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01/06/2023 | FRANCE | N°21/07045

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 01 juin 2023, 21/07045


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 01 JUIN 2023



(n° 2023/ , 15 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07045 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE43



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F20/00185





APPELANT



Monsieur [D] [A]

[Adresse 4]

[Loc

alité 1]

Représenté par Me Martine BONSOM, avocat au barreau de PARIS, toque : G0238





INTIMEE



Société RICOH FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Lucile AUBERT...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 01 JUIN 2023

(n° 2023/ , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07045 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE43

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F20/00185

APPELANT

Monsieur [D] [A]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Martine BONSOM, avocat au barreau de PARIS, toque : G0238

INTIMEE

Société RICOH FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Lucile AUBERTY JACOLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J114

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Marie-Charlotte BEHR et Madame Camille BESSON, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [D] [A] a été engagé par la société Ricoh France par contrat de travail à durée indéterminée du 30 juillet 2013 en qualité d'ingénieur des ventes, statut cadre, position II, Indice 100, ce à compter du 2 septembre 2013, sa rémunération étant composée d'une partie fixe et d'une partie variable.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

La société Ricoh France occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

M. [A] a été convoqué par lettre du 17 septembre 2019 à un entretien préalable fixé au 27 septembre et une mise à pied à titre conservatoire lui a été notifiée.

Par lettre du 4 octobre 2019, il a été licencié pour faute grave.

Contestant son licenciement et considérant qu'un rappel de rémunération variable lui était dû, M. [A] a saisi le 17 février 2020 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 8 juillet 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- dit que les manquements invoqués par l'employeur ne sont pas prescrits ;

- dit que son licenciement est régulier et consécutif à une faute grave ;

- débouté M. [A] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté la société Ricoh France de sa demande reconventionnelle de frais irrépétibles ;

- condamné M. [A] aux dépens éventuels.

M. [A] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 1er août 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [A] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

A titre principal,

- dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence, condamner la société à lui verser :

* 55 996 euros à titre principal, 44 892 euros à titre subsidiaire à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 5 599 euros à titre principal, 4 489 euros à titre subsidiaire à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y attachées,

* 28 370 à titre principal, 21 985 euros à titre subsidiaire (14 964 x 1,52) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 130 655 euros à titre principal, 104 748 euros à titre subsidiaire à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

si par impossible la cour jugeait que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- dire et juger qu'aucune faute grave ne peut lui être reprochée et, en conséquence, condamner la société à lui verser :

* 55 996 euros à titre principal, 44 892 euros à titre subsidiaire à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 5 599 euros à titre principal, 4 489 euros à titre subsidiaire à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y attachées,

* 28 370 à titre principal, 21 985 euros à titre subsidiaire (14 964 x 1,52) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

En toute hypothèse, condamner la société à lui verser les sommes suivantes à titre de rappel de salaires :

- au titre de la prime R/O :

* 12 325,93 euros pour le dossier Fédération nationale des infirmiers,

* 12 330 euros pour le dossier Million associés + Artsitting + Artprecium,

* pour les dossiers Fédération communication conseil culture CFDT:

. signé le 12 septembre 2018, 6 163,39 euros,

. signé le 17 avril 2018, 1 271,26 euros,

. signé le 17 avril 2018, 248,43 euros,

. signé le 16 avril 2018, 215,67 euros,

. signé le 30 janvier 2018, 568,69 euros,

. signé le 5 janvier 2017, 184,70 euros,

. signé le 18 décembre 2017, 405,41 euros,

. signé le 26 octobre 2016, 1 645,93 euros,

. 77 713,78 euros pour le dossier Fédération communication conseil culture CFDT,

. 3 146,48 euros pour le dossier Fédération communication conseil culture CFDT',

* 2 616,98 euros pour le dossier COMGEST,

* 11 883 euros de congés payés afférents à ces rappels de prime R/O ;

- au titre des primes opérationnelles :

* 6 800 euros sur S1 de l'exercice 2019/2020,

* 5 712 euros sur S1 et S2 de l'exercice 2018/2019,

* 3 723 euros sur S1 et S2 de l'exercice 2017/2018,

* 476 euros sur S2 de l'exercice 2017/2018,

* 1 671 euros de congés payés afférents à ces rappels de primes opérationnelles ;

- condamner la société à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société à lui payer les intérêts moratoires au taux légal à compter de la citation avec capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

- la condamner aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Ricoh France demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, excepté sur les frais irrépétibles, et par conséquent :

Sur le licenciement,

- dire et juger non prescrits les faits fautifs ;

- dire et juger régulière la procédure de licenciement ;

- dire et juger que la gravité des faits commis par M. [A] rendait impossible la poursuite du contrat de travail et justifiait le licenciement pour faute grave ;

- le débouter de toutes demandes, fins et conclusions.

