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07/06/2023 | FRANCE | N°21/03205

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 07 juin 2023, 21/03205


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 07 JUIN 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03205 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOYX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F20/00603



APPELANTE



Madame [S] [X]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le 03 Mai 1974 à [Localité 5]


Représentée par Me Didier PETIT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1447



INTIMEE



S.A.R.L. DASSAULT FALCON SERVICE Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Ad...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 07 JUIN 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03205 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOYX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F20/00603

APPELANTE

Madame [S] [X]

[Adresse 1]

[Localité 2]

née le 03 Mai 1974 à [Localité 5]

Représentée par Me Didier PETIT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1447

INTIMEE

S.A.R.L. DASSAULT FALCON SERVICE Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Lorelei GANNAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P010

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François de CHANVILLE, président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, conseillère

Mme Florence MARQUES, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Jean-François de CHANVILLE, président de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Justine FOURNIER

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François de CHANVILLE, président de chambre et par Justine FOURNIER, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SARL Dassault Falcon service a pour activité l'assistance technique et la maintenance des avions Falcon et dispose d'une compagnie aérienne spécialisée dans l'aviation d'affaires, couplée d'un service d'assistance aux avions en escale.

Au titre de son activité de compagnie aérienne d'affaires dans le cadre de vols à la demande, la société Dassault falcon service emploie du personnel navigant et plus particulièrement un personnel navigant technique composé de 18 pilotes.

Mme [S] [X], née en 1974, a été engagée le 9 décembre 2014 par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 janvier 2015 en qualité de personnel navigant technique et d'officier pilote de ligne. Son ancienneté au sein du groupe Dassault qui remonte au 16 janvier 2015 était reprise.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises aux dispositions relatives aux personnels navigants de Dassault Falcon Services, ainsi qu'aux codes de l'aviation civile et des transports.

Par un avenant distinct signé le même jour que son contrat de travail, à savoir le 9 décembre 2014, Mme [S] [X] a été nommée responsable du bureau d'études et administrateur de l'EFB, acronyme de Electronic Fligt bag, qui signifie en français sacoche de vol électronique, dispositif électronique utilisé par chaque pilote pour une aide à la gestion et à l'information durant les tâches au sol et en vol. Ultérieurement, elle s'est vue nommée responsable d'un manuel d'exploitation dit [T], spécifique à l'intention des autorités de l'Île de Man.

Le 23 janvier 2018, le médecin du travail a délivré à Mme [S] [X] un avis d'aptitude de six mois seulement, son médecin traitant la plaçant en arrêt de travail quelques jours en février 2018 ".

La société Dassault Falcon service a fait part à Mme [S] [X], par courriel du 6 avril 2018, de son refus d'organiser une rupture conventionnelle.

Le même jour, la salariée a remis en main propre une lettre de démission.

Elle a été placée en arrêt de travail le 26 avril 2018, lequel a été prolongé jusqu'au 5 juin suivant.

Le 6 juin 2018, elle a fait parvenir à l'employeur un courrier de prise d'acte de rupture de son contrat de travail.

Soutenant que sa démission doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant ainsi le versement de diverses sommes, Mme [S] [X] a saisi le 27 février 2020 le conseil de prud'hommes de Bobigny, aux fins de voir condamner la société Dassault Falcon service à lui payer les sommes suivantes :

- 45.386,04 euros d'indemnité de travail dissimulé ;

- 121.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 68.986,32 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Dassault Falcon service s'est opposée à ces prétentions et a sollicité la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 3 mars 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :

- débouté la demanderesse de l'ensemble de ses demandes,

- condamné celle-ci à verser à la société Dassault Falcon service les sommes suivantes :

* 7.564,34 euros au titre du préavis non totalement effectué du fait de la prise d'acte de rupture,

* 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 29 mars 2021, Mme [S] [X] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 17 mars 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 janvier 2023, l'appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes et reprend ses prétentions de première instance sous réserve qu'elle élève sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 3 000 euros. En outre elle demande la condamnation de la société à lui payer les sommes suivantes :

- 7.564,34 euros en restitution de l'indemnité du même montant pour préavis restant non effectué mis à sa charge par le jugement ;

- 16 143,99 euros en rémunération de son activité au sol au sein du bureau d'étude ;

