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06/06/2023 | FRANCE | N°20/10334

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 06 juin 2023, 20/10334


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 06 JUIN 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/10334 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDLU



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mars 2020 -Tribunal Judiciaire de Paris - RG n° 19/05969



APPELANT :



Monsieur [O], [D] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me

Morgan JAMET de la SELEURL MJ AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0739



INTIME :



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Benoît CHABE...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 06 JUIN 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/10334 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDLU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mars 2020 -Tribunal Judiciaire de Paris - RG n° 19/05969

APPELANT :

Monsieur [O], [D] [I]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Morgan JAMET de la SELEURL MJ AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0739

INTIME :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Benoît CHABERT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0039 substitué par Me Tristan SIMON, avocat au barreau de Paris

AUTRE PARTIE :

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

[Adresse 2]

[Localité 5]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Madame Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public le 29 juin 2022, qui a fait connaître son avis le 03 février 2023.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Par acte du 14 mai 2019, M. [O] [I] a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de le voir condamner, sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, en raison d'un dysfonctionnement du service public de la justice, faisant valoir qu'il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 10 avril 2017, été convoqué devant le bureau de conciliation et d'orientation le 24 mai 2017, puis devant le bureau de jugement le 13 octobre 2017, date à laquelle l'affaire a été renvoyée au 22 février 2018 à la demande des parties, l'affaire étant à cette date mise en délibéré au 30 mars 2018 sans avoir jamais reçu de décision de partage de voix ni de réponse du greffe aux sollicitations de son conseil souhaitant connaître la date prévisible de renvoi à l'audience de départage.

Par jugement du 2 mars 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- débouté M. [I] de ses demandes,

- condamné M. [I] aux dépens,

- condamné M. [I] à payer à l'agent judiciaire de l'Etat une somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration du 22 juillet 2020, M. [I] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 18 mars 2021, M. [O] [I] demande à la cour de :

- réformer le jugement,

statuant à nouveau,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 10 500 euros majorée des intérêts aux taux légaux successifs à compter de la date de signification de l'assignation,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Arst Avocats, prise en la personne de Mme [F] [V].

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 6 avril 2021, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

en conséquence,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [I],

- condamner M. [I] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

- dire que seul un délai de 17 mois est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire,

- réduire la demande indemnitaire de M. [I] à de plus justes proportions,

- confirmer le jugement pour le surplus.

Selon avis notifié le 3 février 2023, le ministère public a sollicité la confirmation du jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 7 février 2023.

SUR CE,

Le tribunal a jugé que le déni de justice du service public de la justice n'était pas caractérisé aux motifs que les deux pièces que M. [I] versait au débat, à savoir les conclusions non visées par le greffe du conseil de prud'hommes et une lettre recommandée sans avis de réception, étaient insuffisantes pour établir la réalité de la saisine de la juridiction et du calendrier procédural litigieux.

Sur le déni de justice

M [I] soutient que l'Etat a commis un déni de justice en ce que :

- le conseil de prud'hommes de Paris a été saisi par requête le 10 avril 2017, le délai de six mois traditionnellement retenu au regard de la particularité de la juridiction prud'homale entre la saisine et l'éventuelle audience en départage a été dépassé puisque le procès-verbal de partage des voix a été établi le 30 mars 2018,

- un délai d'audiencemment non raisonnable de presque deux ans s'est écoulé entre la décision du 30 mars 2018 et l'audience de départage du 6 février 2020, le délai raisonnable de six mois ne pouvant être imputé sur ce délai manifestement excessif puisque l'affaire était en état, ayant déjà été plaidée et que les parties n'ont pas conclu postérieurement à ladite audience de plaidoirie

- il a été convoqué à l'audience de départage du 6 février 2020 et le jugement a été rendu le 26 juin 2020, ce qui constitue également un délai non raisonnable,

- la nature de son affaire devant les prud'hommes, une action contre son employeur ne lui ayant pas payé les heures supplémentaires effectuées, est un litige commun ne présentant aucun facteur de complexité.

L'agent judiciaire de l'Etat réplique qu'aucun déni de justice n'est établi, aux motifs que :

- un délai raisonnable d'un mois et demi s'est écoulé entre la saisine du conseil de prud'hommes le 10 avril 2017 et la convocation à l'audience du 24 mai 2017,

- un délai de 4 mois et demi s'est écoulé entre l'audience de conciliation et l'audience de jugement du 13 octobre 2017, l'affaire n'étant pas en mesure d'être plaidée avant cette date en raison d'une communication tardive de pièces par le défendeur, dont l'Etat ne saurait être tenu responsable, et alors que ce délai a été raisonnable et nécessaire aux parties pour l'échange de pièces et moyens,

- un délai raisonnable de quatre mois s'est écoulé entre l'audience de jugement du 13 octobre 2017 et la seconde audience de jugement du 22 février 2018,

- l'affaire a été mise en délibéré moins d'un mois après l'audience de jugement, soit le 30 mars 2018,

- M. [I] était en possession du procès-verbal de partage des voix du 30 mars 2018 et informé de la date l'audience de départage fixée au 6 février 2020 dès le 28 octobre 2019,

