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31/05/2023 | FRANCE | N°20/07487

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 31 mai 2023, 20/07487


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 31 MAI 2023



(n° 2023/ , 15 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07487 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCT5F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/05672





APPELANTES



S.A. BUREAU VERITAS

[Adresse 7]

[Localité 13]



S.A.S.U. BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE

[Adresse 11]

[Localité 14]



Représentées par Me Jean DE CALBIAC, avocat au barreau de PARIS, toque : L0307





INTIMÉS



Mme [C] [K]

[Adresse 1]

[Local...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 31 MAI 2023

(n° 2023/ , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07487 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCT5F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/05672

APPELANTES

S.A. BUREAU VERITAS

[Adresse 7]

[Localité 13]

S.A.S.U. BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE

[Adresse 11]

[Localité 14]

Représentées par Me Jean DE CALBIAC, avocat au barreau de PARIS, toque : L0307

INTIMÉS

Mme [C] [K]

[Adresse 1]

[Localité 9]

Mme [M] [Y]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Mme [V] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Mme [P] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 12]

M. [W] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 9]

M. [X] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 9]

en qualité d'ayants-droit de [D] [Y]

Représentés par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

Société CMAV - CAISSE MUTUELLE D'ASSURANCES SUR LA VIE

[Adresse 3]

[Localité 10]

Non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

M. [D] [Y] a été embauché par la société Bureau veritas en CDI à compter du 28 mars 1983 en qualité d'ingénieur au sein de la division Marine et Offshore.

Le 1er octobre 2013, M. [Y] a été nommé directeur des ressources humaines de l'entreprise.

Compte tenu de sa date d'embauche et de son ancienneté. M. [Y] bénéficiait d'un régime de retraite supplémentaire à prestations définies dénommé « le régime d'allocations complémentaires du Bureau veritas » ou « retraite chapeau ».

Ce contrat a fait l'objet d'un contrat d'assurance souscrit par la société auprès de l'organisme assureur « CMAV, Groupe Malakoff Médéric ». Les modalités de fonctionnement du régime sont détaillées au sein d'un règlement de retraite modifié au 1 juillet 1977 et mis à jour les 14 avril 1989 et le 23 mars 1993. Ce règlement de 1977 mis à jour en 1989 et 1993 est dénommé le règlement de 1977.

Ce règlement de 1977 a été modifié substantiellement en 1998 et cette dernière version est désignée le règlement de 1998.

M. [Y] a liquidé ses pensions de retraite le 1er janvier 2017 ; l'employeur a alors procédé au calcul du montant de l'allocation annuelle de retraite supplémentaire et l'a informé que cette dernière s'élèverait à 126 134 € par un courrier en date du 27 juin 2017.

Cette somme de 126 134 € a été calculée sur la base du règlement de 1977.

Par courrier en date du 11 août 2017, la société CMAV a confirmé le montant des rentes dues joignant à son courrier un tableau faisant apparaître le montant brut (126 134 €) et le montant net (98 786 €).

A la suite d'un courrier électronique de M. [Y] en date du 23 novembre 2017 qui signalait une erreur dans l'assiette de calcul de son indemnité, la société CMAV a répondu par lettre du 25 janvier 2018 par l'intermédiaire d'une société conseil, la société Pléiade conseils, qu'une erreur était apparue dans le calcul de la rente, et que le montant de sa rente annuelle serait de 32 120 €.

Ce montant de 32 120 a été calculé sur la base du règlement de 1998.

Le 25 janvier 2018, une compensation a été opérée en raison du trop-perçu en 2017 avec les sommes dues pour les années à venir.

M. [Y] a saisi le 26 juillet 2019 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« - Dire et juger que le demandeur doit bénéficier du règlement du 1er juillet 1977 dans sa version mis à jour les 14 avril 1989 et 23 mars 1993

- Dire et juger que la compensation opérée par la société CMAV est irrégulière

- Dire et juger que I 'Allocation complémentaire de retraite pour 2018 et sera valorisée chaque année conformément aux dispositions de l'article III du règlement 82 548,74 € Brut

- Dire et juger que les sociétés BUREAU VERITAS ET BUREAU VERITAS Marine et Offshore doivent procéder aux formalités nécessaires auprès de la société CMAV afin que cette dernière verse une allocation conforme audit règlement

- Dire et juger que la société CMAV doit reprendre le versement des sommes pour 2018 et les suivantes

- Exécution provisoire

- Article 700 du Code de Procédure Civile 5 000,00 €

- Dépens »

Les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore ont formé les demandes reconventionnelles suivantes :

« - Constater que l'action en inopposabilité de la modification du régime de retraite "chapeau" est prescrite

Déclarer irrecevable la requête de M. [Y]

Débouter M. [Y] de sa demande d'inopposabilité de la modification du règlement du régime de retraite "chapeau"

