REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRET DU 08 JUIN 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00528 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBI2J
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juin 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/00367
APPELANTS
Madame [D] [H] épouse [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Elodie CHEVREUX HANAFI, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1888
SYNDICAT NATIONAL DU PERSONNEL NAVIGANT COMMERCIAL (SNPNC)
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Elodie CHEVREUX HANAFI, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1888
INTIMEE
SA AIR FRANCE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Février 2023, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant la Cour composée de Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendues en leur rapport, composée de :
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller
Greffière, lors des débats : Madame Figen HOKE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Madame Figen HOKE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [D] [H] épouse [V] a été engagée en qualité d'hôtesse de l'air par la société Air France dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 5 mars 1999.
La société Air France emploie à titre habituel plus de dix salariés.
Les relations contractuelles étaient régies par l'accord d'entreprise Air France.
Jusqu'au 1er décembre 1995, le personnel navigant commercial (ci-après désigné le PNC) comprenant les hôtesses et les stewards de la société Air France était soumis à une grille de rémunération composée de 10 échelons et de 6 classes.
Par décision de la société du 1er décembre 1995, les hôtesses et les stewards de la société Air France embauchés à compter de cette date ont été soumis à une nouvelle grille de rémunération composée de 13 échelons et 8 classes.
Ce système était baptisé l'échelle'B-Scale' (échelle bis) puisque selon la date d'embauche le salarié appartenant au PNC était soumis soit à l'ancienne soit à la nouvelle grille de rémunération.
Des mouvements de grève initiés par les organisations syndicales ont perduré jusqu'en 2001, dénonçant, du fait de la mise en place de l'échelle 'B-Scale', des inégalités de traitement entre le personnel embauché avant et après décembre 1995.
Suite à ces mouvements de grèves répétés, des négociations ont eu lieu entre les organisations syndicales et la société Air France. Elles ont abouti, tout d'abord, à une modification de l'échelle 'B-Scale' par l'accord collectif du 16 juin 1999, puis, à sa suppression dès le 1er janvier 2002 par un avenant à cet accord. Les personnels embauchés depuis le 1er décembre 1995 ont ainsi vu leur ancienneté recalculée sur la base d'une nouvelle grille salariale fondée sur cet avenant.
A la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2015 accordant à une salariée d'Air France une indemnisation pour inégalité de traitement en raison de l'application de l'échelle 'B-Scale', la salariée a écrit à son employeur pour revendiquer une régularisation de sa situation.
La société Air France ayant refusé de faire droit à sa demande, elle a saisi, avec le syndicat national du personnel navigant commercial (ci-après désigné le syndicat), le conseil de prud'hommes de Bobigny le 13 avril 2016 aux fins d'obtenir de la société Air France des dommages-intérêts pour violation du principe d'égalité de traitement.
Par jugement du 12 juin 2019, le conseil de prud'hommes a déclaré prescrites les demandes pécuniaires de la salariée et du syndicat et a débouté les parties de leurs autres demandes.
Le 15 janvier 2020, la salariée et le syndicat ont interjeté appel du jugement.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 14 mars 2020, Mme [V] demande à la cour de :
Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Juger que l'application de la grille des rémunérations introduite le 1er décembre 1995 a fait naître une inégalité de traitement,
Juger que cette inégalité de traitement n'est pas justifiée par des éléments objectifs et pertinents,
En conséquence,
Condamner la société Air France à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice matériel et moral,
Condamner la société Air France au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 4 avril 2020, le syndicat demande à la cour de :
Infirmer le jugement,
Juger que son action est recevable,
Juger qu'il est bien fondé en ses demandes,
En conséquence,
Condamner la société Air France à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à la salariée et à l'intérêt collectif de la profession,
Condamner en outre la société Air France au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 3 juillet 2020, la société Air France demande à la cour de :
Confirmer le jugement,
Dire et juger que la salariée et le syndicat sont irrecevables en leurs demandes en raison de la prescription,
Débouter la salariée et le syndicat de l'ensemble de leurs demandes,
Condamner la salariée et le syndicat à payer chacun à la société Air France la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamner aux dépens.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L'instruction a été déclarée close le 11 janvier 2023.
MOTIFS :
Sur la prescription :
* Sur la demande pécuniaire de la salariée :
La société Air France soulève dans le dispositif de ses écritures la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande pécuniaire de la salariée et sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable cette demande.
La salariée s'oppose à cette fin de non-recevoir et sollicite l'infirmation du jugement sur ce point.
