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25/05/2023 | FRANCE | N°22/05074

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 25 mai 2023, 22/05074


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 25 MAI 2023

(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05074 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNZE



Décisions déférées à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MELUN en date du 21 Mars 2019 - RG 18/00045, infirmé partiellement le 05 Novembre 2020 par la Cour d'Appel de PARIS

RG 19/12166, cassé partiellement par la Cour de Cassation, Pourvoi n° 63 F-D

, en date du 19 Janvier 2022





DEMANDEURS A LA SAISINE APRÈS RENVOI :



Madame [Z] [R] [P] [E] veuve [J]

[Adresse 9]

[Localité 27]

représe...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 25 MAI 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05074 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNZE

Décisions déférées à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MELUN en date du 21 Mars 2019 - RG 18/00045, infirmé partiellement le 05 Novembre 2020 par la Cour d'Appel de PARIS

RG 19/12166, cassé partiellement par la Cour de Cassation, Pourvoi n° 63 F-D, en date du 19 Janvier 2022

DEMANDEURS A LA SAISINE APRÈS RENVOI :

Madame [Z] [R] [P] [E] veuve [J]

[Adresse 9]

[Localité 27]

représentée par Me Claudine SCOTTO D'APOLLONIA, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [K] [R] [I] [J]

[Adresse 11]

[Localité 29]

représenté par Me Claudine SCOTTO D'APOLLONIA, avocat au barreau de PARIS

Madame [D] [Y] [R] [J] divorcée [A]

[Adresse 25]

[Localité 26]

représentée par Me Claudine SCOTTO D'APOLLONIA, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [T] [R] [W] [J]

[Adresse 4]

[Localité 28]

représenté par Me Claudine SCOTTO D'APOLLONIA, avocat au barreau de PARIS

DÉFENDEURS A LA SAISINE APRÈS RENVOI :

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES

TRÉSORERIE GÉNÉRALE DE SEINE ET MARNE

France Domaine

[Adresse 21]

[Localité 31]

représentée par Mme [M] [U], en vertu d'un pouvoir général

ÉTABLISSEMENT PUBLIC D'AMÉNAGEMENT DE LA VILLE NOUVELLE DE [Localité 32] (EPAMARNE)

pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 23]

[Adresse 23]

[Localité 32]

représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034 substituée par Me Anne-Hélène CREACH, avocat au barreau de PARIS, toque : J067

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mars 2023, en audience publique devant la cour composée de :

Madame Valérie GEORGET, Conseillère faisant fonction de Présidente

Madame Catherine LEFORT, Conseillère

Monsieur Raphaël TRARIEUX, Conseiller

Greffier : Madame Dorothée RABITA, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, fixée initialement au 11 Mai 2023 et prorogée au 25 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Valérie GEORGET, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

L'établissement public d'aménagement de Marne-la-Vallée (EPAMARNE), créé par décret n° 72-770 du 22 décembre 1972 modifié par décret n° 2016-1838 du 22 décembre 2016, a pour vocation d'exploiter un service public attaché au développement de Marne-la-Vallée.

L'EPAMARNE a pris l'initiative de la création d'une zone d'aménagement concerté (ZAC), d'une superficie de 72 hectares, dite '[Adresse 41] [Localité 39]'sur une partie du territoire de la commune de [Localité 39] (Seine-et-Marne) dans la continuité de la [Adresse 41]-[Localité 37] (commune de [Localité 37]).

Par arrêté préfectoral du 31 octobre 2016, a été prescrite l'ouverture des enquêtes publique préalable et parcellaire.

Par arrêté préfectoral du 12 juillet 2017, le préfet de Seine-et-Marne a déclaré d'utilité publique les travaux et acquisitions foncières nécessaires à la réalisation de la [Adresse 41] [Localité 39] et déclaré cessibles au profit de l'EPAMARNE les parcelles nécessaires à la réalisation de la [Adresse 41] [Localité 39] sur le territoire de la commune de [Localité 39].

L'opération d'aménagement nécessite l'acquisition des parcelles cadastrées AM n° [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] situées sur le territoire de la commune de [Localité 39].

- la parcelle AM n° [Cadastre 10] appartient à Mme [Z] [B] et M. [T] [J],

- les parcelles AM n° [Cadastre 13] et [Cadastre 14] appartiennent à Mme [Z] [B], M. [K] [J], Mme [D] [J] et M. [T] [J],

- les parcelles AM n° [Cadastre 15] et [Cadastre 16] appartiennent à Mme [Z] [B], M. [K] [J] et Mme [D] [J].