- A titre principal : Juger que le règlement de retraite "chapeau" tel que modifié en 1998 est opposable à M. [Y]

Par conséquent : le déboute de ses demandes

- A titre subsidiaire : Constater qu'il ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un usage consistant pour la société à applique le régime de "retraite chapeau" tel qu'il existait avant sa modification intervenue en 1998

Par conséquent, débouter M. [Y] de ses demandes

- En tout état de cause :

- Article 700 du code de Procédure Civile 5 000,00 €

- Dépens

Si par extraordinaire, le Conseil ordonnait l'exécution provisoire de la décision à intervenir, subordonner l'exécution provisoire à la constitution préalable par M. [Y] auprès de M. le bâtonnier de l'Ordre des avocats de [Localité 15] d'une garantie suffisante pour répondre de toutes restitutions. »

Par jugement du 16 octobre 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

« Condamne solidairement la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE à verser à M. [Y] [D] :

- 82 548.74 € à titre d'allocation complémentaire de retraite pour 2018 et les années suivantes

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement.

Dire que la SA BUREAU VERlTAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE doivent en informer la CMAV afin d'effectuer la régularisation

- 1 000 € au titre de l'article 700 du CPC

Déboute M. [Y] [D] du surplus de ses demandes

Déboute la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE de ses demandes reconventionnelles

Condamne la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE aux dépens. »

Les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore ont relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 5 novembre 2020.

La constitution d'intimée de M. [Y] a été transmise par voie électronique le 30 novembre 2020.

M. [Y] est décédé en cours de procédure le 26 avril 2022 et ses ayants-droit et héritiers ont repris l'action.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 21 mars 2023.

L'affaire a été appelée à l'audience du 4 avril 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 6 mars 2023, les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore demandent à la cour de :

« INFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 16 octobre 2020, en ce qu'il a :

- Condamné solidairement la SA BUREAU VERITAS et la SAS BUREAU VERITAS

MARINE & OFFSHORE à verser à M. [D] [Y] :

o 82 548,74 euros à titre d'allocation complémentaire de retraite pour 2018 et les années suivantes avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

o 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- Dit que la SA BUREAU VERITAS et la SAS BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE doivent en informer la CMAV afin d'effectuer la régularisation,

- Débouté la SA BUREAU VERITAS et la SAS BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE de ses demandes reconventionnelles,

- Condamné la SA BUREAU VERITAS et la SAS BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE aux dépens,

ET STATUANT A NOUVEAU :

1/ Sur les demandes relatives à la rente de M. [Y]

A titre principal,

JUGER que les demandes relatives à la pension de M. [Y] ne saisissent pas votre Cour,

JUGER que l'action en inopposabilité de la modification du régime de retraite « chapeau » introduite par M. [D] [Y] et reprise par ses ayants droits est prescrite,

Par conséquent :

JUGER IRRECEVABLES les demandes de Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y] à ce titre,

DEBOUTER Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y], de l'ensemble de leurs demandes à ce titre.

A titre subsidiaire,

JUGER que le règlement de retraite « chapeau » tel que modifié en 1998 était opposable à M. [D] [Y] et l'est désormais à ses ayants droit,

JUGER que les intimés ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un usage consistant pour la société à appliquer le régime de « retraite chapeau » tel qu'il existait avant sa modification intervenue en 1998,

JUGER régulière la compensation opérée sur le trop-perçu dont a bénéficié M. [D] [Y],

Par conséquent :

DEBOUTER Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y], de l'ensemble de leurs demandes à ce titre.

A titre infiniment subsidiaire,

CONSTATER que M. [D] [Y] est décédé en date du 26 avril 2022, JUGER que les ayants droit de M. [D] [Y] ne disposent pas du droit d'agir à compter de cette date,

Par conséquent :

JUGER IRRECEVABLES les demandes à ce titre de Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y] pour la période postérieure au 26 avril 2022,

DEBOUTER Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y], de leurs demandes à ce titre pour la période postérieure au 26 avril 2022.

2/ Sur les demandes relatives à la pension de réversion de Mme [Y] A titre principal, JUGER que les demandes portant sur la pension de réversion de Mme [Y] ne saisissent pas votre Cour,

JUGER que l'action en inopposabilité de la modification du régime de retraite « chapeau » introduite par M. [D] [Y] et reprise par ses ayants droits est prescrite,

Par conséquent :

JUGER IRRECEVABLES les demandes de Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y] à ce titre,

DEBOUTER Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y], de l'ensemble de leurs demandes à ce titre.

A titre subsidiaire,

JUGER que le règlement de retraite « chapeau » tel que modifié en 1998 était opposable à M. [D] [Y] et l'est désormais à ses ayants droit,

JUGER que les intimés ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un usage consistant pour la société à appliquer le régime de « retraite chapeau » tel qu'il existait avant sa modification intervenue en 1998,

Par conséquent :

DEBOUTER Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y], de l'ensemble de leurs demandes à ce titre.

