La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2023 | FRANCE | N°20/10258

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 30 mai 2023, 20/10258


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 30 MAI 2023

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/10258 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDEJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Juin 2020 -Tribunal Judiciaire de PARIS - RG n° 19/00226



APPELANT :



Monsieur [M], [N], [Y] [V]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Ju

naid BUTT, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE :



L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARI...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 30 MAI 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/10258 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDEJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Juin 2020 -Tribunal Judiciaire de PARIS - RG n° 19/00226

APPELANT :

Monsieur [M], [N], [Y] [V]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Junaid BUTT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0744

AUTRE PARTIE :

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public le 09 juin 2021, qui a fait connaître son avis le 20 mai 2022.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

M. [M] [V] a exercé des fonctions de notaire jusqu'à ce qu'il cède son étude le 25 mars 1993.

Le 11 mai 1998, il a été mis en examen pour escroquerie et usurpation de la fonction de notaire et placé en détention provisoire. Il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 14 mai 1998. Renvoyé pour les faits d'escroquerie devant le tribunal correctionnel de Paris, il a été relaxé par jugement du 15 septembre 2005 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 novembre 2006.

Par décision du 17 octobre 2016, le premier président de la cour d'appel de Paris, statuant sur requête déposée par M. [V] le 14 avril 2016, l'a renvoyé à mieux se pourvoir pour les demandes relatives à la faute de l'Etat et au déni de justice et a dit n'y avoir lieu à provision au titre de la réparation de la détention provisoire aux motifs de contestations sérieuses.

Par décision du 25 septembre 2017, le premier président s'est déclaré incompétent pour connaître la requête déposée par M. [V] le 24 novembre 2015 en ce qu'elle porte sur la réparation de préjudices résultant du déroulement de l'information judiciaire et a déclaré irrecevable la requête aux fins d'indemnisation de la détention provisoire déposée par M. [V] le 27 novembre 2015 sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, plus de neuf ans après la décision de la cour d'appel du 13 novembre 2006 prononcée contradictoirement et devenue définitive.

M. [V] a formé un recours contre cette décision devant la commission nationale de réparation des détentions, lequel a été déclaré irrecevable.

Parallèlement, une procédure civile a été engagée au titre de prêts consentis à M. [V] en qualité de notaire, dont la caisse de dépôts et consignation, prêteur, a sollicité le remboursement à la suite de la cession de l'étude notariale de M. [V] le 25 mars 1993 et au titre desquels elle a procédé à une saisie attribution. Le 10 juillet 2007, M. [V] a assigné la caisse des dépôts et consignations en responsabilité aux motifs qu'elle avait conservé la plus-value sur la vente des sociétés d'investissement à capital variable et abusé de l'emploi des voies d'exécution en poursuivant sans raison valable une saisie immobilière après avoir reçu les fonds réclamés. Par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 mai 2009, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mars 2012, M. [V] a été débouté de ses demandes. Sa demande d'aide juridictionnelle aux fins de se pourvoir en cassation contre cette décision a été rejetée par ordonnance du 23 janvier 2013, en l'absence de moyen sérieux de cassation.

C'est dans ces circonstances que par acte du 27 décembre 2018, M. [V] a assigné l'agent judiciaire de l'Etat sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire aux fins de voir engager la responsabilité de l'Etat.

Par jugement rendu le 15 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré prescrite l'action contre l'Etat relativement à la procédure pénale,

- rejeté les demandes dirigées contre l'Etat relativement à la procédure civile,

- condamné M. [V] à verser à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [V] aux dépens.