L'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété au profit de l'EPAMARNE a été prononcée le 9 août 2017.

Par lettres recommandées en date du 21 février 2017, l'EPAMARNE a proposé aux consorts [J] au titre de la dépossession des parcelles les sommes de :

- 145 028 euros pour la parcelle AM n° [Cadastre 10],

- 209 556 euros pour les parcelles AM n° [Cadastre 13] et [Cadastre 14],

- 186 420 euros pour les parcelles AM n° [Cadastre 15] et [Cadastre 16],

soit la somme globale de 541 004 euros.

Ces propositions ont été refusées par les consorts [J].

L'EPAMARNE a saisi le juge de l'expropriation de Melun aux fins de voir fixer les indemnités de dépossession.

Après transport sur les lieux du 4 octobre 2018, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Melun a statué en ces termes :

fixe à 597 354 euros toutes causes confondues l'indemnité à payer par EPAMARNE aux consorts [J] pour la dépossession des parcelles situées sur la commune de [Localité 39] cadastrées AM [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16],

condamne EPAMARNE à verser aux consorts [J] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens seront laissés à la charge de l'autorité expropriante en application des dispositions de l'article L. 312-1 du code de l'expropriation.

Les consorts [J] ont interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 5 novembre 2020, la cour d'appel de Paris a statué en ces termes :

déclare recevables les conclusions des parties,

déclare irrecevables les demandes nouvelles des consorts [J] dans leurs conclusions récapitulatives de majoration de l'indemnité principale et de remploi ainsi que les pièces n° 26 et n° 45,

infirme partiellement le jugement entrepris,

Statuant à nouveau

Fixe la date de référence pour la parcelle AM [Cadastre 10] pour partie à la date du 20 septembre 2016,

Fixe l'indemnité principale de dépossession à payer par L'EPAMARNE aux consorts [J] pour la dépossession des parcelles situées sur la commune de [Localité 39] cadastrée AM [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] à la somme de 596 104,40 euros se décomposant comme suit :

- indemnité principale : 541 004 euros,

- indemnité de remploi : 55 100, 40 euros.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Déboute les consorts [J] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne les consorts [J] à payer la somme de 2 000 euros à L'EPAMARNE au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne les consorts [J] aux dépens.

Les consorts [J] ont formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 19 janvier 2022 (3e Civ., 19 janvier 2022, n° 20-23.705), la Cour de cassation a, au visa de l'article 16 du code de procédure civile, sauf en ce qu'il déclare recevables les conclusions des parties, cassé l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Par acte du 17 mars 2022, enregistré le 22 mars 2022 les consorts [J] ont saisi la cour d'appel de Paris, cour d'appel de renvoi, autrement composée.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Avant l'arrêt partiellement cassé, les consorts [J] avaient déposé des conclusions le 3 octobre 2019 et le 7 août 2020. Devant la cour d'appel de renvoi, les consorts [J] ont déposé des conclusions le 22 mars 2022, notifiées le 23 mars 2022 à l'EPAMARNE et au commissaire du gouvernement.

Ils demandent à la cour de :

infirmer le jugement déféré du 21 mars 2019 rendu par le juge de l'expropriation de Melun,

fixer la date de référence au 12 juillet 2017, date de la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune de [Localité 39],

Et statuant à nouveau,

constater que les parcelles expropriées cadastrées AM n°[Cadastre 10], n° [Cadastre 14], n° [Cadastre 15] et n° [Cadastre 16] sont classées en zone IIIN et AUZL au plan local d'urbanisme de la commune de [Localité 39],

juger que les parcelles expropriées disposent d'une situation hautement privilégiée au regard de la proximité des réseaux de viabilité et routiers et des agglomérations urbaines déjà constituées,

constater qu'elles sont incluses dans une opération d'intérêt national,

juger que, dès lors, l'expropriant peut réaliser des constructions nécessaires à la réalisation de l'opération d'intérêt national sur lesdites parcelles conformément à l'article L. 111-13 du code de l'urbanisme,

rejeter l'ensemble des demandes de l'EPAMARNE,

fixer à 39 euros le m² le prix des parcelles expropriées, en raison de leur situation hautement privilégiée,

fixer le montant de l'indemnité de dépossession due par l'EPAMARNE aux consorts [J] à la somme totale de 3 272 984, 40 euros se décomposant comme suit :

indemnité principale :

76 256 m² x 39 euros / m² = 2 973 984 euros

indemnité de remploi :

20 % x 5 000 euros = 1 000 euros

15% x 10 000 euros = 1 500 euros

10 % x 2 958 984 = 295 898, 40 euros

total de l'indemnité de remploi (arrondi) : 298 398, 40 euros

Montant total : 3 272 382, 40 euros

condamner l'EPAMARNE à verser aux consorts [J] la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner l'EPAMARNE aux dépens.

