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31/05/2023 | FRANCE | N°21/02295

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 31 mai 2023, 21/02295


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 31 MAI 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02295 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDJQV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/05267





APPELANTE



Madame [R] [W]

[Adresse 3]

[Localité

7]



Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065



INTIMÉES



S.A.R.L. LES QUATRE VENTS

[Adresse 4]

[Localité 5]



Représentée par Me Améli...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 31 MAI 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02295 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDJQV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/05267

APPELANTE

Madame [R] [W]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

INTIMÉES

S.A.R.L. LES QUATRE VENTS

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Amélie BEHR, avocat au barreau de PARIS, toque : A0351

S.E.L.A.R.L. MONTRAVERS - [C] en la personne de Me [P] [C] ès-qualité de Mandataire de justice de la société PHO 2

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Sandrine ZARKA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0260

Association UNEDIC Délégation AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 avril 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Pho 2 (SARL), qui avait pour objet l'exploitation d'un restaurant, a été créée le 25 mars 2015 par Mme [A] et M. [N] [Z].

Mme [A], qui détenait 51% des parts sociales était gérante tandis que M. [V] détenait 49% des parts sociales.

Mme [R] [W], qui est la compagne de M. [V] a, par l'intermédiaire de M. [V], apporté en compte courant à la société la somme de 50 476,99 €.

Mme [W], née en 1993, dit avoir été embauchée par la société Pho 2 (SARL) à compter du 1er juin 2015, par contrat à durée indéterminée en qualité de serveuse.

Le 21 septembre 2015, la société Pho 2 a fermé le restaurant pour travaux. Le 23 septembre 2015, M. [V] déposait une main courante qui précisait que les serrures du restaurant avaient été changées et qu'il n'y avait plus accès, en raison d'une mésentente avec son associée.

Les quatre salariés de la société Pho 2, dont la qualité de salarié est constante, ont démissionné et se sont vu remettre des chèques tirés depuis le compte personnel de Mme [A].

Le restaurant a rouvert le 12 février 2016 exploité cette fois par la société Les quatre vents (SARL) à qui le contrat de bail commercial de la société Pho 2 a été transféré. La société Les quatre vents est dirigée par des membres de la famille de Mme [A].

La société Pho 2 a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 22 juin 2016 du tribunal de commerce de Paris. La date de cessation des paiements a été fixée au 30 septembre 2015.

Parallèlement, M. [V] et Mme [W] ont créé le 12 novembre 2015 la société Pho 2 MK (SARL) qui exploite un restaurant.

Par jugement du 24 octobre 2017, le tribunal de commerce de Paris a condamné la société Les quatre vents (SARL) et Mme [A] à verser 50 473,99 € à Mme [W] et 20 000 € à M. [V]

La société Pho 2 occupait à titre habituel moins de onze salariés.

Mme [W] a saisi le 1er décembre 2016 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« FIXER la date de licenciement du 12 février 2016

DIRE que le licenciement de Mme [R] est privé de cause réelle et sérieuse

DIRE que le licenciement de Mme [R] est irrégulier

FIXER au passif de la Société Pho 2 les sommes suivantes

- Rappel de salaire : 4 841,26 €

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 5 379,18 €

- Licenciement irrégulier 1 793,06 €

- Indemnité compensatrice de congés payés 484,12 €

- Article 700 du Code de la Procédure Civile 3 000 €

CONDAMNER in solidum les AGS Île de France et la Société LES QUATRE VENTS à verser à Mme [R] :

- Rappel de salaire : 4 841,26 €

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 5 379,18 €

- Licenciement irrégulier 1 793,06 €

- Indemnité compensatrice de congés payés 484,12 €

- Article 700 du Code de la Procédure Civile 3 000 €

CONDAMNER les Sociétés Pho 2 et LES QUATRE VENTS à communiquer à Mme [R] sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, ses contrats de travail, solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle Emploi

ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir

CONDAMNER in solidum les AGS ILE DE FRANCE et les Sociétés LES QUATRE VENTS et Pho 2 aux entiers dépens. »

Par jugement du 28 janvier 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Déboute Madame [W] [R] de l'ensemble de ses demandes.

