La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2023 | FRANCE | N°20/07167

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 31 mai 2023, 20/07167


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 31 MAI 2023



(n° 2023/ , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07167 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCRYO



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02047





APPELANT



Monsieur [S] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté

par Me Céline TULLE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1987





INTIMÉE



S.A. BANQUE SBA

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Jérôme HOCQUARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P008...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 31 MAI 2023

(n° 2023/ , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07167 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCRYO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/02047

APPELANT

Monsieur [S] [P]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Céline TULLE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1987

INTIMÉE

S.A. BANQUE SBA

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jérôme HOCQUARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0087

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [S] [P] a été engagé le 1er mai 2002 par la société Banque SBA en qualité de cadre de banque, niveau H- 1, affecté au service des crédits documentaires, chargé du traitement des dossiers de l'ouverture au règlement, avec une rémunération brute annuelle fixe de 35 063,27 euros versée sur 13 mensualités.

Par avenant du 28 août 2013, la société lui a confié les fonctions de Middle Office Commercial, statut cadre, niveau H-1, coefficient 0.

La convention collective applicable est celle des banques.

La moyenne brute des trois derniers mois de salaire perçus est de 3 416,67 euros.

Le 16 novembre 2017, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 novembre 2017.

Par lettre du 7 décembre 2017, la société Banque SBA a notifié à M. [P] son licenciement pour des erreurs professionnelles (avoir en novembre 2017 communiqué, à une personne qui n'en était pas le titulaire, des informations confidentielles relatives à un compte bancaire, avoir commis des erreurs dans l'établissement du Know Your Customer (KYC) et ne pas avoir procédé au suivi d'un ordre de virement) et pour un manque de communication affectant gravement le fonctionnement du service.

Le 19 mars 2018, M. [S] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en contestation de son licenciement. En dernier état, ses demandes étaient les suivantes :

- 41 000,05 € d'indemnités pour harcèlement moral,

- 20 500,03 € d'indemnité pour non-respect de l'obligation de prévention,

- 20 500,03 € d'indemnités pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat,

- 100 000 € d'indemnité pour licenciement nul,

- 100 000 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 € d'article 700.

Par jugement en date du 17 juillet 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté M. [P] de ses demandes

- débouté la société Banque SBA de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [P] aux dépens.

M. [P] a interjeté appel le 20 octobre 2020.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées le 22 février 2023, auxquelles il convoient de se référer pour un pus ample exposé des prétentions et moyens, M. [P] demande à la cour de :

- Juger M. [S] [P] recevable et bien fondé en son appel et en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Réformer et infirmer le jugement rendu le 17 juillet 2020 par la section encadrement, chambre 3 du conseil de prud'hommes de Paris et plus particulièrement des chefs de jugements ci-après reproduits :

- « Déboute M. [S] [P] de l'ensemble de ses demandes. Déboute la SA Banque SBA de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne M. [S] [P] au paiement des entiers dépens. »

Statuant à nouveau,

- Juger M. [P] recevable et bien fondé en son appel, fins, conclusions et en l'ensemble de ses demandes,

- Juger que M. [P] a été victime de harcèlement moral,

En conséquence,

A titre principal

Condamner la SA Banque SBA à payer à M. [P] la somme de 41 000,05 € à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

Condamner la SA Banque SBA à payer à M. [P] la somme de 20 500,03 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de son obligation de prévention à l'égard de M. [P],

Condamner la SA Banque SBA à payer à M. [P] la somme de 20 500,03 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de son obligation de sécurité à l'égard de M. [P],

Juger que le licenciement est nul,

Condamner la SA Banque SBA à payer à M. [P] la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts pour nullité du licenciement à l'égard de M. [P],

A titre subsidiaire sur le licenciement

Juger que le licenciement de M. [P] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamner la SA Banque SBA à payer à M. [P] la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause

Condamner la SA Banque SBA à payer à M. [P] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens,

Ordonner les intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine du conseil de prud'hommes.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 2 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Banque SBA demande de :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes,

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a débouté la Banque SBA de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est demandé à la Cour, statuant à nouveau, de :

- Juger le licenciement de M. [P] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- Dire et juger M. [P] mal fondé en son appel, en ces demandes fins et conclusions,

- Débouter en conséquence M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner M. [P] à 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L1154-1, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et pour les faits postérieures au 10 août 2016 présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [P] expose que depuis la guerre en Syrie, la Banque SBA (Banque Libano-française) a perdu la majorité de ses marchés. Afin d'éviter les licenciements économiques, la direction à dû diversifier ses activités et a proposé à ses employés des départs volontaires ou des mutations, notamment au service commercial ce qui lui a été proposé et qu'il a accepté.

