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07/06/2023 | FRANCE | N°19/08837

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 07 juin 2023, 19/08837


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 07 JUIN 2023



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08837 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPON



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02125





APPELANT



Monsieur [S] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Delphine POI

SSONNIER FABREGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0023



INTIMEE



SA ELECTRICITÉ DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 552 081 317

Représentée par Me Emmanuelle BARBARA...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 07 JUIN 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08837 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPON

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02125

APPELANT

Monsieur [S] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Delphine POISSONNIER FABREGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0023

INTIMEE

SA ELECTRICITÉ DE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 552 081 317

Représentée par Me Emmanuelle BARBARA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC,

Mme Florence MARQUES,

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présent lors de la mise à disposition.

***

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [S] [J], né le 21 octobre 1950, a été engagé par la société Electricité de France désignée sous le sigle EDF, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 avril 1976 et occupait en dernier lieu le poste de chef du département Action Régionale de la direction des grands comptes EDF, plage A, niveau 19 de la grille fonctionnelle GF19, niveau de rémunération NR370, échelon 12.

Il a été mis à la retraite d'office à compter du 31 octobre 2016 à l'âge de 66 ans.

Le 22 février 2016, EDF et les organisations syndicales représentatives ont signé un accord d'entreprise catégoriel sur l'organisation du temps de travail des cadres afin de promouvoir et de reconnaître l'autonomie des cadres et de mettre en place un dispositif de forfait jours. Cet accord est entré en vigueur le 4 mars 2016.

Celui-ci prévoyait, pour les salariés optant pour le forfait jours annuel renouvelable, l'octroi d'une prime d'autonomie et d'une prime d'engagement correspondant à 3,5% du salaire brut annuel sur 12 mois et versée mensuellement.

A titre transitoire du 5 mars au 4 septembre 2016, il était possible aux salariés concernés de substituer à cette prime d'engagement l'octroi de deux niveaux de rémunérations dits NR supplémentaires, s'ils acceptaient une convention de forfait à durée indéterminée.

M. [S] [J] a signé le 23 mars 2016 à une convention individuelle de forfait en jours à durée indéterminée téléchargée sur le site intranet de l'employeur.

En raison de difficultés techniques concernant uniquement les niveaux de rémunération (NR) des cadres dits numériques atteignant le niveau de rémunération 370 qui est le plafond de la grille qui leur est applicable ou le niveau immédiatement antérieur c'est-à-dire le niveau 365 qui était celui de M. [S] [J], EDF n'a pas appliqué l'accord à cette catégorie de cadres, et a prévu, sur préconisation du comité de pilotage de l'accord du 21 mars 2016, des dispositifs de substitution.

Revendiquant, en application de cet accord, une progression de deux niveaux de rémunération, au-delà de son niveau 370, qui est le dernier niveau de la grille des cadres "numériques", et le niveau IB, deuxième niveau supérieur de la grille des cadres supérieurs dont il ne faisait pas partie, M. [Y] a saisi le 20 mars 2018 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 9 juillet 2019, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a débouté celles-ci de leurs demandes respectives et a condamné le salarié aux dépens.

Par déclaration du 2 août 2019, M. [Y] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe remise à la société EDF le 16 juillet 2019.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 26 septembre 2022, M. [Y] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes et, statuant à nouveau, de condamner la société EDF en réparation du préjudice résultant du défaut d'attribution de la rémunération à hauteur de deux niveaux de rémunération supplémentaires, soit le salaire fixe mensuel de 8 952,61 euros brut au lieu de 8 605,77 euros brut (NR 370), aux sommes suivantes :

- 1 979,33 euros brut au titre de la perte subie sur l'indemnité de départ en retraite (5 mois de salaire) ;

- 411 euros brut au titre de la perte subie, sur la monétisation du compte épargne temps ;

- Au titre de la perte subi pendant la période de retraite, compte tenu d'un départ à la retraite à 66 ans, à titre principal, 138 979,80 euros brut ou 126 827,31 euros net, pour une espérance de vie de 93 ans selon la table TGF 05, sur 27 ans, à titre subsidiaire, 120 449,16 euros brut ou 109 917 euros net, pour une espérance de vie de 89,4 ans selon la table TGH 05, sur 23,4 ans et à titre infiniment subsidiaire, 92 741,68 euros brut ou 84 621 euros net selon le barème de capitalisation de l'euro de rente viagère à 67 ans pour un homme publié à la Gazette du Palais 2020, avec un taux d'intérêt d'actualisation à 0% ;

- 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de l'inégalité de traitement, du refus abusif de l'employeur d'appliquer l'accord collectif et des circonstances du départ en cessation d'activité après 40 ans de services.

