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07/06/2023 | FRANCE | N°19/00025

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 07 juin 2023, 19/00025


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 7 JUIN 2023

(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00025 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B67XJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - Section Commerce - RG n° F18/00318





APPELANT



Monsieur [K] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représenté par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020







INTIMÉE



SASU FRANCE FOOD COMPANY

[Adresse 7]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Aurélien BONANNI...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 7 JUIN 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00025 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B67XJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - Section Commerce - RG n° F18/00318

APPELANT

Monsieur [K] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMÉE

SASU FRANCE FOOD COMPANY

[Adresse 7]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Aurélien BONANNI, avocat au barreau D'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Reprochant divers manquements à son employeur, la société France Food Company au sein de laquelle il exerçait les fonctions de chauffeur poids lourd, M. [Z] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 26 octobre 2017 et a saisi le conseil de prud'hommes d'Évry le 6 avril 2018 afin d'obtenir la condamnation de la société à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail (régularisation du taux horaire de base pour le calcul de la partie d'heures supplémentaires déjà payées pour la période de mai 2016 à septembre 2017, rappel d'heures supplémentaires effectuées non payées pour les années 2014 à 2017, indemnités de congés payés acquis et non pris de 2014 à 2017, reliquats de salaires impayés d'octobre 2014 à août 2017, indemnité forfaitaire pour travail dissimulé) ainsi qu'au titre de la rupture du contrat de travail (indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité légale de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Par jugement du 27 novembre 2018, le conseil de prud'hommes d'Évry a requalifié la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [Z] en démission, a condamné la société France Food Company à verser à M. [Z] la somme de 1 055,14 euros au titre de l'indemnité de congés payés avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de jugement, soit le 3 avril 2018, et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

M. [Z] a interjeté appel le 17 décembre 2018.

Par arrêt du 11 mai 2022 rendu sur déféré, la cour d'appel a infirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 4 mars 2021 en ce qu'elle a déclaré caduque la déclaration d'appel du 17 décembre 2018, dit que cette déclaration d'appel est régulière et n'encourt nullement la caducité, et a renvoyé le dossier à la mise en état.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 6 février 2023, M. [Z] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris

- Condamner la société France Food Company à lui verser les sommes suivantes :

° 13 816,80 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 13 816,80 euros au titre de l'article L.8223-1 du Code du travail ;

° 26 821,39 euros au titre des reliquats impayés sur les salaires d'octobre 2014 à août 2017, outre la somme de 2682,39 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 2 646,73 euros au titre de la régularisation du taux horaire de base pour le calcul de la partie des heures supplémentaires qui sont d'ores et déjà payées pour la période de mai 2016 à septembre 2017, outre la somme de 264,67 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 5 090,40 euros au titre des heures supplémentaires pour octobre 2014 à décembre 2014 outre la somme de 509,04 euros au titre des congés payés afférents ;

° 17 418 euros au titre des heures supplémentaires pour 2015, outre la somme de 1 741,80 euros au titre des congés payés afférents ;

° 14 468,28 euros au titre des heures supplémentaires pour 2016, outre la somme de 1 446,82 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 6 499,49 euros au titre des heures supplémentaires pour 2017, outre la somme de 649,94 euros au titre des congés payés afférents ;

° 4 605,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 460,51 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 5 066,05 euros au titre de l'indemnité de congés payés acquis sur le bulletin de paie d'octobre pour 2014 ;

° 230,28 euros au titre de l'indemnité de congés payés acquis pour le mois de décembre 2014 ;

° 2 575,56 euros au titre de l'indemnité de congés payés acquis pour 2015 ;

° 2 763,30 euros au titre de l'indemnité de congés payés acquis pour 2016 ;

° 740,48 euros au titre de l'indemnité de congés payés acquis pour 2017 ;

° 2 302,80 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

° 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de Procédure civile.

- Ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 10 mai 2019, la société France Food Company demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en une démission et en ce qu'il a débouté M. [Z] de l'intégralité de ses demandes.

- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner M. [Z] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de ce texte.

L'instruction a été clôturée le 21 février 2023 et l'affaire fixée à l'audience du 15 mars 2023.

MOTIFS

Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Sur la convention collective applicable

Même si le sujet n'est pas évoqué par l'appelant à hauteur d'appel, il convient de constater, comme sollicité par la société France Food Company, qu'en raison de l'activité principale de la société (commerce inter-entreprises des produits alimentaires, épicerie et produits laitiers), la convention collective régissant les relations de travail au sein de l'entreprise est celle du commerce de gros à prédominance alimentaire.

Sur le début des relations contractuelles de travail entre les parties

M. [Z] soutient qu'il a été engagé par la société France Food Company le 1er novembre 2012 selon un contrat de travail à durée indéterminée fixant sa rémunération à 2 302,80 euros par mois pour 152 heures de travail, soit un taux horaire brut de 15,15 euros, mais que l'employeur a décidé de lui faire signer un second contrat de travail le 11 janvier 2013 prévoyant une rémunération mensuelle brute de 1 433,36 euros soit un taux horaire brut de 9,43 euros et un troisième contrat de travail du 16 juillet 2016 prévoyant une rémunération de 1 820 euros par mois pour 151,67 heures soit un taux horaire de 12 euros.

Il verse un contrat de travail à durée indéterminée du 1er novembre 2012 et des bulletins de paie de novembre et décembre 2012 au nom de la société.

La société France Food Company réplique que M. [Z] a été engagé le 13 janvier 2013 et que le contrat de travail du 1er novembre 2012 et les bulletins de salaire de novembre et décembre 2012 produits par l'intéressé sont des faux, comme cela ressort des différences entre la signature du gérant portée sur le contrat du 1er novembre 2012 et celles portées sur les contrats des 11 janvier 2003 et 16 juillet 2016, des nombreuses erreurs affectant les documents versés par le salarié et de la différence de présentation entre les documents contestés et ceux utilisés par la société.

Cela étant, en présence d'un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à celui qui entend en contester l'existence de rapporter la preuve de son caractère fictif.

En l'espèce, la société France Food Company produit les contrats de travail non contestés des 11 janvier 2013 et 16 juillet 2016 et les bulletins de paie délivrés à M. [Z] à compter de janvier 2013 ainsi que les bulletins de paie d'autres salariés de l'entreprise du mois de décembre 2012 qui établissent que le contrat de travail du 1er novembre 2012 et les bulletins de paie de novembre et décembre 2012 versés à la procédure par M. [Z] pour attester d'un début de relations contractuelles au 1er novembre 2012 ne correspondent pas aux modèles en vigueur dans l'entreprise, plus particulièrement, à la présentation constante des bulletins de paie.

En outre, comme justement relevé par la société France Food Company, les bulletins de paie au nom de M. [Z] des mois de novembre et décembre 2012 attribués à la société comportent des incohérences sur l'adresse du salarié mentionnant une rue n'existant pas sur la commune mentionnée, sur le numéro de sécurité sociale du salarié indiquant une année de naissance 1980 au lieu de 1981 et sur les cotisations salariales.

Une analyse plus attentive des bulletins de paie litigieux montrent en effet que celui du mois de novembre 2012 porte une retenue salariale de 2,9 % sans intitulé (qui correspondrait, selon le taux appliqué, à une fusion des lignes CSG déductible et CRDS déductible) et celui de décembre 2012 trois retenues salariales sans intitulé, montrant ainsi, outre la constance d'une retenue salariale non expliquée de 2,9 %, qu'il existe des glissements de lignes d'un bulletin à l'autre entre la colonne de désignation des sommes dues et à prélever au salarié et celles relatives aux calculs des cotisations patronales et salariales correspondant.

Les différences de présentation entre les documents litigieux attribués à la société France Food Company et ceux habituellement utilisés par la société, les incohérences affectant ces documents et les divergences entre les bulletins de paie de novembre 2012 et de décembre 2012 conduisent à écarter l'authenticité de ces documents et à retenir que M. [Z] a été engagé par la société France Food Company à compter du 11 janvier 2013.

Sur le rappel de salaire par régularisation de la rémunération

M. [Z] fait valoir que, sur la demande d'autorisation de travail pour un salarié étranger établie par l'employeur le 16 juillet 2016 et adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis, la société France Food Company a indiqué un mensuel brut de 1 820 euros pour une date d'embauche prévisible au 1er janvier 2013 alors qu'il a été payé à hauteur de 1 433,36 euros par mois soit une différence à son détriment de 386,64 euros dont il demande le rappel.

Il se réfère également au contrat de travail du 1er novembre 2012 et aux bulletins de paie des mois de novembre et décembre 2012 faisant apparaître un salaire brut mensuel de 2 302,80 euros et demande que son salaire de référence soit fixé à ce montant.

Mais, l'indication du montant du salaire portée sur une demande d'autorisation de travail concernant un salarié étranger adressée par l'employeur à l'autorité administrative compétente ne peut remettre en cause les accords librement consentis entre l'employeur et le salarié formalisés dans le contrat de travail et confirmés par les bulletins de paie conformes à ceux-ci. N'ayant jamais été concrétisée et ayant été mentionnée dans un document destiné à un service externe à l'entreprise, elle ne peut davantage s'analyser en un engagement unilatéral de l'employeur.

En outre, pour les motifs déjà exposés ci-dessus, le contrat de travail du 1er novembre 2012 et les bulletins de paie de novembre à octobre 2012 ne peuvent pas être pris en compte.

Toutefois, il résulte de l'analyse des bulletins de paie versés à la procédure que le taux de rémunération horaire brute de M. [Z] est passé de 9,61 euros à 12 euros à compter de janvier 2016, soit une rémunération brute mensuelle de 1 820,04 euros pour 151,67 heures de travail, puis est redescendu à 10 euros à compter du mois de mai 2016 pour une rémunération de 1 819,20 euros incluant 23 heures supplémentaires, soit 1 516,70 euros pour 151,67 heures de travail.

Si une augmentation de salaire ne doit pas nécessairement être expressément acceptée par le salarié en ce qu'elle représente un avantage, en revanche, une baisse de rémunération qui constitue une modification d'un des éléments essentiels du contrat de travail au détriment du salarié ne peut être appliquée que sur l'accord exprès de l'intéressé.

L'absence de contestation du salarié à la suite de la remise de bulletins de paie mentionnant une diminution de la rémunération ne vaut pas acceptation.

Or, aucune pièce du dossier n'atteste de l'accord de M. [Z] pour une diminution de sa rémunération à compter du mois de mai 2016 par rapport à celle qui lui avait été accordée en janvier de la même année.

En effet, le seul avenant au contrat de travail du 11 janvier 2013 versé à la procédure est celui du 16 juillet 2016, qui est donc postérieur à la baisse de salaire imposée au salarié et qui ne prévoit pas d'effet rétroactif. Et la rémunération qui est indiquée de 1 412 euros par mois, soit 9,30 euros de l'heure, ne correspond à aucune des rémunérations portées sur les bulletins de paie, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à l'avenant.

Dès lors, le taux de rémunération horaire brute de 12 euros sera rétabli à compter du mois de mai 2016 jusqu'à octobre 2017, ce qui établit le salaire mensuel brut de M. [Z], compte-tenu des heures supplémentaires à 2 183,04 euros.

La société France Food Company sera donc condamnée, par infirmation du jugement, à verser à M. [Z] la somme de 6 534,72 euros à titre de reliquat de salaire de mai 2016 à octobre 2017, outre celle de 653,42 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour où, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.

La société France Food Company fait valoir que Monsieur ayant saisi le conseil de prud'hommes d'Évry le 3 avril 2018, il ne peut solliciter le paiement d'heures supplémentaire prétendument réalisées mais non payées antérieurement au mois de mars 2015.

