RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 02 Juin 2023
(n° 438 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/12209 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBDNY
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance d'EVRY RG n° 18/00909
APPELANTE
SA CARREFOUR HYPERMARCHES
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Corinne POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substituée par Me Agathe MARCON, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
CPAM 38 - ISERE ([Localité 2])
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mars 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Madame Natacha PINOY, Conseillère
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par la S.A.S. Carrefour Hypermarchés (la société) d'un jugement rendu le 5 novembre 2019 par le tribunal de grande instance d'Evry dans un litige l'opposant à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère (la caisse).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [H] [D] (l'assurée), salariée de la S.A.S. Carrefour Hypermarchés, a déclaré le 30 janvier 2018 une maladie professionnelle, une épicondylite du coude droit ; que cette affection a été prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère au titre de la législation relative aux risques professionnels ; que la S.A.S. Carrefour Hypermarchés a contesté l'opposabilité de la décision de prise en charge et des soins et arrêts subséquents ; qu'après vaine saisine de la commission de recours amiable, elle a formé son recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry.
Le dossier a été transféré le 1er janvier 2019 au tribunal de grande instance d'Evry.
Par jugement en date du 5 novembre 2019, le tribunal a :
- déclaré le recours formé par la S.A.S. Carrefour Hypermarchés recevable mais mal fondé ;
- déclaré opposable à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère de l'affection déclarée le 30 janvier 2018 par Mme [H] [D] ;
- condamné la S.A.S. Carrefour Hypermarchés aux dépens.
Le tribunal a retenu l'exposition au risque de la salariée. Il a en outre indiqué que la présomption d'imputabilité des soins et arrêts n'était pas renversée par la longueur importante des arrêts de travail qualifiée d'excessive par la S.A.S. Carrefour Hypermarchés.
Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise là une date indéterminée à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée le 4 décembre 2019.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la S.A.S. Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Evry en ce qu'il lui a déclaré opposable la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [H] [D] le 29 décembre 2017 ;
en conséquence,
- lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère de la maladie déclarée par Mme [H] [D] ;
subsidiairement,
- ordonner une expertise médicale judiciaire sur le fondement de l'article R. 142-16 du Code de la sécurité sociale afin de déterminer s'il existe un lien de causalité entre la maladie déclarée par Mme [H] [D] et les soins et arrêts de travail qui lui sont postérieurs.
Elle expose qu'en vertu de l'article R. 441-14 du Code de la Sécurité Sociale, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a l'obligation d'informer l'employeur du déroulement de la procédure d'instruction et des points susceptibles de lui faire grief ; que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère ne justifie pas avoir respecté le principe du contradictoire à son égard lors de l'instruction de la maladie déclarée par Mme [H] [D] en ne lui notifiant pas le double de la déclaration de maladie professionnelle, ni la fin d'information ; que la caisse ne justifie pas de l'exposition aux risques de la salariée ; que selon les différents référentiels relatifs à la longueur des arrêts de travail en traumatologie, les épicondylites traitées médicalement et non compliquées évoluent vers la consolidation médicolégale en trois mois au maximum ; qu'en l'état les seuls éléments d'appréciation mis à disposition, la date de la consolidation médicolégale de l'épicondylite droite dont Mme [H] [D] est atteinte aurait dû être fixée au plus tard le 29 mars 2018 tous éléments connus pris en compte.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Evry du 5 novembre 2019 ;
- déclarer opposable à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie de Mme [H] [D], objet du certificat médical du 29 décembre 2017, ainsi que des soins et arrêts de travail prescrits à ce titre ;
- à titre infiniment subsidiaire, dire, si la chambre sociale de la cour d'appel de Paris devait ordonner une expertise, que la mission de l'expert ne pourrait avoir pour but que d'établir si les arrêts de travail ont une cause totalement étrangère au travail.
