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14/06/2023 | FRANCE | N°22/16860

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 14 juin 2023, 22/16860


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 14 JUIN 2023



(n°23, 12 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 22/16860 (appel) - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGPEW auquel est joint le RG 22/16865 (recours)



Décisions déférées : Ordonnance rendue le 28 septembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS





Procès-Verbal de visite en date du 29 septembre 2022 clos à 17h pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 28 septembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tr...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 14 JUIN 2023

(n°23, 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/16860 (appel) - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGPEW auquel est joint le RG 22/16865 (recours)

Décisions déférées : Ordonnance rendue le 28 septembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Procès-Verbal de visite en date du 29 septembre 2022 clos à 17h pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 28 septembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Elisabeth IENNE-BERTHELOT, Conseillère à la Cour d'appel de PARIS, déléguée par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l'article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;

assistée de Véronique COUVET, greffier lors des débats et de la mise à disposition ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 10 mai 2023 :

ALICANTES INVESTISSEMENT SRL, société de droit belge

Prise en la personne de son gérant

Elisant domicile au cabinet CMS FRANCIS LEFEBVRE

[Adresse 7]

[Localité 13]

GRENACHE INVESTISSEMENT SCS, société de droit belge

Prise en la personne de son gérant

Elisant domicile au cabinet CMS FRANCIS LEFEBVRE

[Adresse 7]

[Localité 13]

Monsieur [X] [F]

Né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 15]

Elisant domicile au cabinet CMS FRANCIS LEFEBVRE

[Adresse 7]

[Localité 13]

Madame [C] [F]

Née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 15]

Elisant domicile au cabinet CMS FRANCIS LEFEBVRE

[Adresse 7]

[Localité 13]

Représentés par Me Olivier KUHN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

assistés de Me Marie SANTORI substituant Me Olivier KUHN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

APPELANTS ET REQUERANTS

et

LA DIRECTION NATIONALE D'ENQUETES FISCALES

[Adresse 9]

[Localité 14]

Représentée par Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0137

assistée de Me Alix NICOLI substituant Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0137

INTIMÉE ET DEFENDERESSE AU RECOURS

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 10 mai 2023, le conseil des appelants et le conseil de l'intimée ;

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 14 Juin 2023 pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Le 28 septembre 2022, le Juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) près du Tribunal judiciaire (ci-après TJ) de PARIS a rendu, en application de l'article L.16B du livre des procédures fiscales (ci-après LPF), une ordonnance à l'encontre de :

-La société de droit belge ALICANTES INVESTISSEMENT SRL, représentée par ses gérants, Monsieur [X] [F] et Mme [C] [F], dont le siège est [Adresse 16], et qui a pour objet social une activité de holding ;

-La société de droit belge GRENACHE INVESTISSEMENT SCS, représentée par ses gérants, Monsieur [X] [F] et Mme [C] [F], dont le siège est [Adresse 16], et qui a pour objet social une activité de holding ;

L'ordonnance autorisait des opérations de visite et saisie dans les lieux suivants :

-Locaux et dépendances sis [Adresse 11] et/ou [Adresse 5] et/ou [Localité 10], susceptibles d'être occupés par Monsieur [X] [F] et/ou la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT.

L'autorisation de visite et de saisie des lieux susmentionnés était délivrée aux motifs que la société de droit belge ALICANTES INVESTISSEMENT SRL ainsi que la société de droit belge GRENACHE INVESTISSEMENT SCS exerceraient, à partir du territoire national, une activité de holding, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et ainsi omettraient de passer ou de faire passer ou de faire passer les écritures comptables correspondantes.

Et ainsi, sont présumées s'être soustraite et/ou se soustraire à l'établissement et au paiement de l'Impôt sur les bénéfices ou des Taxes sur le Chiffre d'Affaires, en se livrant à des achats ou des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code Général des Impôts (articles 54 et 209-1 pour l'IS, et 286 pour la TVA).

L'ordonnance était accompagnée de 41 pièces annexée à la requête numérotées de 1 à 26.

Concernant la société ALICANTES INVESTISSEMENT SRL .