3/ En tout état de cause

DEBOUTER Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de M. [D] [Y], de l'ensemble de leurs demandes. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 17 mars 2023, Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de [D] [Y], demandent à la cour de :

« CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 16 octobre 2020 en ce qu'il a débouté la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE de leur demande tendant à voir juger prescrite l'action de M. [D] [Y] et, en conséquence, JUGER recevable et bien fondé M. [D] [Y] puis ses ayants-droits en leurs demandes ;

CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 16 octobre 2020 en ce qu'il a :

o Condamné solidairement la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE à verser à M. [D] [Y] la somme de 82 548,74 euros à titre d'allocation complémentaire pour 2018 et les années suivantes, avec intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

o Dit que la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE doivent en informer la CMAV afin d'effectuer la régularisation ;

o Condamné solidairement la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE à verser à M. [D] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

o Débouté la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE de leurs demandes reconventionnelles ;

o Condamné la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE aux dépens ;

JUGER et DECLARER que l'allocation complémentaire de retraite devra être revalorisée chaque année à compter de 2018 conformément aux dispositions de l'article III du règlement de retraite ;

JUGER et DECLARER qu'en sa qualité d'ayant-droit de M. [D] [Y], Mme [C] [Y] devra bénéficier d'une pension de réversion calculée selon les règles prévues par les dispositions de l'article VII du règlement de retraite du 1er juillet 1977 tel que modifié le 23 mars 1993 et lui OCTROYER le bénéfice de ce dispositif ;

JUGER et DECLARER que la pension de réversion due à Mme [C] [Y] en sa qualité d'ayant-droit de M. [D] [Y] devra être revalorisée conformément aux dispositions de du règlement de retraite du 1er juillet 1977 tel que modifié le 23 mars 1993 et lui OCTROYER le bénéfice de ce dispositif ;

CONDAMNER solidairement les sociétés BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS Marine & Offshore à 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

CONDAMNER solidairement les sociétés BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS Marine & Offshore aux entiers dépens ;

DECLARER Mme [C] [Y], Mme [M] [O], Mme [V] [N], Mme [P] [J], M. [W] [Y] et M. [X] [Y]

bénéficiaires des condamnations prononcées tant par le conseil de prud'hommes que par votre cour au profit de M. [D] [Y], décédé le 26 avril 2022 ;

CONDAMNER en tant que de besoin la SA BUREAU VERITAS et BUREAU VERITAS MARINE ET OFFSHORE au paiement à Mme [C] [Y], Mme [M] [O], Mme [V] [N], Mme [P] [J], M. [W] [Y] et M. [X] [Y], de l'ensemble des sommes dues à M. [D] [Y]. »

Les conclusions des parties ont été régulièrement signifiées à la société CMAV le 6 mars 2023 et le 20 mars 2023 pour les dernières écritures précitées.

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 31 mai 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la prescription

Sur la prescription de 5 ans

Les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore soutiennent que la requête de M. [Y] a été déposée le 24 juillet 2018, qu'elle est donc irrecevable car prescrite en application des articles 2222 et 2224 du code civil depuis le 19 juin 2013.

Les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore soutiennent ainsi que :

- l'action en inopposabilité d'un acte juridique est soumise à la prescription des actions en justice ; il en ressort que l'action en inopposabilité pour modification ou dénonciation irrégulière est soumise au régime de droit commun de la prescription extinctive ;

- l'article 2224 du code civil, adopté par la loi du 17 juin 2008 dispose « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer »

- « la prescription court dès lors que les fonctions exercées par le salarié dans l'entreprise ['] lui permettaient ['] de connaître par lui-même [les] éléments » (Soc., 26 janv. 2012, n°10-13825) ;

- le régime de retraite « chapeau » applicable au sein de la société Bureau veritas a été modifié en 1998 ; cette modification a donné lieu à une information individuelle des bénéficiaires et à une information du Comité d'entreprise (pièces employeur n° 2 et 3) ;

- M. [Y] a reconnu avoir été informé de la modification du régime de retraite « chapeau » en 2013, à la suite de sa prise de fonction au sein des la Direction des ressources humaines ; il a liquidé ses droits à la retraite au 1er janvier 2017 ;

- à l'instar des autres cadres bénéficiaires du régime, percevant un certain niveau de rémunération, M. [Y] a été informé à titre individuel de la modification intervenue en 1998 antérieurement à la mise en 'uvre de celle-ci, comme M. [U] (pièces employeur n° 8 et 10) ;

- dans sa consultation demandée dans le cadre du contentieux introduit par M. [U], le Professeur [F] [R] avait conclu que l'action était prescrite :

« Depuis la loi du 17 juin 2008, l'action en inopposabilité de la modification supposée irrégulière du régime de retraite intervenue le 20 juillet 1998 est gouvernée par la prescription quinquennale instituée à l'article 2224 du code civil.