Sur les frais irrépétibles,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et en conséquence :

- condamner M. [A] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés devant le conseil de prud'hommes de Créteil ;

Et y ajoutant,

- condamner M. [A] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;

- condamner M. [A] aux entiers dépens de l'instance.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour requalifiait le licenciement pour faute simple,

- fixer la moyenne des salaires de M. [A] au cours des 12 derniers mois précédant la rupture, soit du 1er septembre 2018 au 1er août 2019, à la somme de 13 529,08 euros brut;

- fixer l'indemnité de licenciement à la somme de 20 575,47 euros ;

- fixer l'indemnité de préavis à la somme de 40 587,25 euros brut outre les congés payés afférents ;

A titre très subsidiaire, si par plus extraordinaire encore la cour jugeait le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- fixer la moyenne des salaires de M. [A] au cours des 12 derniers mois précédant la rupture, soit du 1er septembre 2018 au 1er août 2019, à la somme de 13 529,08 euros brut;

- fixer l'indemnité de licenciement à la somme de 20 575,47 euros ;

- fixer l'indemnité de préavis à la somme de 40 587,25 euros brut outre les congés payés afférents ;

- fixer le montant des dommages-intérêts à la somme de 40 587,25 euros brut, soit la valeur de 3 mois de salaires,

En tout état de cause, sur les demandes de rappel de salaires,

- dire et juger que toute demande de paiement de rappel de salaires est prescrite par 3 ans et par conséquent que les demandes de M. [A] au titre de l'année 2015 sont prescrites ;

- dire et juger que la société Ricoh France a respecté toutes ses obligations à l'égard de M. [A], en ce compris l'obligation de paiement du salaire variable ;

- dire et juger qu'en tout état de cause M. [A] ne rapporte pas la preuve qu'un rappel de salaire lui serait dû ;

- débouter par conséquent M. [A] de ses demandes de rappel de salaire et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions afférentes ;

- débouter M. [A] de toutes ses demandes plus amples ou contraires.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 mars 2023.

MOTIVATION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :

' (...) Vous avez intégré notre société le 2 septembre 2013 et occupiez en dernier lieu le poste d'ingénieur des ventes. En cette qualité, il vous appartient notamment de négocier des contrats avec notre clientèle, pour la vente de nos produits et de nos services. Vous n'ignorez pas que tant notre société que le groupe auquel elle appartient attachent une importance particulière aux règles d'éthique en rapport avec notre clientèle commerciale. Ces règles et ces valeurs sont énoncées et rappelées dans de nombreux documents qui vous ont été communiqués. (...). Outre ces documents qui vous ont été communiqués et qui étaient facilement accessibles, vous avez été formé spécifiquement sur le code de conduite en vigueur dans notre société, en dernier lieu les 4 décembre 2017 et 28 février 2019. Or, nous avons récemment découvert plusieurs manquements graves à ces règles et, plus généralement, à votre devoir de probité et de loyauté professionnelles. Le 1er juillet 2019 en effet, nous avons reçu un courrier recommandé avec avis de réception de l'un des clients de la société, avec lequel vous étiez en relation, F3C-CFDT. Dans ce courrier, ce client sollicitait des explications détaillées concernant plusieurs anomalies relevées dans les contrats le liant à notre société. Compte tenu du nombre d'anomalies listées dans ce courrier et du montant total du préjudice allégué par ce client (environ 2,5 millions d'euros), nous n'avons eu d'autre choix que de déclencher une enquête interne, afin de faire la lumière sur ces anomalies et sur leur origine. Cette enquête est toujours en cours à ce jour, tout comme le litige commercial avec ce client. L'enquête interne diligentée, qui consistait notamment en une revue des courriels professionnels échangés avec ce client, a néanmoins d'ores et déjà permis de mettre en évidence, au début du mois de septembre 2019, que vous aviez commis des manquements extrêmement graves aux règles commerciales et d'éthique en vigueur dans notre entreprise, vis à vis de plusieurs clients dont vous aviez la charge.

A titre d'illustration, notamment :

. F3C/CFDT

Plusieurs échanges de courriels entre vous-même et ce client mettent en évidence la pression exercée par vous en vue de conclure une vente de matériel, sans corrélation avec les besoins réels du client. Cette pression va bien au-delà de la pugnacité et du dynamisme inhérents à votre fonction commerciale. En particulier, vous n'hésitez pas dans certains échanges à évoquer vos primes personnelles pour conclure une vente ('je te parle du perso, mais j'aurai une prime'). Par ailleurs, il apparaît que vous avez présenté des produits commercialisés par notre société comme étant 'gratuits' ou des 'cadeaux', en particulier des produits Apple, qui de toute évidence n'étaient pas destinés au client personne morale, mais aux personnes physiques avec lesquelles vous étiez en relation. Des contrats ont été conclus peu après avec ce client. Enfin, il apparaît que vous avez vendu à ce client un nombre surdimensionné de services (diagnostics IT) à l'occasion de rachats de contrats (jusqu'à 80 diagnostics IT pour un même contrat), sans aucune réalité en comparaison avec le parc de machines en place chez ce client.