Par déclaration du 22 juillet 2020, M. [V] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 3 décembre 2021, M. [M] [V] demande à la cour de :

- réformer le jugement attaqué,

c'est pourquoi,

- déclarer son action recevable et bien fondée,

- constater et juger le fonctionnement défectueux du service de la justice (faute lourde) dans le cadre de la procédure pénale et notamment dans le cadre de l'information judiciaire subie et achevée par un arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006,

- constater et juger le fonctionnement défectueux du service de la justice en raison de la durée excessive de la procédure pénale (comportant notamment une information judiciaire anormalement longue) subie et achevée par un arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006,

- constater et juger le fonctionnement défectueux du service de la justice (faute lourde) en raison de sa non-notification des droits prévus par les articles 149 et suivants du code de procédure pénale par l'arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006,

- constater et juger le fonctionnement défectueux du service de la justice (faute lourde et déni de justice) résultant de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mars 2012 et l'ordonnance de rejet de l'aide juridictionnelle en date du 23 janvier 2013,

- constater et juger le fonctionnement défectueux du service de la justice (faute lourde et déni de justice) dans le cadre de la procédure sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale intentée (les arrêts de la cour d'appel de Paris en date du 25 septembre 2017 et du 17 octobre 2016),

- constater et juger le fonctionnement défectueux du service de la justice (faute lourde et déni de justice) de tous les dysfonctionnements soulevés dont notamment la requête devant la cour d'appel de Paris (pièces n°8),

- constater ses préjudices subis ainsi que le lien de causalité entre les fautes du service de la justice et le préjudice subi par le demandeur,

par conséquent,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser les sommes de :

- 14 607 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du non-respect du délai raisonnable, d'un déni de justice et de la violation du droit d'accès au tribunal,

- 19 800 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation des droits de l'homme,

- 150 000 000 euros pour préjudice matériel, moral, professionnel et patrimonial,

- 50 000 000 euros à titre de préjudice personnel,

soit un total de 234 407 000 euros,

- assortir les sommes susvisées des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2015,

- ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à venir,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Par ordonnance du 7 mars 2023, le conseiller de la mise en état a dit irrecevables les conclusions notifiées et déposées par l'agent judiciaire de l'Etat le 8 septembre 2021.

Par un avis rendu le 20 mai 2022, le ministère public sollicite la confirmation en toutes ses dispositions du jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 21 mars 2023.

SUR CE :

Sur l'action en responsabilité de l'Etat au titre de la procédure pénale :

- Sur la prescription :

Le tribunal a jugé prescrite la demande fondée sur la responsabilité de l'Etat pour faute lourde et déni de justice ayant trait à la procédure pénale aux motifs que le dernier acte de procédure critiqué, qui constitue le fait générateur de l'obligation d'indemniser M. [V], est l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 13 novembre 2006, et que la prescription ayant couru depuis le 1er janvier 2007 est acquise depuis le 31 décembre 2010 à défaut d'actes interruptifs de prescription.

Il a retenu qu'à supposer que l'arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006 n'ait pas été notifié à M. [V] et qu'un tel manquement caractériserait une faute lourde à l'origine du préjudice subi par ce dernier pour ne pas avoir pu solliciter l'indemnisation des trois jours de détention provisoire effectués, la prescription est également acquise depuis le 31 décembre 2010.

M. [V] fait valoir que l'action n'est pas prescrite dès lors que la prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d'exercer l'action, qu'en application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 elle ne peut courir contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance et que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 novembre 2006, qui ne lui a jamais été signifié, a omis de l'avertir de la faculté d'être indemnisé au titre de la détention provisoire effectuée, en sorte que n'ayant découvert la procédure d'indemnisation de l'article L.149 du code de procédure pénale que courant 2015, la prescription quadriennale ne peut avoir couru avant le 1er janvier 2016.

Il ajoute que la prescription n'a pu courir à compter du 1er janvier 2007 dès lors que l'action en responsabilité au titre de la durée excessive de la détention provisoire lui ayant causé des préjudices corporels et moraux se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation en application de l'article 2226 du code civil.

Il soutient que les préjudices corporels et moraux résultant de la durée excessive de la procédure pénale ou de la détention provisoire constituent un cas de force majeure ayant empêché le cours de la prescription en application des articles 2234 du code civil et 3 de la loi du 31 décembre 1968.

Il considère que la prescription quadriennale a été interrompue par ses nombreux recours juridictionnels, ceux devant la Cour européenne des droits de l'homme, les courriers adressés au Comité des droits de l'homme et chacune des décisions judiciaires rendues, mais également par la décision du 30 mars 2016 lui ayant accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle pour exercer la présente action et l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 septembre 2017.