En tout état de cause, il demande à la cour de juger que la condamnation sera prononcée sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois après signification de l'arrêt et de condamner la société EDF au paiement des intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 novembre 2021, la SA Electricité de France demande la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et de débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les dommages et intérêt réclamés et, en tout état de cause, de débouter M. [J] de sa demande d'astreinte et de le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 décembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1 : Sur l'application des indices du tableau de rémunération des cadres supérieurs

M. [S] [J] sollicite l'indemnisation du préjudice financier né du refus fautif de l'employeur d'appliquer l'accord catégoriel sur l'organisation du temps de travail des cadres du 22 février 2016, qui aurait dû lui permettre, en contrepartie de son acceptation du passage irréversible au forfait jours, de le faire bénéficier à compter du 1er mai 2016 du gain de deux niveaux de rémunération supplémentaires, en passant de son niveau d'alors, le niveau NR 370 au niveau NR IB à compter du 1er mai 2016. Il souligne qu'il ne peut lui être opposé la convention du 31mars 1982 qui a créé la structure des rémunérations et les grilles applicables aux cadres numériques et celle de cadres supérieurs, au motif qu'elle a trait aux changements de classements fonctionnels, car quant à lui il ne s'y réfère qu'au du temps de travail. Il soutient que la méconnaissance de l'accord du 22 février 2016 s'est répercuté tant sur sa rémunération courante, que sur la monétisation de son compte d'épargne, sur l'indemnité de départ à la retraite et sur sa pension de retraite. Il fait valoir également que l'employeur fait une discrimination à son encontre et porte atteinte au principe "A travail égal, salaire égal", en lui proposant de remplacer une progression de deux niveaux, par une prime de valeur équivalente non prévue par les accords, puisque la progression du salaire de base à la différence des primes est prise en compte dans le calcul des droits à la retraite.

La société EDF répond que ledit accord ne lui était pas applicable, en ce qu'il est dit "cadre en butée", plus précisément était du dernier niveau de rémunération maximal applicable aux cadres dits numériques au sein de la branche des Industries Electriques et Gazières à laquelle l'employeur est soumis. Elle souligne que la position du salarié consistant à passer sur la grille de rémunération des "chefs d'unité", soit des cadres supérieurs dont il ne faisait pas partie, en choisissant au sein de celle-ci le niveau supérieur au sien, alors qu'elle commence à un niveau inférieur au sien, ne saurait pallier l'impossibilité technique liée à l'absence de progression possible sur la seule grille qui concerne sa catégorie. La société EDF ajoute qu'il a été proposé à M. [S] [J], de lui allouer en compensation des deux niveaux de rémunération manquants et conformément à la position du comité de pilotage, une prime fixe de 4,6 %, ce qu'il a refusé.

Sur ce

La convention relative à la structure des rémunérations du 31 mars 1982 définit deux types de grilles de niveau de rémunération :

- une grille de niveau de rémunération applicable aux agents d'exécution, aux agents de maîtrise et aux cadres dits numériques, avec des niveaux de rémunération s'étalant de NR 30 à NR 370 ;

- une grille de niveau de rémunération des "chefs d'unité", applicable aux cadres supérieurs, avec des niveaux de rémunération s'étageant de NR CA à NR KB.