- malgré les nouvelles pièces qu'il verse au débat, aucune ne permet de connaître la date à laquelle l'affaire était en état d'être plaidée, M. [I] ne justifiant de l'envoi ni des conclusions du demandeur ni de celles du défendeur au conseil de prud'hommes de Paris, ce délai entre le procès-verbal de partage du 30 mars 2018 et l'audience devant le juge départiteur pouvait donc avoir été nécessaire aux parties pour l'échange de pièces et moyens,

- en tout état de cause, un délai de six mois entre deux étapes de la procédure n'apparaissant pas excessif, ce délai peut être considéré comme déraisonnable à hauteur de 17 mois,

- l'audience de départage s'est tenue le 6 février 2020 et le délibéré a été rendu le 26 juin 2020 dans une période de crise sanitaire internationale qui dès le 14 mars 2020 a contraint le service public de la justice à une mise en arrêt forcé jusqu'au 11 mai 2020, le délai de deux mois s'étant écoulé entre la reprise d'activité du service public de la justice le 11 mai 2020 et le délibéré n'est pas déraisonnable.

Le ministère public souligne que :

- entre la saisine de la juridiction prud'homale et l'audience de jugement du 22 février 2018, les délais écoulés sont raisonnables au regard du délai de référence de six mois fixé par la jurisprudence entre chaque étape de la procédure,

- entre le procès-verbal de partage des voix du 30 mars 2018 et l'audience devant le juge départiteur du 6 février 2020, un délai de 23 mois s'est écoulé et excède de 17 mois le délai raisonnable de référence de 6 mois mais les nouvelles pièces produites par M. [I] n'apportent aucune information précise concernant la date à laquelle l'affaire était effectivement en état d'être plaidée et ne suffisent pas à établir si ce délai est imputable au comportement des parties ou à un fonctionnement défectueux du service public de la justice,

- un délai de 5 mois s'est écoulé entre l'audience de départage du 6 février 2020 et le délibéré du 26 juin 2020 mais le délai écoulé entre la reprise d'activité du service public de la justice le 11 mai 2020 suite à la crise sanitaire internationale et le délibéré du 26 juin 2020 n'est pas déraisonnable.

Selon l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Aux termes de l'article L.141-3, alinéa 4, du même code, 'il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées'.

Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état d'être jugées mais aussi plus largement, comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

Le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

Le délai de la procédure prud'homale doit être apprécié selon les étapes de celle-ci et non pas globalement et un délai de six mois entre chaque étape de la procédure est admissible.

Sont raisonnables le délai d'un mois et demi qui s'est écoulé entre la saisine du conseil de prud'hommes le 10 avril 2017 et la convocation à l'audience de conciliation du 24 mai 2017, le délai de 4 mois et demi qui s'est écoulé entre cette audience et l'audience de jugement du 13 octobre 2017, le délai de quatre mois entre cette audience de jugement du 13 octobre 2017 et l'audience de renvoi du 22 février 2018 et le délai du délibéré d'un mois et une semaine, le procès verbal de partage de voix datant du 30 mars 2018.

Le délai de 23 mois qui s'est écoulé entre cette décision et l'audience de départage du 6 février 2020 apparaît excessif à hauteur de 17 mois, alors que les parties n'ont été convoquées à cette audience que le 28 octobre 2019 sans qu'aucune preuve ne soit apportée par l'agent judiciaire de l'Etat de ce que la longueur de ce délai serait imputable au comportement des parties, dans le cadre d'un litige sans aucune complexité puisqu'il était circonscrit au paiement d'heures supplémentaires.

En revanche et alors que le délibéré avait été initialement fixé au 2 avril 2020, celui-ci a dû être prorogé au 26 juin 2020 en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie due à la Covid 19 à compter du 17 mars 2020 et le délai de moins de deux mois écoulé entre la reprise d'activité du service public de la justice et plus précisément du greffe, le 11 mai 2020 et le délibéré du 26 juin 2020 n'est pas déraisonnable.

Sur le préjudice et le lien de causalité

M. [I] soutient que ce déni de justice lui a causé un préjudice moral constitué par l'incertitude persistante sur le sort de ses demandes dans laquelle il a été contraint de demeurer, et sollicite à ce titre une indemnisation à hauteur de 10 500 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat réplique, à titre principal, que M. [I] ne produit pas de pièces permettant d'évaluer son préjudice moral ni de justifier du montant réclamé et ne démontre pas de lien de causalité avec le déni de justice reproché au service public de la justice, et à titre subsidiaire, que l'indemnisation de ce préjudice devra être ramenée à de plus justes proportions.

Le ministère public souligne que M. [I] ne produit aucune pièce propre à caractériser et à évaluer le préjudice moral allégué.

Le préjudice moral réparable, lié à l'incertitude persistante sur le sort de la procédure, est en lien de causalité avec la durée excessive de procédure de 17 mois qui a inutilement exposé M. [I] à une attente et une inquiétude accrues. Cependant, il ne produit aucune pièce justifiant de l'ampleur du préjudice allégué et celui-ci sera réparé par l'octroi d'une somme de 1 300 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat est condamné à lui payer cette somme, en infirmation du jugement.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont infirmées.

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à l'agent judiciaire de l'Etat , partie perdante, lequel est également condamné à payer à M. [I] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [O] [I] la somme de 1 300 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl Arst Avocats, prise en la personne de Mme [F] [V],

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [O] [I] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/10334
Date de la décision : 06/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-06;20.10334 ?
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