Déboute les parties défenderesses de leurs demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNE Madame [W] [R] au paiement des entiers dépens. »

Le conseil de prud'hommes a statué ainsi au terme des motifs suivants :

« Si l'apport en compte courant à une société d'une somme représentant plus de deux ans du salaire net d'une serveuse n'exclut pas l'existence d'une relation de travail, il ne saurait suffire à la prouver.

Madame [R] ne fait pas état d'éléments établissant un lien de subordination avec PHO 2 ou son associée majoritaire Madame [A]. Il n'est évoqué qu'un lien de concubinage avec Monsieur [V], associé minoritaire qui exerçait en fait la direction du restaurant.

Il n'est pas fait état d'horaires de travail. Aucun contrat de travail, aucune trace de visite médicale d'embauche n'est produit au débat.

Madame [R] ne s'est pas, avant la présente instance inquiétée de l'absence de paiement de ses salaires.

Si la date et le motif de l'établissement des fiches de paie n'est pas connu, son caractère frauduleux est certain.

Le Conseil considère donc que Madame [R] n'a jamais été salariée et la déboute de l'ensemble de ses demandes ».

Mme [W] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 26 février 2021.

La constitution d'intimée de La société Pho 2 a été transmise par voie électronique le 22 juillet 2021, celle de de La société Les quatre vents le 22 avril 2021 et celle de l'association AGS CGEA IDF OUEST le 29 avril 2021.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 31 janvier 2021.

L'affaire a été appelée à l'audience du 3 avril 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 21 octobre 2021, Mme [W] demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement du 28 janvier 2021 en ce qu'il a débouté Madame [R] [W] de l'ensemble de ses demandes ;

Statuant de nouveau :

FIXER la date de licenciement au 12 février 2016 ;

DIRE que le licenciement de Madame [R] [W] est privé de cause réelle et sérieuse

DIRE que le licenciement de Madame [R] [W] est irrégulier ;

Y ajoutant :

A titre principal

DIRE que le contrat de travail de Madame [R] [W] a été transféré à la société LES QUATRE VENTS ;

En conséquence :

CONDAMNER la société LES QUATRE VENTS à verser à Madame [R] [W] les sommes suivantes :

- 4.841,26 euros à titre de rappel de salaires ;

- 484,12 euros au titre des congés payés afférents ;

- 5.379,18 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1.793,06 euros pour licenciement irrégulier ;

- 3.000 euros titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société LES QUATRE VENTS à communiquer à Madame [R] [W], sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, ses bulletins de salaire, solde de tout compte, certificat de travail, et attestation Pôle Emploi à jour de ladite décision ;

CONDAMNER la société LES QUATRE VENTS aux entiers dépens.

A titre subsidiaire

FIXER au passif de la société Pho 2, les sommes suivantes :

- 4.841,26 euros à titre de rappel de salaires ;

- 484,12 euros au titre des congés payés afférents ;

- 5.379,18 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1.793,06 euros pour licenciement irrégulier ;

- 3.000 euros titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

DIRE que la décision à intervenir sera opposable à l'AGS CGEA ILE DE FRANCE qui devra garantir l'ensemble des sommes fixées au passif de la société Pho 2 ;

CONDAMNER LA SELARL MONTRAVERS prise en la personne de Maitre [C], es qualité de mandataire judiciaire de la société Pho 2 à communiquer à Madame [R] [W], sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, ses bulletins de salaire, solde de tout compte, certificat de travail, et attestation Pôle Emploi à jour de ladite décision ;

CONDAMNER in solidum les AGS CGEA ILE DE FRANCE et la société Pho 2 aux entiers dépens.