Elle expose que l'assurée exerce la profession d'assistante de vente au sein de la société, depuis 2001 ; qu'à ce titre, elle est amenée, comme elle le précise dans le questionnaire qu'elle a adressé, à effectuer des travaux de mise en rayon ainsi que du dépotage de palettes, consistant à prendre des colis sur les palettes d'arrivage pour les déposer sur des palettes vides destinées à la mise en rayon ; qu'il est ainsi établi que l'assurée effectue des mouvements répétés de préhension ou d'extension de la main sur l'avant-bras ou des mouvements de pronosupination, notamment lors de la manipulation des colis ou de leur ouverture avec un cutter, ainsi que lors de la mise en rayon ; que la condition relative à la liste limitative des travaux est donc bien remplie ; que l'employeur qui doit démontrer que le travail n'a joué aucun rôle dans l'apparition de la pathologie ou que la pathologie est due à une cause totalement étrangère, ce qu'il ne fait pas ; qu'il n'a pas pris la peine de compléter le questionnaire qu'elle lui a adressé dans le cadre de l'instruction de la demande de maladie professionnelle ; qu'elle n'a pas à solliciter les avis de l'inspecteur du travail et du médecin du travail dans le cadre de l'instruction d'une maladie professionnelle entrant dans un tableau de maladies professionnelles ; que, relativement à la procédure, la société a été destinataire, le 13 février 2018, d'une notification de transmission de déclaration de maladie professionnelle et le 23 mars 2018, d'une notification de consultation du dossier avant décision finale (lettre de clôture), adressée par télécopie dont le double ainsi que le journal de transmission sont joints en annexe, la télécopie ayant été adressée au numéro figurant sur le tampon de l'entreprise apposé sur le questionnaire complété par la société et le 12 avril 2018, d'une notification de prise en charge d'une maladie professionnelle ; que l'état de l'assurée en rapport avec la maladie professionnelle du 10 janvier 2017 n'est, à ce jour, ni consolidé ni guéri ; que les certificats médicaux de prolongation relatent des lésions similaires et notamment une épicondylite du coude droit, constatée par le Docteur [L], médecin généraliste ; que le service médical a régulièrement suivi l'arrêt de travail de l'assurée et a justifié l'arrêt de travail, le 27 avril 2018 puis le 17 septembre 2018 ; que la société ne produit aucun élément justifiant d'un état pathologique antérieur ; qu'en l'absence d'élément de nature à étayer les prétentions de l'employeur, il n'y avait pas lieu d'ordonner une mesure d'expertise et que la maladie avait une origine professionnelle.
SUR CE,
Sur l'exposition aux risques
La maladie professionnelle déclarée par l'assurée, le 30 janvier 2018, une épicondylite du coude droit, établie par un certificat médical du 29 décembre 2017 relève du tableau 57 B.
A ce titre, la liste limitative des travaux est la suivante : 'Travaux comportant habituellement des mouvements répétés d'adduction ou de flexion et pronation de la main et du poignet ou des mouvements de pronosupination '.
L'assurée, en réponse au questionnaire qui lui a été adressé, a indiqué manipuler des colis et des produits divers, précisant qu'elle était amenée à les soulever et à les ouvrir au cutter et qu'elle devait déplier son bras pour la mise en rayon, en les prenant sur les palettes. La société a répondu au questionnaire adressé le 8 février 2018 mais n'a pas précisé les travaux effectués. Elle ne saurait donc faire grief à la caisse de ne pas avoir pris compte de son absence d'avis, alors même qu'elle était invitée à préciser les gestes et postures de l'assurée et qu'elle s'est volontairement abstenue de le faire.
La description du travail par l'assurée correspond aux tâches auxquelles elle est affectée, de telle sorte qu'elles comprennent, du fait de la préhension des colis et de leur ouverture à l'aide d'un cutter des travaux comportant habituellement des mouvements répétés d'adduction ou de flexion et pronation de la main et du poignet ou des mouvements de pronosupination, ces derniers mouvements, notamment lors de la mise en rayon.
Le moyen soulevé par la société sera donc écarté.
Sur le respect de la procédure d'instruction
L'article R. 441-11 II du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2019 énonce que : « La victime adresse à la caisse la déclaration de maladie professionnelle. Un double est envoyé par la caisse à l'employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception. L'employeur peut émettre des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail ».
La sanction d'un manquement de la caisse à cette obligation est l'inopposabilité de la décision de prise en charge (2e Civ., 21 octobre 2021, pourvoi n° 20-11.740).
En l'espèce, le 13 février 2018, la caisse adresse un courrier à la société lui transmettant la déclaration de maladie professionnelle de sa salariée et précisant la pathologie en cause. Elle dépose un accusé de réception signé de la société le 16 février 2018 à la suite d'un envoi du 14 février 2018. Cet accusé de réception porte une référence AT-G qui ne correspond pas à celle du courrier et celui-ci n'indique pas la référence du bordereau du pli recommandé, de telle sorte qu'aucun rapprochement ne peut être fait entre les deux pièces, la caisse ne justifiant pas de l'absence d'envoi sur la même période d'un autre recommandé par le dépôt de ses bordereaux informatiques d'accusés de réception.
Dès lors, la caisse a failli à son obligation d'informer l'employeur de la déclaration de maladie professionnelle de l'assuré. En conséquence, la décision de reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie sera déclarée inopposable à la société.
Le jugement déféré sera donc infirmé.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère, qui succombe, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DÉCLARE recevable l'appel de la S.A.S. Carrefour Hypermarchés ;
INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Evry en ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau ;
DÉCLARE inopposable à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Mme [H] [D] le 29 décembre 2017 au titre de la législation sur les risques professionnels ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Isère aux dépens.
La greffière Le président