute grave non fondé,

Condamné la société GCS INGENIERIE à régler à M. [N] [Y] :

- 100 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement

- 27.682,66 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée du CDD

- 3.522,40 euros à titre d'indemnité de fin de contrat

Rappelé que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, soit le 6 mars 2018 et que les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement

Ordonné à la société GCS INGENIERIE de remettre à M. [Y] les documents sociaux conformes au présent jugement

Débouté Monsieur [N] [Y] du surplus de ses demandes

Débouté la société GCS INGENIERIE de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration notifiée par le RVPA le 17 septembre 2019, la société GCS INGENIERIE a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 19 novembre 2019, la société GCS INGENIERIE demande à la cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts formulée au titre du caractère prétendument vexatoire du jugement ;

Statuant à nouveau,

- Juger que la rupture anticipée du contrat de professionnalisation repose sur une faute grave;

- Condamner M. [Y] à lui rembourser la somme de 3.522,40 euros qui lui a été réglée en application des dispositions de l'article R 1454-28 du Code du travail ;

- Le condamner à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [Y] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 11 février 2020, M. [Y] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement dans toutes ses dispositions

- Condamner la société GCS INGENIERIE à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L'instruction a été déclarée close le 7 décembre 2022.

MOTIFS

Sur la régularité de la procédure

L'article R. 1232-1 du code du travail dispose notamment que la lettre de convocation prévue à l'article L. 1232-2 rappelle que le salarié peut se faire assister pour cet entretien par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, en l'absence d'institutions représentatives dans l'entreprise, par un conseiller du salarié.

M. [Y] fait valoir, à juste titre, que la lettre de convocation à l'entretien préalable ne laisse apparaître que la possibilité d'être assisté par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise alors que cette dernière ne comportant pas d'organe de représentation du personnel, la mention du conseiller du salarié aurait également dû y figurer.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société GCS INGENIERIE à verser à M. [Y] la somme de 100 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement qui l'a privé d'une information complète sur ses possibilités d'assistance lors de l'entretien préalable.

Sur la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée

La société considère qu'au cours de l'exécution de ses fonctions, M. [Y] a adopté un comportement inacceptable en adressant le 29 juin 2017 un courriel à M. [L], responsable commercial, faisant état de propos injurieux, dénigrants, voire menaçants. Elle ajoute que les commissions ne sont aucunement obligatoires, qui plus est dans le cadre d'un contrat de professionnalisation qui, par définition, permet au salarié d'acquérir un savoir-faire pratique au sein d'une entreprise et que l'intimé ne disposait à cette date que d'une ancienneté de 5 mois.

M. [Y] rétorque que dès son entretien d'embauche, la société lui a promis des commissions sur les ventes qu'il permettrait de réaliser par son travail, en sus de son salaire contractuel, que lors de la semaine du 19 juin 2017, il a eu avec son employeur une conversation à propos de ce commissionnement lors de laquelle ce dernier lui a indiqué qu'il n'y aurait jamais d'écrit sur ce point et qu'il ne toucherait finalement de commission que lors de l'atteinte de 20 000 euros de chiffre d'affaires, qu'il a ainsi rédigé un mail de 10 pages le 29 juin 2017, dont ont été extraites seulement quelques phrases mentionnées dans la lettre de rupture, que s'il a manifesté sa déception et son incompréhension il a également rappelé toutes les tâches accomplies, ce qui n'est pas constitutif d'une faute mais correspond simplement à une revendication légitime.

Selon l'article L 1243-4 du Code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, et le doute profite au salarié.

Le salarié peut faire usage, dans l'entreprise, d'une expression libre, sauf abus caractérisé par des termes excessifs ou injurieux.

Il ressort de la lecture du mail de 10 pages adressé le 29 juin 2017 par M. [Y] à son supérieur que si le salarié a fait part de sa déception quant à la rémunération variable proposée et a énuméré sur 7 pages l'ensemble des actions entreprises pour son employeur, certains des termes employés caractérisent un abus dans la liberté d'expression dont dispose tout salarié.

En effet, contestant la remise en cause de ce qui lui avait été indiqué lors de son entretien d'embauche, il qualifie la stratégie de management de son supérieur de «'décevante'» et ses arguments d'«'inconcevables'», précisant que le management nécessite «'une intelligence émotionnelle'», sans laquelle les mauvais résultats d'une équipe ne seraient que le miroir de l'«'amateurisme'» de son manager. Il évoque ensuite le cas typique du «'management destructif'» qui est celui du manager «'pervers'».

Ces termes directement adressés à son supérieur sont excessifs et insultants, caractérisant un dénigrement de sa personne.

Par ailleurs, à la fin de son message après avoir mentionné la rémunération variable souhaitée, il ajoute «'il va falloir que tu t'arrange. Je me plais à produire dans cette entreprise et il serait regrettable de gâcher mon engagement, cette nouvelle et fructueuse collaboration à cause d'un management inapproprié et destructeur. De la folie. Comme convenu, je rentre de congé mercredi 5 mais inutile d'attendre mon retour pour me formuler ton feu vert.

Bien à toi pour le moment et que ça dure'!'».

Outre la nouvelle critique du management de son supérieur, il en ressort, d'une part, une injonction de faire droit à sa demande salariale, et d'autre part, une menace à peine voilée d'un changement de comportement dans l'exercice de ses fonctions si tel n'était pas le cas.

Les termes employés, même au soutien d'une revendication salariale, ont ainsi révélé un comportement de M. [Y], engagé depuis seulement quelques mois, à la fois irrespectueux de son supérieur hiérarchique et menaçant quant à la suite de la relation contractuelle, qui rendait impossible son maintien dans l'entreprise, laquelle était de petite taille puisqu'employant seulement 12 salariés.

Par conséquent, le jugement sera infirmé en ce qu'il n'a pas retenu la faute grave à l'origine de la rupture du contrat de professionnalisation et M. [Y] sera débouté de l'ensemble de ses demandes consécutives à la rupture de son contrat, en ce compris l'indemnité de fin de contrat.

Sur les demandes accessoires

La société demande la condamnation de M. [Y] à lui rembourser la somme de 3.522,40 euros versée en application du jugement.

Le présent arrêt infirmatif, constitue par lui-même un titre exécutoire permettant le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance, sans qu'il soit nécessaire d'en faire expressément mention. Il n'y a donc pas lieu de condamner M. [Y] à restituer les sommes qu'il aurait ainsi perçues.

M. [Y] qui succombe supportera les dépens. En revanche, il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société GCS INGENIERIE à régler à M. [N] [Y] 100 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant':

REJETTE l'ensemble des demandes de M. [Y] consécutives à la rupture du contrat,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [Y] aux dépens.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 19/09286
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;19.09286 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award