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14/06/2023 | FRANCE | N°20/08128

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 14 juin 2023, 20/08128


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 14 JUIN 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08128 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCXQ3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 16/05324





APPELANTE



S.A.S. CAREL

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée pa

r Me Paul VAN DETH, avocat au barreau de PARIS, toque : J094





INTIMÉE



Madame [N] [H] [F]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Olivier BICHET de la SELEURL BICHET AVOCATS, avocat...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 14 JUIN 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08128 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCXQ3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 16/05324

APPELANTE

S.A.S. CAREL

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Paul VAN DETH, avocat au barreau de PARIS, toque : J094

INTIMÉE

Madame [N] [H] [F]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Olivier BICHET de la SELEURL BICHET AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B403

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Carel (SAS) a employé Mme [N] [H]-[F], née en 1978, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 27 décembre 2011 en qualité d'assistante administrative et commerciale.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce succursaliste de la chaussure.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait en dernier lieu à la somme de 2 100,02 €.

Par courrier du 29 octobre 2014, Mme [H]-[F] a exercé son droit de retrait.

Le 15 mars 2015, Mme [H]-[F] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Mme [H]-[F] avait une ancienneté de 3 ans et 2 mois ; la société Carel occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Mme [H]-[F] a saisi le 12 mai 2016 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« A titre principal :

- Prise d'acte de la rupture (article L.1451-l du CT) produit les effets d'un licenciement nul

- Dommages et intérêts pour licenciement nul : 25 000 €

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 25 000 €

En tout état de cause :

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 25 000 €

- Dommages et intérêts pour discrimination syndicale :25 000 €

-Indemnité de licenciement : 1 764 €

- Indemnité compensatrice de préavis : 4 200,02 €

- Congés payés afférents : 420 €

- Dommages et intérêts pour violation du statut protecteur : 63 000,60 €

- Article 700 du Code de Procédure Civile : 2 500 €

- Dépens

- Intérêts au taux légal

- Exécution provisoire »

Par jugement du 30 octobre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu en formation de départage la décision suivante :

« CONSTATE que Madame [N] [H]-[F] a été victime de faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale.

REQUALIFIE la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul.

CONDAMNE la SAS CAREL à payer à Madame [N] [H]-[F] les sommes de :

- 1 764 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 4 200,02 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 420 euros au titre des congés payés y afférent

- 18 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 63 000 euros pour violation du statut protecteur

- 8 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 8000 euros de dommages et intérêts pour discrimination syndicale

DIT que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire, à compter de la présente décision.

ORDONNE l'exécution provisoire.

CONDAMNE la SAS CAREL à payer à Madame [N] [H]-[F] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »

La société Carel a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 2 décembre 2020.

La constitution d'intimée de Mme [H]-[F] a été transmise par voie électronique le 21 janvier 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 14 février 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 18 avril 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 26 août 2021, la société Carel demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris dans toutes ses dispositions ;

Et, jugeant à nouveau :

CONSTATER l'absence de harcèlement moral et de discrimination syndicale ;

CONSTATER que les manquements évoqués par Madame [H] ne sont ni établis, ni en tout état de cause suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission ;

CONDAMNER Madame [H] à verser à la Société CAREL la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Madame [H] aux entiers dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 26 mai 2021, Mme [H]-[F] demande à la cour de :

« Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 30 octobre 2020, formation de départage, en ce qu'il a :

- Constaté que Mme [H]-[F] a été victime de faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale ;

- Requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul ;

- Condamné la Société SAS CAREL à payer à Mme [H]-[F] :

- 1 764 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 4 200,02 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 420 euros au titre des congés payés y afférent ;

- 63 000 euros pour violation du statut protecteur ;

- Des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- Des Dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- Des dommages et intérêts pour discrimination syndicale

- Condamné la Société SAS CAREL à payer à Mme [H]-[F] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 CPC pour la première instance

- Condamné la Société SAS CAREL aux entiers dépens.