Aux termes de l'accord catégoriel portant sur l'organisation du temps de travail des cadres,

- "Pour reconnaître et accompagner l'autonomie des cadres optant pour une convention de forfait jours, deux types de rétributions spécifiques leur sont accordés ; l'une compense le caractère forfaitaire de la rémunération, la prime d'autonomie, et l'autre rémunère l'engagement dans le dispositif du forfait jours ;

- Chaque cadre signe une convention individuelle de forfait jours pour une durée initiale dont le terme est fixé à la fin de la période de référence, elle est renouvelée ensuite par période d'un an par tacite reconduction. Toutefois, chaque cadre peut tous les ans, à la fin de la période de référence, avec un délai de prévenance de 2 mois (1er mars de chaque année) sortir du dispositif du forfait jours ;

- Les cadres présents dans l'entreprise à la date de l'entrée en vigueur de l'accord ont le droit d'opter, quel que soit le niveau du forfait jours, au cours des 6 premiers mois suivant l'entrée en vigueur du présent accord, pour l'attribution de 2 niveaux de rémunération, hors mesures salariales annuelles, en substitution de la prime d'engagement définie ci-dessus, à la condition toutefois qu'ils concluent une convention de forfait à durée indéterminée. Cette mesure pendra effet le premier jour du mois suivant la signature de la convention individuelle de forfait jours.

- l'accord ne s'applique pas aux cadres dirigeants".

M. [S] [J], dont le niveau de rémunération était 370, ne pouvait obtenir sur le tableau de rémunération des cadres numériques aucun niveau supplémentaire.

Il est constant que le salarié a souscrit l'option pour une convention de forfait irréversible le 23 mars 2016, c'est-à-dire dans le délai de six mois ouvert pour ce faire.

Par courriel du 8 juin 2016, la société EDF lui a proposé comme à tous les cadres "en butée de NR" du niveau de rémunération 370, de compenser l'impossibilité d'être promu à deux niveaux supérieurs par l'allocation d'une prime de 4,6 % par mois. Cette proposition était conforme aux préconisations du comité de pilotage.

M. [S] [J] était rémunéré selon la grille des cadres numériques propre à leur statut. Par conséquent, il n'était pas possible pour l'accord, sauf à le préciser expressément, de rattacher l'intéressé à la grille des cadres supérieurs dont la progression ne se fait pas dans le prolongement de la grille des cadres numériques, puisqu'elle commence à un niveau inférieur pour se terminer à un niveau supérieur.

Il s'ensuit que c'est à juste titre que la société a refusé l'interprétation revendiquée par M. [S] [J].

2 : Sur la discrimination

Aux termes de l'article L 1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucune salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

En l'espèce, aucune des catégories ainsi protégées par la loi n'est invoquée par l'intéressé à l'appui du grief de discrimination. Par suite ses demandes ne sauraient prospérer sur ce fondement.

3 : Sur l'égalité de traitement

Il résulte qu'il résulte du principe "à travail égal salaire égal", dont s'inspirent les articles L 1242-14, L 1242-15, L 2261-22.9, L 2271-1.8° et L 3221-2 du Code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail pour travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

En application de l'article 1315 du Code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

En l'espèce, le salarié n'est pas placé dans une situation identique à celle des salariés qui ne sont pas en "butée" de niveau de rémunération, eu égard au stade de sa carrière, de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'une situation identique à celle des collègues auxquels il se compare, puisque son statut lui interdisait de progresser au-delà du niveau 370, en l'état des accords liant les parties.

4 : Sur la responsabilité contractuelle

L'accord collectif du 22 février 2016 propose une nouvelle modalité d'organisation du temps de travail pour tous les salariés cadres statutaires et non statutaires et aux nouveaux entrants dans le collège cadre, à l'exception des cadres dirigeants.

L'accord du 22 février 2016 a offert à l'ensemble des cadres sans distinction un avantage en contrepartie de leur passage au forfait jours pour une durée indéterminée, malgré l'impossibilité pour les cadres en butée de NR de bénéficier des contreparties prévues.

Aux termes de l'article L. 2262-12 du Code du travail les personnes liées par une convention ou un accord collectif peuvent intenter toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages-intérêts contre les autres personnes ou les organisations ou groupements, liés par la convention ou l'accord, qui violeraient à leur égard ces engagements.

M. [S] [J] bénéficiait selon la proposition faite par la société EDF conformément à la solution préconisée par la position du comité de pilotage du 20 avril 2016 d'une prime censée compenser l'absence de gain de deux niveaux de rémunération.