. ICE France

Nous avons découvert dans plusieurs échanges de mails entre ce client et vous que vous lui proposiez d'offrir du matériel Apple afin de conclure des contrats, en demandant que cela reste 'en off' : 'Je vous rajoute sans coût supplémentaire 3 Iphone x 64Go (ou autre produit Apple comme Ipad, Airpods, AppleWatch, etc). Deux pour vous, et un pour votre Directeur. Ça reste en off svp. Je vous les apporterai en main propre (dans la mesure du possible). Si je peux ne pas les faire figurer, je le fais sinon ils figureront. Mais cela reste un geste commercial. Donc, on ne vous les réclamera jamais.' 'Pour la facturation, je vous tiens au courant [V], je vais essayer d'englober le tout !' Plus récemment, vous vous êtes permis de solliciter ce même client pour le renouvellement d'un contrat en évoquant vos primes personnelles et en promettant en échange des 'cadeaux' Apple pour les personnes physiques avec lesquelles vous étiez en contact : '[V], je me permets de vous solliciter à titre personnel.(...) Comme j'ai une prime semestrielle, donc fin mars, nous avions vu ensemble pour étudier votre parc plutôt en avril/mai, mais à titre personnel, cela m'arrangerait énormément si vous me donnez la possibilité d'étudier votre parc d'ici fin mars. (...) Bien évidemment, [V], pour vous remercier, en geste commercial, sans coût supplémentaire, je vous inclurai des gadgets (Iphone, tablette, Apple Watch, etc). Je vous remercie énormément.'

. Emergence

Comme vous le savez, un litige commercial nous oppose également à ce client, qui s'est étonné de se voir facturer des produits qui avaient été présentés par vos soins comme des 'cadeaux'. Le client, qui estime avoir été victime d'abus de confiance, refuse toujours de payer nos factures. A l'époque, vous nous aviez assuré qu'il s'agissait d'une incompréhension de la part de votre interlocuteur chez ce client. Force est néanmoins de constater, compte tenu de ce qui précède et de ce que nous avons découvert à propos de vos relations avec d'autres clients, que vous avez là encore fait croire à ce client que des produits lui seraient offerts, afin de le convaincre de conclure un contrat. Une nouvelle fois, l'examen attentif des contrats conclus avec ce client permet de relever un nombre surdimensionné de services IT (10) par rapport au parc de matériel dont il dispose (4).

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que vous avez commis de nombreux manquements aux règles en vigueur dans notre entreprise, et plus généralement aux obligations de probité et de loyauté qui doivent présider à toute relation professionnelle :

- Vous n'avez pas respecté les règles commerciales internes relatives aux gestes commerciaux et aux cadeaux clients, en proposant à vos contacts chez nos clients des cadeaux personnels, en vue de remporter des contrats.

- Vous avez mis en oeuvre des pratiques abusives vis-à-vis de nos clients, en leur présentant comme des 'cadeaux', des 'gestes commerciaux' ou 'gratuits' des produits qui étaient en réalité facturés et qu'en tout état de cause vous n'aviez pas le droit d'offrir.

- Vous avez clairement tenté de contourner nos règles de contrôle interne en vue de faire valider des contrats. En surdimensionnant les services IT mentionnés sur les contrats, vous avez cherché à passer 'sous le radar' de nos contrôles internes du sur-financement. Vous ne pouviez pourtant pas ignorer, compte tenu du parc de matériel détenu par les clients en question, que les services mentionnés sur ces contrats n'étaient pas conformes au besoin du client et ne seraient pas effectués.

- Plus généralement, vos agissements relèvent de la dissimulation et constituent un manquement évident aux obligations de conseil, de loyauté et de probité.

Il convient de relever que vos agissements nous causent un préjudice considérable. Sur le plan financier, nous devons faire face à des litiges commerciaux avec les clients mentionnés ci-dessus, qui ont adressé des courriers de réclamation et refusent de régler leurs factures. Le préjudice potentiel pour notre société s'élève à plusieurs millions d'euros. Outre que vos agissements font courir un risque financier extrêmement important sur notre société, ils portent évidemment atteinte à notre réputation et aux valeurs d'éthique et de probité qui sont celles du groupe auquel nous appartenons.

L'ensemble de ces raisons nous conduisent à vous licencier pour faute grave. (...)'

M. [A] soutient que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits puis qu'il n'a pas commis de faute grave.

La société soutient que les faits reprochés ne sont pas prescrits et constituent une faute grave.

Sur la prescription des faits fautifs

M. [A] soutient que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits car :

- les contrats dont la conclusion lui est reprochée, sont intervenus entre le 12 mars 2015 et le 23 mai 2019, ils mentionnaient les produits Apple et les diagnostics IT, ils ont été validés par ses deux supérieurs hiérarchiques de sorte qu'à ces dates, la société avait connaissance de son comportement en ce qui concerne les gestes commerciaux ;

- le syndicat CFDT (F3C) avait déjà adressé le 22 octobre 2018 un courrier à la société pour faire état de contestations et la société Emergence avait formé une réclamation le 28 novembre 2018 ce qui démontre que l'employeur avait à cette date également connaissance des faits ;

- aucune enquête n'était dès lors nécessaire consécutivement à la lettre de ce syndicat du 1er juillet 2019 ;

- la société PWC à laquelle l'enquête a été confiée était une cliente de l'employeur de sorte que son rapport ne peut qu'être mis en doute et qu'il ne peut pas être retenu pour retarder le point de départ de la prescription.