Il soutient qu'à compter de son arrivée au sein du service commercial dirigé par M. [L] [I], il a subi un harcèlement moral caractérisé notamment par :

- la mise en cause de ses qualités professionnelles jusqu'alors saluées

- sa mise à l'écart de la clientèle,

- une privation de travail,

- une restriction d'accès aux comptes des clients,

- des reproches injustifiés et des tentatives d'intimidations par le manager,

- le refus de congés et de formations,

- une proposition de rétrogradation au back office le 24 mai 2017.

Les fonctions de 'middle Office Commercial' sont décrites dans l'avenant au contrat de travail comme consistant dans les missions suivantes :

- s'occuper des ouvertures de comptes et de leur mise à jour,

- décharger les chargés de clientèle 'corporate' de la gestion courante des comptes clientèles et des tâches administratives annexes non liées à l'activité de crédit.

Il résulte du courriel adressé le 27 septembre 2016 par M. [I] à M. [P] que le premier demandait à ce dernier de ne plus contacter deux clients en particulier sans lui en parler, de l'avertir quand un client venait à la banque et de ne pas parler aux clients sans sa présence.

Lors de son entretien professionnel du 13 octobre 2016, M. [P] a indiqué à son employeur qu'il n'appréciait plus son emploi, qu'il était 'déboussolé' et qu'il souhaitait améliorer la communication avec son responsable.

Puis à l'occasion de son évaluation du 30 mars 2017, M. [P] a indiqué au titre du point de vue du salarié : 'depuis septembre 2013, date à laquelle j'ai rejoint le service commercial dirigé par M. [I] et jusqu'à présent il n'a pas confiance en mon travail. Mes efforts (2014-2015-2016) sont vains alors que je n'avais que des retours positifs des clients. Les critiques sont bonnes à prendre lorsqu'elles sont constructives et tout au moins nous montrer l'exemple. Mon travail n'est pas valorisé, mes efforts sont dénigrés. Je n'ai aucune visibilité sur les mouvements de comptes depuis mon déménagement au bureau avec Mme [Z] ce qui veut dire depuis presque six mois. Je suis astreint de ne plus recevoir les mouvements de comptes clients, ni de recevoir le listing des comptes dépôts, et limite interdit de contact client. Une situation qui n'est guère confortable et enviable pour affiner le profil commercial souhaité et par dessus des intimidations faites par M. [I] ('tu n'écoutes pas ce que je te dis... tu ne fais qu'à ta tête... ce n'est pas commercial ni professionnel' et par dessus des diffamations des commérages qui cible(nt) mon intégrité) et lorsque je demande ce qu'il ne va pas ou de m'accompagner alors là il faut pas espérer, il esquive ; probablement je ne fais pas le poids. J'ai l'impression que je suis un boulet, même mon droit légal à la formation a été refoulé. Il n'y a pas 36 solutions, je demande une réunion face à face ; ça ne peut plus durer, ma santé est détériorée par cette souffrance au travail.'

Le courrier du 24 mai 2017 adressé par le directeur général adjoint de la société à M. [P] mentionne que 'au terme de l'entretien annuel de progrès de l'année 2016, nous avons noté que vous n'appréciez plus le travail sous la responsabilité de votre actuel manager, M. [I]. Soucieux de répondre à votre demande, nous vos proposons : le poste de chargé de back office sous la responsabilité de M. [B].'

M. [P] a répondu par lettre du 31 mai 2017 que 'l'interprétation que vous faites de mon commentaire concernant mon entretien annuel 2016 est inexacte. En effet, je n'ai jamais indiqué que je ne souhaite plus travailler sous la responsabilité de M. [I]. J'ai simplement souhaité que soit organisée une réunion afin, qu'en votre présence, tant M. [I] que moi-même puissions faire part de nos points de vue respectifs afin d'améliorer les conditions de travail au sein du service commercial. Nos divergences ont des conséquences sur ma santé physique et morale.'