- 1 614,39 euros d'indemnité de congés payés y afférents.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 décembre 2022, l'intimée demande à la cour de confirmer le jugement. A titre subsidiaire elle prie la cour de limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 3 mois de salaire, soit de 22.693,02 euros brut. En tout état de cause, elle sollicite l'allocation de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de Mme [S] [X] aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1 : Sur les heures de travail au titre du bureau d'études

Mme [S] [X] sollicite le paiement d'un complément de salaire au titre des heures effectuées au sol comme responsable du bureau d'études et administrateur de l'EFB qui avant son arrivée relevait de trois personnes à temps plein. Mme [S] [X] soutient que ces fonctions précitées n'ont jamais été prises en compte, la société les qualifiant abusivement de temps de travail connexe au vol et rémunérées au titre des heures de vol. Eu égard au nombre d'UHV, c'est-à-dire d'unités heure de vol qui est l'unité de compte de la rémunération du temps de travail des pilotes, engendrées par son activité au sol elle estime avoir dépassé le seuil de 60 UHV qui est rémunéré par le salaire mensuel minimum garanti. Dés lors, décomptant 425 journées travaillées dans les locaux du bureau d'étude pendant la période non prescrite écoulée entre janvier 2015 et mai 2018, et retenant la seule prime perçue à ce titre de 1 300 euros brut par mois, Mme [S] [X] sollicite un rappel de salaire de 16 143,99 euros brut outre 1 614,39 euros brut d'indemnité de congés payés y afférents.

La société Dassault Falcon service répond que le temps de travail au sol entre dans les activités complémentaires aux heures de vol comme le prévoient selon elle l'article L. 6525-2 du code des transports et les dispositions internes de la société applicables au personnel navigant, le cas échéant avec paiement d'une prime, comme en l'espèce. L'employeur objecte également que le décompte du temps de travail établi par la salariée est erroné dès lors qu'elle assimile une indemnité de montée de terrain, qui est l'indemnité de transport due pour se rendre à l'entreprise, à une journée de travail, alors qu'il peut ne s'agir que d'une demi-journée, elle affecte au mois de septembre 2016, neuf indemnités de montée de terrain qui ne sont que des régularisations, elle ajoute à son temps de travail du temps de travail évalué par elle forfaitairement qu'elle aurait accompli pendant ses temps de congés et de repos, sans preuve, elle établit trois versions successives et différentes de ses heures supplémentaires. L'employeur conclut que celles-ci ne sont pas justifiées et que la demande d'indemnité de travail dissimulé doit être rejetée, ne serait-ce qu'à raison de l'absence d'intention délictueuse.

1.1 : Sur le principe du droit à une rémunération complémentaire

Aux termes de l'avenant du 9 décembre 2014, Mme [S] [X] a été nommée ingénieur bureau d'étude de la compagnie aérienne et s'est vu allouer une prime mensuelle brute de 1 300 euros payée sur 12 mois en contre partie.

Cette prime n'est pas stipulée rémunérer des heures de travail et apparaît comme la rémunération d'une responsabilité.

Selon les "dispositions société relatives aux personnels navigants de Dassault Falcon service"

- les missions vol sont décomptées en jours de travail, un jour ou deux jours selon leurs heures et leur durée ;

- les journées d'activité sol sont rémunérées par rapport à des unités heures de vol (UHV);

- la rémunération du pilote est la somme d'un salaire mensuel fixe, d'une prime d'heures de vols calculée sur l'activité du mois précédent, exprimée en UHV et de la fonction et de la classe et d'une prime fixe liée à des activités ou performances particulières ;

- la prime heures de vol, est basée sur l'activité vol c'est-à-dire les heures de vol décomptées en UHV, sur les journées d'activité évaluées forfaitairement à 3,5 UHV et sur l'activité sol décomptées en nombre d'UHV forfaitaire.

Aux termes de l'article L. 6525-2 du code des transports, la durée annuelle du temps de service des salariés qui exercent l'une des fonctions de navigants professionnels ne peut excéder 2 000 heures dans lesquelles le temps de vol est limité à 900 heures et, pour l'application de cet article, le temps de service comprend au moins la somme des temps de vol, des temps consacrés aux activités connexes au vol et de certaines fractions déterminées par voie réglementaire pris après consultation des organisations d'employeurs et de salariés intéressés du temps pendant lequel le salarié est présent sur les sites de travail et susceptible, à tout moment, d'être appelé pour accomplir un vol ou une tâche relevant de son contrat de travail.