***
En premier lieu, la salariée expose que jusqu'au 1er décembre 1995 le personnel navigant commercial (ci-après désigné le PNC) regroupant les hôtesses et les stewards de la société Air France était soumis à une grille de rémunération qu'elle produit dans ses écritures comprenant 10 échelons et 6 classes.
La salariée expose également que par décision du 1er décembre 1995, la société Air France a mis en place une grille de rémunération destinée exclusivement au PNC recruté à compter de cette date et dont elle faisait partie. Elle soutient que cette nouvelle grille qu'elle produit dans ses écritures comprenait 13 échelons (au lieu de 10) et 8 classes (au lieu de 6) et que les trois nouveaux premiers échelons dénommés A1, B1 et C1 prévoyaient une rémunération mensuelle inférieure à celle liée au premier échelon de l'ancienne grille et ce, quelle que soit la classe attribuée au salarié concerné.
La salariée soutient ainsi que la décision du 1er décembre 1995 mettant en place l'échelle 'B-Scale' a eu pour effet de créer une inégalité de traitement salarial entre les hôtesses et les stewards recrutés avant et après le 1er décembre 1995. Elle sollicite ainsi la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
Si la salariée ne mentionne pas dans ses écritures la période durant laquelle son préjudice serait né, la cour constate cependant qu'elle n'invoque à l'origine de celui-ci que la décision du 1er décembre 1995 mettant en place la grille de rémunération litigieuse. Or, il ressort des éléments produits que cette décision a été annulée à compter du 1er janvier 2002 par un avenant à l'accord collectif du 16 juin 1999, cet avenant ayant également substitué une nouvelle grille de rémunération à celle mise en place dans le cadre de l'échelle 'B-Scale'. La salariée ne contestant pas la régularité de cette nouvelle grille, il s'en déduit que les faits à l'origine de son préjudice n'ont pu se produire qu'entre le 5 mars 1999 (date de son embauche) et le 1er janvier 2002 (date de l'annulation de l'échelle 'B-Scale').
En deuxième lieu, lorsqu'un salarié invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande.
La demande pécuniaire de la salariée étant de nature indemnitaire et non salariale, la prescription invoquée par l'employeur à l'encontre de celle-ci est gouvernée par les dispositions suivantes.
Avant l'entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'action en responsabilité contre l'employeur était soumise à la prescription trentenaire en vertu de l'article 2262 du code civil qui disposait : 'Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi'. La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 ayant réformé la durée de la prescription a modifié ce texte. Aux termes de l'article 2224 issu de cette loi, 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent désormais par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'. Selon le second alinéa de l'article 2222 du même code, également introduit par la loi du 17 juin 2008, 'en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieur'. Enfin, la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a, d'une part, introduit un article L. 1471-1 dans le code du travail, entré en vigueur le 17 juin 2013, qui dispose : 'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit' et, d'autre part, précisé dans le V de son article 21 que ces dispositions 's'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure'.
Compte tenu de ces dispositions législatives et de la date de saisine du conseil de prud'hommes (13 avril 2016), le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur dépend de la détermination par la cour du point de départ du délai de prescription qui, comme il a été dit, ne commence à courir que lorsque la salariée 'a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit'.
La salariée soutient qu'à la date de son embauche, elle ne disposait pas des éléments lui permettant de savoir qu'elle était victime d'une inégalité de traitement. Elle expose également que l'employeur n'établit pas qu'elle a eu connaissance de l'inégalité de traitement invoquée avant le 28 janvier 2016, date à laquelle elle a participé à une réunion syndicale d'information au cours de laquelle elle a eu connaissance de l'arrêt du 28 mai 2015 par lequel la cour d'appel de Paris a condamné la société Air France à verser à une de ses salariés une indemnité pour violation du principe d'égalité de traitement du fait de la mise en place de l'échelle 'B-Scale'. Elle indique enfin que la prescription ne peut commencer à courir que lorsqu'elle a connaissance non seulement de l'inégalité de traitement invoquée mais également de l'estimation précise du préjudice en résultant ne pouvant découler que de la communication par l'employeur de l'ancienne grille de rémunération applicable.
L'employeur soutient que la date de révélation des faits est la date d'entrée dans l'entreprise de la salariée puisqu'elle a été informée à cette occasion des nouvelles règles de carrière et que l'échelle 'B-Scale''a été appliquée de 1996 au 1er janvier 2002 et a fait l'objet de :
- de 53 jours de grève à l'initiative des syndicats ;
- de nombreuses communications syndicales diffusées dans l'entreprise et remises pour certaines au PNC,
- de lettres d'Air France adressées au PNC,
- de communications internes de la part d'Air France dans les flashs actualité,
- de différents accords collectifs signés par les partenaires sociaux,
- d'articles de presse extérieure à l'entreprise, de reportages aux journaux télévisés et dans des radios à audience nationale.