Il ressortait des éléments du dossier que la SARL ALICANTES, créée le 15/05/1999 en France exerçait une activité de société holding, de participations activités agricoles, de gestion de fonds de commerce et de locations civiles ou commerciales, ayant son siège [Adresse 6] et ayant pour gérant M [X] [F], a transféré son siège à Tournai en Belgique et changeait de dénomination ( ALICANTES INVESTISSEMENT), ainsi cette société était immatriculée en FRANCE et déposait régulièrement ses comptes annuels avant de transférer son siège en BELGIQUE, elle exerçait une activité commerciale et financière.

La SARL ALICANTES a réalisé des ventes et des acquisitions en FRANCE et disposait d'importantes immobilisations physiquement situés en FRANCE. Elle a transféré son siège en BELGIQUE et pris le nom de SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT. Elle dispose de deux gérants, Monsieur [X] [F] et Mme [C] [F], disposant, avec la SCS GRENACHE INVESTISSEMENT de l'intégralité du capital de cette société.

La société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT dépose régulièrement ses comptes annuels en BELGIQUE et déclare disposer d'un capital social d'un montant de 47 417 900 €.

Elle dispose de comptes courants conséquents auprès de multiples sociétés et à titre principal sur la société française CABERNET. Elle loue par ailleurs des biens sur le territoire national et y exerce une activité commerciale régulière.

Bien que la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT déclare ne pas disposer de salariés sur ses comptes annuels, il s'avère qu'elle dispose de salariés en FRANCE ainsi que des comptes bancaires en FRANCE.

La société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT est répertoriée en FRANCE sous le nom de la société étrangère non immatriculée au RCS ALICANTES INVESTISSEMENT SARL et dépose régulièrement ses déclarations à l'impôt sur les sociétés en FRANCE.

La SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT n'a depuis le transfert de son siège en BELGIQUE jamais disposé de ses propres locaux et a son siège situé à proximité immédiate de la société SOCOFIDEX qui assure la tenue de ses comptes et l'établissement de ses comptes annuels.

Il ressort d'un droit de communication effectué auprès de la SAS ENEDIS, société française de fourniture d'énergie, que la société ALICANTES TDG dispose d'un abonnement à l'adresse située [Adresse 11], ainsi il pouvait être présumé que la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT dispose d'un abonnement énergétique et donc des locaux concernés en FRANCE à cette adresse.

Selon les investigations, d'une part, Monsieur [X] [F], gérant de la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT, dispose de nombreux véhicules en FRANCE et déclare, dans le cadre des démarches d'immatriculation desdits véhicules, résider en FRANCE au [Adresse 11].

D'autre part, Mme [C] [F], associée majoritaire par l'intermédiaire de la SAS [F] VHB et gérante de type B de la société de droit belge, SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT, déclare résider [Adresse 8].

Dès lors, compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il pouvait être présumé que la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT exercerait sur le territoire national, une activité de holding et des opérations commerciales s'y rapportant sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes, et ainsi omettrait de passer les écritures comptables correspondantes.

Concernant la société GRENACHE INVESTISSEMENT SCS.

Il ressortait des éléments du dossier que la société en commandite simple (SCS) GRENACHE, créée le 23 juin 1999 en France exerçait une activité de société holding ayant son siège [Adresse 6] et ayant pour gérant M [X] [F]. Dotée d'un capital de 300.000 euros, elle n'a pas réalisé de chiffre d'affaire au titre de l'exercice clos le 21:11/2016 mais a réalisé un bénéfice de 14 949 477 euros, l'essentiel du résultat provenant d'immobilisations financières, ainsi cette société était immatriculée en FRANCE et déposait régulièrement ses comptes annuels, elle a été radiée le 21/12/2016. Avant sa radiation, La SCS GRENACHE disposait d'importantes immobilisations financières et de 90% du capital de la SARL ALICANTES.

Le 7/10/2016, conformément à la décision prise lors de l'AG extraordinaire, la SCS GRENACHE a transféré son siègeà Tournai en BELGIQUE et a pris le nom de SCS GRENACHE INVESTISSEMENT. Elle dispose de deux gérants, Monsieur [X] [F]et Mme [C] [F].

