Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 13 JUIN 2023
(n° , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/11158
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Juin 2020 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris - RG n° 19/04336
APPELANT
Monsieur [L] [V] [X] [Y]
Lieu-dit [Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Marie D'HARCOURT, avocat au barreau de PARIS, toque : D2059
INTIME
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Cyril FERGON de la SELAS ARCO - LEGAL, avocat au barreau de PARIS, toque : J135
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI
MINISTERE PUBLIC : à qui l'affaire a été communiquée le 27 août 2020 et qui a fait connaître son avis le 28 octobre 2020.
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 13 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Par arrêt du 23 février 1996, la cour d'assises du Rhône a condamné M. [L] [V] [X] [Y] à la peine de 20 ans de réclusion criminelle des chefs de complicité de vol en bande organisée sous la menace d'armes apparentes et de complicité de séquestration pour favoriser la fuite des auteurs dudit vol.
Sur pourvoi de M. [I] [H], également condamné, la Cour de cassation a, par arrêt du 5 février 1997, cassé l'arrêt de la cour d'assises du Rhône en ses seules dispositions condamnant M. [I] [H] et M. [P] [T] à la réclusion criminelle à perpétuité, une telle peine n'étant pas en vigueur au jour de la commission des faits reprochés, y substituant, sans renvoi, la peine maximale légalement encourue de 30 ans de réclusion criminelle.
C'est dans ces circonstances que par acte du 4 avril 2019, M. [Y], soutenant que l'erreur d'appréciation de la cour d'assises a été corrigée envers MM. [H] et [T] par les effets du pourvoi en cassation mais est demeurée intacte à son détriment alors que sa responsabilité a été jugée moindre, a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir engager la responsabilité du fait de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, sur le fondement de la faute lourde.
Par jugement rendu le 22 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré l'action irrecevable,
- condamné M. [Y] aux dépens,
- condamné M. [Y] à payer à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 28 juillet 2020, M. [Y] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 27 août 2020, M. [L] [V] [X] [Y] demande à la cour de :
- le déclarer bien fondé en son appel,
- infirmer la décision entreprise,
statuant à nouveau,
- juger que l'Etat a engagé sa responsabilité à son égard et est responsable de son entier préjudice,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat au paiement d'une somme de 1 million d'euros en réparation du préjudice subi,
- débouter l'agent judiciaire de l'Etat de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat au paiement d'une somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat en tous les dépens dont distraction est requise au profit de Me d'Harcourt, avocat.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 18 novembre 2020, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :
à titre principal :
- confirmer le jugement en ce que l'action de M. [Y] a été déclaré irrecevable,
à titre subsidiaire :
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions à son encontre et en tout état de cause,
- condamner M. [Y] au règlement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par avis du 28 octobre 2020, le parquet général conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré l'action de M. [Y] irrecevable et subsidiairement au défaut de caractérisation d'une faute lourde de l'Etat.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 7 février 2023.
SUR CE
Sur la prescription :
Le tribunal a déclaré l'action de M. [Y] irrecevable comme étant prescrite lorsqu'elle a été introduite le 4 avril 2019, en ce qu'à supposer que la méconnaissance de la loi puisse être regardée comme légitime, ce serait au plus tard à compter de l'arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1997, dont M. [Y] ne conteste pas avoir eu connaissance, que ce dernier a été mis en mesure de découvrir l'erreur de droit commise par la cour d'assises et le préjudice en résultant allégué, en sorte que le délai de la prescription quadriennale a couru à compter du 1er janvier 1998 pour expirer le 31 décembre 2001.
M. [Y] conteste la prescription de l'action aux motifs que :
- le délai de prescription quadriennal ne peut courir que s'il a acquis les droits objets de la créance et s'il connaissait l'existence de celle-ci,
- la prescription ne peut avoir couru à compter du 1er janvier 1997 au vu de l'arrêt de condamnation rendu à son encontre le 23 février 1996, alors qu'il pouvait être légitimement regardé comme ignorant la créance au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 car l'arrêt de la Cour de cassation cassant cet arrêt n'avait pas été rendu,
- il a pris connaissance de sa créance lors de la fin de sa peine qui s'est achevée au 23 février 2016, date à laquelle son dommage est apparu dans son intégralité, celui-ci étant impossible à quantifier tant qu'il demeurait sous la contrainte et à la disposition de la justice dès lors que la longueur de la détention subie, qui est en cause et fonde son préjudice, est le fait générateur de sa créance, en sorte que la prescription a commencé à courir le 1er janvier 2017.
L'agent judicaire de l'Etat réplique que :
- la faute lourde alléguée résultant dans la condamnation à une peine de 20 ans de réclusion criminelle, le fait générateur du dommage est l'arrêt de condamnation et non l'exécution de la peine qui s'en est suivie,
- seule la décision de justice marquant l'achèvement de la procédure pénale doit être prise en compte pour déterminer le point de départ du délai de prescription, soit l'arrêt du 23 février 1996 rendu par la cour d'assises du Rhône,
- le délai de la prescription quadriennale a commencé à courir le 1er janvier 1997 et expiré le 31 décembre 2000 et l'action introduite le 4 avril 2019 est donc irrecevable comme prescrite.
Le ministère public est d'avis que le délai de prescription a commencé à courir au plus tard le 1er janvier 1998 pour expirer le 31 décembre 2001.
Selon l'article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la même loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
L'article 3 de cette loi précise que la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance.
La prescription quadriennale des créances sur l'Etat et les collectivités publiques court à compter du 1er janvier de l'année suivant la date du fait générateur de la créance, soit au jour où la créance indemnitaire est réputée acquise en son principe, sauf ignorance légitime de son titulaire.
Il appartient à celui qui invoque la suspension de la prescription en vertu de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 d'établir qu'il est resté légitimement dans l'ignorance de l'existence de sa créance et qu'il n'avait aucun moyen de connaître le fait générateur dans le délai de la prescription.
M. [Y] recherche la responsabilité de l'Etat pour faute lourde au titre de l'appréciation par la cour d'assises de sa peine au regard d'un quantum maximal légal encouru erroné.
L'arrêt du 23 février 1996 ayant prononcé la peine que M. [Y] critique, constitue le fait générateur de la créance.
A considérer que M. [Y] puisse être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance lors du prononcé de cet arrêt bien que nul ne soit censé ignorer la loi, cette ignorance a nécessairement été levée par l'arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1997 ayant jugé illégales les peines de réclusion criminelle à perpétuité prononcées à l'encontre de MM. [H] et [T] en y substituant, sans renvoi, la peine maximale légalement encourue de 30 ans de réclusion criminelle.
L'exécution de sa peine par M. [Y], qui ne constitue pas le fait générateur de la créance ni un empêchement légitime, est sans effet sur le cours de la prescription.
La prescription quadriennale a dès lors couru au plus tard le 1er janvier 1998 pour expirer au 31 janvier 2001, en sorte que l'action exercée le 4 avril 2019 est prescrite.
La prescription est donc acquise ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges. Le jugement est par conséquent confirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [Y] échouant en ses prétentions est condamné aux dépens d'appel et à payer à l'agent judiciare de l'Etat une indemnité de procédure de 1500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne M. [L] [V] [X] [Y] à payer à l'agent judiciaire de l'Etat une somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [L] [V] [X] [Y] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,