En l'espèce, il ressort des éléments produits par la société Air France que durant toute la période durant laquelle la grille de rémunération litigieuse a existé, celle-ci n'a jamais cessé d'être contestée dans la presse, dans les tracts syndicaux et les publications des syndicats. L'opposition au système de l'échelle 'B-Scale' s'est ainsi concrétisée par 53 jours de grève de la part des salariés de l'entreprise, la grève ayant notamment été très suivie le 4 juillet 2001, soit postérieurement à l'embauche de l'appelante, puisque les syndicats comptabilisaient '54,8% de grévistes'.
De même, il ressort des pièces versées aux débats que dans un contexte de contestation majoritaire au sein du PNC contre l'échelle 'B-Scale', les syndicats et l'employeur ont largement communiqué par des tracts et des courriers auprès des salariés concernés sur les négociations en cours pour y mettre fin, ainsi que sur la nouvelle grille de rémunération mise en place par l'avenant à l'accord collectif de 1999 en remplacement de l'échelle 'B-Scale' et qui, comme il a été dit précédemment, n'est pas critiquée dans les conclusions d'appel de la salariée.
Enfin, il ressort des éléments produits que suite à la suppression de l'échelle 'B-Scale', les fiches de paie de la salarié ont été modifiées en janvier 2002 pour tenir compte de la nouvelle grille de rémunération.
Il se déduit de ce qui précède que l'appelante 'a connu ou aurait dû connaître' au plus tard en janvier 2002, d'une part, l'existence de l'échelle 'B-Scale' et, d'autre part, le fait que son application était de nature à désavantager sur le plan salarial le PNC recruté après le 1er décembre 1995 par rapport au personnel embauché avant cette date.
S'il est vrai comme l'affirme la salariée que l'employeur n'établit pas avoir adressé à cette dernière les anciennes grilles de rémunération, force est de constater qu'il ne ressort d'aucun élément produit que la salariée l'ait sollicitée ou que l'employeur se serait opposé à sa communication. En outre, la salariée n'explicite pas dans ses conclusions d'appel les éléments lui ayant permis de fixer le montant du préjudice qu'elle sollicite et, par voie de conséquence, elle ne justifie nullement que ce montant ne pouvait être déterminé que par la comparaison entre l'ancienne et la nouvelle grille salariale. Il s'en déduit que la salariée n'établit pas que son action indemnitaire ne pouvait être diligentée à l'encontre de l'employeur dès 2002 du fait de l'absence de communication de l'ancienne grille de rémunération.
Contrairement aux allégations de la salariée, la décision de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2015 précitée n'a nullement eu pour effet de révéler les faits litigieux qui, comme il a été dit précédemment, ne pouvaient qu'être connus de la salariée dès 2002. Ainsi, compte tenu des dispositions législatives précitées, l'action indemnitaire de cette dernière était prescrite à compter du 17 juin 2015. La salariée n'ayant saisi le conseil de prud'hommes que le 13 avril 2016, sa demande indemnitaire est donc irrecevable et le jugement sera confirmé en conséquence.
* Sur la demande pécuniaire du syndicat :
La société Air France soulève dans le dispositif de ses écritures la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande indemnitaire du syndicat et sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable cette demande.
Le syndicat sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à la salariée et à l'intérêt collectif de la profession en raison de l'inégalité de traitement invoqué par la salariée. Il ne produit toutefois dans ses conclusions d'appel aucun argumentaire en défense contre la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur.
En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats et des développements précédents, que le syndicat a activement participé entre 1996 et 2002 à la contestation de l'échelle 'B-Scale'. Le syndicat ayant eu ainsi connaissance au cours de cette période des faits lui permettant d'exercer son action indemnitaire, celle-ci était donc prescrite lors de sa saisine du conseil de prud'hommes le 13 avril 2016 et ce, en application des dispositions législatives susmentionnées.
Le jugement sera confirmé en conséquence.
Sur les demandes accessoires :
Le syndicat et la salariée qui succombent dans la présente instance, doivent supporter les dépens d'appel et être condamnés à payer chacun à la société Air France la somme de 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel. Ils seront en revanche déboutés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [D] [H] épouse [V] et le syndicat national du personnel navigant commercial à verser chacun 200 euros à la société Air France en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE solidairement Mme [D] [H] épouse [V] et le syndicat national du personnel navigant commercial aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE