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06/06/2023 | FRANCE | N°20/10993

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 06 juin 2023, 20/10993


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 06 JUIN 2023



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/10993 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFHA



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mars 2020 -Tribunal Judiciaire de PARIS - RG n° 19/03448



APPELANTE :



Madame [Z] [X] VEUVE [M]

[Adresse 6]

[Localité 4] (GUADELOUPE)r>
Ayant pour avocat postulant Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Ayant pour avocat plaidant Me Jérémie DAZZA, avocat au barreau de Paris



INTIME :

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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 06 JUIN 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/10993 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFHA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mars 2020 -Tribunal Judiciaire de PARIS - RG n° 19/03448

APPELANTE :

Madame [Z] [X] VEUVE [M]

[Adresse 6]

[Localité 4] (GUADELOUPE)

Ayant pour avocat postulant Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Ayant pour avocat plaidant Me Jérémie DAZZA, avocat au barreau de Paris

INTIME :

Monsieur [H] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Barthélemy LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0435

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Madame Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

A la suite du décès de [J] [U] [O] [X] le [Date décès 1] 1968, Mme [Z] [X] veuve [M], sa fille, s'est trouvée en indivision successorale avec son frère et sa soeur.

Par jugement du 22 novembre 2001, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a ordonné l'ouverture des opérations de liquidation- partage de la succession et a désigné M. [H] [N], notaire à [Localité 9], pour y procéder.

M. [N] a notamment conduit une médiation entre les héritiers qui a permis de trouver un accord formalisé par un partage transactionnel de la succession des 13 et 20 octobre 2005.

Mme [M] a été allotie par l'attribution d'un dépôt situé à [Localité 8] sur le territoire des [Localité 5] et d'un immeuble sis à [Localité 10] (Guadeloupe) pour une valeur totale de 709 142 euros, lesquels étaient inscrits à l'actif net de l'entreprise individuelle Héritiers [O] [X] ([P]) restée en indivision après le décès de [J] [X].

Le 19 décembre 2008, l'administration fiscale a notifié à Mme [M] une proposition de rectification à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2005 selon le régime des plus-values professionnelles à court terme pour un montant de 416 819 euros et à long terme pour un montant de 125 756 euros en raison du partage et de l'attribution des dits actifs indivis de l'entreprise [P].

Le 22 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 16 juillet 2015 ayant rejeté la requête de Mme [M] tendant à la décharge de l'imposition supplémentaire correspondante établie pour un montant de 261 424 euros, majoration et intérêts de retard compris.

Par décision du 19 janvier 2017, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement de la somme de 48 501 euros, correspondant à l'abandon de plus-values à long terme sur les biens en litige, réduisant les sommes réclamées à 239 996 euros.

C'est dans ces circonstances que, par acte du 13 octobre 2015, Mme [M] a fait assigner M. [N] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'engager sa responsabilité civile professionnelle.

Par jugement du 11 mars 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré l'action de Mme [M] irrecevable,

- condamné Mme [M] aux dépens,

- rejeté les autres demandes.

Par déclaration du 27 juillet 2020, Mme [M] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 27 avril 2021, Mme [Z] [X] veuve [M] demande à la cour de :

- infirmer l'ensemble des dispositions du jugement,

statuant à nouveau,

- juger ses demandes recevables,

- juger que M. [N] a commis des fautes, génératrices de sa responsabilité civile professionnelle, en :

- procédant à une mauvaise analyse juridique des biens qui lui ont été attribués dans les actes qu'il a rédigés,

- s'abstenant de l'informer des conséquences fiscales des attributions convenues à son profit dans le cadre du partage de la succession de [J] [U] [O] [X],

- juger que M. [N] lui a ainsi causé un préjudice de 176 708,73 euros, soit :

- 159 997 euros au titre d'un redressement opéré par l'administration fiscale,

- 16 711,13 euros au titre des frais qu'elle a engagés pour (à l'amiable, puis devant les juridictions administratives) analyser sa situation fiscale et tenter de faire valoir ses droits vis-à-vis de l'administration fiscale,

- condamner M. [N] à lui payer une somme de 176 708,13 euros à titre de dommages et intérêts,

- à titre subsidiaire, dire et juger que M. [N] lui a fait perdre une chance réelle et sérieuse d'éviter le redressement de 159 997 euros opéré par l'administration fiscale ainsi que les frais de 16 711,13 euros engagés pour faire valoir ses droits vis-à-vis de l'administration fiscale,

- condamner M. [N] à lui payer une somme de 176 708,13 euros, à titre de dommages et intérêts pour réparer cette perte de chance,

en tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des demandes de M. [N],

- condamner M. [N] à lui payer une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant pourra être recouvré par M. Jacques Bellichach, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 27 janvier 2021, M. [H] [N] demande à la cour de :

principalement,

confirmant le jugement entrepris,

- déclarer irrecevable comme prescrite l'appelante et la débouter de ses demandes,

subsidiairement au fond,

- constater que l'appelante ne fait pas la preuve de son préjudice,

- la débouter de ses demandes,

en tous les cas,

- condamner Mme [M] aux entiers dépens, de première instance et d'appel, avec distraction au profit de M. Lacan, avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 février 2023.

SUR CE,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action

Le tribunal a jugé que l'action de Mme [M] est irrecevable car prescrite au vu du délai de prescription quinquennal prévu à l'article 2224 du code civil, en ce que :

- le régime issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 s'applique car la prescription n'a pas commencé à courir avant l'entrée en vigueur de cette loi,

- Mme [M] était en mesure de connaître ou aurait dû connaître les faits qu'elle reproche à son ancien notaire à partir du 19 novembre 2008, date à laquelle elle a été destinataire de la proposition de redressement fiscal, mais l'acte introductif d'instance n'a été délivré au défendeur que le 13 octobre 2015,

- le fait qu'elle ne soit pas en mesure de comprendre les causes du redressement en raison de son âge, de son absence de formation juridique ou fiscale et de son éloignement de la France métropolitaine, est indifférent dès lors que la proposition de rectification explique les raisons et le lien avec la succession.

Mme [M] soutient que son action engagée le 13 octobre 2015 n'est pas prescrite, puisque :

- le dommage ne s'est pas réalisé lorsque la proposition de rectification lui a été notifiée par l'administration fiscale le 19 décembre 2008 mais lorsque ses réclamations devant les juridictions administratives ont été rejetées par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 22 décembre 2017,

- en tout état de cause, le point de départ du délai de prescription devant être apprécié in concreto, il doit être tenu compte du fait qu'elle était une femme âgée de 73 ans, sans formation juridique ni fiscale, vivant hors France métropolitaine et le défaut de conseil de M. [N] a été pour la première fois avéré par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 décembre 2017.

M. [N] réplique que l'action de Mme [M] est prescrite aux motifs que :

- le délai de prescription a commencé à courir lorsque Mme [M] a reçu la notification de redressement fiscal le 19 avril 2008, acte dans lequel elle a pu prendre connaissance des faits aujourd'hui avancés pour engager sa responsabilité, mais elle n'a introduit son action que le 13 octobre 2015,

- les références à la réalisation ou la manifestation du dommage sont relatives à l'ancien article 2270-1 du code civil et ne sauraient s'appliquer puisque l'article 2224 du code civil applicable fixe le point de départ du délai de prescription à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer,

- le délai court du jour où le dommage s'est révélé même s'il n'a pas acquis un caractère de certitude,

- les faits dont la connaissance permettait à Mme [M] d'agir en responsabilité à son encontre tenaient en son imposition par l'administration fiscale et le défaut de conseil qu'elle lui prête relativement à cette imposition, faits constants qui ont été portés à sa connaissance dès la date de rectification opérée, le 19 décembre 2008, indépendamment de ce que les juridictions administratives ont jugé.