A titre d'appel incident,

' Modifier le quantum des condamnations et de condamner la SAS CAREL à verser à Mme [H]-[F] :

- Dommages et intérêts pour licenciement nul : 25000 euros

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 25000 euros

- Dommages et intérêts pour discrimination syndicale : 25000 euros

' Si par extraordinaire votre Cour devait ne pas requalifier la prise d'acte en licenciement nul, il vous est demandé à titre subsidiaire de requalifier cette rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et CONDAMNER la société CAREL à verser à Madame [H]-[F] la somme de 25000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause, condamner la société SAS CAREL à verser à Mme [H]-

[F] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 CPC pour la procédure »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 14 juin 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la prise d'acte

Mme [H]-[F] demande à titre principal à ce que sa prise d'acte produise les effets d'un licenciement nul du fait du harcèlement moral et de la discrimination qu'elle a subis et à titre subsidiaire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est constant que le contrat de travail de Mme [H]-[F] a été rompu.

Il entre dans l'office du juge, dans le contentieux de la prise d'acte de la rupture, de rechercher si les faits invoqués justifient ou non la rupture du contrat et de décider par la suite si cette dernière produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission.

Il résulte de la combinaison des articles L 1231 ' 1, L 1237 ' 2 et L 1235 ' 1 du code du travail que la prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Mme [H]-[F] invoquant des faits de harcèlement moral et de discrimination à l'appui de sa prise d'acte, il convient d'examiner ces griefs.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

- la discrimination inclut tout agissement lié à l'un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa

conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [H]-[F] invoque les faits suivants à l'appui de ses moyens tirés du harcèlement moral et de la discrimination :

- des traceurs ont été installés sur son ordinateur (pièces salarié n° 8-2 et 8-3) ;

- elle a subi des propos insultants de la part de Mme [K] et de Mme [R] comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte (pièce salarié n° 1) ;

- Mme [R] l'a insultée le 16 décembre 2013 en lui indiquant qu'elle n'était qu'une suppléante, et qu'elle n'avait pas de mot à dire comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte ;

- son élection comme déléguée suppléante a été contestée comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte ;

- à partir de son élection, il ne lui était plus demandé de faire les traductions, ni les chiffres d'affaires, ni de gérer les plannings ;

- elle n'a jamais été convoquée à des réunions de délégués du personnel, et n'a jamais eu de crédit d'heures en sa qualité de délégué du personnel ;

- elle a subi divers comportements vexatoires comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte ;

- l'employeur lui a proposé une rupture conventionnelle (pièces salarié n° 20 et 21) ;

- l'employeur lui a fait des reproches les 3 et 6 juin 2014 comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte ;

- elle a fait une déclaration de main courante le 10 juin 2014 en indiquant qu'elle avait peur (pièce salarié n° 13) ;

- elle a subi des pressions de Mme [R], était affectée à des tâches non conformes à son contrat et dans un bureau très confiné de 15 m² (pièces salarié n° 16 à 20) ;

- par courrier du 15 septembre 2014 (pièce salarié n° 23), « elle a demandé ses heures de délégation, car la titulaire était en arrêt maladie de début 2014, après les élections » (sic) ;

- le 29 septembre 2014, elle a envoyé un courrier ayant comme objet « souffrance au travail » (pièces salarié n° 25) ;

- le 30 septembre 2014, elle a fait un malaise sur le temps et le lieu de travail et les pompiers ont dû intervenir (pièce salarié n° 28)

- par courrier du 14 octobre 2014 (pièce salarié n° 30) elle a dénoncé les conditions de travail dans le bureau ;

- le 15 octobre 2014 (pièce salarié n° 31) elle a écrit un courrier contestant l'absence de moyens et l'entrave à ses missions de délégués du personnel, ainsi que divers mails (pièces salarié n° 32, 33 et 34) ; par la suite, la direction a enfin consenti à lui reconnaître la qualité de délégué du personnel, et à lui attribuer un local (pièce salarié n° 35) ; elle a aussi demandé à la direction de cesser ses intimidations auprès de certains salariés (pièce salarié n° 36) ;

- elle a été rétrogradée le 28 octobre 2014 et placée sous la supervision de Mme [K] comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte ;

- elle a exercé son droit de retrait le 29 octobre 2014 (pièces salarié n° 40 et 42) ;

- la direction a refusé ce droit de retrait comme elle l'a dit dans sa lettre de prise d'acte ;

- elle a été en arrêt de travail pour maladie (pièces salarié n° 12, 15, 41) ;

- au vu des éléments précités, elle a subi un harcèlement moral, qui plus est lié à sa situation de candidate puis d'élue en qualité de délégué du personnel ;

- elle a alerté à plusieurs reprises la direction, qui n'a cherché à répondre à ces griefs que pas des propositions de rupture du contrat (sic).

