Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRET DU 01 JUIN 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11634 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAIB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Septembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01106
APPELANT
Monsieur [C] [G]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Chanel DESSEIGNE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
EPIC REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Alexa RAIMONDO, avocat au barreau de PARIS, toque : E2109
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.
ARRET :
- CONTRADICTOIRE,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
M. [C] [G] est entré au sein de la RATP en qualité de machiniste-receveur le 20 août 2007. Il a occupé à compter du 23 décembre 2013 le poste d'agent de sécurité au sein du Groupe de protection et de sécurité des Réseaux RATP.
Se disant victime d'injures racistes et de harcèlement moral de la part d'un collègue, M. [G] a avisé son supérieur hiérarchique le 15 février 2016.
M. [G] a été convoqué le 7 février 2018 pour un entretien en vue du retrait de son autorisation de port d'arme à la Préfecture de police. Le 8 août 2018, une décision d'abrogation de l'autorisation lui a été notifiée.
Le salarié ne pouvant plus occuper le poste d'agent de sécurité en raison du retrait d'autorisation, il a postulé au poste de machiniste-receveur. La RATP a demandé au ministère de l'intérieur une enquête sur la compatibilité du comportement du salarié au poste demandé, sur le fondement de l'article L. 114-2 alinéa 1er du code de la sécurité intérieure. Le 30 octobre 2018, le ministre de l'intérieur a rendu un avis d'incompatibilité.
Le 12 décembre 2018, M. [G] a été licencié sur le fondement de cet avis d'incompatibilité avec dispense du préavis.
Sur recours de M. [G], la décision d'abrogation du port d'arme et l'avis d'incompatibilité ont été annulés par deux décisions du tribunal administratif de Paris du 9 mai 2019.
Le 13 décembre 2019, le salarié a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes pour obtenir l'annulation du licenciement et sa réintégration.
Par ordonnance du 10 mars 2020, le conseil a dit n'y avoir lieu à référé.
Par décision du 6 mai 2021, la Cour d'appel a infirmé l'ordonnance du conseil en toutes ses dispositions et ordonné la réintégration du salarié au poste d'agent de sécurité ou à un poste équivalent.
M. [G] a été réintégré en juin 2021 et est dans l'attente de son permis de port d'arme.
Par un arrêt du 19 octobre 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la RATP.
Parallèlement, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 7 février 2019.
Par jugement contradictoire du 26 septembre 2019, le conseil de Prud'hommes a :
-débouté M. [C] [G] de l'ensemble de ses demandes;
-débouté la RATP de sa demande reconventionnelle;
-condamné M. [C] [G] aux dépens de l'instance.
Par déclaration notifiée par la voie électronique le 25 novembre 2019, M. [G] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 6 février 2023, M. [G] demande à la cour de :
-infirmer le jugement déféré;
-rejeter toutes les fins et conclusions de la RATP;
-juger qu'il a fait l'objet de harcèlement moral, de discrimination raciale;
-juger que la RATP a manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral et à son obligation de sécurité;
En conséquence,
-condamner la RATP à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de réparation des préjudices nés du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité;
-condamner la RATP à lui verser sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile 3000,00 euros outre 1500 euros pour les frais engagés en première instance;
-condamner la RATP au paiement des intérêts au taux légal sur toutes les sommes et prononcer la capitalisation desintérêts (article 1154 du Code Civil);
-condamner la RATP aux entiers dépens .
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 28 février 2023, la RATP demande à la cour de:
-la recevoir en ses conclusions,
y faisant droit,
-constater l'absence de harcèlement moral à l'encontre de M. [G];
-constater l'absence de manquement de sa part à son obligation de prévention du harcèlement moral et à son obligation de sécurité;
-constater la demande de dommages et intérêts de M. [G] comme étant injustifiée et disproportionnée;
En conséquence,
-confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 26 septembre 2019 en ce qu'il a débouté M. [G] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens;
-débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes;
En tout état de cause,
-condamner M. [G] à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
-condamner celui-ci aux entiers dépens
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'instruction a été déclarée close le 8 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
M. [G] sollicite aux termes de ses conclusions la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 40.000 euros à titre de réparation des préjudices nés du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité.
Sur la référence à une discrimination raciale dans les écritures de M. [G]
M. [G] demande aux termes du dispositif à la Cour de constater qu'il a fait l'objet de harcèlement moral, de discrimination raciale, de juger que la RATP a manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral et à son obligation de sécurité et sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de réparation des préjudices nés du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité.