Avant l'arrêt partiellement cassé l'EPAMARNE avait déposé des conclusions le 13 février 2020 puis le 4 mars 2020 (régulièrement notifiées). Par conclusions déposées le 23 mai 2023 et notifiées le même jour aux consorts [J] et au commissaire du gouvernement, l'EPAMARNE demande à la cour de renvoi de :

A titre principal,

débouter les consorts [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

confirmer le jugement du 21 mars 2019 du juge de l'expropriation de Melun en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire, si la date de référence retenue était le 12 juillet 2017,

débouter les consorts [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

fixer l'indemnité d'expropriation des parcelles AM n° [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] en valeur libre revenant aux consorts [J] à la somme globale de 504 289, 60 euros.

Dans tous les cas,

condamner les consorts [J] à verser à l'EPARMARNE la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

Avant l'arrêt cassé, le commissaire du gouvernement avait déposé des conclusions le 13 février 2020 (régulièrement notifiées). Par conclusions déposées le 30 juin 2022 et notifiées le 4 juillet 2022 aux consorts [J] et à L'EPAMARNE, le commissaire du gouvernement demande à la cour de renvoi de :

déclarer recevable l'appel des consorts [J],

déclarer non déchus de leur appel les consorts [J],

réformer le jugement de première instance dont il fait lui-même appel incident, de dire que les parcelles ne sont pas en situation privilégiée et de fixer l'indemnité à allouer aux consorts [J] à la somme globale, remploi inclus, de 596 104 euros (541 004 + 55 100, 40).

MOTIVATION

Sur la consistance des biens à la date de l'ordonnance d'expropriation

Selon l'article L. 322-1, alinéa 1er, du code de l'expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.

En l'espèce, l'ordonnance d'expropriation a été prononcée le 9 août 2017.

A cette date, les parcelles expropriées, cadastrées AM n° [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] forment une unité matérielle représentant approximativement un 'L' d'une superficie de 76 256 m². Les parcelles sont en nature de friches (bois taillis, pré). Elles sont entourées de parcelles en nature de friches et desservies par un côté par le chemin du pavillon. Elles sont surplombées par des lignes électriques à haute tension. Les parcelles AM n° [Cadastre 13] et [Cadastre 14] supportent des pylônes.

Sur la date de référence

Le premier juge a fixé la date de référence au 28 novembre 2015.

Selon les consorts [J], l'EPAMARNE, expropriant, est bénéficiaire, par application de l'article L. 102-13 du code de l'urbanisme, d'un droit de préemption. Ils en déduisent que par application combinée des articles L. 213-6 et L. 213-4 du code de l'urbanisme et de l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la date de référence prescrite pour l'évaluation des cinq parcelles expropriées cadastrées AM n° [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] est celle du 12 juillet 2017, date de la mise en comptabilité du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de [Localité 39].

L'EPAMARNE considère que la date de référence doit être fixée au 28 novembre 2015 en précisant que le classement de la parcelle AM n° [Cadastre 10] en zone N l'a exclue du périmètre du droit de préemption urbain instauré par la délibération du 24 septembre 2013. Répliquant à l'argumentation des consorts [J], l'EPAMARNE expose qu'aucun droit de préemption n'a été institué sur le périmètre de la ZAC.

Le commissaire du gouvernement demande de fixer la date de référence au 28 novembre 2015 à l'exception de la partie de la parcelle AM n° [Cadastre 10] située en zone AU-Zlb du PLU et soumise au droit de préemption urbain. Pour cette parcelle, le commissaire du gouvernement propose de fixer la date de référence au 20 septembre 2016.

Sur ce,

Les parcelles AM n° [Cadastre 10] (pour partie), [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16], sont situées en zone IIIN du PLU exclues du droit de préemption urbain.

Tout d'abord, il n'est pas établi par les pièces versées aux débats qu'un droit de préemption ait été institué au profit de l'EPAMARNE sur le périmètre dans lequel se situent les parcelles précitées.

Selon l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa rédaction applicable au litige, seul est pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1.