La position du comité de pilotage n'a pas valeur d'accord collectif, ni valeur contractuelle.

Selon le décret du 22 juin 1946 approuvant le statut national du personnel des industries électriques et gazières, l'assiette de la pension de vieillesse est constituée par les salaires et traitements annuels servant au calcul de la pension tel que déterminée par le coefficient hiérarchique ancienneté comprise détenu depuis au moins 6 mois au moment de la cessation des services validables pour la pension et de la dernière valeur du salaire national de base et de la majoration résidentielles prévue à l'article 9 du statut national du personnel, ainsi que de la gratification de fin d'année fixée à l'article 14 dudit statut.

Ainsi la prime accordée à titre de compensation de la perte d'un échelon n'était pas comprise dans l'assiette de calcul des droits à la retraite, ce qui était un désavantage par rapport au gain de deux niveaux de rémunération de plus.

Ainsi M. [S] [J] était en droit de refuser le forfait jours dans les conditions qui lui étaient faites, comme non conforme à l'obligation découlant de l'accord collectif et engageant, dés lors, la responsabilité de l'employeur au regard de l'article 1231-1 du Code civil et de l'article L. 2262-12 du Code du travail.

Il appartient à l'employeur de réparer le dommage subi par l'intéressé.

5 : Sur la réparation du préjudice

M. [S] [J] sollicite l'allocation des sommes suivantes en réparation du préjudice subi compte tenu d'une perte totale de 4,6 % de ses revenus du fait de la perte de salaire engendrée en moyenne entre deux niveaux de rémunération :

- 1 979,33 euros brut au titre de la perte subie sur l'indemnité de départ ;

- 411 euros brut au titre de la perte de monétisation du compte épargne temps ;

- 138 979,80 euros brut en application de la table TGF 0,5 sur 26 ans correspondant à l'espérance de vie donnée par cette référence qui devrait être retenu quoiqu'il s'agisse de statistiques sur les femmes, l'application de la table TGH des hommes étant selon lui discriminatoire à raison du sexe et s'opposant au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, le salarié sollicitant à titre subsidiaire des sommes moins importantes en se fondant sur des tables conduisant à traiter les hommes moins favorablement que les femmes ;

- 20 000 euros au titre du préjudice moral.

La société EDF objecte que les demandes du salarié sont incohérentes puisqu'il ne demande pas l'attribution des deux niveaux de rémunérations supplémentaires et que la société loin d'avoir refusé d'appliquer l'accord du 22 février 2016, ce qui était impossible, compte tenu de sa situation, lui a proposé une compensation équivalente. Elle soutient que la différence de traitement entre les hommes et les femmes se justifie dès lors que la CJUE, se fondant sur une directive européenne, ne l'a prohibée que dans le cadre de contrats d'assurance et que cette directive n'a été transposée que dans le domaine économique et financier.

Sur ce

Le préjudice du salarié est constitué de manière certaine, puisqu'il a répondu favorablement à l'offre découlant de l'accord collectif dans le délai requis et qu'il lui a été opposé une impossibilité pour l'employeur de se libérer de son obligation, tandis qu'il a poursuivi son activité professionnelle jusqu'à l'âge de 66 ans.

Le salarié invoque l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne aux termes duquel est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

Aux termes de l'article 23 l'égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d'emploi, de travail et de rémunération.

Ces textes sont suffisamment précis et inconditionnel pour être considérés comme d'effet direct en droit interne.

M. [J] invoque aussi le principe d'égalité.

Le principe d'égalité est un principe général du droit, qui représente par suite une source autonome palliative du droit écrit. Il est d'effet direct horizontal.

Le salarié calcule son préjudice au titre de ses droits à la retraite sur les tables de mortalité des hommes et des femmes établies par l'Insee.

Les produits statistiques publiés par l'Insee font l'objet de contrôles tout au long de leur chaîne de production, tant au niveau individuel (micro-contrôles) que sur des données agrégées (macro contrôle) et permettent de s'assurer de la cohérence et de la validité des données issues d'un questionnaire ou d'une source administrative. Les tables retenues par l'Insee peuvent donc être retenues.