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose d'éléments suffisants pour retenir que Mme [H]-[F] établit l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination à son encontre.

En défense, la société Carel soutient que les manquements allégués sont infondés et ne justifient pas une prise d'acte ; elle apporte des éléments de réponses aux griefs allégués relativement :

- à l'installation de traceurs informatiques sur l'ordinateur de Mme [H]-[F] : le logiciel Teamviewer dont elle fait état est un logiciel de télémaintenance (pièce employeur n° 38) ;

- aux agressions verbales de la part de ses collègues : elle ne s'est pas adaptée aux conditions de travail en open space et se querellait avec ses collègues (pièces employeur n° 40 et 32) ;

- à la contestation de son élection en qualité de déléguée du personnel et la remise en cause de son mandat : son élection n'a jamais été contestée ; lors du dépouillement, l'employeur a eu un doute quant à l'interprétation des résultats et a interrogé l'inspection du travail aux fins de savoir laquelle des candidates devait être désignée comme titulaire, l'autre étant alors élue suppléante (pièces employeur n° 25 et 26, 35) ; l'employeur a même pris l'initiative de lui affecter un local pour sa permanence (pièce employeur n° 14 et 15) ; les allégations de Mme [H]-[F] sont contredites par les attestations (pièces employeur n° 40, 46, ,51) ;

- aux discussions relatives à une rupture conventionnelle : rien ne peut être reproché à l'entreprise (pièces employeur n° 22 et salarié n° 20 et 21) ;

- au refus de déclarer les accidents du travail et non-paiement des IJSS : le grief est mensonger (pièces employeur n° 3,4,5 et 18 à 20) ;

- aux changements de fonctions et rétrogradation : ses fonctions n'ont jamais été modifiées (pièces employeur n° 27, 43, 22, 14, 44 à 49) ;

- à l'exercice du droit de retrait au prétexte de la surpopulation dans l'open space : pourtant l'espace que partageait Mme [H]-[F] avec ses 3 collègues (dont 2 étaient très souvent absents) faisait environ 30 m² (pièces employeur n° 35, 27, 24) ;

- le jugement est contestable ; les premiers juges affirment, en adoptant seulement les allégations de Mme [H]-[F], qu'elle subissait des critiques incessantes sur son comportement et sur son travail ; or Mme [H]-[F] était à l'origine d'un climat de tension au sein de l'entreprise dont elle ne peut se prévaloir pour dire qu'elle est victime de harcèlement moral ; l'employeur a reçu plusieurs courriers recommandés de la part de Mme [H]-[F], a toujours répondu avec modération et courtoisie sans qu'il ne puisse lui être reproché de marquer son désaccord sur un certain nombre de griefs qui lui étaient faits ; les premiers juges affirment aussi de la même manière que son bureau était encombré de boites de chaussures ; or son bureau était un open space de 30 m² partagé avec 3 de ses collègues et la présence de boîtes de chaussures n'a rien d'anormal s'agissant d'une PME travaillant dans le commerce de détail de la chaussure, M. [W] attestant qu'il n'y avait pas d'encombrement de l'espace de travail (pièces employeur n° 24 et 50) ; les premiers juges affirment encore que Mme [H]-[F] a été privée de l'essentiel de ses missions ; or le fait de ne plus la solliciter pour procéder à des traductions italiens/français ne constitue pas une rétrogradation mais un ajustement de ses fonctions polyvalentes d'assistante administrative et commerciale, d'autant que les traductions constituaient une tâche accessoire ; elle avait des missions diverses, notamment, la gestion et l'optimisation des stocks, la prise de rendez-vous et l'organisation des réunions commerciales, la gestion des rendez-vous pour la médecine du travail, la mise en place des plannings (pièces employeur n° 22, 44 à 49) ; les premiers juges affirment enfin que l'entreprise a cherché à se séparer d'elle dans le cadre d'une rupture conventionnelle, ce qui ne ressort pas des documents produits (pièces employeur n° 10-2 et 22) ;