Il se pose la question de savoir si l'activité déployée par la salariée pour le bureau d'étude est pris en compte au titre des activités connexes aux vols, et se trouve ainsi rémunéré par le paiement des heures de vol, ou si elle doit être considérée comme une activité distincte et rémunérée de manière autonome.

L'article L. 6521-1 du code des transports énonce que le vol et les activités connexes ne recouvrent qu'"au moins" les temps de service, ce dont il se déduit que d'autres activités peuvent être déployées par ces professionnels.

Les documents de notification à la salariée des activités spécifiquement rémunérées en sus des temps de vol et activités connexes permettent de retenir comme étrangères à celles-ci les stages les visites médicales et les activités de simulateurs de vol. A fortiori, les activités liées au bureau d'étude doivent être rémunérées indépendamment des heures de vol, à titre d'activité non connexe aux heures de vol.

1.2 : Sur le montant de la rémunération liée à l'activité liée au bureau d'étude.

Il convient de déterminer l'importance de l'activité liée au bureau d'étude et sa rémunération en fonction de règles de preuve du temps de travail.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures de travail accomplies, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Il est en outre constant qu'un tableau établi par le salarié durant la procédure prud'homale ou après celle-ci peut constituer un élément suffisamment précis de nature à permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La salariée produit un tableau précis de ses heures de travail et le caclul de la rémunération qui lui fait défaut selon les modalités suivantes :

- à partir de chaque indemnité de déplacement pour se rendre à l'entreprise dit "prime de montée" de terrain et du nombre de vol qu'elle effectuait qui résulte de ses relevés d'activité aérienne, elle déduit le nombre de jours travaillés pour le bureau d'étude ;

- elle calcule son rappel de prime de vol, qui dépend non seulement de ses heures de vol, mais aussi de ses heures de travail au sol.

Si l'employeur objecte que les montées de terrain peuvent ne correspondre qu'à une demi-journée travaillée, il n'établit pas que tel était le cas pour Mme [X].

Si comme le relève l'employeur, le décompte du mois de septembre prend en compte des montées de terrain qui ne concernent pas ce mois et ne sont que des rattrapages de mois antérieurs, cet argument est inopérant, puisque la prise en compte de ces indemnités au titre du mois de septembre plutôt que d'un mois antérieur est sans effet sur le résultat du calcul du rappel de primes de vol final.

Mme [X] déduit une rémunération minimale correspondant aux 325 jours d'activité dans l'entreprise au sein du bureau d'étude et une rémunération maximale correspondant à 479 jours et ajoutant auxdits 325 jours, les jours de travail hors des locaux de l'entreprise, durant les escales, en week end, au cours de ses repos, de ses congés notamment et qu'elle fixe à 4 à 6 jours par mois.

Si la salariée évalue de manière forfaitaire son travail hors de son lieu de travail, d'une part elle l'étaye par l'existence de courriels démontrant l'usage de sa messagerie personnelle.

Ainsi la cour retiendra l'évaluation revendiquée par la salariée et accordera un rappel de prime de vol de 16 143,99 euros outre 1 614,39 euros d'indemnité de congés payés y afférents.

1.3 : Sur l'indemnité de travail dissimulé

La salariée sollicite l'allocation d'une indemnité de travail dissimulé de 45 386,04 euros brut, en invoquant l'intention de la dissimulation d'emploi, motif pris d'une part de ce que la société connaissait son amplitude de travail et d'autre part le refus de l'employeur de décompter des journées d'activité au sol qu'il ne pouvait ignorer, se bornant à indemniser ce travail par des primes et non un complément de salaire comme le prescrivait le contrat de travail et ses avenants.

La société Dassault Falcon service répond que les bulletins de paie sont établis par référence au nombre de jours travaillés, que les heures de travail au sein du bureau d'études s'intègrent dans l'activité au sol inhérente à ses fonctions de pilote, et se trouve bien rémunéré par une prime.

Sur ce

Ainsi l'employeur reprend ses moyens développés pour s'opposer au principe d'une rémunération complémentaire.

Il résulte des motifs qui précèdent que l'élément matériel est caractérisé par l'absence de mention sur les bulletins de paie d'une partie de la rémunération de la salariée.