Le ministère public est d'avis que la prescription de l'action engagée le 27 novembre 2015 est acquise dès lors que le délai de prescription a couru à compter du 1er janvier 2007 et expiré le 31 décembre 2010, que les procédures engagées entre temps ne sont pas interruptives de prescription en ce qu'elles ne portent pas sur le fait générateur de la créance, soit la procédure pénale, et que les recours devant la Cour europénne des droits de l'homme ne sont pas plus interruptifs de prescription en ce qu'ils ne constituent pas des réclamations au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.

L'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 dispose que sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.

L'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 prévoit que la prescription est interrompue par :

- toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ;

- tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...).

Il précise également qu'un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption.

Selon l'article 3 de cette loi, la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement.

L'action en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice relève des dispositions de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.

M. [V] recherchant la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice au titre du délai excessif de la procédure pénale, du déroulement de l'information judiciaire, du défaut d'information de son droit à réparation de la détention provisoire effectuée, mais également des décisions rendues les 17 octobre 2016 et 25 septembre 2017, est mal fondé à faire valoir la prescription décennale tirée des dispositions de l'article 2226 du code civil relatives à l'action en responsabilité née à l'occasion d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel.

Le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué.

Le fait générateur du dommage allégué au titre de la procédure pénale et du défaut d'information du droit à réparation pour la détention provisoire effectuée est l'arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006 confirmant la relaxe de M. [V] et mettant fin à la procédure pénale. Cet arrêt rendu contradictoirement à l'égard de M. [V] constitue le point de départ de la prescription quadriennale.

Il n'est démontré aucun empêchement d'agir résultant d'un cas de force majeure ou d'une ignorance légitime et justifiant le report du point de départ de délai de prescription.

A ce titre, la circonstance alléguée que l'arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006 n'aurait pas été signifié à M. [V] ne caractérise aucune ignorance légitime constitutive d'un empêchement à agir dès lors que les débats ont été rendus en présence de M. [V] assisté de son avocat, que la date de délibéré a été annoncée, lequel a été rendu en audience publique et qu'il lui appartenait le cas échéant de se présenter à ladite audience et de solliciter copie de la décision.

L'allégation que cet arrêt ne mentionne pas le droit à être indemnisé au titre de la détention provisoire effectuée, qui a trait à la caractérisation de la faute lourde alléguée, est inopérante à retarder le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité du fait de l'Etat, étant observé que nul n'étant censé ignorer la loi, l'ignorance de dispositions légales applicables, quand bien même elles n'auraient pas été rappelées dans l'arrêt critiqué, ne constitue pas un cas d'empêchement légitime.

Seuls les recours postérieurs à l'arrêt du 13 décembre 2006 sont susceptibles d'avoir interrompu la prescription.

Ceux ayant donné lieu à différentes décisions judiciaires en droit interne dont se prévaut M. [V] et dont il précise qu'elles ont trait à son patrimoine, n'ont eu aucun effet interruptif de prescription en ce qu'ils sont étrangers au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance alléguée contre l'Etat au titre de la procédure pénale et de la détention provisoire effectuée.

Il en est de même des recours postérieurs à l'arrêt du 13 décembre 2006 exercés devant la Cour européenne des droits de l'homme et des courriers adressés au comité des droits de l'homme des Nations Unies, lequel ne constitue pas une juridiction au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, ces recours ne portant pas sur le fait générateur de la créance alléguée.

L'effet interruptif de prescription de l'ordonnance sur recours rendue par la cour d'appel de Paris le 30 mars 2016, ayant accordé à M. [V] le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre d'une action aux fins d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, est inopérant, dès lors que la prescription était déjà acquise depuis le 31 décembre 2010.

La requête de M. [V] déposée le 27 novembre 2015 et la décision y afférente du 25 septembre 2017 n'ont pu davantage interrompre la prescription acquise depuis le 31 décembre 2010.