- ces éléments contredisent les faits de harcèlement moral et de discrimination que Mme [H]-[F] invoque à l'appui de sa prise d'acte ; l'employeur démontre que les faits invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ou à toute discrimination ou ne constituent pas des faits de harcèlement ou de discrimination.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour dispose d'éléments suffisants pour retenir que la société Carel démontre que les faits matériellement établis par Mme [H]-[F] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral et toute discrimination ou ne sont pas constitutifs de tels agissements.

En effet la cour retient d'abord que les traceurs installés sur l'ordinateur de Mme [H]-[F] comme sur ceux de l'entreprise sont inhérents au logiciel de télémaintenance Teamviewer et ne caractérise pas un fait de harcèlement moral ou de discrimination.

La cour retient aussi que les tensions existantes entre Mme [H]-[F] et Mme [K] d'une part et Mme [R] d'autre part, ne peuvent pas être imputées à ces dernières et ne constituent pas des agissements de harcèlement moral dont Mme [H]-[F] peut se plaindre utilement de ce fait, étant ajouté que les éléments de preuve produits par la société Carel contredisent l'existence des pressions, insultes et mauvais traitements verbaux allégués par Mme [H]-[F] ; au contraire la cour retient que Mme [H]-[F] n'acceptait plus son contexte de travail et contestait ses collègues et supérieures hiérarchiques sans que cela soit objectivement fondé.

La cour retient encore que son élection comme déléguée suppléante n'a pas été contestée contrairement à ce que soutient Mme [H]-[F].

La cour retient par ailleurs ainsi que l'entreprise le démontre et le soutient que le retrait des fonctions allégué par Mme [H]-[F] n'existe pas dès lors que le fait de ne plus la solliciter pour procéder à des traductions italiens/français ne constitue pas une rétrogradation mais un ajustement de ses fonctions polyvalentes d'assistante administrative et commerciale à la nouvelle organisation de l'entreprise : elle avait au titre de ses fonctions d'assistante administrative et commerciale des missions diverses, la gestion et l'optimisation des stocks, la prise de rendez-vous et l'organisation des réunions commerciales, la gestion des rendez-vous pour la médecine du travail, la mise en place des plannings.

C'est donc en vain que Mme [H]-[F] soutient qu'elle a été rétrogradée le 28 octobre 2014 au motif que ses fonctions d'assistante administrative et commerciale n'ont pas été modifiées lors de la réorganisation du magasin.

C'est aussi en vain qu'elle se plaint qu'elle n'a jamais été convoquée à des réunions de délégués du personnel, et n'a jamais eu de crédit d'heures en sa qualité de délégué du personnel ; en effet la cour retient qu'aucune réunion n'a été convoquée par l'employeur et qu'elle a obtenu un local et des heures de délégation dès qu'elle en a fait la demande et cela, sans que l'on ne puisse reprocher à l'employeur le moindre manquement à ce sujet.

C'est encore en vain que Mme [H]-[F] soutient que l'employeur lui a fait des reproches les 3 et 6 juin 2014, qu'elle a subi divers comportements vexatoires et qu'elle a fait des déclarations de main courante au motif d'une part que l'employeur a exercé son pouvoir de direction sans abus ni faute et au motif d'autre part que les comportements vexatoires allégués et ses déclarations de main courante sont contredits par les attestations produites par la société Carel et les réponses faites par l'employeur dont il ressort que Mme [H]-[F] n'acceptait plus son contexte de travail et contestait ses collègues et supérieures hiérarchiques sans que cela soit objectivement fondé.

La cour retient par ailleurs que le fait pour l'employeur de lui avoir proposé une rupture conventionnelle ne suffit pas à caractériser un fait de harcèlement moral ou une discrimination et cela d'autant plus qu'il constatait que Mme [H]-[F] n'adhérait plus à son contexte de travail et se plaignait d'être mal dans sa vie professionnelle sans que cela ne soit imputable objectivement à ses conditions de travail.