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il résulte de cet article que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Le dommage de Mme [M] ne s'est réalisé que le 22 décembre 2017, date de l'arrêt irrévocable de la cour administrative d'appel de Bordeaux ayant rejeté son recours à l'encontre de la proposition de redressement fiscal qui lui a été notifiée et constituant le point de départ du délai de prescription quinquennale de sorte que son action engagée le 13 octobre 2015 n'est pas prescrite et doit être déclarée recevable, en infirmation du jugement.

Sur la responsabilité du notaire

- sur la faute

Mme [M] soutient que le notaire a commis des fautes en :

- faisant une mauvaise analyse du régime juridique des biens immobiliers, objets de la rectification, en les intégrant au patrimoine privé de l'indivision successorale alors qu'ils faisaient partie du patrimoine professionnel de l'indivision,

- manquant à son devoir d'information et de conseil en s'abstenant de la mettre en garde contre le fait que l'attribution en nature de ces biens immobiliers constituait un transfert de propriété d'un patrimoine professionnel vers un patrimoine privé susceptible d'une imposition sur les plus-values.

M. [N] ne conclut pas sur la faute qui lui est reprochée.

Sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, le notaire est tenu d'assurer l'efficacité de l'acte qu'il instrumente et d'un devoir d'information et de conseil à l'égard de toutes les parties à l'acte pour lequel il prête son concours.

Aux termes du partage transactionnel d'octobre 2005, Mme [M] s'est vu attribuer :

- la totalité de la pleine propriété de biens immobiliers constitués d'un bâtiment industriel sis aux [Localité 5] (Guadeloupe) [Localité 8] dit dépôt de [Localité 8] construit au cours de l'indivision sur une parcelle de terre acquise par l'indivision en 1984 en remploi du prix de vente d'un autre dépôt dépendant de la succession de [J] [X], lequel figurait au bilan de l'entreprise [P], pour un montant de 442 062 euros,

- la totalité en pleine propriété de l'immeuble ( maison d'habitation) situé à [Localité 11] pour un montant de 215 695 euros,

- la totalité en pleine propriété de l'immeuble de [Adresse 7] (maison d'habitation) situé à [Localité 10], lequel figurait au bilan de l'entreprise [P], évalué pour un montant de 267 080 euros

- 1/22 ème indivis d'une portion de terre à [Localité 12] évalué pour mémoire,

- une part dans la SCS AL [X] et Cie pour un montant de 110 727 euros.

Elle devait également payer une soulte à son frère [O] [X] de 41 154 euros.

Dans sa proposition de rectification, l'administration fiscale a considéré d'une part, qu'en tant que co-indivisaire de l'indivision existant entre les héritiers de [J] [X] exploitant l'entreprise [P] et selon une jurisprudence constante ( Conseil d'Etat arrêt du 23 juin 1978 et arrêt Baudran du 6 mars 1991), Mme [M] avait la qualité de co--exploitante de l'entreprise ce qui entraînait la taxation de la plus-value réalisée lors du partage de l'indivision selon le régime des plus-values professionnelles et que, d'autre part, la qualification d'éléments du patrimoine professionnel reconnue par ailleurs aux droits indivis détenus par un co-indivisaire sur la valeur d'un actif affecté à l'exercice d'une profession avait les mêmes effets, citant à ce titre deux arrêts du Conseil d'Etat du 11 février 1988 et du 27 octobre 1999.

Elle a retenu que le partage des biens indivis entraînait cessation d'activité pour les co-indivisaires qui ne poursuivaient pas eux-mêmes l'exploitation et provoquait la taxation des plus-values professionnelles à leur nom résultant de la cession de leur droits indivis sur l'entreprise ou de leur reprise d'éléments d'actifs dans leur patrimoine privé, en application des articles 39 duodecis, 39 quaterdecies et 39 quindecies du code général des impôts.

La cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que :

'Lorsque les éléments d'actifs d'une entreprise individuelle font partie d'une indivision et que la conduite de l'entreprise n'est poursuivie que par un ou plusieurs indivisaires, le ou les indivisaires qui ne participent pas à la continuation de l'entreprise n'en doivent pas moins être assujettis à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, par application des dispositions de l'article 38 du code général des impôts, à raison de toute fraction des résultats de cette entreprise qui leur serait attribuée. En particulier, si, lors du partage mettant fin à l'indivision, des biens qui figuraient à l'actif de l'entreprise leur sont dévolus et sont transférés dans leur patrimoine personnel, les plus-values éventuellement constatées à cette occasion doivent être imposées à leur nom. Le ou les indivisaires qui ne participent pas à la continuation de l'entreprise ne peuvent, en revanche, être imposés sur une quelconque plus-value ressortant de la valeur attribuée, pour les besoins du partage, à des éléments d'actif dévolus aux indivisaires poursuivant la conduite de l'entreprise et maintenus par ceux-ci au bilan de cette entreprise, ces biens ne pouvant être regardés comme faisant l'objet d'une cession susceptible de donner lieu à imposition, en vertu des mêmes dispositions de l'article 38 précité.'

Elle a ajouté que 'la seule circonstance que ces biens ont été évalués, pour les besoins du partage, séparément du fonds de commerce lui-même au motif qu'ils n'étaient pas utiles à l'exploitation dudit fonds est sans incidence sur leur caractère d'actifs nets de l'entreprise.'

Il ressort de ces éléments que la position de l'administration fiscale était fondée sur une jurisprudence établie du Conseil d'Etat laquelle a été confirmée par la cour administrative d'appel dans son arrêt du 22 décembre 2017.

L'état liquidatif rédigé par le notaire mais non signé produit aux débats indiquait :

- s'agissant du dépôt de [Localité 8] :

'Cet immeuble figure au bilan de l'entreprise indivise "Héritiers [O] [X]" (...) Mais cette inscription ne préjuge pas de la nature privée et successorale de cet immeuble qui figure donc dans l'indivision (...)'

- s'agissant de l'immeuble de Bel Air :

'De même que le dépôt [de [Localité 8]], cette maison figure au bilan de l'entreprise en nom "héritiers [O] [X]". Eu égard à sa nature immobilière elle figure indistinctement dans les immeubles dépendant de la succession.'

Le notaire a indiqué dans l'acte de partage que 'le fonds de commerce de négoce de spiritueux et autres boissons dénommé [P] était exploité dans l'immeuble sis à [Localité 8]' et que 'la maison de [Adresse 7] figure au bilan du fonds de commerce mais n'en fait en réalité pas partie' et précisé que ' le fonds de commerce a été estimé après que ces deux immeubles ([Localité 8] et [Adresse 7]) ont été retranchés de son actif'.

M. [N] a commis une erreur dans son analyse juridique de l'actif net de l'entreprise individuelle [P] faisant partie de l'indivision successorale en etranchant ces deux immeubles et a manqué à son obligation d'information et de conseil sur l'incidence fiscale, au titre des plus-values fiscales, de l'attribution de cet actif à un co-indivisaire ne participant pas à la continuation de l'entreprise, alors que le hangar professionnel du [Localité 8] avait été construit sur un terrain acquis par l'indivision et que l'immeuble à usage d'habitation situé à [Adresse 7] commune de [Localité 10] a été construit par l'entreprise [P] sur un terrain appartenant à l'indivision après l'achat du terrain par [J] [X], ainsi qu'il ressort de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux.