En tout état de cause

DEBOUTER les intimées de l'ensemble de leurs demandes. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 6 août 2021, La société Montravers-[C] (SELARL) es qualité mandataire liquidateur de la société Pho 2 demande à la cour de :

« - A titre principal :

Débouter Madame [R] [W] de l'ensemble de ses demandes,

Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 28 janvier 2021,

- A titre subsidiaire :

Débouter Madame [R] [W] de ses demandes à l'égard de la SELARL MONTRAVERS

[C], ès-qualité de Mandataire de justice de la société Pho 2,

Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 28 janvier 2021,

- A titre très subsidiaire :

Condamner la société LES QUATRE VENTS à relever et garantir la SELARL MONTRAVERS [C], ès-qualité de Mandataire de justice de la société Pho 2, de toute fixation au passif qui pourrait être prononcée,

- En tous les cas :

Condamner Madame [R] [W] au versement de 1 000 € à la SELARL MONTRAVERS [C] ès qualité au titre de l'article 700 du CPC,

La condamner aux entiers dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 29 juillet 2021, la société Les quatre vents demande à la cour de :

« A TITRE PRINCIPAL :

Confirmer en toutes des dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Paris, section commerce, du 28 janvier 2021 ;

Débouter en conséquence Mme [W] [R] de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

Si par extraordinaire, la Cour devait entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société LES QUATRE VENTS :

Fixer la date de la rupture du contrat de travail par licenciement verbal au 21 septembre 2015,

En conséquence, réduire les demandes de rappel de salaire de Mme [W] [R] aux sommes suivantes :

- 621,15 € à titre de salaire du 1er au 21 septembre 2015,

- 62,11 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

Débouter Mme [W] [R] du surplus de ses demandes ;

Condamner Mme [W] [R] à verser à la société LES QUATRE VENTS, la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

Condamner Mme [W] [R] aux entiers dépens de l'instance. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 20 août 2021, l'Unedic délégation AGS, CGEA d'Île-de-France Ouest demande à la cour de :

« Donner acte à la concluante des conditions et limites de l'intervention et de la garantie de l'AGS et Dire que la décision à intervenir ne sera opposable à l'AGS que dans les conditions, limites et plafonds de sa garantie

- Confirmer le jugement dont appel

- Débouter Madame [W] [R] de ses demandes, fins et conclusions

- Subsidiairement, Rejeter les demandes de fixation de créances qui ne sont ni fondées dans leur principe ni justifiées dans leur montant et En tout état de cause, réduire aux seuls montants dûment justifiés les montants des créances susceptibles d'être fixées, notamment à titre de salaires et à titre d'indemnités. »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 31 mai 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC).

Le magistrat rédacteur a contacté téléphoniquement le conseil de Mme [W], en vain, puis les conseils des autres parties pour obtenir la communication de la pièce 21 mentionnée dans le bordereau de communication de pièces de Mme [W] qui n'était pas dans le dossier remis à la cour et Me Zarka, conseil du liquidateur judiciaire de la société Pho 2 puis Me Behr, conseil de la société Les quatre vents, ont sur la demande du magistrat, communiqué cette pièce par courriel le 24 mai 2023 ; Le conseil de Mme [W] a finalement lui aussi pu communiquer cette pièce manquante par courrier électronique.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur l'existence d'un contrat de travail avec la société Pho 2

Mme [W] soutient que :

- elle était salariée de la société Pho 2 comme ressort de ses bulletins de salaire (pièce n° 14) ;

- tout comme elle, les autres salariés de la société Pho 2 ont été renvoyés chez eux par Mme [A] le matin du 21 septembre 2015, sans préalable, au prétexte de travaux à effectuer dans le restaurant (pièce Mme [W] n° 5 : 4 attestations) ;

- le 15 décembre 2015, elle a indiqué qu'elle n'était pas démissionnaire et qu'elle était à disposition pour reprendre son poste (pièce Mme [W] n° 21) ;

- rien ne justifie que ses bulletins de salaire soient frauduleux comme conseil de prud'hommes l'a scandaleusement (sic) retenu .