Au plus tard, l'action en inopposabilité aurait dû être intentée avant le 19 juin 2013.

Le point de départ du délai de prescription ne peut être retardé au motif qu'aucune information individuelle « écrite » ne lui a été communiquée.

En effet, il a été démontré, par attestations et en raison des fonctions du salarié, que celui-ci avait reçu une telle information individuelle.

Au demeurant, le salarié exerçait des fonctions de directeur juridique adjoint. Ainsi, pour reprendre l'expression consacrée en jurisprudence, les « fonctions exercées par le salarié dans l'entreprise ['] lui permettaient ['] de connaître par lui-même [les] éléments » à l'origine de l'éventuelle irrégularité de la modification du régime. » (pièce employeur n°11 : Consultation du Professeur [F] [R] du 28 février 2018) ;

- en sa qualité de directeur des ressources humaines, M. [Y] avait connaissance de la problématique liée à la retraite chapeau de longue date : il était notamment en charge de la gestion du régime de retraite supplémentaire applicable dans l'entreprise, à savoir le règlement de 1977 dont la dernière modification remonte à 1998 ; le 13 octobre 2016, il a reçu la version finale de l'outil de calcul au format Excel qu'il avait sollicité auprès de la société AMPW & Associés (pièce n°4 : Courriel du 13 septembre 2016 : proposition d'intervention ; Pièce n°5 : Courriel du 15 septembre 2016 : compréhension du régime chapeau ; Pièce n°6 : Courriel du 20 septembre 2016 : rémunération sur 20 années) ; ce fichier contient la simulation des droits à retraite de M. [Y] dans laquelle il apparaît clairement le montant de la rente à laquelle il avait droit en application du règlement modifié en 1998 (pièce n°7 : Procès-verbal de constat du 13 mars 2019, page 15) ;

- pour réaliser cet outil de calcul, M. [Y] a transmis à la société AMPW, cabinet de consultant en régime de prévoyance et de retraite, le courrier individuel qui lui avait été adressé le 21 juillet 1998 l'informant de la modification du régime afin que puisse être calculé le montant des droits dus au titre du règlement modifié ;

- Mme [V] [A], consultante de la société AMPW, en atteste :

« M. [Y] m'a uniquement montré ou remis des documents papiers, et notamment le courrier du 21 juillet 1998 « Modifications du régime d'Allocations complémentaires BUREAU VERITAS » qui m'a permis de calculer les allocations dites « règlement 98 ». Ce document est joint à l'attestation » (pièce n°30 : Attestation de Mme [V] [A], consultante de la société AMPW) ;

- M. [B] [E], ancien Vice-Président Exécutif de Bureau veritas et M. [G] [S], ancien DRH Groupe de Bureau veritas attestent que M. [Y] avait connaissance de la modification du régime 77 en 1998 (pièces employeur n° 12 et 13).

En défense, les intimés soutiennent que :

- le point de départ du délai de prescription doit être fixé :

* à la date du premier versement de la pension lorsque la contestation porte sur les modalités de calcul de la rente (Cass. Soc., 25 sept. 2012, n°11-14.696) ;

* ou à la date à laquelle l'assuré a eu connaissance du refus de se voir accorder le bénéfice du régime de retraite supplémentaire, lorsque la contestation porte sur le principe même du droit au bénéfice du régime (Cass. 2ème civ. 7 févr. 2019, n°17-28.596) ;

- M. [Y] a été informé pour la première fois en janvier 2018 de la décision finalement prise par Bureau veritas et la CMAV de ne pas lui appliquer ledit règlement, via la réception d'un courrier envoyé par Pleiade conseils le 25 janvier 2018 et ce, après que Bureau veritas et la CMAV se soient engagées et aient informé M. [Y] de l'application du règlement de 1977 (pièces n°4, n°5 et n°7) ;

- le point de départ du délai de prescription quinquennal doit ainsi être fixé à la date de réception du courrier de Pléiade conseil, de sorte que l'action ne pouvait être prescrite à la date de saisine du conseil de prud'hommes de Paris, intervenue par acte du 23 juillet 2018 ;

- M. [Y] n'a jamais nié avoir eu connaissance de la modification du règlement de retraite intervenue en 1998 ; il a en revanche toujours contesté le fait d'en avoir été personnellement et individuellement informé, de sorte que cette modification ne saurait lui être opposée ;

- l'action de M. [U] a été jugé prescrite car il a effectivement reçu une lettre l'informant de la modification litigieuse ;

- dans un autre contentieux, il a été jugé que la prescription ne pouvait commencer à courir qu'à la date à laquelle Pléiade Conseil avait informé M. [L] de la décision prise de lui appliquer le régime de 1998 (CPH de Paris ' section encadrement chambre 3 ' 22 février 2019, RG n°18/01621) ;

- faute de notification individuelle et par écrit de la modification apportée au règlement en 1998 avant le 25 janvier 2018, la prescription n'a pu courir avant le 25 janvier 2018, date à laquelle M. [Y] a été informé par Pléiade conseil de la décision prise par Bureau veritas et la CMAV de ne plus lui appliquer le règlement de 1977 ;

- à la date de saisine par M. [Y] du conseil de prud'hommes le 23 juillet 2018, son action n'était donc pas prescrite.