Le calcul de l'espérance de vie d'un homme en se fondant sur la table de mortalité des hommes qui en moyenne vivent moins longtemps que les femmes, consiste à traiter les populations en fonction de leur sexe, alors qu'il est constant que nombre d'hommes vivent plus longtemps que la moyenne des femmes, que nombre de femmes vivent moins longtmeps que la moyenne des hommes, que les hommes ne forment pas un bloc homogène au regard de la diversité de leurs cartéristiques biologiques et comportementales, pas plus que les femmes ne forment un groupe homogène.

Appliquer la mortalité moyenne des hommes à des personnes uniquement à raison de leur sexe consiste à les pénaliser à raison de données moyennes dont aucune donnée scientifique ne permet de penser que leur application spécifique à leur cas soit pertinente.

Il ne serait pas plus incohérent d'évaluer le préjudice de personnes en établissant des tables mortalité en fonction des critères tirés des autres catégories au sein desquelles la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, entend assurer l'égalité, telles que la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, ou l'orientation sexuelle.

Dés lors appliquer la table de mortalité des hommes à M. [J] contrevient aux articles 21 et 23 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et au principe général d'égalité.

Le bien fondé de cette solution est conforté par l'espèce, puisque les hommes retraités d'EDF en 2016 avaient une espérance de vie supérieurre de 8 % à celle de la population générale selon le rapport d'étude du conseil d'orientation retraite- COR du 8 juillet 2021. Sachant que la moyenne de vie des femmes de la génération de l'intéressé est de 93 ans et celle des hommes de 89,4 ans, ledit taux de 8% signifie que l'espérance de vie des hommes de sa génération travaillant chez EDF est plus longue que celle de la moyenne des femmes.

Il suit de l'ensemble des motifs qui précèdent, qu'il est retenu pour l'évaluation du préjudice de l'intéressé la table de mortalité des femmes comme l'a fait M. [S] [J].

Il sera également admis comme l'a fait l'employeur lui-même dans son offre d'avenant, que le gain de deux niveaux de rémunération équivaut à une augmentation de salaire de 4,60 % par niveau.

En revanche, il doit être tenu compte, dans l'évaluation du préjudice, de ce que si M. [S] [J] n'a pu obtenir d'être soumis au forfait jours, il n'a, par ailleurs, pas été soumis aux contraintes d'un tel régime, ce qui est de nature à réduire son préjudice.

Retenant les calculs du salarié, établis sur les bases ainsi précisées par la cour, le préjudice subi par l'intéressé est fixé à 40 % de chaque somme demandée.

Il n'est pas justifié que le refus d'accorder au salarié les deux niveaux de rémunération litigieux tout en le soumettant au forfait jours ait été à l'origine d'un préjudice moral, de sorte que la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral sera rejetée.

Aucune astreinte n'a lieu d'être fixée pour l'exécution de cette condamnation, dont le retard dans le paiement sera indemnisé par les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

6 : Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est équitable au regard de l'article 700 du Code de procédure civile de condamner l'employeur qui succombe à verser à M. [S] [J] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d'appel.

La société EDF sera pour les mêmes motifs déboutée de sa demande de ces chefs et condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Infirme le jugement déféré sauf sur la demande de M. [S] [J] en paiement de 20000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et sur la demande de la société EDF en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société EDF à payer à M. [S] [J] en réparation du préjudice subi du fait du défaut d'attribution de la rémunération à hauteur de deux niveaux de rémunération supplémentaires :

- 791,73 euros brut au titre de la perte d'indemnité de départ à la retraite ;

- 164,40 euros brut au titre de la perte subie sur la monétisation du compte épargne temps;

- 55 591,92 euros brut au titre de la perte des droits à la retraite ;

- avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société EDF à payer à M. [S] [J] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Condamne la société EDF aux dépens d'appel ;

Y ajoutant ;

Rejette la demande de la société EDF au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la société EDF à payer à M. [S] [J] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la société EDF aux dépens d'appel ;

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 19/08837
Date de la décision : 07/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-07;19.08837 ?
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