La société de droit belge SCS GRENACHE INVESTISSEMENT est intégralement détenue par la SAS [F]-VHB, elle-même détenue par Mme [C] [F].

Mme [C] [F] assure la gérance de type B de la société de droit belge SCS GRENACHE INVESTISSEMENT , elle peut engager jusqu'à 5 000 000 €, et la présidence de la SAS [F]- VHB qui a son siège à l'adresse de son domicile.

La société de droit belge SCS GRENACHE INVESTISSEMENT dépose régulièrement ses comptes annuels en BELGIQUE et déclare disposer d'un capital social d'un montant de 9719 038 € .Elle n'emploie pas de salariés en FRANCE ni en BELGIQUE et ne détient pas de compte bancaire en FRANCE.

La SCS GRENACHE INVESTISSEMENT n'a depuis le transfert de son siège en BELGIQUE jamais disposé de ses propres locaux et a son siège situé à proximité immédiate de la société SOCOFIDEX qui assure la tenue de ses comptes et l'établissement de ses comptes annuels.

Selon les investigations, d'une part, Monsieur [X] [F], gérant de la société de droit belge SCS GRENACHE INVESTISSEMENT, dispose de nombreux véhicules en FRANCE et déclare, dans le cadre des démarches d'immatriculation desdits véhicules résider en FRANCE au [Adresse 11].

D'autre part, Mme [C] [F], associée majoritaire par l'intermédiaire de la SAS [F] VHB et gérante de type B de la société de droit belge SCS GRENACHE INVESTISSEMENT , déclare résider [Adresse 8].

Il pouvait être présumé que la société de droit belge SCS GRENACHE INVESTISSEMENT exercerait sur le territoire national, une activité de holding et des opérations commerciales s'y rapportant sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes, et ainsi omettrait de passer les écritures comptables correspondantes.

La société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT est propriétaire de locaux à usage d'habitation situés [Adresse 11] et [Adresse 12], la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT est susceptible de détenir dans les locaux sis [Adresse 11] et ou [Adresse 3] et / ou [Localité 10] des documents et/ou supports d'informations relatifs à la fraude présumée.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le JLD de PARIS a autorisé des visites domiciliaires aux adresses des locaux susvisés susceptibles d'être occupés par Monsieur [X] [F] et/ou la société de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT.

Les opérations de visite et saisie se sont déroulées le 29 septembre 2022, de 7H14 à 17H00 dans les locaux susvisés, en présence de la représentante de l'occupant des lieux.

Le 11 octobre 2022, la société ALICANTES SRL, la société GRENACHE INVESTISSEMENT SCS, Monsieur [X] [F] et Mme [C] [F] ont interjeté appel de l'ordonnance du 28 septembre 2022 (RG 22/16860).

Le 11 octobre 2022, la société ALICANTES SRL, la société GRENACHE INVESTISSEMENT SCS, Monsieur [X] [F] et Mme [C] [F] ont exercé un recours contre les opérations de visite et de saisie du 29 septembre 2022 ( RG 22/16865).

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 10 mai 2023.

SUR L'APPEL

Les appelants ont déposé au greffe de la Cour d'appel de Paris des conclusions au soutien de leur appel signifiées le 7 février 2023 et des conclusions récapitulatives en date du 12 avril 2023.

l'Administrationfiscale a déposé des conclusions n°1 en date du 18 avril 2023.

Dans leurs conclusions, les parties appelantes demandent au Premier Président de la Cour d'appel de Paris d'annuler l'ordonnance du JLD du fait de l'absence d'éléments et de leur insuffisance de nature à caractériser une présomption de fraude (1-1), du fait de la présentation incomplète et biaisée des faits au JLD (1-2), du fait de l'absence de contrôle concret du JLD des éléments présentés par l'Administrationfiscale (2-1), du fait de l'absence ce contrôle de la proportionnalité quant à l'autorisation de visite domiciliaire (2-2).