Mais, en application de l'article L. 3245-1 du code du travail rappelé ci-dessus, M. [Z] dont le contrat de travail a été rompu le 26 octobre 2017, peut réclamer le paiement d'heures supplémentaires jusqu'au 26 octobre 2014.

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [Z] fait valoir que l'examen des disques du chrono tachygraphe qui équipait son camion démontrent une cadence de travail effectif, uniquement en temps de conduite, pouvant aller jusqu'à 15 heures par jour, puisque certains de ces disques ont enregistré un temps de conduite de 6h30 à 21h30.

Il relève que l'examen des quelques disques fournis par l'employeur confirme cet état de fait et, qu'en tout état de cause, l'employeur qui, en l'espèce, a la double obligation d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées et, dans le cadre d'une activité de conduite de camions, de conserver les disques de son chauffeur, ne peut prétendre être libéré de son obligation de rémunérer les heures supplémentaires en produisant seulement 40 disques sur cinq ans de relations contractuelles.

Il produit la copie de plusieurs disques de chrono tachygraphe pour établir la réalité des heures supplémentaires accomplies mais non rémunérées.

Il présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies.

Cependant, la société France Food Company produit également quelques disques de chrono tachygraphe, des relevés d'heures travaillées des mois de janvier, février, avril, mai et juin 2015 signées de son salarié, des relevés d'heures travaillées des mois de janvier, février, mars, juin et juillet 2016 signées de son salarié et des feuilles de synthèse de conduite.

Il résulte de l'analyse de ces documents que l'amplitude de conduite évoquée par M. [Z] ne peut pas être considérée comme une amplitude de travail en ce que, d'une part, la lecture des disques fait ressortir des pauses que le salarié ne décompte pas et que, d'autre part, le salarié conserve très souvent le camion de l'entreprise pour ses trajets domicile-travail, la durée de ces trajets ne pouvant être assimilée à du temps de travail.

Ainsi, à titre d'exemple, M. [Z] relève une amplitude de conduite de 7h15 à 17h30 pour la journée du 7 février 2015, conformément aux relevés du disque de ce jour. Toutefois, le même disque porte la mention d'un départ d'[Localité 4] avec un retour à [Localité 4], commune de résidence de l'intéressé, attestant que le salarié a conservé le véhicule de l'entreprise pour les trajets domicile-travail, comme prétendu par l'employeur et non contesté par l'intéressé. En outre, le disque mentionne une interruption de conduite de 13h à 14h, correspondant à la pause déjeuner.

Pour cette même journée du 7 février 2015, la feuille d'émargement signée par M. [Z] mentionne sept heures de travail. L'analyse comparée de cette feuille d'émargement et du disque correspondant à la même journée démontrent une concordance entre ces deux éléments, en ce que le premier temps de conduite de 7h15 à 8h15 est cohérent avec un trajet entre [Localité 4] et [Localité 6] (lieu du dépôt de l'entreprise) à ce créneau horaire de la journée et que le dernier temps de conduite de 16h15 à 16h45 (et non 17h30) est également cohérent avec celui d'un trajet de retour. Ainsi, il convient de retenir un créneau horaire de 8h15 à 16h15 soit huit heures de travail auxquelles, il faut retrancher une heure de pause de 13h00 à 14h00, soit une journée de sept heures de travail.

Les mêmes remarques sont applicables au disque du 10 février 2015, journée sur laquelle le salarié décompte 10,75 heures de travail, qui mentionne un départ d'[Localité 4] avec un premier temps de trajet de 6h45 à 7h45, une interruption de conduite à 13h30 avec une reprise de celle-ci à 16h30 jusqu'à 17h30, le lieu de retour étant également [Localité 4].