L'action en responsabilité est donc prescrite s'agissant du fonctionnement défectueux du service public de la justice allégué au titre de la durée de la procédure pénale, du déroulement de l'information judiciaire et du défaut d'information du droit à être indemnisé de la détention provisoire effectuée.

En revanche, l'action engagée le 27 décembre 2018 au titre des dénis de justice et fautes lourdes ressortant des décisions rendues les 17 octobre 2016 et 25 septembre 2017, lesquelles constituent le fait générateur du dommage allégué faisant courir la prescription à compter des 1er janvier 2017 et 1er janvier 2018, n'est pas prescrite.

Le jugement est donc infirmé de ce chef.

- Sur le bien fondé des demandes :

M. [V] fait valoir que les décisions rendues les 17 octobre 2016 et 25 septembre 2017 sur ses requêtes en indemnisation de la détention provisoire effectuée sont constitutives de fautes lourdes et dénis de justice, en ce que :

- la décision du 25 septembre 2017 méconnaît les dispositions de l'article 149 alinéa 1 en retenant qu'il a agi hors délai alors que celui-ci n'a pas couru à défaut de lui avoir été notifié et en se fondant à tort sur une prétendue prescription quadriennale au titre de l'arrêt du 13 novembre 2006, sans effet sur sa demande, laquelle faute d'appréciation constitue une faute lourde,

- les refus de statuer et même de fixer une date d'audience au vu de sa requête du 27 novembre 2015 en dépit des rappels effectués et le délai déraisonnable de 22 mois pour obtenir la décision d'incompétence ne désignant pas la juridiction compétente et d'irrecevabilité du 25 septembre 2017 notifiée le 4 octobre suivant, au mépris du délai fixé par l'article 149 du code de procédure pénale, constituent un déni de justice,

- la décision du 17 octobre 2016 statuant sur sa demande fondée sur l'article 149 du code de procédure pénale est également constitutive d'un déni de justice.

Le parquet général considère qu'il n'est démontré aucun déni de justice ni aucune faute lourde au titre des procédures engagées sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, dont la durée n'est pas excessive, étant précisé que les délais édictés par les articles R.26 à R.40-3 du code de procédure pénale encadrant cette procédure ont pour conséquence que la durée de celle-ci ne peut être inférieure à six mois.

Selon l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage cause par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilite n'est

engagée que par une faute lourde ou par un deni de justice.

Aux termes de l'article L.141-3, alinéa 4, du même code, il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées.

Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état d'être jugées mais aussi plus largement, comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

Le déni de justice est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute

personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

La faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

M. [V], qui procède par voie d'allégations, ne caractérise aucun déni de justice au titre de la décision rendue par le premier président de la cour d'appel de Paris le 17 octobre 2016 statuant en matière de réparation des détentions provisoires, l'ayant renvoyé à mieux se pourvoir sur les demandes relatives à la faute de l'Etat et au déni de justice et ayant dit n'y avoir lieu à provision au titre de la détention provisoire effectuée en l'état d'une contestation sérieuse. Au demeurant, cette décision du 17 octobre 2016, statuant sur requête déposée par M. [V] le 14 avril 2016, a été rendue dans un délai raisonnable.

Dans sa décision du 25 septembre 2017, le premier président de la cour d'appel de Paris, statuant en réparation des détentions provisoires, s'est déclaré incompétent pour connaître la requête déposée par M. [V] le 24 novembre 2015 en ce qu'elle porte sur la réparation de préjudices résultant du déroulement de l'information judiciaire et a déclaré irrecevable la requête aux fins d'indemnisation de la détention provisoire déposée par M. [V] le 27 novembre 2015 sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, au motif qu'en application des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne dispose d'un délai de six mois à compter de la décision de relaxe devenue définitive pour obtenir la réparation de son préjudice causé par la détention provisoire, que la requête a été déposée plus de neuf ans après l'arrêt de la cour d'appel du 13 novembre 2006 prononcé contradictoirement et devenu définitif, et que 'même si la décision de la cour d'appel ne porte pas mention de l'avis du droit à réparation donné à M. [V] de sorte que le délai de six mois susvisé n'a pas commencé à courir, la prescription quadriennale est applicable au requérant sans qu'il puisse évoquer l'ignorance légitime de la créance de l'Etat telle qu'elle résulte de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968".