Par ces motifs, il est demandé de :

- Annuler l'ordonnance rendue le 28 septembre 2022 par le JLD de PARIS ;

En conséquence,

- Annuler les opérations de visite domiciliaires subséquentes réalisées le 29 septembre 2022 au préjudice de la société ALICANTES INVESTISSEMENT SRL, de la société GRENACHE INVESTISSEMENT SCS, de Monsieur [X] [F] et de Mme [C] [F], dans les locaux sis [Adresse 11] et/ou [Adresse 4] ;

- Ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis, sans possibilité pour la Direction Nationale d'Enquêtes Fiscales d'en garder copie ;

-Déclarer que la Direction Nationale d'Enquêtes Fiscales sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces saisies ;

- Condamner la Direction Nationale d'Enquêtes Fiscales à verser à la société ALICANTES INVESTISSEMENT SRL, à la société GRENACHE INVESTISSEMENT SCS, à Monsieur [X] [F] et à Mme [C] [F] la somme de 2.500 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Direction Nationale d'Enquêtes Fiscales aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses écritures, l'Administrationfiscale conclut au rejet des moyens soulevés par les parties appelantes au motif que l'arguentation développée ne remet pas en cause le bien-fondé des présomptions retenues par le premier juge, en ce que les présomptions de fraude à l'encontre des sociétés SPRL Alicantes Investissement et SCS Grenache Investissement sont fondées, qu'aucun élément ne peut suspecter que le juge se soit dispensé du contrôle et que le juge n'a aucune obligation de contrôler la proportionnalité de la mesure.

Par ces motifs, l'aministration fiscale demande de :

- confirmer l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de Paris du 28 septembre 2022,
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions,
- condamner l'appelante au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du
Code de procédure civile et aux dépens.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR LE RECOURS

Sur les recours contre les opérations de visite et de saisies au [Adresse 12] :

Les parties requérantes ont déposé des conclusions de désistement en date du 11 avril 2023, l'Administrationfiscale n'a formulé aucune observation par courrier du 17 avril 2023, à l'audience du 10 mai 2023 le conseil des parties requérantes confirme que le recours n'est pas soutenu à l'audience.

Après avoir entendu à l'audience publique du 10 mai 2023 le conseil des parties appelantes et requérantes , le conseil de l'Administrationfiscale, et après avoir évoqué la jonction des dossiers, la Cour d'appel a mis l'affaire en délibéré au 14 juin 2023.

SUR CE :

SUR LA JONCTION

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient en application de l'article 367 du Code de procédure civile et eu égard aux liens de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous le numéro de RG 22/16860 (appel) et sous le numéro de RG 22/16865 (recours), qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L'APPEL

Sur l'absence d'éléments de nature à caractériser une présomption de fraude du fait de l'insuffisance des éléments présentés pour faire présumer l'existence d'une activité exercée en France .

Les appelants arguent que les éléments présentés dans l'ordonnance sont insuffisants à caractériser la présomption de l'existence d'une activité exercée en FRANCE par les sociétés de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT et SCS GRENACHE INVESTISSEMENT, dès lors que ces sociétés ont bien passé les écritures dans leurs comptes sociaux belges, qu'elles ont régulièrement déposé respectivement en Belgique et en France leurs déclarations fiscales au titre de leur activité belge ou française, que le JLD aurait dû , par un examen scrupuleux des éléments de la requête , écarter la société SCS Grenache Investissement de la procédure de visite domiciliaire, qu'en tout état de cause les pièces présentées ne permettaient pas de caractériser la présomption requise.

Il convient de relever, ainsi que le rappelle l'Administrationfiscale, que le JLD a pu relever l'existence du dépôt par les deux sociétés belges , de leurs comptes et de leurs déclarations fiscales en BELGIQUE. S'agissant d'ALICANTES INVESTISSEMENT, répertoriée en FRANCE comme société étrangère non immatriculée au RCS, il a pu relever l'existence du dépôt de déclarations en FRANCE au titre de l'imposition des revenus provenant des biens immobiliers situés en FRANCE.

Il convient de rappeler que ce qui était en cause en l'espèce concernait la méconnaissance de leurs obligations déclaratives par deux sociétés susceptibles d'exercer leur activité en FRANCE dès lors qu'elles y disposaient de leur centre de direction effective.