- sur le préjudice et le lien de causalité

Mme [M] soutient que :

- elle a subi un préjudice qui résulte de la mauvaise analyse juridique et, en conséquence, du défaut d'information et de conseil fautif du notaire puisque si celui-ci l'avait suffisamment informée et conseillée, elle aurait refusé de percevoir, même partiellement ses droits dans la succession de son père sous la forme de l'attribution de biens immobiliers et aurait ainsi échappé à l'imposition au titre de la plus-value,

- M. [N] aurait dû conseiller aux indivisaires l'attribution des biens immobiliers litigieux à M. [O] [X], lequel aurait accepté puisqu'il avait fait savoir qu'il se réserverait le droit de solliciter l'attribution préférentielle des biens figurant à l'actif de l'entreprise [P] qu'il exploitait déjà, laquelle n'aurait pas été soumise à l'imposition sur les plus-values professionnelles,

- surtout, il aurait dû conseiller aux héritiers, préalablement au partage, de procéder au transfert des biens immobiliers du patrimoine indivis professionnel vers le patrimoine indivis privé

et, l'objet de l'acte transactionnel de partage des 13 et 20 octobre 2015 ayant été de favoriser une solution équitable, les héritiers auraient accepté de supporter ensemble, soit chacun pour un tiers, les conséquences fiscales du partage des biens immobiliers pour maintenir l'équilibre voulu,

- elle admet que son préjudice ne correspond pas à l'intégralité du montant du redressement (239 996 euros) mais aux deux tiers de celui-ci, c'est-à-dire 159 997 euros (puisqu'elle devait en tout état de cause en supporter un tiers, soit 79 999 euros) de sorte que son préjudice principal est de 159 997 euros, outre un préjudice de 16 711, 13 euros au titre des frais engagés pour analyser sa situation fiscale et défendre ses droits vis-à-vis de l'administration fiscale,

à titre subsidiaire,

- elle a subi une perte de chance réelle et sérieuse d'éviter l'imposition et le contentieux fiscal qui en a découlé, laquelle justifie l'octroi de la somme de 176 708,13 euros à titre de dommages et intérêts,

- M. [N] ne peut affirmer qu'elle n'aura pas à s'acquitter d'une plus-value en cas de revente car elle s'en est déjà acquitté lors de l'acquisition des biens litigieux.

M. [N] réplique que :

- le préjudice n'est pas réel, puisqu'elle aurait nécessairement été soumise à l'imposition de la plus-value, qui est invariable, commandée par la loi et inéluctable,

- Mme [M] ayant des droits dans l'indivision, elle devait supporter l'imposition dans la mesure de ses droits d'un tiers et son préjudice ne peut excéder les deux tiers de l'imposition de la plus-value, comme elle en a convenu,

à titre subsidiaire,

- le préjudice ne tient qu'en une perte de chance mais l'appelante ne demande pas la réparation d'une perte de chance,

- l'indemnisation de la perte de chance ne peut équivaloir à la valeur de la charge que l'on espérait éviter,

- Mme [M] avait un intérêt particulier pour les biens attribués et voulait qu'ils lui soient attribués et si elle avait été mieux conseillée, il est fort probable que les copartageants auraient refusé la prise en charge commune d'une éventuelle plus-value.

Mme [M] sollicite l'indemnisation d'un préjudice en lien de causalité avec le seul manquement au devoir d'information et de conseil de M. [N] puisqu'elle soutient uniquement que mieux conseillée, elle n'aurait pas payé l'intégralité de l'impôt sur les plus-values.

Les conséquences d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance dès lors qu'il n'est pas certain que mieux informé, le créancier de l'obligation d'information et de conseil se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse.

Il incombe à celui qui entend obtenir réparation d'une perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Mme [M] soutient vainement que sur les conseils de M. [N] préalablement au partage, il aurait pu être procédé au transfert des biens immobiliers du patrimoine indivis professionnel vers le patrimoine indivis privé puisque cette distinction de patrimoines n'existe pas, l'indivision exploitant une entreprise individuelle ayant un patrimoine unique.

En revanche, elle est fondée à solliciter l'indemnisation d'une perte de chance d'éviter de supporter seule une imposition sur les plus-values professionnelles en refusant l'attribution des biens litigieux.