S'agissant d'une créance dépendant d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et qui résultent de déclarations que le débiteur est tenu de faire, la prescription ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite.

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 2224 dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

S'il est constant que M. [Y] était de fait informé depuis 1998 de la dégressivité du niveau maximum de garantie globale de retraite de 70 % à 65 % au 1er janvier 1999 puis à 60 % au 1er janvier 2000, la cour retient que les autres éléments lui permettant de connaître précisément le montant de la rente n'étaient pas connus à cette date s'agissant du salaire de référence pris en considération pour le calcul de l'allocation complémentaire établi sur la moyenne revalorisée en fonction de l'évolution du point cadre Agirc et des salaires perçus au cours des dix dernières années.

En effet, M. [Y] n'a eu connaissance du montant de la rente devant lui être servie que par courrier du 25 janvier 2018 adressé par le cabinet Pleiade conseil, celui-ci détaillant précisément le taux de rente retenu, soit 60 %, et le niveau de retraite garantie déterminé en fonction des salaires perçus par l'intéressé et du montant des pensions servies par la sécurité sociale et différents organismes tels que l'Arrco et l'Agirc.

Ayant eu connaissance du montant de sa retraite complémentaire le 25 janvier 2018, cette date constitue le point de départ du délai de prescription de cinq ans.

L'action ayant été engagée le 23 juillet 2018, celle-ci n'est donc pas prescrite.

Sur la prescription de 20 ans

Les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore soutiennent que :

- l'action est prescrite du fait du délai butoir de vingt ans prévu par l'article 2232 du code civil dès lors qu'il s'est écoulé plus de vingt ans entre la naissance du droit et l'introduction de l'action ;

- la modification d'une décision unilatérale de l'employeur de modifier le régime de retraite supplémentaire Bureau veritas, a fait l'objet d'une information au comité d'entreprise de Bureau veritas le 20 juillet 1998 (pièce employeur n° 3) ;

- le lendemain, les bénéficiaires du régime recevaient une information individuelle sur la modification (pièce n°2 : Courrier en date du 21 juillet 1998 et pièces employeur n° 8, 15 à 19) ;

- la date de la modification, soit le 21 juillet 1998, constitue donc le point de départ du délai butoir de vingt ans de l'article 2232 du code civil : il a expiré le 21 juillet 2018 ;

- l'action de M. [Y], introduite le 24 juillet 2018 et reprise par ses ayants droit, devra donc nécessairement être jugée irrecevable comme prescrite.

En défense, les intimés soutiennent que :

- en premier lieu, l'action intentée par M. [Y] n'est pas légalement soumise au délai butoir de 20 ans prévu par l'article 2232 du code civil : si les dispositions sur le délai butoir de 20 ans prévu par l'article 2232 alinéa 1er du code civil doivent trouver à s'appliquer en l'espèce, la prescription afférente n'a ainsi pu courir au plus tôt qu'à compter du 31 décembre 2016 ;

- en second lieu, les dispositions de l'article 2232 alinéa 1er du code civil sont inapplicables en l'espèce : en la matière, seule la prescription quinquennale doit trouver application et ce, à compter du jour où le salarié liquide ses pensions de retraite, à savoir à compter du jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil (Cass. soc., 2-2-2022 n°20-16.054 et Cass. soc. 3-4-2019 n° 17-15.568) ;

- en troisième lieu, et à titre subsidiaire, quand bien même les dispositions de l'article 2232 alinéa 1er du code civil seraient applicables en l'espèce, l'action de M. [Y] ne saurait être prescrite : en effet, la modification du régime de retraite chapeau annoncée en juillet 1998 a pris effet en deux temps, d'abord au 1er janvier 1999, puis au 1er janvier 2000. Un délai de six mois pour la première phase de mise en 'uvre de la modification et un délai d'un an et demi pour la seconde phase ont donc été respectés (page 30 des conclusions de la société Bureau veritas) ; ainsi, quand bien même la prescription de 20 ans prévue par l'article 2232 du code civil devait s'appliquer en l'espèce ' ce qui est une nouvelle fois contesté ' elle n'aurait pu commencer à courir au plus tôt qu'au 1er janvier 1999 ;

- l'action de M. [Y] ayant été introduite le 24 juillet 2018, elle ne saurait donc être prescrite.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore sont mal fondées à invoquer la prescription de l'article 2232 du code civil au motif que le délai de prescription de l'action en paiement des sommes dues en application d'un régime de retraite complémentaire ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil.