La date de référence concernant ces parcelles doit donc être fixée au 28 novembre 2015.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Concernant la partie de la parcelle AM n° [Cadastre 10], la pièce n°11 de l'EPAMARNE établissant que cette parcelle située en zone AU-Zlb du PLU a été classée en zone IIIN du PLU par arrêté du 12 juillet 2017, excluant celle-ci du droit de préemption, n'est pas utilement contestée.

En conséquence, le jugement qui a fixé la date de référence au 28 novembre 2015 doit être confirmé de ce chef.

Sur la qualification des parcelles

Le premier juge a, d'une part, exclu la qualification de terrain à bâtir, d'autre part, considéré que les parcelles bénéficiaient d'une situation modérément privilégiée.

Le consorts [J] admettent que les parcelles ne peuvent bénéficier de la qualification de terrains à bâtir dès lors que les réseaux de viabilité à proximité ne sont pas de dimension suffisante pour desservir l'ensemble de la ZAC. En revanche, ils affirment que celles-ci bénéficient d'une situation hautement privilégiée au regard des éléments suivants :

- d'un seul tenant, la propriété des consorts [J] est située dans la partie Ouest du Parc de [Adresse 41], à proximité immédiate de la partie urbanisée de la commune de [Localité 39] et dans la continuité de la [Adresse 41]-[Localité 37],

- la ZAC est desservie par de nombreuses voies routières (autoroute A4, Autoroute A104, RD 471 et RD 406),

- les parcelles expropriées sont desservies par une voie communale (rue du pavillon),

- elles bénéficient des réseaux de viabilité,

- elles jouxtent le parc du château de Croissy ce qui leur confère un certain privilège,

- ce sont les ultimes terrains spacieux et libres proches de [Localité 42], situés à quinze minutes de la porte de Bercy,

- contrairement à ce que soutient l'autorité expropriante, les parcelles ne sont pas à l'état de friches et la présence de lignes à très haute tension ne constitue pas une moins-value.

L'EPAMARNE exclut également la qualification de terrains à bâtir. Il estime que les parcelles sont seulement en 'situation modérément privilégiée' compte tenu du milieu urbain dans lesquelles elles se trouvent. Il rétorque que :

- les parcelles sont à l'état de friches naturelles, non entretenues, situées dans leur majeure partie sous des lignes à très haute tension et à proximité d'une conduite de gaz,

- ces terrains sont uniquement destinés à accueillir des aménagements dans le cadre de réduction et de compensation des impacts dans les milieux naturels/faunes/flore,

- en matière de terrain 'en situation privilégiée', le juge part de la valeur de terrain agricole ou naturel et applique une plus value de 20 à 30 %, jamais plus de 50 %,

- le site de la [Adresse 41] [Localité 39] n'est ni viabilisé, ni urbanisé, le territoire étant à dominante agricole et n'est pas situé à proximité immédiate d'une zone urbaine,

-devant les juridictions administratives, les consorts [J] ont soutenu que les terrains n'étaient pas situés dans un environnement urbain,

- le chemin du pavillon qui longe les parcelles AM n° [Cadastre 14] et AM n° [Cadastre 15] constitue un simple chemin rural non équipé.

Le commissaire du gouvernement fait valoir que les parcelles ne répondent pas à la qualification de terrains à bâtir. Il considère que les terrains ne bénéficient pas d'une situation privilégiée.

Sur ce,

- sur la qualification de terrains à bâtir

Selon l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :

1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ;

2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone.

Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L. 322-2.

Les parties conviennent d'exclure la qualification de terrains à bâtir, les divers réseaux n'étant, en effet, pas de dimensions suffisantes et adaptées à l'ensemble de la zone.

Il convient de confirmer le jugement qui a exclu la qualification de terrains à bâtir.

- sur la qualification de terrains en situation privilégiée

A la date de référence, les parcelles AM n° [Cadastre 10] (pour partie), [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] sont situées dans III N qui est ainsi décrite : zone non équipée constituée par des espaces naturels qui participent des zones N du territoire communal où les SDIF et le SCOT envisagent la possibilité d'infrastructures et où sont admis :

- les équipements publics ou d'intérêt général, à la condition qu'ils ne soient pas contradictoires dans leur conception ou leur localisation avec le SDIF ou le SCOT,

- la réalisation d'ouvrage électrique de très haute ou moyenne tension,

- des pistes cavalières, des ouvrages de promenade et d'aménagements paysagers.