Le 20 septembre 2017, M. [P] a indiqué par courriel à son employeur que depuis sa reprise du travail le 18 septembre, après plusieurs semaines d'arrêt de travail et de convalescence liées à la dégradation de ses conditions de travail, aucun travail ni aucune tâche ne lui ont été confiés malgré ses demandes quotidiennes et ce alors qu'il constatait que ses collègues de l'équipe commerciale étaient débordés. Il écrivait ne pas comprendre ces refus 'sauf à ce qu'il s'agisse d'une nouvelle facette de la stratégie mise en place depuis plusieurs mois pour me déstabiliser qui a commencé notamment par l'interdiction que m'a fait M. [I] de m'entretenir seul avec les clients et exigeait la présence d'un deuxième collègue du service commercial puis qui s'est poursuivi par le changement de bureau qui m'a été imposé avant de voir mes dossiers et clients m'être retirés sans aucune explication. Cette situation ne saurait perdurer puisque ma santé est de nouveau affectée par ces agissements vexatoires qui constituent un harcèlement moral.'

Il justifie avoir été examiné par le médecin du travail les 5 mai 2017, 7 septembre 2017 et 30 novembre 2017 et verse aux débats les comptes rendus d'entretien qui mentionnent des troubles du sommeil, des angoisses et une paralysie faciale.

M. [P] produit également un courriel adressé le 1er décembre 2017 au médecin du travail, mentionnant qu'à la suite de sa dénonciation d'une situation de harcèlement moral dans son évaluation, il a été convoqué le 26 avril 2017 par le directeur commercial lequel lui a reproché ces observations de manière véhémente avant que le directeur des ressources humaines intervienne pour ajouter que M. [P] était insolent.

Il prouve ne pas avoir obtenu chacune des formations qu'il avait sollicitées lors de ses entretiens annuels.

Le salarié ne démontre pas que ses congés lui aient été refusés.

Pris dans leur ensemble, les faits établis font présumer une situation de harcèlement moral.

L'employeur fait valoir que certaines tâches ont été retirées à M. [P] et que le contrôle de son travail a été renforcé en raison de son manque de professionnalisme qui a été souligné dans ses évaluations et constitue une justification objective à cette décision, étrangère à tout harcèlement moral.

Il produit aux débats des attestations des collègues de M. [P] qui témoignent avoir cessé de lui déléguer des tâches car il ne les effectuait pas de manière rigoureuse et qu'ils devaient rectifier son travail.

Les évaluations annuelles de M. [P] mentionnent dès 2009 la nécessité pour celui-ci de progresser dans la maîtrise des fonctions qui lui étaient confiées.

La société considère par ailleurs que ne constituent pas du harcèlement moral les conflits de personnes et la mésentente.

La société justifie certes avoir proposé un changement de poste à M. [P] que celui-ci a refusé puis avoir reçu le salarié en entretien le 19 septembre 2017.

Pour autant, si l'insuffisance professionnelle peut justifier un licenciement, elle n'autorise pas l'employeur à ne plus confier de missions à son salarié pendant plusieurs mois.

S'agissant des erreurs ou fautes reprochées à M. [P], le grief formulé au soutien du licenciement de M. [P] selon lequel il aurait communiqué les éléments confidentiels des comptes d'une client à un tiers n'est pas démontré, l'échange de courriel produit concernant le fils d'une cliente qui sollicitait des conseils pour transférer des fonds de sa mère vers un compte bancaire au Liban établit que M. [P] n'a pas divulgué le numéro IBAN du compte bancaire de la cliente et a insisté sur la nécessité de la signature par la cliente de l'ordre d'opération.

Quant au grief formulé concernant l'erreur affectant le document KYC rempli par M. [P] en novembre 2017, s'il est caractérisé par l'attestation de M. [I] et le courriel de Mme [W] du service anti-blanchiment de la Banque, il demeure un fait isolé, comme étant le seul fait de cette nature précisément reproché. M. [P] précise qu'il a dû y procéder sur la base de notes manuscrites de son supérieur ce dernier lui ayant fait interdiction de rencontrer le client, ce qui n'est pas contesté par l'employeur.