Sur l'inopposabilité de la dénonciation de la décision unilatérale de la société Bureau veritas de modifier le règlement de 1977

Les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore soutiennent que :

1) M. [Y] a bénéficié du régime de retraite « chapeau » en vigueur au moment de son départ à la retraite

- la modification du régime de « retraite chapeau » intervenue en 1998 s'est opérée de façon régulière ;

- le comité d'entreprise a été valablement informé et les bénéficiaires du régime, dont notamment, M. [Y], ont reçu une information individuelle, dans un délai suffisant ;

- M. [Y] a plusieurs fois invoqué et appliqué ce règlement modifié, ce qui démontre, en tant que de besoin, qu'il était parfaitement au courant ;

- ses ayants droit ne peuvent raisonnablement prétendre que celui-ci n'a pas reçu un courrier qu'il a transmis à des prestataires externes ;

- leurs demandes tendant à obtenir que les droits soient calculés selon le règlement de 1977 ne pourront donc qu'être rejetées ;

- la demande complémentaire relative à la revalorisation de la rente selon l'article 3 de ce même règlement devra subir le même sort ;

2) le règlement de 1977 n'était plus en vigueur au moment du départ à la retraite de M. [Y]

- l'application du « règlement de 1977 après 1998 » aurait prétendument constitué un usage consistant à appliquer le régime de retraite « chapeau » antérieur à la modification de 1998 aux salariés qui le demandaient ;

- la société Bureau veritas produit les dossiers de liquidation des retraites des bénéficiaires du régime démontrant que les rentes sont liquidées conformément au régime de 1998 (pièce n°31 : Courriers du cabinet PLEIADE relatifs à la liquidation du régime d'allocations complémentaires du Bureau veritas, 33 feuillets) ;

- contrairement à ce que soutiennent les intimés de façon infondée, il n'y a donc jamais eu l'application de deux régimes de retraite simultanément ;

3) le courrier du 27 juin 2017 comporte une erreur non créatrice de droit

- M. [Y] n'a jamais contesté que le courrier du 27 juin 2017 est affecté d'une erreur ;

- En vertu du principe selon lequel l'erreur n'est pas créatrice de droit, M. [Y] ne peut se prévaloir d'une information qui lui a été donnée à tort ;

4) sur la régularité de la compensation effectuée

- à la suite d'une erreur de calcul, M. [Y] a bénéficié, au titre de l'exercice 2017, d'une rente annuelle de 126 134 euros brute au titre du régime de retraite complémentaire de Bureau veritas ;

- après vérification de la formule de calcul, il s'avère que M. [Y] ne pouvait bénéficier que d'une rente annuelle d'un montant de 32 120,08 euros ; il a donc bénéficié d'un trop perçu de 94 014 euros au titre de l'exercice 2017 ;

- la société a opéré une compensation en demandant la suspension du versement de la seule allocation complémentaire au titre du régime « chapeau » étant précisé que M. [Y] continuait de percevoir la somme de 44 016,16 euros par an, soit 3 668,01 euros par mois au titre de ses retraites de base et complémentaire ;

En défense, les intimés soutiennent que :

1) M. [Y] et ses ayants-droits doivent bénéficier du règlement de 1977 dès lors que la modification apportée en 1998 au règlement de 1977 leur est inopposable ;

- M. [Y] n'a jamais été informé, individuellement et par écrit, d'une quelconque modification apportée au Régime en 1998 ;

- la société Bureau veritas ne prouve pas que M. [Y] a bien été informé individuellement et par écrit de la modification du règlement de 1977 intervenue en 1998 (pièce employeur n° 21) ;

- le fait que quatre anciens salariés (sur les 120 qui auraient été destinataires du courrier du 21 juillet 1998 selon une pièce produite par la partie adverse) reconnaissent ou attestent avoir reçu ledit courrier est bien évidemment inopérant à l'encontre de M. [Y], d'autant plus que la société Bureau veritas n'apporte aucun élément relatif à l'existence de cette prétendue liste de même qu'aucune preuve de l'envoi du courrier à l'ensemble des intéressés, qui aurait pourtant été fait en recommandé avec accusé de réception (pièce salarié n° 18) ;

- la société Bureau veritas feint maladroitement de ne pas comprendre la distinction entre « être destinataire d'une information individuelle et par écrit » - condition exigée par la jurisprudence - et « avoir connaissance de cette information par ailleurs », circonstance qui ne permet pas d'opposer à un salarié la modification ou la dénonciation d'un usage ;

- M. [Y] ne nie pas avoir eu connaissance de la modification du règlement intervenue en 1998 suite à sa prise de fonction au sein de la direction des ressources humaines en 2013 mais il conteste en avoir été informé individuellement et par écrit en 1998.