Il ressort du jugement du tribunal de grande instance de Point-à-Pitre du 22 novembre 2001 que lors de son action en partage de la succession de son père, M. [O] [X] avait demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réservait le droit de demander l'attribution préférentielle du solde des actions indivises de la société [X] et que les actifs des héritiers de [O] [X] ([P]) ne soient pas séparés de la distillerie de Bellevue mais que ses soeurs, intimées s'y étaient opposées.

Dans sa ' requête d'appel' devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, Mme [M] écrivait que ' dans le cadre de la médiation menée entre les co-indivisaires pour régler la succession de leur père, il a été décidé que l'entreprise [P] serait attribuée à [O] [X] fils, après que les immeubles susmentionnés (le dépôt de [Localité 8] et l'immeuble du [Localité 10]) qui ne faisaient pas partie de l'exploitation auraient été retirés de l'entreprise [P] par les indivisaires' mais également que 'dès avant le 31 décembre 2004, l'appelante n'avait qu'un accès très limité aux affaires de l'entreprise [P], les relations avec son frère [O] [X] fils étant particulièrement difficiles'.

Si le partage intervenu est transactionnel, il résulte de l'acte que 'le présent partage global, transactionnel et forfaitaire constitue l'aboutissement des pourparlers menés entre les parties et leur conseil sous la médiation du notaire' sans qu'il ne soit fait état de la volonté des parties de procéder à un partage égalitaire.

Toutefois, l'état liquidatif non signé produit par Mme [M] comportait un projet de partage

aux termes duquel seul l'immeuble [Adresse 7] lui était attribué, le dépôt du [Localité 8] étant attribué à M. [O] [X] ainsi que le 'fonds de commerce [P]' lequel était redevable d'une soulte de 372 568 euros à Mme [M].

Enfin, il n'est pas justifié que Mme [M] avait un intérêt particulier pour les biens immobiliers qui lui ont été attribués.

Il s'en déduit d'une part que M. [O] [X] avait manifesté le souhait que les immeubles dépendant de la distillerie ne soient pas séparés du fonds de commerce qu'il exploitait et avait largement développé ainsi qu'il est mentionné dans l'état liquidatif cité et que le premier projet lui attribuait le dépôt de [Localité 8] et d'autre part, que les co-indivisaires ne s'entendaient pas spécialement bien et que l'allégation de Mme [M] selon laquelle l'objet de l'acte transactionnel de partage était de favoriser une solution équitable de sorte que les héritiers auraient accepté de supporter ensemble les conséquences fiscales du partage des biens immobiliers, n'est pas établie.

Au vu de ces éléments et alors que l'attribution des biens litigieux à Mme [M] ne s'imposait pas, sa perte de chance d'échapper au paiement de la plus-value doit être fixée à 50 % de l'assiette du préjudice dont elle demande réparation soit 159 997 euros et M. [N] doit être condamné à lui payer la somme de 79 998,50 euros arrondie à 80 000 euros.

Par ailleurs, Mme [M] sollicite à bon droit, en réparation de son préjudice, la somme de 16 711,13 euros à titre de dommages et intérêts correspondant aux frais qu'elle a dû engager, en raison de la faute du notaire, pour défendre ses droits vis à vis de l'administration fiscale dont elle justifie et M. [N] est condamné à payer cette somme.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont infirmées.

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à M. [N], partie perdante, avec les modalités de recouvrement de l'article 699 du code de procédure civile, lequel est également condamné à payer à Mme [M] la somme de 9 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l'action de Mme [Z] [M] née [X],

Condamne M. [H] [N] à payer à Mme [Z] [M] née [X] les sommes de 80 000 euros et 16 711,13 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne M. [H] [N] aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de M. Jacques Bellichach, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

Condamne M. [H] [N] à payer à Mme [Z] [M] née [X] la somme de 9 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/10993
Date de la décision : 06/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-06;20.10993 ?
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