La société soutient que les faits ne sont pas prescrits car :

- elle a été informée le 1er juillet 2019 d'une difficulté majeure avec le syndicat CFDT F3C qui a nécessité la réalisation d'une enquête de sorte qu'elle n'a eu une connaissance suffisamment parfaite des faits selon elle fautifs que le 5 septembre ;

- la date de validation des contrats par les deux supérieurs hiérarchiques du salarié n'est pas opérante dans la mesure où ils ne pouvaient pas identifier les pratiques déployées par ce dernier et ils n'avaient pas de pouvoir disciplinaire à son encontre ;

- le courrier du syndicat CFDT du 22 octobre 2018 n'était qu'un courrier aux fins de solliciter la remise des contrats ;

- la société PWC est un cabinet d'audit respecté qui n'est pas sa cliente et en tout état de cause, le fait qu'elle puisse disposer de matériel informatique de sa part n'est pas de nature à la conduire à établir un faux rapport.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Le point de départ du délai de prescription de deux mois est donc le jour où l'employeur ou le supérieur hiérarchique direct du salarié a eu connaissance du fait fautif. Si la procédure disciplinaire a été engagée dans un délai supérieur à deux mois à compter des faits invoqués comme fautifs, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'a eu une connaissance parfaite de ces faits c'est à dire de leur réalité, de leur ampleur et de leur nature qu'à une date postérieure à l'expiration de ce délai. Afin de déterminer la nature et l'ampleur des faits et donc les éventuelles fautes du salarié, l'employeur peut diligenter une enquête. Le point de départ de la prescription sera alors fixé à la date de remise du rapport d'enquête s'il est démontré que jusqu'à cette date, l'employeur n'avait pas une connaissance parfaite des faits. ll appartient toutefois à l'employeur de rapporter la preuve que cette enquête lui était nécessaire pour avoir cette connaissance.

Il est établi que le 1er juillet 2019, le syndicat CFDT (F3C) a adressé à la société Ricoh France une lettre mettant en cause 12 contrats, invoquant des faux, abus de confiance et défaut de conseils, chiffrant son préjudice à la somme de 2 539 324, 29 euros et indiquant prendre l'attache d'un conseil et de la DGCCRF.

Compte tenu de l'ampleur et de la gravité de la réclamation formulée par ce client, il est démontré par l'employeur qu'une enquête était nécessaire et qu'il n'a eu une connaissance exacte des faits qu'au moment de la remise du rapport d'enquête le 5 septembre 2019.

M. [A] soutient que ce rapport ne peut pas repousser le délai de prescription dans la mesure où l'impartialité de la société externe enquêtrice ne peut qu'être mise en doute, celle-ci étant cliente de la société Ricoh France. Il produit à ce titre une copie d'écran (pièce 35) qui est partielle, qui n'est pas datée, qui ne comporte pas les dates de commandes éventuelles de matériels par cette société de sorte qu'il ne peut pas être retenu que dans un temps rapproché avec la réalisation de l'enquête, la société PWC était cliente de l'employeur ce qui serait de nature à mettre en cause l'impartialité de son rapport.

En outre, il est rappelé par la cour que lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi, l'employeur peut sanctionner un fait fautif qu'il connaît depuis plus de deux mois. La société peut donc évoquer dans la lettre de licenciement et sanctionner des faits antérieurs à ce délai.

En conséquence, la cour retient que le point de départ du délai de prescription est fixé au 5 septembre 2019. Les poursuites disciplinaires ayant été engagées le 17 septembre 2019, les faits reprochés au salarié ne sont pas prescrits.

La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur le caractère bien-fondé du licenciement

M. [A] conteste les faits qui lui sont reprochés. Il soutient que ses supérieurs hiérarchiques ont validé les différents contrats en connaissance de cause. Il fait valoir que les gestes commerciaux ou cadeaux n'étaient pas facturés aux clients mais que leur prix était réparti sur les produits commandés.

La société Ricoh France soutient que le licenciement de M. [A] est fondé sur une faute grave car il connaissait les règles en vigueur dans l'entreprise rappelées dans son contrat de travail, dans le code de conduite et dans le document intitulé 'politique des ventes' et qu'il les a enfreintes comme le révèle selon elle le rapport d'enquête. Elle ajoute que le salarié ne peut pas se prévaloir de l'accord de ses supérieurs hiérarchiques quant à ses pratiques alors que la validation qu'ils ont accordée à titre dérogatoire par la mention 'gagné' apposée sur les documents intitulés 'commandes administratives' est relative au taux de profitabilité et qu'un prix est mentionné au regard des cadeaux accordés.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à M. [A] de :

- ne pas avoir respecté les règles commerciales internes relatives aux gestes commerciaux et aux cadeaux en vue de remporter des contrats ;

- avoir mis en oeuvre vis vis des clients des pratiques abusives en leur faisant croire à l'existence de cadeaux qui étaient en réalité facturés ;

- avoir tenté de contourner les règles de contrôle interne en vue de faire valider les contrats en sur-dimensionnant les services IT ;

- avoir adopté un comportement relevant de la dissimulation et constituant un manquement aux obligations de conseil, de loyauté et de probité.

La cour relève que si la société cite dans la lettre de licenciement des faits en relation avec le syndicat CFDT (F3C), les sociétés Ice France et Emergence ' à titre d'illustration ', elle ne produit aucun élément relatif à d'autres clients de sorte que le litige est circonscrit au comportement de M. [A] à l'égard de ces trois clients.

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

La cour constate que le rapport d'enquête recense des mails adressés ou reçus par M. [A], les retranscrit et les commente. Cependant, il appartient à la société de produire les mails sur lesquels elle s'appuie pour soutenir que le licenciement de M. [A] est fondé sur une faute grave, seuls ceux-ci ayant une valeur probante dans le cadre du présent litige.

Sur les faits relatifs au Syndicat CFDT (F3C)

A l'appui de ce grief, la société produit plusieurs courriels :

- un mail du 11 décembre 2014 adressé par M. [A] à M. [W] de ce syndicat évoquant des Iphone 6 et un Mac Book Pro et une opération marketting 'prévue pour janvier/février 2015 '.

- un mail du 28 mars 2015 adressé par M. [W] au salarié ainsi rédigé : ' (...) Je ne voudrais par paraître indélicat et profiteur mais j'ai fait des jaloux autour de moi avec les Iphone. Ma question est simple. Pensez-vous être en mesure de m'en obtenir quelques uns de plus, trois 64go pour être exact ' (...)'.

- un mail du 2 juin 2015 adressé par le salarié à la même personne dans lequel il indique : ' (...) [J], je te confirme bien que (avec accord de mon responsable des Ventes) les articles livrés sous la marque APPLE (iPhone, etc.) et qui vous seront livrés par la suite , ils sont indiqués dans les différents documents comptables et administratifs (on est bien obligé....) et ils vous ont été inclus dans les contrats à titre 'Geste commercial' et dans l'avenir, ils sont votre pleine propriété. Bien évidemment, [J], je ne peux pas parler de gratuité, tu sais comment cela fonctionne, mais de geste commercial, et comme le business nous dit, c'est du donnant/donnant avec un rapport gagnant/gagnant : évolution des besoins futurs, renouvellement matériel, besoins de matériels informatiques, bureautiques, etc. Cette logique doit rester dans un cadre de partenariat entre F3C et Ricoh dans les années à venir. Pour des livraisons [J] qui vont arriver : Nouvelles imprimantes + Licences Offices + Articles Apple + PC DELL + VP (vidéo-projecteur). (...)'.

- un échange de mails entre M. [K] du syndicat et le salarié, entre le 4 et le 8 juin 2015 montrant que M. [A] sollicite auprès de son interlocuteur des contacts afin de vendre des matériels.

- un mail du 25 juin 2018 adressé par le salarié à M. [W] à propos d'un tableau établi et des numéros de série attribués aux matériels type Iphone, Ipad etc : ' (...) Je suis vraiment désolé, ça me gêne extrêmement vis à vis de toi et [Z], malgré ma bonne volonté.... Pour la suite, il faudrait STP communiquer un modèle de facture (ou me dire ce qu'il faut mettre exactement) pour les gestes....je vais me débrouiller en interne et faire contacter par mon Responsable car il ne comprends pas pourquoi non plus...(...)'.

- un mail de M. [K] du syndicat adressé le 21 septembre 2018 à M. [A] révélant que ce dernier se rend compte de l'ampleur des engagements qu'il a souscrits auprès de la société Ricoh pour des matériels qu'il estime désormais excessifs.

- la lettre de réclamation du syndicat du 1er juillet 2019.

La cour relève que le supérieur hiérarchique de M. [A], M. [S], chef des ventes, est en copie du mail du 2 juin 2015 dans lequel le salarié indique faire des gestes commerciaux en contrepartie de comportements attendus du client. Ce message s'inscrit dans la continuité des deux premiers évoquant une campagne marketting puis la remise d'Iphones. L'échange de mails avec M. [K] du mois de juin 2015 est représentatif des contreparties attendues de la remise d'Iphones. Le message du 25 juin 2018 montre que M. [A] se réfère toujours à son supérieur hiérarchique et le courriel de M. [K] du 21 septembre 2018 ne révèle pas de pressions exercées par M. [A] à son encontre, aucun autre élément à ce titre n'étant produit par la société, M. [K] reconnaissant avoir signé ces contrats comme le souligne le salarié. Enfin, le courrier du 1er juillet 2019 du syndicat CFDT comprend un tableau recensant les contrats objets de la réclamation de ce client. La société ne produit pas ces contrats, ne les analyse pas et n'explique pas en quoi ils sont contestables. Si elle invoque dans la lettre de licenciement et dans ses écritures un nombre majoré de 'diagnostics IT', elle ne produit aucun récapitulatif des matériels détenus par le syndicat et aucun ratio permettant d'évaluer le nombre de diagnostics nécessaires au regard de ces matériels.