Toutefois, la réglementation très particulière de la rémunération des pilotes a pu conduire la société Dassault Falcon service à se méprendre sur ses obligations, de sorte que l'élément intentionnel doit être écarté et la demande d'indemnité de travail dissimulé sera rejetée.

2 : Sur la démission

2.1 : Sur la requalification de la démission en prise d'acte

Mme [S] [X] soutient que la démission doit être requalifiée en prise d'acte, dès lors que celle-ci a été précédée par la manifestation de désaccords de sa part, a été suivie d'une prise d'acte de rupture au cours du préavis et s'expliquait par différents griefs contemporains de la rupture.

La société Dassault Falcon service objecte que la salariée a attendu deux mois après sa démission, pour écrire une lettre du 6 juin 2018 récapitulant ses griefs. Elle estime donc que la démission ne saurait être requalifiée.

Sur ce

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.

Dans sa lettre de démission du 6 avril 2016, Mme [S] [X] expliquait son départ de l'entreprise par les échanges infructueux qu'elle avait eus avec l'employeur sur le manque de moyens mis à sa disposition et la demande subséquente vaine de rupture conventionnelle qu'elle avait formée, son travail répété pendant ses congés et l'indemnisation qu'elle escompte et enfin l'absence de double QT qui l'avait empêchée d'effectuer de nombreux vols et a impliqué un préjudice de carrière. Par des correspondances immédiatement antérieures et postérieures à cette démission, c'est-à-dire par lettre du 28 mars 2018 et par courriel du 11 avril 2018, la salariée a évoqué d'autres manquements qu'elle impute à la société à savoir les divergences récurrentes d'interprétation réglementaire qui l'opposait à son supérieur M. [R] et la demande qui lui a été faite le 19 février précédent de réfléchir à la poursuite de son activité au sein du bureau d'études et ses conditions de travail qu'elle décrivant implicitement comme non satisfaisantes.

Ainsi il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque.

Il convient de rechercher si elle s'analyse comme une prise d'acte de rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.2 : Sur les effets de la démission

Pour justifier que la démission produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la salariée Mme [S] [X] relève les désaccords majeurs l'opposant à son supérieur, M. [R], sur la réglementation en particulier sécuritaire, qui empêchait la salariée de mener à bien sa mission, l'ultimatum posée par la hiérarchie visant à lui faire abandonner ses responsabilités au sein du bureau d'étude dans le cadre d'une véritable modification unilatérale de son contrat de travail, le comportement déloyal de la société notamment en refusant de la qualifier sur un avion Falcon F900B et en attribuant, au début du préavis, au bureau d'études des informations inexactes fournies en réalité par M. [R]. Elle soutient que la dégradation de son état de santé résulte de l'attitude de son supérieur hiérarchique et de son employeur.

La société Dassault Falcon service conteste les faits allégués, observe qu'elle se plaint d'agissements postérieurs à la démission et souligne qu'il appartenait à l'intéressée de se défaire de ses responsabilités au sein du bureau d'étude, comme son contrat le lui permettait si elle était insatisfaite. De plus, l'employeur précise qu'elle ne pouvait cumuler des responsabilités au sein du bureau d'étude et un nombre plus important d'heures de vol, alors qu'au surplus elle volait autant que la moyenne de ses collègues et enfin que l'employeur n'avait pas l'obligation de lui fournir une formation pour une seconde QT, que cinq copilotes seulement avaient une double QT et qu'enfin une formation à cet effet lui avait été promise, même si le calendrier n'avait pas été fixé précisément.

Sur ce

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul si les faits invoqués la justifient, soit dans le cas contraire d'une démission. Il incombe au salarié, qui les invoque, de caractériser des manquements suffisamment graves de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail et donc pour justifier la rupture du contrat de travail. Le juge n'est pas tenu par les motifs invoqués dans le courrier valant prise d'acte mais doit apprécier l'intégralité des manquements invoqués par le salarié.

Il ressort des pièces du dossier que le dossier adressé le 16 mai 2017 par M. [R] à l direction de l'aviation civile (D.G.A.C.) regroupant des consignes et informations destinées à être incluses dans la partie C du manuel d'exploitation de la DFS était insuffisant puisqu'il a fallu le modifier à la suite d'un accident survenu le 6 juin 2018 sur l'aérodrome de la Môle et d'un incident en 2017, alors que ledit manuel dénommé [T] était de la responsabilité du service de Mme [S] [X].