2) le règlement de 1977 était toujours en vigueur lorsque M. [Y] a liquidé sa pension de retraite ;

- les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore ont en effet fait bénéficier volontairement M. [Y] - de même que d'autres salariés ' de la décision unilatérale de l'employeur consistant à appliquer le règlement de 1977, laquelle était toujours en vigueur au sein de la société lors de son départ à la retraite ;

- en pratique, deux régimes coexistaient donc au sein de la société Bureau veritas (pièces salarié n° 4 pages 7 et, 5 pages 2 et 3 et 7 et 24) :

' le régime résultant de l'application du règlement de 1977 appliqué aux salariés en faisant expressément la demande (pièces employeur n° 5, 12, 14,16,18 et pièce salarié n° 10) ;

' le régime résultant de l'application du règlement de 1998 appliqué aux salariés ne sollicitant pas l'application du règlement de 1977 ;

- si le règlement de 1977 n'était plus appliqué depuis 1998 et si les affirmations et informations de M. [Y] étaient erronées, il suffirait aux appelantes de produire les certificats de rente et/ou courriers de confirmation envoyés aux anciens salariés listés ci-dessus ou ne serait-ce que d'attester sur l'honneur qu'au cours des dernières années, aucun salarié de la société Bureau veritas n'a bénéficié, lors de son départ à la retraite, du règlement de 1977 ;

- la simple communication tardive de quelques courriers de Pleiade conseils à d'anciens salariés, tous datés de 2018 et manifestement triés sur le volet, visant à informer les intéressés de l'application du règlement modifié en 1998 est à cet égard inopérant et tend au mieux à prouver que la société Bureau veritas a cessé d'appliquer le règlement de 1977 à compter de 2018, soit après le départ à la retraite de M. [Y] ;

- l'application du règlement de 1977 ne saurait raisonnablement être qualifiée d'erreur.

- c'est donc en toute connaissance de cause que les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore ont appliqué à M. [Y] le règlement de 1977 - qui était toujours en vigueur au sein de la société lors de son départ à la retraite - et l'ont informé du « calcul définitif de l'allocation complémentaire du Bureau veritas qui [lui] revient ».

3) sur l'irrégularité de la compensation effectuée

- il résulte des article 1347 et suivants du code civil que la compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui sont certaines (dont l'existence n'est pas contestée), liquides (déterminées dans leur montant) et exigibles (ce qui écarte les dettes payables à un terme non encore échu) ;

- la compensation ne peut s'opérer de plein droit que lorsque ces conditions sont réunies ;

- les conditions de la compensation ne sont pas réunies en l'espèce, tant s'agissant du caractère certain que liquide et exigible d'une telle dette, que ce soit à l'égard de la société CMAV ou des sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore ;

4) les ayants-droits de M. [Y] peuvent valablement agir pour la période postérieure au décès de l'intéressé

- les ayants-droits des anciens salariés décédés sont directement bénéficiaires du régime de retraite supplémentaire à prestations définies ;

- l'article II « Bénéficiaires » du règlement de 1977 dispose qu'outre les salariés concernés, sont également bénéficiaires du régime « les ayants droits apparentés au personnel » des intéressés ;

- l'article VII « Décès ' enfants à charge » du règlement de 1977 attribue à la veuve de l'ancien salarié bénéficiaire du régime, une rente de réversion égale à 60% à laquelle ce dernier avait droit, rente pouvant être majorée en cas d'enfants à charge ;

- les intimés disposent donc d'un droit et d'un intérêt à se voir appliquer le règlement de 1977, qui doit conduire cette dernière à se voir attribuer une rente de réversion non minorée, comme elle le serait si le règlement de 1998 était appliqué ;

Il est constant qu'un engagement unilatéral consenti peut être modifié ou supprimé, unilatéralement par écrit, à condition pour l'employeur d'en informer, dans un délai de prévenance suffisant, les représentants du personnel et de manière individuelle chaque salarié concerné ou susceptible d'en bénéficier un jour.

En l'espèce, en ce qui concerne d'abord le respect du délai de prévenance, il n'est pas mis en cause par les intimés, la dénonciation prévoyant deux phases de mise en 'uvre, la première de six mois et la seconde d'un an et demi. Il s'en déduit que celui-ci a été respecté.

En ce qui concerne ensuite l'information collective des représentants du personnel, elle résulte du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 20 juillet 1998 qui mentionne expressément la modification du régime d'allocations complémentaire en matière de retraite, les motifs de cette modification étant indiqués et de même que la catégorie des ayants droits potentiels déterminée, à savoir 130 salariés ayant un salaire annuel en activité supérieur à 350 000 francs en 1998. Dès lors, le comité d'entreprise a été valablement informé de la modification du régime de retraite.