Il résulte en outre d'échanges de mails intervenus au mois de mai 2017 entre M. [A] et M. [H], directeur des ventes et supérieur hiérarchique du salarié, que celui-ci était informé des gestes commerciaux consentis par M. [A] à ce client qui l'en a informé et qui lui a demandé un 'bon pour accord' pour la non-reprise de matériels au terme du contrat.

La cour retient en conséquence que M. [A] a consenti des gestes commerciaux à l'égard de cette société en attente de contreparties avec l'aval de ses supérieurs hiérarchiques.

Sur les faits relatifs à la société ICE France

A l'appui de ce grief, la société produit :

- un échange de mails du 6 juillet 2018 avec Mme [V] [F], 'European Financial Controller' de la société Ice France, dans lequel M. [A] à la suite d'une commande effectuée par cette société indique : ' (...) [V], de plus, je vous rajoute sans coût supplémentaire 3 Iphone x 64Go, (ou autre produit Apple comme Ipad, Airpods, AppleWatch, etc) 2 pour vous, et 1 pour votre Directeur. Ça reste en off SVP. Je vous les apporterai en main propre (dans la mesure du possible). Si je peux ne pas les faire figurer, je le fais sinon ils figureront. Mais cela reste un geste commercial. Donc, on ne vous les réclamera jamais.(...)', puis a précisé dans le courriel suivant : 'Pour la facturation, je vous tiens au courant [V], je vais essayer d'englober le tout ! '.

- un échange de mails du 18 février 2019 débutant par un mail de M. [A] à Mme [F], lui demandant d'étudier son parc informatique avant le 31 mars afin qu'il puisse bénéficier de cette commande avant cette date et donc d'une prime semestrielle et concluant ce message par ' Bien évidemment, [V], pour vous remercier, en geste commercial, sans coûts supplémentaires, je vous inclurai des gadgets (Iphone, tablette apple watch, etc.) ', se poursuivant par la transmission d'une évaluation des besoins de la société puis le 18 février 2019 par un mail de M. [A] transmettant une offre de renouvellement et ajoutant ' Pourriez-vous SVP me dire quel type de gadget souhaitez-vous SVP (tablette, etc)', Mme [F] répondant le 18 février 2019 'concernant le gadget, j'aimerais bien une Apple Watch' ce à quoi M. [A] a répondu le 18 février 2019 'c'est noté pour moi '.

- des échanges de mails des 6 mai et 17 juin 2019 concernant une contestation sur les performances des photocopieuses et évoquant des factures.

Il est constant que le comportement de M. [A] révélé par ces échanges est contraire à la politique commerciale en vigueur dans l'entreprise définie par un code de conduite disposant notamment en son article 7.4 une interdiction pour les managers et collaborateurs ' d'offrir à leurs partenaires commerciaux des cadeaux et invitations disproportionnés contrevenant aux lois et à l'éthique générale en matière de bonnes pratiques commerciales.' Cependant, il résulte de l'analyse concernant le syndicat CFDT/F3C que sa hiérarchie était informée de ses pratiques, pratiques qu'il a renouvelées auprès de la société Ice France étant observé au surplus qu'il est stipulé par son contrat de travail que des mentions ou dérogations particulières ne peuvent pas figurer sur les bons de commandes sans accord préalable de l'encadrement ce qui implique que ces dérogations sont possibles. En l'espèce, la cour constate qu'il les a sollicitées comme il le soutient. Il est indifférent à cet égard que la commande anticipée au 31 mars 2019 ait été de nature à lui permettre de bénéficier d'une prime semestrielle ce qui au demeurant n'est pas démontré par la société Ricoh, puisqu'il résulte clairement de son écrit du 2 juin 2015 dont M. [S], chef des ventes, a eu connaissance que les cadeaux et gestes commerciaux sont nécessairement consentis pour obtenir une contrepartie de la part du client.

Enfin, la cour relève qu'aucune explication n'est fournie par la société quant à la contestation des factures.

Sur les faits relatifs à la société Emergence

A l'appui de ce grief, la société Ricoh France produit des échanges de mails avec cette société dont il résulte que ce client s'étonne de se voir facturer des matériels qui auraient été laissés en cadeau par M. [A] alors que ce dernier indique qu'il n'a pas facturé ces produits. L'employeur reproche à ce titre au salarié d'avoir fait croire au client qu'il lui consentait un cadeau alors qu'en réalité, il le lui faisait payer en plus du produit nouvellement installé. M. [A] a contesté auprès du client lui avoir fait payer ces matériels en affirmant qu'il a réparti le prix du matériel récent sur les produits en cadeaux ' car comme vous le savez, nous n'avons pas le droit de vendre à 0 € '.