A considérer, comme le soutient l'appelant, que cette décision méconnaîtrait les dispositions des articles 149 et suivants du code de procédure pénale seules applicables, la mauvaise appréciation de la loi ou le mal jugé ne sauraient constituer une faute lourde. Il en est de même s'agissant du défaut de précision de la juridiction compétente pour statuer sur la demande.

Aucun texte n'impose un délai impératif pour statuer sur une telle demande d'indemnisation.

M. [V], qui se verse pas les différentes pièces de la procédure, alors en particulier que le premier président de la cour d'appel ne peut statuer sans avoir obtenu communication de l'intégralité du dossier pénal et qu'après l'échange d'écritures entre les parties dont les délais de signification sont encadrés par la loi, ne justifie d'aucun délai excessif de procédure, lequel doit s'apprécier à l'aune des étapes procédurales et non pas pris en sa globalité.

Il n'est donc démontré aucune faute lourde ni aucun déni de justice.

Sur la responsabilité de l'Etat au titre de la procédure civile :

Le tribunal, retenant que M. [V] avait utilisé toutes les voies de recours et qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier en fait et en droit les décisions qui ont été rendues, l'a débouté de ses demandes.

M. [V] soutient que l'action en responsabilité de l'Etat peut être engagée pour dysfonctionnement du service public de la justice bien que les décisions judiciaires soient revêtues de l'autorité de la chose jugée. Il fait valoir, au titre de la procédure civile, que :

- l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mars 2012 a violé la loi et commis des erreurs de fait en ne tenant pas compte des décisions judiciaires exécutoires ayant statué définitivement sur l'exigibilité des sommes revenant à la caisse des dépôts et consignation, dont le jugement du 16 avril 1996 confirmant l'effet attributif de la saisie-attribution du 1er septembre 1993 et ayant ainsi permis le désintéressement total de ladite caisse et l'extinction de sa créance, en sorte que les conditions de validité de la saisie immobilière n'étaient pas réunies, en confirmant la validité des saisies pratiquées dont la nullité était démontrée, en statuant ultra petita en se fondant sur le jugement de distribution des fonds provenant de l'adjudication rendu le 7 novembre 2003 par le tribunal de grande instance d'Evry, non invoqué par les parties, ayant prétendument apprécié le montant de la créance et alors que celle-ci avait été définitivement fixée par le jugement du 16 avril 1996 susvisé, en ne motivant pas sa décision, en entérinant le décompte produit par la caisse des dépôts et consignations ans vérification et en lui allouant des intérêts, alors que la créance était éteinte et que la caisse des dépôts et consignations a dissimulé une partie des fonds perçus, en ne condamnant pas ladite caisse à lui restituer le trop perçu, enfin en ne sanctionnant pas l'abus d'emploi des voies d'exécution,

- le rejet de sa demande d'aide juridictionnelle le 23 janvier 2013 par fausse application de la loi, lui refusant le droit d'accès à un tribunal et lui ayant fait perdre une chance d'obtenir la cassation de cet arrêt, est constitutif d'une faute lourde et d'un déni de justice.

Le ministère public observe que deux juridictions du fond statuant en droit et en fait ont refusé de faire droit aux demandes de M. [V], et que l'appréciation souveraine des juges du fond ne peut être remise en cause que par l'exercice des voies de recours légales, ordinaires et extraordinaires, étant de surcroît relevé que la demande d'aide juridictionnelle a été rejetée à défaut de moyens sérieux de cassation.