C'est aussi en vain que Mme [H]-[F] soutient qu'elle travaillait dans un bureau très confiné de 15 m² au motif que son bureau était un open space de 30 m² partagé avec 3 de ses collègues étant précisé que la présence de boîtes de chaussures n'avait rien d'anormal s'agissant d'une PME travaillant dans le commerce de détail de la chaussure et que M. [W] atteste qu'il n'y avait pas d'encombrement de l'espace de travail, ainsi que l'entreprise le démontre et le soutient.

Le fait que le 29 septembre 2014, Mme [H]-[F] a envoyé un courrier ayant comme objet « souffrance au travail », que le 30 septembre 2014, elle a fait un malaise sur le temps et le lieu de travail et qu'elle a dénoncé les conditions de travail dans le bureau par courrier du 14 octobre 2014 établit son mal-être au travail ; la cour retient cependant que la société Carel produit des éléments de preuve suffisants pour prouver que les conditions de travail dans son bureau n'étaient pas critiquables et contredisent les allégations de Mme [H]-[F] quand bien même cette dernière ne les supportait plus pour des raisons tenant manifestement à la représentation qu'elle se faisait de son contexte professionnel.

C'est encore en vain que Mme [H]-[F] soutient que le 15 octobre 2014, elle a écrit un courrier contestant l'absence de moyens et l'entrave à ses missions de délégués du personnel, ainsi que divers mails, que par la suite, la direction a enfin consenti à lui reconnaître la qualité de délégué du personnel, et à lui attribuer un local et qu'elle a aussi demandé à la direction de cesser ses intimidations auprès de certains salariés ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif qu'ils sont contredits par les éléments de preuve produits par la société Carel et dont il ressort que la société Carel n'a aucunement contesté sa qualité de délégué du personnel, ni entravé Mme [H]-[F] dans l'exercice de son mandat et qu'elle lui a fourni un local à la première demande.

C'est enfin en vain que Mme [H]-[F] soutient qu'elle a exercé son droit de retrait le 29 octobre 2014 et que la direction a refusé ce droit de retrait ; en effet la cour retient que l'employeur a géré le mieux qu'il a pu le refus de travailler de Mme [H]-[F] dans son bureau le 29 octobre 2014, puis son surprenant refus de le quitter malgré l'invocation du droit de retrait ainsi que son refus de repartir chez elle comme cela lui était proposé.

Finalement s'il est exact que Mme [H]-[F] a été en arrêt de travail pour maladie et qu'elle établit amplement qu'elle souffre de troubles psychologiques qui ont conduit différents médecins qu'elle a consultés à lui prescrire notamment de l'Abilify (antipsychotique), de la Sertraline (traitement de la dépression, des TOC, de l'anxiété et des TSPT), du Zopiclone (hypnotique) et de l'Alprazolam (anxiolytique), ces arrêts de travail et traitements montrent l'acuité de son mal-être mais la société Carel a suffisamment établi qu'ils n'étaient pas imputables à ses conditions de travail.

Les demandes relatives au harcèlement moral à la discrimination doivent par conséquent être rejetées.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la demande de prise d'acte aux torts de l'employeur du fait du harcèlement moral et de la discrimination est rejetée ainsi que les demandes formées à titre principal de dommages intérêts pour licenciement nul, d'indemnité pour violation du statut protecteur et d'indemnités de rupture qui en découlent.

Il en est de même des demandes formées à titre subsidiaire de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnités de rupture étant précisé que Mme [H]-[F] n'articule comme seul moyen pour voir juger que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse la mention « La rupture injustifiée et fautive du contrat de travail de Mme [H]-[F] a été cause d'un préjudice économique particulièrement important ».

Le jugement déféré est donc infirmé en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute Mme [H]-[F] de toutes ses demandes.

Sur les autres demandes

La cour condamne Mme [H]-[F] aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner Mme [H]-[F] à payer à la société Carel la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions :

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute Mme [H]-[F] de toutes ses demandes,

Condamne Mme [H]-[F] à payer à la société Carel la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne Mme [H]-[F] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/08128
Date de la décision : 14/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-14;20.08128 ?
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