En ce qui concerne la journée du 17 juin 2015, M. [Z] invoque une amplitude de travail de 7h00 à 18h00, soit onze heures. Toutefois, le disque porte la mention [Localité 5]-[Localité 5] (nouvelle commune de résidence de l'intéressé selon ses bulletins de paie) démontrant encore une fois que le salarié utilisait le véhicule de l'entreprise pour ses trajets domicile-travail. Le disque révèle également une interruption de conduite de 14h15 à 15h45 et de 16h15 à 17h00. Sur cette même journée, M. [Z] a émargé la feuille de nombre d'heures travaillées pour sept heures.

La société France Food Company relève, à juste titre au vu des documents produits, que pour la journée du 12 juin 2016, M. [Z] se prévaut d'une amplitude horaire de 6h30 à 20h00 alors qu'il a des moments de repos de 3 heures 40, que le 15 avril 2015, l'intéressé n'a pas travaillé de 15h00 à 19h00 et que sur l'amplitude douze heures du 17 juin 2017, il a pris quatre heures de repos.

Il s'ensuit qu'il ne peut être constaté que M. [Z] a réalisé des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées, étant au surplus relevé que ses bulletins de salaire mentionnent le paiement d'heures supplémentaires à compter du mois de mai 2016.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande en rappel d'heures supplémentaires.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L.8223-1 du même code, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est due quelle que soit la qualification de la rupture.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, l'accomplissement d'heures supplémentaires non payées et l'existence d'une période travaillée non déclarée du 1er novembre 2012 au 11 janvier 2013 servant pour partie de fondements factuels à la demande d'indemnité pour travail dissimulé présentée par M. [Z] n'ont pas été retenus.

L'existence d'un reliquat de salaires impayés démontre simplement que l'employeur n'a pas rémunéré le salarié selon le montant convenu, non qu'il a dissimulé une partie du salaire en ne déclarant pas une partie des versements effectués au profit du salarié.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

Sur les indemnités pour congés payés non pris

La prescription de l'article L. 3245-1 du code du travail s'applique à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires dus au contrat de travail, donc à l'indemnité de congés payés.

En matière de congés payés, le point départ de la prescription doit être fixé à l'expiration de la période légale conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris.

Ainsi pour l'année 2014, M. [Z] est fondé à réclamer les congés payés acquis sur l'année N et non N-1 soit, selon les bulletins de paie de décembre 2014, 17,50 jours.

Le reste du décompte produit par le salarié pour les autres années est juste et conforme aux mentions des bulletins de salaire.

Toutefois, l'indemnisation réclamée par M. [Z] se fonde sur un taux de rémunération qui n'est pas retenu par la cour.

Ainsi, au vu d'un solde de 17,50 jours de congés payés non pris sur l'année 2014 et d'une rémunération horaire brute de 9,61 euros, il revient à M. [Z] une indemnité de congés payés de 1 177,22 euros pour cette période.

Au vu d'un solde de 21 jours de congés payés sur l'année 2015, d'une rémunération horaire brute de 9,61 euros, il revient à M. [Z] une indemnité de congés payés de 1 412,67 euros pour cette période.

Au vu d'un solde de 30 jours de congés payés sur l'année 2016 et d'une rémunération horaire brute de 12 euros, il revient à M. [Z] une indemnité de congés payés de 2 520 euros pour cette période.

Au vu d'un solde de 2,5 jours de congés payés sur l'année 2017 et d'une rémunération horaire brute de 12 euros, il revient à M. [Z] une indemnité de congés payés de 210 euros pour cette période.

La société France Food Company sera condamnée à payer ces sommes à M. [Z] par infirmation du jugement entrepris.

Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail

Sur les effets à accorder à la prise d'acte de rupture du contrat de travail

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit les effets, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, ou, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

À l'appui de sa prise d'acte de rupture du contrat de travail, M. [Z] invoque à l'égard de la société France Food Company le défaut de paiement d'un reliquat de salaire, l'absence de paiement d'une partie de ses heures supplémentaires, la privation de son droit à congés payés et l'absence de déclaration de salaire auprès des organismes concernés pour les mois de novembre et décembre 2012 caractérisant une situation de travail dissimulé.