Il ne forme cependant pas une demande de dommages et intérêts au titre d'une discrimination.
Dans le corps de ses écritures, le terme ' discrimination raciale ' puis 'discrimination raciste' figure en tête dans un titre puis en page 33 de ses conclusions de la façon suivante: ' il résulte des éléments qui précèdent que les faits rapportés par M. [G] établissent l'existence de harcèlement moral, de discrimination raciste, de manquement à la prévention du harcèlement moral, de manquement à l'obligation de sécurité'.
Il s'en évince que M. [G] n'invoque pas la discrimination de manière autonome mais la cite comme un élément du harcèlement. Il convient d'envisager cette question avec les autres faits articulés.
Sur le harcèlement moral
M. [G] expose avoir fait l'objet d'un harcèlement moral de la part d'un collègue matérialisé par des menaces, des intimidations répétées et des insultes racistes. Il reproche également à son employeur d'avoir minimisé les faits dénoncés dont il avait connaissance depuis le 15 février 2016 sans prendre aucune mesure jusqu'au 2 mai 2016, d'avoir pris une sanction à l'égard de l'auteur insuffisante, de n'avoir mis en place aucun dispositif de prévention et d'accompagnement ou de soutien. Il soutient par ailleurs que le comportement de son employeur est pareillement constitutif du harcèlement moral dont il fait l'objet dès lors son employeur a engagé une procédure disciplinaire injustifiée suite au retrait du port d'armes qui lui a été notifié, a prononcé un licenciement expéditif et infondé caractérisant une mesure de rétorsion suite à l'alerte qu'il a pu donner .
En défense, l'employeur conteste tout harcèlement et conclut au débouté de la demande.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique, mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 de ce même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur au vu de ces éléments de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs à tout harcèlement.
Afin d'établir les menaces et intimidations répétées, M. [G] se réfère aux attestations de ses collègues qui ont été témoins du comportement de M. [S] à son égard. Ainsi, les collègues témoignent de ce que M. [G] était victime de pression, voir de propos injurieux et irrespectueux de M. [S]; que ce dernier lui avait donné rendez-vous à la fin d'un service pour en découdre et qu'il proférait à son égard comme à l'égard d'autres collègues affectés au relais Pleyel des insultes à caractère racial.
M. [T] témoigne de ce que M. [S] a insulté M. [G] de 'sale bougnoule, sale race'. M. [J] atteste que durant l'année 2015 M. [S] aurait proféré des insultes à l'encontre de M. [G] en ces termes 'sale bougnoule, sale arabe de merde, il mérite les gifles dans sa gueule'.
L'employeur dénie toute valeur probante aux attestations versées par le salarié en ce qu'elles ne font part pour certaines d'aucun agissement de harcèlement moral à l'égard de M. [G] et pour d'autres font mention de faits qui ne sont pas datés et ne remplissent pas les conditions légales de validité des attestations de témoin conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.
Pour autant, les dispositions de l' article 202 du code de procédure civile n'étant pas prescrites à peine de nullité, il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement la valeur probante d'une attestation non conforme à l'article 202 du code de procédure civile.
Il ressort des pièces versées aux débats que M. [S] a été sanctionné notamment pour avoir proféré des insultes à caractère raciste à l'encontre de son collègue M. [G]. Dès lors les attestations versées autres que celles vantant les qualités professionnelles du salarié viennent corroborer le comportement dénoncé.
Ce fait est établi.
Sur la connaissance des faits par l'employeur dès le 15 février 2016 et l'absence de mesure concrète
Le 15 février 2016, M. [G] rédigeait un rapport dont il avisait son supérieur alertant sur le comportement de M. [S] à son égard ainsi que sur les propos injurieux et racistes qu'il tenait. Ce courrier était toutefois transmis le 7 mars.
Par courriel du 9 mars 2016, M. [E], N+1 avisait M. [H] , N+2 du différend entre M. [G] et M. [S] ' concernant des propos racistes à son égard. M. [S] l'aurait traité de bougnoule ..ceux-ci sont confirmés par M. [V] qui se trouvait là selon ses dires'.
Par courrier du 10 mars 2016, M. [H] répondait au salarié avoir reçu son courrier transmis le 7 mars et reçu le 9 mars et diligenté une enquête interne.