Des échanges de courriels entre Mme [S] [X] et M. [R] révèlent des discussions et des remises en cause par la première du travail du second, ne paraissant pas révéler de graves affrontements, sous réserve de la porte laissée ouverte à la salariée en cas de désaccord de dénoncer l'avenant par lequel elle prenait la responsabilité du bureau d'étude, comme le lui permettait ce contrat.

Si le courrier de prise d'acte de rupture de la période d'essai écrit par Mme [S] [X] le 6 juin 2018, manifeste un franc désaccord, cet écrit de la main même de la salariée après sa démission est dénué de force probante.

Les pièces médicales du dossier et les feuilles de paie démontrent que l'intéressée se considérait oppressée par les mauvaises relations qu'elle entretenait avec M. [R], qu'elle a été en arrêt maladie pendant son préavis en avril et mai 2018, que le centre d'expertise médicale du personnel navigant de l'hôpital militaire de [Localité 6] ne lui a délivré le 6 juin 2018, un avis d'aptitude médicale limitée à 6 mois au lieu d'un an comme c'est le cas en général. Tout ceci démontre qu'une dégradation de l'état de santé de la salariée s'est manifestée après la rupture, de sorte qu'elle ne peut être rattachée aux manquements revendiqués de l'employeur.

En revanche, la nomination d'un salarié à un poste, sans lui assurer pendant trois ans et jusqu'à la démission, la rémunération correspondante constituait un manquement suffisamment grave de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail et donc pour justifier sa rupture.

Il s'ensuit que la démission doit être qualifiée en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la demande de dommages-intérêts en réparation sera rejetée, de même que l'indemnité de licenciement.

2.3 : Sur les conséquences financières de la requalification de la démission

2.3.1 : Sur la demande en paiement par l'employeur d'une indemnité au titre du préavis non exécuté

Dés lors que la démission produit les effets d'une prise d'acte valant licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur était bien redevable du salaire du préavis, de sorte que la demande de paiement d'indemnité pour préavis non exécutée formée par l'employeur sera rejetée et le jugement infirmé sur ce point.

2.3.2 : Sur l'indemnité de licenciement

En application des articles L. 6523-2 du code des transports et R. 423-1 du code de l'aviation civile, dès lors que Mme [X] a une ancienneté supérieure à 12 ans, il lui sera accordé une indemnité de licenciement égale à 12 mois de salaire mensuel minimum garantie au sens dudit code, soit la somme demandée et au demeurant non critiquée par la société quant à son calcul de 68 986,32 euros.

2.3.3 : Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme [X] sollicite la condamnation de la société Dassault Falcon service à lui payer la somme de 121 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation du préjudice subi en quittant une compagnie française d'aviation d'affaire, milieu plus protégé où, forte de son ancienneté de plus de 20 ans au sein du groupe Falcon, elle pouvait espérer l'accession aux fonctions de commandante de bort, tandis que l'image donnée par son départ brutal de cette société renommée lui est nuisible.

La société oppose que l'intéressée n'a subi aucun préjudice puisqu'elle a immédiatement retrouvé un emploi où elle est rémunérée à hauteur de 7 487,51 euros par mois.

Sur ce

En application de l'article L. 1235-3 du Code du travail, la cour doit prononcer une réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 mois et 15 mois et demi en faveur de la salariée dès lors qu'elle avait une ancienneté de 20 ans et 26 jours.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [S] [X], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3 : Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile de condamner la société Dassault Falcon service qui succombe partiellement à payer à Mme [S] [X] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d'appel.

L'employeur sera débouté de ses prétentions de ce chef et supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Infirme le jugement déféré sauf sur la demande d'indemnité de travail dissimulé ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société Dassault Falcon service à payer à Mme [S] [X] les sommes suivantes :

- 16 143,99 euros de rappel de salaire ;

- 1 614,39 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 68 986,32 euros d'indemnité de licenciement ;

- 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes de la société Dassault Falcon service en paiement d'une indemnité au titre du préavis et en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Dassault Falcon service à payer à Mme [S] [X] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Rejette la demande de la société Dassault Falcon service au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la société Dassault Falcon service aux dépens ;

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/03205
Date de la décision : 07/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-07;21.03205 ?
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