En l'espèce le JLD a justement retenu que Monsieur [X] [F] et sa fille Mme [C] [F] sont co-gérants (le premier catégorie A et la seconde de catégorie B), des sociétés SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT et SCS GRENACHE INVESTISSEMENT et il a pu considérer que tous deux disposaient des mêmes pouvoirs (actes de disposition, d'administration et de gestion) même s'ils étaient limités, concernant Mme [C] [F], à des décisions dont l'engagement ne pouvait excéder 5 M€.

Le JLD dans sa décision a également constaté d'une part que Monsieur [X] [F] détient 90% du capital de la société SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT en usufruit et qu'[C] [F] en détient 90% en nue-propriété par l'intermédiaire de la SCS GRENACHE INVESTISSEMENT, et d'autre part, s'agissant de cette dernière, que son capital est détenu en totalité par la société française SAS LEORY VHB dont Mme [C] [F] est l'actionnaire majoritaire (99%). Ainsi le JLD a apprécié à juste titre le rôle prépondérant de Monsieur [X] [F] et de fille Mme [C] [F], qui animent et détiennent ensemble l'intégralité du capital de la société SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT.

Le JLD dans sa décision a également constaté que le siège social des sociétés SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT et SCS GRENACHE INVESTISSEMENT est situé à une adresse où sont répertoriées 295 sociétés et à proximité immédiate de la société SOCOFIDEX qui assure la tenue de leurs comptes, que ces éléments permettent de présumer de l'existence d'une domiciliation, ce que ne démentent pas les appelants.

Il résulte des éléments du dossier que Mme [C] [F] réside en FRANCE, et que Monsieur [X] [F], qui déclare résider fiscalement en BELGIQUE, dispose également d'une adresse en FRANCE, [Adresse 11], propriété de la société ALICANTES et déclarée sur les certificats d'immatriculation des 20 véhicules dont il est propriétaire et à laquelle lui est adressée une facture relative à un abonnement SFR.

De plus, le JLD a retenu dans sa décision que les immobilisations financières déclarées dans les comptes annuels des années 2019 et 2020 consistent dans des participations détenues dans des entreprises liées, sociétés de droit français. Au nombre des créances en comptes courants déclarés figure principalement le compte courant détenu dans la société de droit français, la SNC CABERNET, dont les titres sont détenus par la SAS [F] VHB.

S'agissant des immobilisations corporelles consistant en des terrains et constructions, nombre d'entre elles se situent en FRANCE, notamment celle dénommée ' [M]' correspondant au [Adresse 11], adresse française de Monsieur [X] [F]. Il en résulte que les actifs détenus par la société SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT au titre de participations dans des entreprises liées, de créances en comptes courants et d'immobilisations corporelles, le sont majoritairement en FRANCE.

Ainsi, le JLD dans son ordonnance a retenu suffisamment d'éléments selon lesquels il pouvait être présumé que l'activité des sociétés de droit belge SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT et SCS GRENACHE INVESTISSEMENT était réalisée depuis le territoire national par leurs actionnaires dirigeants, Monsieur [X] [F], qui dispose d'une résidence en FRANCE et sa fille Mme [C] [F], résidente en FRANCE, ces sociétés y disposant ainsi de leur centre décisionnel.

Ce moyen sera rejeté.

Sur l'absence d'éléments de nature à caractériser une présomption de fraude du fait de la présentation incomplète et biaisée des faits au juge des libertés et de la détention

Selon les appelants, doit être infirmée l'ordonnance qui retient des éléments incomplets ou inexacts pour caractériser des présomptions de fraude et autoriser une visite domiciliaire, au cas particulier la pérsentation des faits par l'Administrationfiscale, reprise à la lettre par le JLD, repose sur des éléments incomplets voire erronés, concernant :

- l'emploi par SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT de salariés en FRANCE

- la présomption d'abonnement énergétique de SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT en FRANCE

- la qualité d'associé majoritaire de Mme [C] [F] au sein de la société SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT

- la détention par Monsieur [X] [F] de voitures immatriculées en FRANCE

Or il convient de relever les éléments retenus par le JLD dans sa décision :

- concernant l'emploi par SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT de salariés en FRANCE, le JLD a retenu à juste titre que la SPRL enregistrée en tant qu'employeur auprès de l'Urssaf du Bas Rhin a disposé en France d'un salarié en 2020 et de deux en 2021 (selon la pièce 4-2 visée par l'ordonnance, que cet élément est cohérent avec la p ièce n°4-2 concernant les salaires perçus, qu'il en résulte que ces élements ne sont ni incomplet ni erronés et font partie des indices permettant de caractériser uen présomption de fraude au sens de l'article L 16B du LPF.

- concernant la présomption d'abonnement énergétique de SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT en FRANCE, il résulte de la pièce n°10 (droit de communication auprès de SA ENEDIS) que la société STE ALICANTES TDG dispose d'un abonnement à l'adresse du [Adresse 11], que eu égard aux liens existants entre cette adresse, [X] [F], la STE ALICANTES TDG et la SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT (pièces n° 4, 11), le JLD a pu retenir la présomption de l'existence d'un abonnement énergétique de SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT en FRANCE, qu'il en résulte que ces élements ne sont ni incomplet ni erronés et font partie des indices permettant de caractériser uen présomption de fraude au sens de l'article L 16B du LPF.

-concernant la qualité d'associé majoritaire de Mme [C] [F] au sein de la société SPRL ALICANTES INVESTISSEMENT, il résulte des pièces 4-4 à 4-6, 17, 21 , 22 et 26 retenues par le JLD que Madame [C] [F], peut-être considérée comme une associée majoritaire de la société de droit belge SPR ALICANTES INVESTISSEMENT, par l'intermédiaire de la SAS [F] VHB, qu'il en résulte que ces élements ne sont pas erronés et font partie des indices permettant de caractériser uen présomption de fraude au sens de l'article L 16B du LPF.

-concernant la détention par Monsieur [X] [F] de voitures immatriculées en FRANCE, il convient de relever que le JLD a retenu à partir de la pièce 11 que [X] [F] est propriétaire de plusieurs véhicules (fait non contesté par les appelants) pour la plupart des véhicules de collection pour lesquels il a indiqué l'adresse du [Adresse 11] dans le cadre de certificats de cession ou d'immatriculation, qu'il en résulte que le JLD a pu retenir cet élément pour justifier notamment de la résidence en France de [X] [F] où il semble avoir des intérêts personnels , qu'il en résulte que ces éléments ne sont ni incomplets ni erronés et font partie des indices permettant de caractériser une présomption de fraude au sens de l'article L 16B du LPF.

Ainsi, dans sa décision, le juge des libertés et de la détention n'a retenu aucun élément qui aurait été présenté de façon incomplète et biaisée par l'Administration fiscale.

Ce moyen sera rejeté.

Sur l'absence de contrôle concret et effectif par le juge des libertés et de la détention des éléments présentés par l'Administration fiscale.

Les appelants rappellent que selon l'article L16B du LPF le juge doit vérifier de manière concrète que la demande qui lui est soumise est bien fondée, et que selon le Conseil constitutionnel, ce dispositif est déclaré conforme à la Constitution dès lors qu'il permet un contrôle effectif par le juge de la nécessité de procéder à chaque visite (Const., 29 décembre 1984), selon la CEDH le juge doit vérifier de manière effective, précise et concrète le bien-fondé en fait et en droit de la requête, conformément à son obligation d'assurer au justiciable un recours conforme à l'exigence du procès équitable au sens de l'article 6 de la CEDH (CEDH, 3e section, 21 février 2008). Au cas présent, l'absence de contrôle effectif est flagrante puisque l'ordonnance contestée en date du 28 septembre 2022 est strictement identique à l'ordonnance rendue par le JLD du TJ de LILLE le 19 septembre 2022, qui sont toutes deux strictement identiques au modèle d'ordonnance joint par l'Administration fiscale à ses requêtes.