Par courriel du 4 mai 2016, M. [G] prenait note de la mutation de M. [S] sur un autre site mais exprimait sa déception face à cette sanction qu'il estimait insuffisante et manifestait son souhait d'être entendu. Par courrier ultérieur en date du 19 mai 2016, il avisait M. [H] après leur entretien du 4 mai que M. [S], bien que déplacé sur un autre site, continuait à venir sur le relais Pleyel.
Par courrier du 30 mai 2016, M. [H] lui répondait que l'entreprise ne tolérait en aucun cas ce genre de comportement et que l'auteur de ce fait a été sanctionné par un déplacement d'office, mesure disciplinaire maximale au premier degré. Par ailleurs, il l'informait que M. [S] avait reçu pour ordre de ne plus se rendre sur le site de Pleyel, qu'il avait retourné les clefs qui lui permettaient d'y accéder et que son badge avait été désactivé.
Il s'évince de cette chronologie que l'entreprise a pris une sanction effective le 21 avril 2016 à l'encontre de M. [S], soit deux mois après la première évocation des faits par le salarié auprès de son N+1.
Le fait n'est pas établi.
Sur la minimisation des faits dénoncés par M. [G] et l'insuffisance de la sanction
M. [G] soutient que M. [S] n'a même pas fait l'objet d'une mise à pied alors que les faits qui sont établis auraient pu justifier son licenciement, ce qui traduirait selon lui le peu d'importance qu'accordait l'employeur à sa protection. Il fait également état de ce que M. [S] a été convoqué non seulement pour ses insultes réduites à une insulte envers lui mais en raison de son attitude raciste repérée sur une vidéo prise par un voyageur selon le compte rendu de l'entretien préalable.
Selon l'attestation de M. [X] ayant assisté M. [S], l'entretien était déjà préparé et la conclusion des prises de décisions n'a pas été le conseil de discipline ou les jours de mise à pied mais un déplacement géographique afin de rapprocher M. [S] de Monsieur [H] sur le Kheops 2 alors que l'agent était déjà administrativement un agent de Kheops puisque celui-ci travaillait au relais Pleyel. Bref, une sanction bien légère au vu de ce qui se pratique pour d'autres'.
Le fait est établi.
Sur l'absence de mesures de prévention
M. [G] reproche à son employeur de ne pas avoir mis en oeuvre un dispositif de prévention, de ne pas avoir saisi le CHSCT pour mener une enquête sur le harcèlement moral, d'avoir diligenté une enquête interne sans l'interroger et de ne lui avoir fourni aucun soutien ou accompagnement.
Or, les éléments communiqués par l'employeur font état de ce que M. [G] a comme d'autres salariés été invité dans le cadre de l'enquête interne à présenter par écrit sa version des faits ; que les témoignages ont donc été recueillis par l'employeur dans un court délai, que le salarié a échangé par courriels avec M. [H] pour préciser certains termes. Par ailleurs, aucune obligation de saisine du CHSCT n'est imposée à l'employeur lorsqu'il est informé d'un incident entre salariés.
Le fait n'est pas établi.
Sur la procédure disciplinaire injustifiée suite au retrait du port d'armes notifié à M.[G] et sur le licenciement expéditif et infondé caractérisant une mesure de rétorsion de l'alerte donnée par M. [G].
S'agissant de la procédure diligentée à son encontre suite à l'abrogation de son autorisation de port d'arme décidée par la préfecture de police le 8 août 2018, M. [G] fait valoir qu'il a fait l'objet d'une dénonciation anonyme sur une plate-forme de dénonciation des musulmans radicalisés qu'il relie à la dénonciation du comportement de M. [S] et son déplacement. La RATP a immédiatement diligenté une enquête à son égard alors qu'elle n'avait pas d'éléments réels sur son comportement au lieu d'évaluer sa situation, a ignoré ses propositions de formation pour se reclasser et l'a licencié sans entretien préalable et sans recherche de reclassement le 12 décembre 2018.
Il produit à cet égard:
- la décision en date du 21 novembre 2017 du Préfet de police de retrait de son port d'arme en raison de renseignements portés à sa connaissance l'amenant à penser que l'article L.2251-2 du code des transports s'applique à sa situation';
-la note adressée au préfet par le directeur de la police le 31 mai 2017 sollicitant des instructions concernant les agents susceptibles d'être radicalisés qu'il avait signalés et indiquant que ' la RATP a confirmé que l'entreprise n'avait aucun élément permettant de confirmer leur radicalisation. Une nouvelle vérification a été effectuée auprès de la DRPP qui a confirmé n'avoir aucun élément probant pouvant être produit par écrit à l'appui d'une décision de non renouvellement notamment pour M. [G]';
- le courrier de la préfecture de police en date du 8 août 2018 lui notifiant l'abrogation de l'arrêté du 10 octobre 2013 autorisant le port d'arme en raison de ' faits portés à sa connaissance suggérant que son comportement est de nature à laisser craindre une utilisation dangereuse pour autrui des armes confiées pour ses missions';
- le courrier en date du 25 septembre 2018 de son employeur évoquant des possibilités de mobilité au sein de l'entreprise suite au retrait mais aussi de l'engagement en parallèle 'd'une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'à révocation dans la mesure où le port d'armes constitue un manquement à son contrat de travail; le permis d'armes étant essentiel à la réalisation de celui-ci';
- le compte-rendu d'entretien préalable à sanction en date du 12 octobre 2018 suite au retrait de son port d'arme et la suspension conséquente de son activité d'agent de sécurité au sein du GSPR;
- un courriel par lequel il explique ses recherches d'un autre poste au sein de la RATP;
- le courrier en date du 25 octobre 2018 du département de la sécurité intérieure en date du 25 octobre 2018 l'informant qu'il fait l'objet d'une proposition de mesure disciplinaire du second degré, mesure pouvant aller jusqu'à la révocation et que 'compte tenu de la gravité des faits ' il a été décidé de sa comparution devant le conseil de discipline;
- la décision rendue le 9 mai 2019 par le tribunal administratif annulant la décision du préfet de police du 8 août 2018 et lui enjoignant de 'réexaminer la demande de M. [G] de renouvellement de son autorisation de port d'armes dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement';
- la décision rendue également le 9 mai 2019 par le Tribunal administratif de Paris annulant l'avis d'incompatibilité émis le 30 octobre 2018 par le ministre de l'intérieur suite à la demande d'enquête formée par la RATP consécutivement à sa demande de mobilité interne sur le poste de machiniste-receveur (conducteur de bus);
- l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 6 mai 2021 ordonnant la réintégration de M. [G] au sein de la RATP aux motifs que 'la RATP a mis en oeuvre un licenciement non prévu par le texte (L. 114-2 du code de la sécurité intérieure) dans un cadre où le salarié n'a pas connaissance des résultats de l'enquête administrative et n'a pas été en mesure d'exercer un recours contre l'avis d'incompatibilité émis à l'issue de cette enquête';
- l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 19 octobre 2022 rejetant le pourvoir formé par la RATP.
Le fait est établi.
De surcroît, M. [G] a été placé en arrêt maladie le 21 août 2018 pour syndrome dépressif.
Sur les faits survenus depuis sa réintégration
M. [G] indique qu'il subit toujours les agissements humiliants d'une partie de sa hiérarchie, d'agents de maîtrise et et a alerté le responsable de l'entité qui à nouveau n'a pris aucune mesure. Il fait encore valoir qu'il a été écarté du niveau E10 en terme de déroulement de carrière.
Il produit à cet égard des courriels en date du 21 octobre 2022, 20 janvier 2023 et 26 janvier 2023 et un courrier en date du 30 janvier 2023 qu'il a adressés à son employeur avec copie à l'inspecteur du travail aux termes desquels il relate que le coordinateur lui aurait demandé de le déposer à proximité de son domicile alors qu'il n'est pas un 'chauffeur privé', qu'il aurait été écarté du niveau 10 lui faisant ressentir une mise à l'écart, et y dénonce un management à géométrie variable et l'attitude de certains agents de maîtrise opérationnels qui pourraient caractériser un acharnement à son égard.
Toutefois, les pièces versées constituées par ces courriers ne traduisent que ses propos et son ressenti et ne sont corroborées par aucun autre document.
Par ailleurs, l'avancement au sein de la RATP se fait au choix selon les textes applicables, le statut du personnel ne prévoyant pas un droit à l'avancement lié uniquement à l'ancienneté. Selon l'extrait de l'instruction générale n°468, l'avancement se fait après avis d'une commission de classement dans la limite d'un nombre de nominations autorisées et dans une fourchette d'ancienneté de niveau.
Il apparaît que le salarié a connu une évolution de carrière conforme aux règles applicables au sein de l'entreprise, le salarié ayant été promu aux différents niveaux hiérarchiques à l'intérieur des fourchettes prévues.