Il résulte de l'exposé du litige de l'arrêt du 15 mars 2012 que la caisse des dépôts et consignations, après avoir sollicité le remboursement des prêts consentis à M. [V] à la suite de la cession de son étude notariale le 25 mars 1993, a procédé à une saisie attribution pour un montant de 614 985 euros tel qu'il lui a été attribué par jugement du tribunal de grande instance d'Evry du 16 avril 1996, infirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 janvier 1997 ayant retenu un montant au principal de 310 112 euros, cette décision ayant cependant été cassée par un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2000. Une procédure de saisie immobilière a été diligentée, l'immeuble a été adjugé et par jugement du 7 novembre 2003, le tribunal de grande instance d'Evry a constaté la créance de la caisse des dépôts et consignations pour un montant de 495 721,64 euros et lui a attribué la somme de 196 902,88 euros. M. [V] a assigné la caisse des dépôts et consignations en paiement de diverses sommes en soutenant qu'elle avait conservé la plus value retirée sur la vente des Sicav et qu'elle avait abusé de l'emploi des voies d'exécution en poursuivant sans raison valable une saisie immobilière après avoir reçu des fonds.

La cour d'appel a retenu qu'à la suite de l'arrêt de cassation du 11 mai 2000, la créance de la caisse des dépôts et consignations a été fixée par le tribunal de grande instance d'Evry à la somme de 614 985,03 euros mais que ce jugement n'a pas eu pour effet d'éteindre la créance de ladite caisse ni d'interrompre le cours des intérêts contractuels et que si la caisse a perçu en juin 1997 et mai 1998 la somme de 436 929,43 euros du séquestre provenant du prix de vente de l'étude notariale, ces versements n'ont pas permis d'apurer la créance, les règlements ayant été régulièrement effectués en priorité sur les intérêts échus. Elle a relevé que même en déduisant la différence entre la somme effectivement perçue par la caisse des dépôts et consignations et celle retenue comme versée dans les décomptes, il subsistait une dette de M. [V] au profit de ladite caisse. Elle a déduit du tableau établi par la chambre départementale des notaires produit par M. [V] que la plus-value réalisée par le placement du prix de cession de l'étude notariale en 'oblisécurité' avait été répartie entre les créanciers, en sorte que la demande de restitution de M. [V] à ce titre était infondée. Enfin, elle a rejeté la demande de restitution de la somme versée par l'association notariale de caution à la caisse de dépot et consignations en sa qualité de caution, dont M. [V] demeure le débiteur. Elle a ainsi confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 mai 2009 ayant débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes.

Cette décision est motivée en droit et en fait, et est notamment fondée sur une analyse des pièces versées aux débats, dont le jugement du tribunal de grande instance d'Evry du 7 novembre 2003 et celles produites par M. [V].

L'action en responsabilité du fait de l'Etat ne constituant pas une voie de recours contre des décisions devenues irrévocables, M. [V], qui se borne à réitérer les moyens soulevés devant la cour auxquels il a été répondu, sans caractériser une quelconque inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, ne justifie d'aucune faute lourde ni d'aucun déni de justice.

Il en est de même de la décision de rejet de demande d'aide juridictionnelle pour former un pourvoi en cassation contre cet arrêt, qui est motivée par l'absence de moyen sérieux de cassation conformément à l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991, et qui ne caractérise aucune entrave à l'accès au juge s'agissant d'une voie de recours exceptionnelle dont le refus est conforme à la loi.

La responsabilité du fait de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice n'est donc pas engagée et M. [V] doit être débouté de ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [V] échouant en ses prétentions, est condamné aux dépens et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré prescrite l'action contre l'Etat relativement à la procédure pénale,

Statuant de nouveau,

Dit irrecevable l'action en responsabilité de l'Etat fondée sur la durée de la procédure pénale, le déroulement de l'information judiciaire et le défaut d'information du droit à être indemnisé de la détention provisoire effectuée,

Dit recevable l'action en responsabilité de l'Etat fondée sur les décisions rendues par le premier président de la cour d'appel de Paris les 17 octobre 2016 et 25 septembre 2017,

Déboute M. [M] [V] de ses demandes fondées sur la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat au titre des décisions rendues par le premier président de la cour d'appel de Paris les 17 octobre 2016 et 25 septembre 2017,

Déboute M. [M] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [M] [V] aux dépens d'appel.

LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/10258
Date de la décision : 30/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-30;20.10258 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award