Il convient de rappeler que, ainsi que le précise l'Administrationfiscale, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la pré-rédaction de l'ordonnance par l'Administrationfiscale n'est pas de nature à l'entacher d'irrégularité, les motifs et le dispositif de l'ordonnance sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée, cette présomption ne porte pas atteinte aux principes d'impartialité et d'indépendance du juge qui statue sur requête, dans le cadre d'une procédure non contradictoire (Cass. CoMonsieur, 03/05/2018, n°16-25068), et que la circonstance que l'ordonnance soit rédigée dans les mêmes termes que celles rendues par d'autres présidents n'est pas de nature à l'entacher d'irrégularité (Cass. CoMonsieur, 01/06/2010 n°09-16127).La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le grief tiré de l'ineffectivité du contrôle opéré par le JLD ne saurait prospérer dans la mesure ou la Cour d'appel sera amenée à effectuer un second contrôle des pièces produites par l'Administration fiscale à l'appui de sa demande d'autorisation pour diligenter une visite domiciliaire.

Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les appelants selon lesquels le juge n'aurait pas personnellement rédigé l'ordonnance, aucun élément ne permet aux appelants de suspecter que celui-ci se soit dispensé de contrôler les pièces qui étaient soumises à son appréciation avant de rendre l'ordonnance d'autorisation, conformément à l'article L 16B du LPF.

Ce moyen sera rejeté.

Sur l'absence de contrôle de proportionnalité par le juge des libertés et de la détention quant à l'autorisation de la visite domiciliaire.

Les appelants rappellent l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance ,et précisent que selon la Cour européenne des droits de l'homme la mesure de visite et saisie opérée dans les locaux d'une société constitue une ingérence , que selon le Doyen [Z] ' l'exigence de contrôle de la proportionnalité implique une recherche concrète dans chaque cas'. En l'espèce, les parties appelantes considèrent que le JLD aurait du vérifier in concreto si la mesure de visite domiciliaire était proportionnée, ce qu'il n'a pas fait en ne motivant pas son ordonnance sur ce point alors qu'il devait s'interroger sur l'utilité et la proportionnalité de l'opération de visite et de saisie au regard de la recherche de la fraude fiscale présumée et de l'atteinte à la vie privée, et cela d'autant plus que les sociétés ALICANTES INVESTISSEMENT SRL, de la société GRENACHE INVESTISSEMENT SCS n'ont jamais procédé à la moindre dissimulation, celles-ci ayant opéré leur changement de siège social et leur immatriculation en Belgique de façon transparente. La seule formule abstraite utilisée par le JLD concernant 'les procédés mis en place' ne saurait justifier un contrôle in concreto de la proportionnalité par le JLD. Ainsi les appelantes estiment que la 'perquisition fiscale' était disproportionnée au regard des circonstances de l'espèce.

Il convient de rappeler qu'en prenant connaissance du dossier présenté par l'Administration fiscale, le JLD exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'Administration à avoir recours à d'autres moyens d'investigation moins intrusifs. En conséquence, la signature de l'ordonnance par le JLD signifie que ce dernier entend privilégier l'enquête et les mesures prévues par l'article L 16B du LPF et qu'il considère que des diligences auprès de la société ou auprès de tiers seraient insuffisantes et dénuées de «'l'effet de surprise'», qu'au surplus aucune disposition légale n'oblige le JLD à motiver sa décision sur le caractère proportionné de la mesure.

L'article 8 de la CESDH, tout en énonçant le droit au respect de la vie privée et familiale, est tempéré par son paragraphe 2 qui dispose que 'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui'. En l'espèce, il n'y a pas eu de violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et la mesure n'a aucunement été disproportionnée eu égard au but poursuivi.

Ce moyen sera rejeté.

SUR LE RECOURS

Il convient de constater le désistement des parties concernant le recours contre les opérations de visite domiciliaires.

Les circonstances de l'instance justifient l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la DNEF.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort:

-Ordonnons la jonction des dossiers enregistrés sous le numéro de RG 22/16860 (appel) et sous le numéro de RG 22/ 16865 (recours) et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro le plus ancien ;

- Confirmons et déclarons régulière en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris en date du 28 septembre 2022 ;

-Constatons le désistement des parties concernant le recours contre le procès-verbal de visite en date du 29 septembre 2022 ;

-Rejetons toute autre demande ;

-Accordons la somme de 500 euros (cinq cents euros ) à la DNEF en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Disons que la charge des dépens sera supportée par les parties appelantes.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Elisabeth IENNE-BERTHELOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 22/16860
Date de la décision : 14/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-14;22.16860 ?
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