Concernant le passage au niveau E10, une telle nomination s'effectue au choix de la hiérarchie pour les agents ayant entre 2 et 6 ans de niveau E 9, la Cour relevant que M. [G] est au niveau E 9 depuis le 1er janvier 2020, soit depuis 3 ans.
Enfin, suite à son courriel dénonçant le comportement de certains agents de maîtrise à son égard, Mme [M], responsable des ressources humaines de l'unité des réseaux, l'a invité par courriel en date du 1er février 2023 à un entretien auquel il a répondu ne pas pouvoir se rendre en raison de son état de santé.
Le fait n'est pas établi.
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En synthèse, il est établi que le salarié a fait l'objet d'injures à caractère raciste de la part d'un collègue; que l'employeur a pris une sanction à l'égard de l'auteur des insultes que plus deux mois après avoir été alerté, a engagé à son encontre une procédure disciplinaire suite au retrait du port d'arme et l'a licencié.
Le salarié présente ainsi des faits qui pris dans leur ensemble avec les pièces médicales permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'employeur justifie avoir diligenté une enquête interne le jour même où il était officiellement avisé, avoir demandé aux salariés présents le jour des faits, y compris M. [G] et M. [S], de lui relater les faits intervenus entre eux selon les rapports établis, d'avoir convoqué M. [S] le 23 mars et l'avoir sanctionné disciplinairement par un déplacement d'office le 21 avril 2016.
Selon les rapports, un incident a opposé M. [S], M. [V] et M. [G] ayant conduit M. [U], pilote de l'équipe, à intervenir de façon verbale puis à s'interposer pour éviter l'affrontement. M. [V] confirme pour sa part l'incident, des échanges d'insultes, le débriefing qui s'en est suivi au terme duquel M. [S] a reconnu 'à demi mot' les insultes racistes à l'égard de M. [G].
L'employeur justifie également que M. [G] a demandé à son N+1 de ne pas transmettre immédiatement son courrier au responsable, M. [H], ce qui est confirmé par M. [E] (N+1) dans son courriel en date du 8 mars 2019. Le rapport établi par M. [U] fait état de ce que 'M. [S] et M. [G] se sont insultés sur le terrain en tenant des propos démesurés', ce qui était confirmé par M. [V] qui s'est interposé et qu'un 'debriefing' a eu lieu. M. [E] (N+1) précise que ' après avoir longuement parlé avec les agents, les tensions se sont apaisées', M. [G] lui précisant 'qu'il travaillera avec M. [S] mais que ce sera purement professionnel et qu'il ne lui serre plus la main depuis les insultes'. Le lendemain, témoigne t-il, l'équipe était composée de ces mêmes agents et 'aucune animosité n'a été constatée ni au briefing (participation des trois agents) et ni en fin de mission lors du 'debriefing' et apparemment la journée s'est bien passée'.
Il ressort par ailleurs des bulletins mensuels de pointage de M. [G] des mois de février, mars et avril 2016 et ses compte-rendus d'activité qu'il n'a jamais retravaillé avec M. [S].
Au delà de l'appréciation de la sanction prise qui relève de l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire discrétionnaire et du choix de ne pas saisir le conseil de discipline, la RATP établit que dans un premier temps M. [G] a demandé à son N+1 de ne pas transférer immédiatement son courrier alertant sur le comportement de M. [S] au responsable du site, M. [H]; qu'il écrivait d'ailleurs qu'il voulait un temps de réflexion avant d'adresser le courrier; que l'employeur a pris connaissance de son alerte le 9 mars 2016 dénonçant le comportement de M.[S] à son égard après avoir été informé d'une vidéo impliquant M. [S] vis à vis d'un voyageur; a diligenté une enquête interne le jour même, recueilli de M. [G] et d'autres salariés le récit des faits du 14 février 2016 au cours desquels M. [G] et M. [S] s'étaient insultés selon le rapport d'un autre salarié présent; a convoqué M. [S] le 23 mars et l'a sanctionné le 21 avril par un déplacement d'office, mesure disciplinaire du premier degré maximale selon la grille de sanction tant pour son comportement vis à vis d'un voyageur que pour les propos injurieux à caractère raciste proférés à l'encontre de M. [G] au cours d'un seul entretien préalable pour épuiser son pouvoir disciplinaire. Quand bien même le nom de M. [G] ne serait pas mentionné dans le compte-rendu d'entretien, les termes de celui-ci sont suffisamment précis pour être rattachés aux insultes précises proférées par M. [S] à son encontre.