S'agissant de l'absence d'exécution d'un ordre de virement, il n'est pas suffisamment caractérisé au regard de la seule production de la lettre donnant ordre d'y procéder, avec mention d'une confirmation téléphonique donnée de l'ordre à effectuer, sans aucun élément sur l'exécution litigieuse.

S'il est établi que les collègues de M. [P] se plaignaient de la qualité de son travail, il n'est pas démontré de désorganisation du service et ce manque de qualité n'est pas de nature à justifier qu'il ait été mis à l'écart et privé de travail au point d'altérer sa santé sans que d'autres tâches lui soient confiées.

L'employeur n'apporte donc pas de justification objective à ses manquements de fourniture de travail à son salarié et de privation de contact avec la clientèle d'octobre 2016 à novembre 2017 soit pendant plus d'une année.

Les agissements de harcèlement moral de l'employeur sont la cause du licenciement de M. [P] prononcé pour des faits isolés qui n'étaient pas de nature à justifier son licenciement au regard de son ancienneté dans le service commercial de plus de trois années au cours desquelles des insuffisances ont certes été identifiées mais sans que l'employeur n'engage de procédure pour insuffisance professionnelle dans un délai raisonnable. Le licenciement est en conséquence nul.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande.

Sur l'indemnité pour licenciement nul :

En vertu de l'article L1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Au regard de l'ancienneté de M. [P] de 15 années, de son salaire de 3 591 euros, de son âge de 54 ans lors de son licenciement, de son niveau de formation et de sa capacité à retrouver un emploi, son préjudice causé par son licenciement nul sera réparé par l'allocation de la somme de 45 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formulée à ce titre.

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral :

Le préjudice moral subi par M. [P] du fait du harcèlement moral subi qui l'a affecté psychiquement comme cela résulte des comptes rendus des entretiens avec le médecin du travail et des arrêts de travail sera réparé par l'allocation de la somme de 5 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les dommages et intérêts sur le fondement de l'article L1152-4 du code du travail :

L'article L. 1152-4 du code du travail dispose que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

M. [P] justifie avoir alerté son employeur de ses difficultés par une lettre dénonçant ses conditions de travail le 2 octobre 2013, par des commentaires lors de l'entretien annuel de progrès et l'entretien professionnel 2016, par une seconde lettre dénonçant la dégradation des conditions de travail du 31 mai 2017 et par des courriels adressés à ses responsables hiérarchiques lesquels étaient destinataires de ses arrêts maladies successifs.

La société ne présente aucune mesure de prévention du harcèlement moral qui aurait pré existé en son sein.

Par ailleurs, si l'employeur justifie avoir, à réception des courriers de M. [P], organisé plusieurs entretiens avec les membres de la direction, le 13 octobre 2016, en présence de Mme [C], DRH, le 19 septembre 2017, en présence du Directeur général, M. [M], et du Directeur général adjoint, M. [N], et lui avoir proposé deux autres postes, elle ne justifie pas avoir alerté M. [I] sur son comportement alors qu'il était mis en cause par M. [P] ni avoir diligenté de mesures d'investigation.

L'employeur n'a pas satisfait à son obligation de prévention du harcèlement moral ce qui a créé un préjudice à M. [P] lequel sera réparé par l'allocation de la somme de 1 000 euros.

Le jugement entrepris qui a débouté M. [P] de cette demande sera infirmé à ce titre.

Sur les dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité :

Selon l'article L4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1°) des actions de prévention des risques professionnels;

2°) des actions d'information et de formation;

3°) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

La demande indemnitaire formée par M. [P] au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité vise à réparer le même préjudice que celui subi du fait d'une absence de prévention du harcèlement moral. Il ne saurait obtenir une double réparation pour un même préjudice. Sa demande indemnitaire distincte formée sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité est en conséquence rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société Banque SBA est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Le confirme de ce chef,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Juge que le licenciement de M. [S] [P] est nul,

Condamne la société Banque SBA à payer à M. [S] [P] les sommes de :

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral

- 1 000 euros à titre de dommage-intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral,

- 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

Condamne la société Banque SBA à payer à M. [S] [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Banque SBA aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/07167
Date de la décision : 31/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-31;20.07167 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award