La société développe de manière générale ce manquement en soutenant que M. [A] trompait les clients en leur faisant croire à des cadeaux qu'il facturait en réalité. Il convient de rappeler qu'il appartient à la société de rapporter la preuve des faits qu'elle impute au salarié. Or si elle produit le contrat conclu avec la société Emergence, elle ne démontre pas par la production de factures que le prix retenu par M. [A] excédait celui du matériel récent installé chez le client, seul élément de nature à démontrer que le salarié trompait la clientèle en lui faisant croire à des cadeaux ce qu'il conteste en faisant valoir qu'il répartissait le montant dû réellement par le client sur les cadeaux, le prix global étant dès lors inchangé. La cour relève en outre que M. [S], chef des ventes, a été destinataire le 9 octobre 2018 des échanges de mails entre M. [A] et la société Emergence dont il résultait une pratique de cadeaux et de 'ventilation des prix', qu'il a indiqué faire un point avec le salarié sans suite démontrée par la société Ricoh France.

La cour constate en outre que la société ne produit pas d'élément à ce titre pour les autres clients.

Au terme de la lettre de licenciement, la société reproche à M. [A] de manière générale d'avoir majoré les 'diagnostics IT'. Comme retenu pour ce qui concerne le syndicat CFDT/F3C, elle ne démontre pas cette majoration pour les deux autres clients. Elle lui fait également grief d'avoir adopté un comportement relevant de la dissimulation et constituant un manquement aux obligations de conseil, de loyauté et de probité ce qui n'est pas avéré compte tenu des observations précédentes de la cour.

En conséquence, au terme de cette analyse, la cour constate l'existence d'une tolérance de la part des supérieurs hiérarchiques de M. [A], pendant une longue période, des pratiques qui lui sont reprochées au titre des cadeaux, d'une dissimulation et des manquements aux obligations de conseil, de loyauté et de probité. Elle relève qu'il n'est pas démontré que M. [A] a sur dimensionné les services IT et a fait payer en réalité aux clients les cadeaux qu'il leur a octroyés.

Dès lors, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur le rappel de rémunération variable

M. [A] soutient qu'une rémunération variable lui est due, composée de primes R/O et de primes opérationnelles. Au titre des primes R/O, il fait valoir que la société a classé en 'affaires de direction' à tort certaines affaires représentant une marge inférieure à 50 000 euros ce qui a eu pour effet de le priver de celles-ci. Il soutient que le rappel de salaire sollicité n'est pas prescrit pour la période antérieure au 4 octobre 2016, seule la date de la facturation devant être prise en compte et non celle du bon de commande.

La société Ricoh France fait valoir que les demandes de M. [A] sont prescrites pour la période antérieure au 4 octobre 2016 compte tenu de la prescription triennale, que le salarié n'a jamais formé de réclamation au titre des commissions et primes et qu'il ne rapporte pas la preuve d'une dette de sa part à son égard.

Il résulte du contrat de travail que la rémunération de M. [A] était composée d'une partie fixe et d'une partie variable. Il est constant que cette rémunération variable se composait de primes R/O et de primes opérationnelles, les deux parties l'indiquant et ces primes figurant sur les grilles d'objectifs produites par le salarié. En outre, le plan de rémunération variable produit aux débats par la société prévoit que les commissions et/ou primes ne sont définitivement acquises qu'à partir du règlement total de la commande par le client.

Sur la prescription

La société soutient que les demandes de M. [A] antérieures au 4 octobre 2016, soit 4 ans avant le licenciement, sont prescrites sur le fondement des dispositons de l'article L. 3245-1 du code du travail. M. [A] fait valoir que le délai de prescription ne court qu'à compter de la date de facturation.

Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

A l'appui de sa demande, M. [A] produit un tableau récapitulatif faisant apparaître deux commandes dont la signature est intervenue au cours de l'année 2015.

Le plan de rémunération indiquant que la commission n'est exigible qu'à la date de paiement complet de la commande par le client, il convient de retenir que le point de départ de la prescription est cette date. Or, la société est la seule à détenir la preuve de la date de paiement de ces deux commandes. Dès lors qu'elle ne produit aucun élément à ce titre, la cour retient que les demandes de M. [A] ne sont pas prescrites.

Sur le rappel de primes R/O et de primes opérationnelles

M. [A] produit à l'appui de sa demande un tableau détaillé faisant apparaître le nom du client, la référence de la commande, la date de signature, la marge réalisée, le taux de commission et ce qui, selon lui, lui est dû.

Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il s'est libéré de l'obligation de paiement du salaire en ce compris la rémunération variable dont le principe est en l'espèce incontestable. En outre, lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.

Il appartient dès lors à la société Ricoh France de justifier du paiement de la rémunération variable due à M. [A] à partir des éléments détaillés qu'il transcrit dans son tableau et en produisant les éléments qu'elle est seule à détenir.