En ce qui concerne enfin l'information individuelle des salariés, la cour constate que les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore soutiennent sans être utilement contredites sur ce point que M. [Y] a transmis à la société AMPW, cabinet de consultant en régime de prévoyance et de retraite, le courrier individuel qui lui avait été adressé le 21 juillet 1998 l'informant de la modification du régime afin que puisse être calculé le montant des droits dus au titre du règlement modifié ; c'est ainsi que Mme [V] [A], consultante de la société AMPW, atteste « M. [Y] m'a uniquement montré ou remis des documents papiers, et notamment le courrier du 21 juillet 1998 « Modifications du régime d'Allocations complémentaires BUREAU VERITAS » qui m'a permis de calculer les allocations dites « règlement 98 ». Ce document est joint à l'attestation » (pièce n°30 : attestation de Mme [V] [A], consultante de la société AMPW) ;

La cour constate que le courrier individuel adressé par la société Bureau veritas le 21 juillet 1998 est une lettre circulaire non individualisée d'information des salariés de la modification du régime d'allocation complémentaire Bureau veritas qui expose les 3 points de la modification du règlement de 1977 à venir dans le cadre du règlement de 1998.

Dans ces conditions la cour retient que la société Bureau veritas a respecté son obligation d'informer M. [Y] comme les autres salariés qui étaient susceptibles de profiter de ce régime de retraite complémentaire. Dès lors, M. [Y] ne peut pas valablement invoquer le maintien pour lui du régime de retraite de 1977.

Et c'est en vain que les intimés soutiennent que « Il convient d'ajouter ici que pour couper court à tout soupçon ou risque d'interprétation tendancieuse dans ses échanges avec le prestataire AMPW, M. [D] [Y] a pris soin de mettre régulièrement Mme [I] [H] en copie de ses courriels et de veiller à ce que les informations concernant les régimes d'allocations complémentaires de retraite soient fournies sous couvert du service Paie de DRH. Les documents remis à titre confidentiel à Mme [A] (AMPW) provenaient des archives DRH. (Pièces adverses n°4, n°5, n°6 et n°23) » ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif que les pièces appelantes n° 4 à 6 et 23 ne contredisent aucunement l'attestation de Mme [A] dont il ressort que M. [Y] lui a remis le courrier individuel adressé par la société Bureau veritas le 21 juillet 1998 l'informant de la modification du régime.

La société Bureau veritas ayant justifié avoir respecté les conditions de dénonciation de l'engagement unilatéral de 1977 instituant un régime de retraite complémentaire, la demande formée par M. [Y] tendant à l'inopposabilité de cette dénonciation est mal fondée.

Il s'en déduit que le règlement de retraite chapeau, tel que modifié en 1998, est opposable à M. [Y].

A l'examen des pièces produites et notamment la pièce appelantes n° 31 et des moyens débattus, la cour retient que les intimés sont mal fondés dans leur moyens selon lequel, en pratique, deux régimes coexistaient donc au sein de la société Bureau veritas, le régime résultant de l'application du règlement de 1977 appliqué aux salariés en faisant expressément la demande et le régime résultant de l'application du règlement de 1998 appliqué aux salariés ne sollicitant pas l'application du règlement de 1977 ; en effet, la cour retient que la modification du régime de retraite chapeau annoncée en juillet 1998 a pris effet en deux temps, d'abord au 1er janvier 1999, puis au 1er janvier 2000 et qu'après cette date, les retraites ont été liquidées sur la base du règlement de 1998.

La cour retient donc que le courrier du 27 juin 2017 comportait une erreur non créatrice de droit et que la compensation effectuée par les sociétés Bureau veritas et Bureau veritas marine & offshore entre le trop-perçu en 2017 par M. [Y] et les allocations complémentaires dues au titre du régime « chapeau » pour les années à suivre était justifiée.

Compte tenu de ce qui précède, le jugement déféré est donc infirmé en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute les intimés de l'ensemble de leurs demandes étant précisé qu'elles découlent toutes de la reconnaissance que seul le règlement de 1977 était applicable à M. [Y] et leur est donc applicable, ce que la cour a rejeté en retenant que seul le règlement de 1998 était applicable à M. [Y] et leur est donc applicable.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que l'action engagée par M. [Y] n'est pas prescrite mais qu'elle est mal fondée,

Déboute Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de [D] [Y] de l'ensemble de leurs demandes,

Condamne Mme [C] [K], Mme [M] [Y], Mme [V] [Y], Mme [P] [Y], M. [W] [Y], M. [X] [Y], ayants droit de [D] [Y] au paiement des dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/07487
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;20.07487 ?
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