Pour contester cette qualité de salariée, le liquidateur judiciaire de la société Pho 2 soutient que :

- M. [V] (le compagnon de Mme [W]) était associé fondateur à concurrence de 49% de la société Pho 2 ;

- Il n'a fait état à aucun moment de sa qualité de salarié mais seulement de celle d'associé en évoquant son compte-courant ou en parlant de « ses employés » (pièce n°6 : déclaration de main courante du 21 septembre 2015, pièce n°10 : lettre de l'avocat de M. [V] du 8 juin 2016 à la société Pho 2) ;

- le tribunal de commerce de Paris saisi, lui a donné gain de cause en condamnant la société Les quatre vents et l'ancienne gérante Mme [A], au paiement de dommages et intérêts eu égard à un manque à gagner quant à la vente possible du fonds de commerce, et à une dette d'associé ; (pièce adverse n°17 : jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 2017)

- aucun contrat de travail n'a été signé ;

- aucun lien de subordination n'est démontré ;

- aucune preuve de rémunération au titre d'une fonction de salarié n'est démontrée ;

Pour contester cette qualité de salariée, la société Les quatre vents soutient que :

- Mme [W] ne produit aucun contrat de travail ;

- la production de trois bulletins de paie est insuffisante à établir l'existence de ce contrat de travail ;

- si Mme [W] déclare dans ses écritures que des bulletins de paie lui ont été remis, elle ne soutient cependant pas avoir effectivement fourni un travail salarié pour la société Pho 2 ;

- elle ne précise pas non plus ses horaires à temps partiel et ne produit aucun élément de nature à rendre vraisemblable son activité pour la société Pho 2 ;

- étant la compagne de M. [V] qui dirigeait le restaurant et était chargé, à ce titre, d'embaucher et gérer le personnel, rien n'empêchait Mme [W] d'obtenir un contrat de travail écrit, une déclaration préalable à l'embauche, le registre du personnel, les déclarations sociales nominatives de la société qui auraient permis de prouver son activité salariée pour la société Pho 2 ;

- Mme [W] ne communique pas non plus de témoignages d'employés de la société Pho 2 ou de clients attestant d'un travail en qualité de serveuse dans le restaurant, aux services du midi ou du soir ;

- elle ne verse aucun planning de travail ou feuille de présence la faisant apparaître aux côtés d'autres salariés et mentionnant précisément ses horaires de travail ;

- Mme [W] est incapable d'établir l'existence d'un lien de subordination à l'égard de la société Pho 2 ;

- ses liens personnels avec M. [V], gérant de fait, dont elle était la compagne, ainsi que son investissement personnel de « plusieurs dizaines de milliers d'euros » dans la société sont difficilement compatibles avec l'existence d'un tel lien de subordination ; d'ailleurs elle ne fait pas état d'une relation de travail impliquant des obligations professionnelles auxquelles elle aurait dû se soumettre ; elle ne justifie pas avoir été soumise à des contraintes en matière d'horaires de travail, à des instructions et directives de la part de M. [V] ou de Mme [A] et à un contrôle exercé sur son activité ;

- M. [V], son compagnon, qui était le véritable animateur et gérant de fait de la société Pho 2, lui a fourni quelques bulletins de paie au nom de la société Pho 2 pour lui permettre de se prévaloir d'un contrat de travail, sans réalité ;

- Mme [W] n'a jamais sollicité la poursuite de son contrat de travail ni auprès de la société Pho 2 ni à l'égard de la société Les quatre vents ; pour contredire ce moyen, Mme [W] produit un courrier daté du 15 décembre 2015 par lequel elle prétend avoir réclamé à la société Pho 2 le paiement de ses salaires et interrogé la société sur le devenir de son contrat de travail (pièce Mme [W] n° 21) ; cependant la société Pho 2 n'a jamais reçu ce courrier et Mme [W] ne justifie pas l'avoir effectivement posté comme cela ressort de ce que les numéros de lettre RAR indiqués sur le justificatif de dépôt (1A 121 947 7270 0) et sur l'avis de réception (1A 121 947 7271 7) annexés à la lettre produite par Mme [W] ne correspondent pas ; en outre, les mentions relatives au destinataire et son adresse postale sont différentes : la preuve de dépôt indique comme destinataire : « SARL PHO 2, [Adresse 4] [Localité 5] », tandis que l'avis de réception, très peu lisible, indique un destinataire dont l'adresse se termine par « [Localité 5] » ; à l'évidence, ce courrier a été fabriqué pour les besoins de l'instance et Mme [W] ne l'a jamais adressé à la société Pho 2.