Elle ne produit aucun élément à ce titre, la seule production d'un relevé des sommes versées au cours de la période de septembre 2016 à août 2019 étant inopérante, et elle ne peut pas se prévaloir comme elle le fait d'une absence de réclamation du salarié au cours de l'exécution du contrat de travail.

En conséquence, il est dû à M. [A] les sommes suivantes :

- au titre de la prime R/O :

* 12 325,93 euros pour le dossier Fédération nationale des infirmiers,

* 12 330 euros pour le dossier Million associés + Artsitting + Artprecium,

* pour les dossiers Fédération communication conseil culture CFDT:

. 6 163,39 euros (contrat signé le 12 septembre 2018),

. 1 271,26 euros (contrat signé le 17 avril 2018),

. 248,43 euros (contrat signé le 17 avril 2018),

. 215,67 euros (contrat signé le 16 avril 2018),

. 568,69 euros (contrat signé le 30 janvier 2018),

. 184,70 euros (contrat signé le 5 janvier 2017),

. 405,41 euros (contrat signé le 18 décembre 2017),

. 1 645,93 euros (contrat signé le 26 octobre 2016),

. 77 713,78 euros pour le dossier Fédération communication conseil culture CFDT,

. 3 146,48 euros pour le dossier Fédération communication conseil culture CFDT,

* 2 616,98 euros pour le dossier COMGEST,

* 11 883 euros de congés payés afférents à ces rappels de prime R/O ;

- au titre des primes opérationnelles :

* 6 800 euros sur le premier semestre de l'exercice 2019/2020,

* 5 712 euros sur le premier et le second semestre de l'exercice 2018/2019,

* 3 723 euros sur le premier et le second semestre de l'exercice 2017/2018,

* 476 euros sur le second semestre de l'exercice 2017/2018,

* 1 671 euros de congés payés afférents à ces rappels de primes opérationnelles.

La société sera condamnée au paiement de ces sommes et la décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demandes.

Sur les conséquences du licenciement

Après intégration de la rémunération variable, le salaire moyen de M. [A] au cours des douze derniers mois précédant la rupture du contrat de travail, établi au vu de l'attestation Pôle emploi et des bulletins de paie produits, est de 16 740,10 euros.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Conformément aux dispositions de l'article 28 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, il est dû à M. [A] la somme de 50 220,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 5 022,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents au paiement desquelles la société sera condamnée.

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement

Par application des dispositions de l'article 29 de la convention collective, il est dû à M. [A] la somme de 26 505,12 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement au paiement de laquelle la société sera condamnée.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article, en l'espèce entre 3 et 7 mois au vu de l'ancienneté de M. [A] de 6 ans.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, 34 ans, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, M. [A] justifiant avoir perçu des prestations Pôle emploi du mois de décembre 2020 au mois d'octobre 2021, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 70 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à la société Ricoh France de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [D] [A] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Ricoh France sera condamnée au paiement des dépens exposés en cause d'appel. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de M. [A].

La société Ricoh France sera condamnée à payer à M. [A] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant infirmée à ce titre. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre, la décision des premiers juges étant confirmée à cet égard.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a dit que les manquements invoqués par l'employeur n'étaient pas prescrits,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [D] [A] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Ricoh France à payer à M. [D] [A] les sommes suivantes :

- au titre de la prime R/O :

* 12 325,93 euros pour le dossier Fédération nationale des infirmiers,

* 12 330 euros pour le dossier Million associés + Artsitting + Artprecium,

* pour les dossiers Fédération communication conseil culture CFDT:

. 6 163,39 euros (contrat signé le 12 septembre 2018),

. 1 271,26 euros (contrat signé le 17 avril 2018),

. 248,43 euros (contrat signé le 17 avril 2018),

. 215,67 euros (contrat signé le 16 avril 2018),

. 568,69 euros (contrat signé le 30 janvier 2018),

. 184,70 euros (contrat signé le 5 janvier 2017),

. 405,41 euros (contrat signé le 18 décembre 2017),

. 1 645,93 euros (contrat signé le 26 octobre 2016),

. 77 713,78 euros pour le dossier Fédération communication conseil culture CFDT,

. 3 146,48 euros pour le dossier Fédération communication conseil culture CFDT,

* 2 616,98 euros pour le dossier COMGEST,

* 11 883 euros de congés payés afférents à ces rappels de prime R/O ;

- au titre des primes opérationnelles :

* 6 800 euros sur le premier semestre de l'exercice 2019/2020,

* 5 712 euros sur le premier et le second semestre de l'exercice 2018/2019,

* 3 723 euros sur le premier et le second semestre de l'exercice 2017/2018,

* 476 euros sur le second semestre de l'exercice 2017/2018,

* 1 671 euros de congés payés afférents à ces rappels de primes opérationnelles ;

- 50 220,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 022,03 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

- 26 505,12 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Ricoh France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

CONDAMNE la société Ricoh France à verser à M. [D] [A] les sommes suivantes:

- 70 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 000 euros au titre des dipositions de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

ORDONNE à la société Ricoh France de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [D] [A] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Ricoh France aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/07045
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;21.07045 ?
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