Si les griefs tirés du défaut de paiement des heures supplémentaires et de travail dissimulé ne peuvent pas être retenus au regard des développements ci-dessus, il apparaît néanmoins que la société France Food Company a imposé une baisse de rémunération à son salarié sans avoir recueilli l'accord exprès de ce dernier et s'est abstenue de respecter son droit au repos effectif en ne le mettant pas en situation de bénéficier de ses congés payés et ce pendant plusieurs années.

De tels manquements qui se sont reproduits sur plusieurs années caractérisent des violations graves du contrat de travail par l'employeur rendant impossible la poursuite des relations de travail.

En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il sera dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [Z] doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture

Aux termes de l'article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l'ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.

Selon l'article L.1234-5 du même code, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, ou si l'inexécution résulte du commun accord des parties, à une indemnité compensatrice.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, la durée du préavis est de deux mois.

En conséquence, et au vu d'un salaire de référence de 2 183,04 euros, la société France Food Company sera condamnée à verser à M. [Z] la somme de 4 366,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 436,60 euros au titre des congés payés afférents.

Aux termes de l'article L.1234-9 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

Ainsi, en vertu de l'article R.1234-2 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige, cette indemnité ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans et à un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

M. [Z] effectue son calcul sur le fondement de l'ancien article R. 1234-2 du code du travail selon lequel l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois par année d'ancienneté, qui, outre le fait qu'il ne s'applique pas au présent litige, est moins favorable au salarié.

La cour ne pouvant accorder plus que ce qui est demandé, la société France Food Company sera condamnée à verser à M. [Z] la somme de 2 302,80 euros.

Par ailleurs, selon l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut.

Dès lors, compte tenu de l'ancienneté (4 ans en années pleines ouvrant droit à une indemnité comprise entre 3 mois et 5 mois de salaire brut), de l'âge (35 ans) et de la rémunération du salarié à la date de la rupture et compte-tenu également du fait que M. [Z] indique s'être trouvé sans emploi et dans une situation financière extrêmement précaire à la suite de son licenciement et avoir subi un préjudice moral à la suite d'une rupture injuste mais sans fournir d'autres explications ni verser la moindre pièce relative à sa situation postérieure à sa prise d'acte, il convient de fixer les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse lui revenant à la somme de 9 000 euros.

En application de l'article 1235-4 du code du travail, la société France Food Company, qui emploie habituellement au moins 11 salariés, sera condamnée à rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage versées à M. [Z] entre le licenciement et le présent arrêt dans la limite de deux mois d'indemnités.

Sur la remise des documents sociaux de fin de contrat

Au vu des développements ci-dessus, la société France Food Company devra remettre à M. [Z] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, sans qu'il apparaisse nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte, une éventuelle résistance de la société dans l'exécution de cette obligation ne pouvant être retenue par principe.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société France Food Company sera condamnée à verser à M. [Z] la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'appelant qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes en rappel d'heures supplémentaires et en paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et en ce qu'il a mis les dépens de première instance à la charge de la société France Food Company,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DIT que la prise d'acte de contrat de travail par M. [Z] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société France Food Company à verser à M. [Z] les sommes suivantes :

° 6 534,72 euros à titre de reliquat de salaire de mai 2016 à octobre 2017,

° 653,47 euros au titre des congés payés afférents,

° 1 177,22 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur l'année 2014,

° 1 412,67 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur l'année 2015,

° 2 520 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur l'année 2016,

° 210 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur l'année 2017,

° 4 366,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

° 436,60 euros au titre des congés payés afférents,

° 2 302,80 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

° 9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société France Food Company à remettre à M. [Z] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, sans qu'il apparaisse nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte,

CONDAMNE la société France Food Company à rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage versées à M. [Z] entre le licenciement et le présent arrêt dans la limite de deux mois d'indemnités,

CONDAMNE la société France Food Company à verser à M. [Z] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société France Food Company aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 19/00025
Date de la décision : 07/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-07;19.00025 ?
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