- la première réaction de l'avocat de Mme [W] ne fut pas de mettre en demeure la société Pho 2 de poursuivre le prétendu contrat de travail de Mme [W] mais de restituer à M. [V] les sommes détenues en compte courant d'associé et prêtées par Mme [W] (pièce la société Les quatre vents n° 11 : Lettre de Me [J] [S] à la société Pho 2 du 08/06/2016) ;

- dans le contentieux devant le tribunal de commerce, sa principale préoccupation était bien de faire condamner Mme [A] et la société Les quatre vents à lui verser des sommes conséquentes et non à faire valoir à leur encontre un prétendu contrat de travail qui n'avait jamais existé (pièce Mme [W] n° 17) ;

- ni Mme [W] ni son conseil n'ont songé à mettre en demeure les sociétés Pho 2 et Les quatre vents de poursuivre l'exécution du contrat de travail en cause ou de verser des indemnités de rupture ;

La cour rappelle que le contrat de travail est un contrat par lequel une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre personne qui est son employeur, moyennant rémunération.

Trois éléments caractérisent donc le contrat de travail :

- la fourniture d'un travail,

- le paiement d'une rémunération,

- l'existence d'un lien de subordination juridique qui est l'élément spécifique du contrat de travail.

C'est à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail d'en apporter la preuve.

En présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

La preuve du contrat de travail peut être rapportée par tous moyens. Ainsi, un exemplaire unique du contrat de travail ou de la lettre d'engagement vaut commencement de preuve par écrit, tout comme la production de bulletins de paie. A défaut de tout écrit, le salarié peut recourir à la preuve par témoins ou établir ses prétentions à l'aide de présomptions découlant d'éléments de fait.

Il est constant que la société Pho 2 a employé 4 salariés, M. [B] [U], M. [Y], M. [L] et Mme [H] [F], nonobstant les litiges dont la cour est saisie en ce qui concerne les revendications de contrat de travail par Mme [W] et, par ailleurs (dossier RG 21/02292), par son compagnon M. [V].

La cour constate que dans son rapport en date du 10 mai 2016, Maître [K], liquidateur judiciaire de la société Pho 2 indiquait :

« Il ressort des éléments en ma possession la situation suivante :

La société Pho 2 a été immatriculée au RCS de Paris sous le 18/06/2015 pour une activité de restauration située au [Adresse 4] [Localité 8].

La dirigeante, Madame [A] [O] a procédé à la fermeture du restaurant pour travaux du 21 septembre 2015 au 12 février 2016.

A compter du mois de février, ce n'est plus la société Pho 2 mais la société QUATRE VENTS immatriculée au RCS de PARIS le 26/01/2016 avec la même dénomination qui exploite le fonds de commerce dont la dirigeante de droit est la fille de Madame [A] [O] et laissant ainsi 4 salariés en déshérence, et non payés depuis septembre 2015 ».

La cour constate que le liquidateur judiciaire ne mentionne que 4 salariés.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [W] est mal fondée à revendiquer l'existence d'un contrat de travail entre elle et la société Pho 2 ; en effet si elle produit des bulletins de salaire et si elle peut donc invoquer utilement un contrat de travail apparent, les intimés contestent à bon droit cette relation de travail au motif que le caractère fictif du contrat de travail apparent de Mme [W] avec la société Pho 2 est suffisamment prouvé ; la cour retient ainsi que non seulement Mme [W] se limite à soutenir « Madame [R] bénéficiait quant à elle d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, à compter du 1er juin 2015.

(Pièce n°14 : Bulletins de paie de Madame [R])

2. Pour engager utilement son activité, la société PHO 2 investissait plusieurs dizaines de milliers d'euros, prêtés à la société par Monsieur [V] et Madame [W] [R], sa compagne et salariée de cette dernière.