La RATP souligne que les termes de ' mise à disposition' apparaissant sur l'historique des affectations de M. [S] sont liées non pas à l'absence d'effectivité de la sanction mais à sa situation médicale dès lors qu'il a été déclaré inapte provisoire en août 2017 puis inapte définitif à compter du 27 août 2018 à son emploi statutaire et a fait l'objet dans le cadre de son inaptitude une affectation pour des missions logistiques.
Elle justifie également qu'en raison des textes applicables, la mobilité qu'elle soit consécutive ou pas à la décision de retrait du port d'arme ne permettant plus à M. [G] d'assurer ses fonctions d'agent de sécurité était susceptible de donner lieu à une enquête administrative préalable pour l'exercice des fonctions de conducteur de véhicule de transport public collectif de personnes. Les résultats défavorables de cette enquête devaient conduire l'employeur à prononcer un licenciement en 2018 conformément à sa pratique sans qu'il soit démontré que cette mesure, aussi infondée soit-elle, était deux ans plus tard une mesure de rétorsion à l'encontre de M. [G] suite à l'alerte donnée sur le comportement d'un collègue en février 2016.
Du tout, il s'évince que l'employeur établit que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral ne sera en conséquence pas retenu.
Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité
Selon l'article L.1152-4 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité en vertu de laquelle il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de chaque salarié. En cas de litige, il lui incombe de justifier avoir pris des mesures suffisantes pour s'acquitter de cette obligation. En matière de harcèlement moral, l'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle.
En l'espèce, M. [G] reproche à l'employeur de ne pas avoir pris de mesures afin de prévenir le harcèlement moral et d'avoir manqué à son obligation de sécurité.
La RATP conteste tout manquement à son obligation de sécurité en soulignant qu'elle a immédiatement réagi en menant une enquête et en sanctionnant l'auteur des propos racistes, a reçu M. [G] afin de le tenir au courant de l'issue des événements et a répondu à ses nombreux courriers. Elle souligne enfin s'être engagée dans une politique volontariste concernant la prévention des risques psychosociaux.
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
En l'espèce, il ressort des différentes pièces versées aux débats par la RATP que celle-ci a pris de façon générale des mesures en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, notamment la création de l'institut d'accompagnement psychologique et de ressources, la mise à disposition d'un service social composé de professionnels pouvant accompagner le salarié dans la recherche de solution, la mise en place d'une plate-forme de conseil et d'appui, la conclusion d'un accord de méthode de mai 2010 sur la prévention des risques psychosociaux, l'accord de décembre 2011 sur la prévention des risques psychosociaux prévoyant notamment la mise en place d'une cellule d'assistance des risques psychosociaux (CARPS) ainsi que la mise en place d'une plate-forme de conseil et d'appui.
Pour autant, les dispositifs existants sont insuffisants à démontrer que l'employeur a pris toute la mesure des conséquences de l'incident relaté par le salarié puisqu'elle lui laisse le soin à lire ses écritures, si besoin, d'activer ces dispositifs sans autre accompagnement ou orientation. Alors que pèse sur l'employeur une obligation de sécurité emportant obligation de prévenir toute réaction à la dénonciation faite par le salarié dans un contexte de difficile gestion du comportement d'un autre agent et s'il est exposé à un risque de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour le prévenir, force est de constater que la RATP a tardé à prendre une mesure concrète en ce sens. Ce manquement a eu nécessairement des répercussions sur les conditions de travail que le salarié a du affronter du moins pendant plusieurs mois.
En l'état des éléments versés aux débats et alors que le préjudice réclamé par M. [G] ne saurait se confondre avec celui engendré par la procédure de licenciement, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité a causé un préjudice qui doit être réparé par infirmation du jugement par l'allocation d'une somme de 4000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires. La capitalisation des intérêts sera ordonnée.
La RATP sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser à M. [G] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [C] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ses dispositions sur les dépens;
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus;
STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE l'EPIC Régie Autonome des transports parisiens à payer à M. [C] [G] les sommes suivantes:
4000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité;
2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en première instance et en appel;
RAPPELLE que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires;
ORDONNE la capitalisation des intérêts;
CONDAMNE l'Epic Régie Autonome des transports parisiens aux dépens de première instance et d'appel;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
La greffière, La présidente.