(Pièce n°4 : Copie de 5 chèques (2 feuillets))

3. Tout comme Madame [R], les autres salariés de la société PHO 2 se voyaient renvoyés chez eux par Madame [A] le matin du 21 Septembre 2015, sans prévention préalable, au prétexte de travaux à effectuer.

(Pièce n°5 : Quatre attestations sur 8 feuillets) » sans soutenir le moindre moyen sur le travail qu'elle fournissait, sur la durée de son temps de travail à laquelle elle était soumise, sur ses horaires de travail, sur les instructions et directives données par M. [V] ou Mme [A] ou sur le contrôle exercé sur son activité, et sans invoquer ni produire le moindre élément de preuve sur la relation de travail et le lien de subordination, mais qu'en outre ses liens personnels avec M. [V], gérant de fait de la société Pho 2, comme la cour l'a retenu dans l'arrêt le concernant (dossier 21/2292 jugé le même jour) dont elle est la compagne, ainsi que son investissement personnel de plus de 50 000 € dans la société, contredisent l'existence du lien de subordination nécessaire pour la reconnaissance d'un contrat de travail, étant précisé que la cour a retenu que M. [V] était gérant de fait comme cela ressort de ce qu'étant associé minoritaire et membre fondateur de la société Pho 2, il disposait des instruments de crédit mis à disposition de la société Pho 2, se présentait lui-même ou était présenté devant les tiers ou cocontractants en tant que gérant de la société Pho 2 et participait de fait à la direction de la société avec des pouvoirs étendus et sans lien de subordination en s'occupant des commandes et achats de marchandises, du paiement de différentes dépenses pour le compte de l'entreprise, de la gestion des salariés et des salaires, et de la gestion de la caisse et les remises en banque, embauchant ainsi le personnel, passant ainsi les commandes sans contrôle ni visa du gérant et jouissant d'une totale autonomie dans ses attributions de directeur, se comportant en véritable cogérant.

La cour retient aussi que M. [V], son compagnon, qui était le véritable animateur et gérant de fait de la société Pho 2, lui a fourni trois bulletins de paie au nom de la société Pho 2 pour lui permettre de se prévaloir d'un contrat de travail, fictif en réalité, comme l'est sa lettre recommandée avec accusé de réception du 15 décembre 2015 par laquelle elle prétend avoir réclamé à la société Pho 2 le paiement de ses salaires et interrogé la société sur le devenir de son contrat de travail (pièce Mme [W] n° 21) ; en effet la fictivité de ce courrier ressort de ce que les numéros de lettre RAR indiqués sur le justificatif de dépôt (1A 121 947 7270 0) et sur l'avis de réception (1A 121 947 7271 7) annexés à la lettre produite par Mme [W], sont différents et de ce que les mentions relatives au destinataire différent aussi : la preuve de dépôt indique comme destinataire : « SARL PHO 2, [Adresse 4] [Localité 5] », tandis que l'avis de réception, illisible, indique un destinataire dont l'adresse se termine par le code postal « [Localité 5] » .

C'est donc en vain que Mme [W] soutient qu'elle était salariée comme cela ressort de ses bulletins de salaire, que le 15 décembre 2015, elle a indiqué qu'elle n'était pas démissionnaire et qu'elle était à disposition pour reprendre son poste (pièce Mme [W] n° 21) et que « rien ne justifie que ses bulletins de salaire soient frauduleux comme conseil de prud'hommes l'a scandaleusement (sic) retenu » ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés pour les motifs exposés plus haut et dont il ressort que le contrat de travail qu'elle invoque est fictif comme sa lettre du 15 décembre 2015.

Compte tenu de ce qui précède, la cour déboute Mme [W] de toutes ses demandes qui découlent toutes de la reconnaissance qu'elle était salariée de la société Pho 2, ce qu'elle n'était cependant pas.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [W] de toutes ses demandes.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant,

Rejette toutes les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne Mme [W] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/02295
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;21.02295 ?
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