Le potentiel de construction des parcelles classées dans cette zone est donc très limité.

Une partie de la parcelle AM n° [Cadastre 10] est classée en zone AU-ZLb ainsi définie 'zone actuellement non équipée que le schéma directeur local (valant SCOT) prévoit comme pôle d'activités intégré dans l'espace urbanisable défini par le schéma directeur d'Ile-de-France et destiné notamment à renforcer l'équilibre population/emploi sur le secteur II. Cet aménagement se fera sous la forme de zone d'aménagement concerté. Cette zone aura, après modification du PLU, pour vocation principale d'accueillir des activités économiques diversifiées, des équipements d'infrastructures et de superstructures liés au fonctionnement de l'opération.

Le parti spatial retenu dans le PADD et le rapport de présentation vise à protéger et à mettre en valeur l'[Adresse 40], dite [Adresse 40], qui dessert la ferme des [Adresse 41]. De même, une marge de recul préservera un territoire naturel, aux abords de la ferme en mettant en valeur les abords de celle-ci. Le secteur AU-Zl a est créé pour s'assurer du caractère naturel de ces territoires. A l'Ouest, un boisement dit des 'Prés des Loriots' devra être conservé : il correspond au secteur AU-ZLb.'

Les parcelles ont une superficie de :

- AM [Cadastre 10] : 5 962 m² (en zone AUZLb) et 4 298 m² (en zone IIIN)

- AM [Cadastre 13] : 10 496 m²

- AM [Cadastre 14] : 24 430 m²

- AM [Cadastre 15] : 10 200 m²

- AM [Cadastre 16] : 20 870 m²

Seuls les réseaux primaires sont situés à proximité des parcelles mais sont de dimensions insuffisantes pour alimenter la ZAC.

En outre, les terrains expropriés ne sont pas situés à proximité immédiate d'une zone urbanisée.

Enfin, la cour observe, à titre surabondant, que si, matériellement, les parcelles en cause forment un bloc, elles ne constituent pas une unité foncière appartenant aux mêmes propriétaires (les co-indivisaires étant les mêmes concernant, d'une part, les parcelles AM [Cadastre 13] et [Cadastre 14], d'autre part, les parcelles AM [Cadastre 15] et [Cadastre 16]).

En revanche, les parcelles bénéficient des atouts suivants :

- la rue des pavillons, bien que non équipée, longe les parcelles AM [Cadastre 15] et AM [Cadastre 14] et offre un accès vers le centre de la commune de [Localité 39] et vers les autoroutes A[Cadastre 22] et A[Cadastre 3],

- elles sont situées près du château de Croissy et à environ 350 mètres de la [Adresse 41]-[Localité 37], 400 mètres de la zone d'habitation de la commune de [Localité 39] et 350 mètres de la [Adresse 41]-[Localité 37],

- les parcelles sont distantes de 23 km de [Localité 42] et font partie d'une zone économique dynamique desservie par des axes routiers et des transports en commun.

Il en résulte que, sans pouvoir être qualifiées de parcelles bénéficiant d'une situation hautement privilégiée dont la valeur est comparable à celle de terrains à bâtir, les biens expropriés présentent des atouts leur conférant une situation privilégiée par rapport à des terrains de même nature.

Sur la fixation de l'indemnité de dépossession

- Sur l'indemnité principale

Les consorts [J] demandent de fixer une valeur unitaire de 39 euros par m² (40% de la valeur d'un terrain à bâtir). Ils soutiennent que les termes de comparaison proposés par l'autorité expropriante sont anciens et ont trait à des terrains de très grandes superficies. Ils ajoutent que leurs parcelles sont intégrées dans une opération d'intérêt national de sorte que l'EPARMARNE détient le droit d'acquérir des parcelles théoriquement inconstructibles pour y édifier des constructions conformes à ses projets. Ils proposent cinq termes de comparaison.

L'EPAMARNE demande de fixer la valeur des parcelles situées en zone IIIN à 6 euros par m² et celle de la parcelle partiellement située en zone AUZlb à 20 euros par m². Il cite deux termes de comparaison et argue des dispositions de l'article L. 322-8 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Il conclut au rejet des termes de comparaison proposés par les consorts [J] qui ne constituent pas des mutations de biens de même nature.

Le commissaire du gouvernement propose également de retenir les valeurs unitaires de 6 euros par m² pour la zone IIIN et 20 euros par m² pour la zone AU-Zlb. Il cite cinq termes de comparaison.

Les termes de comparaison mentionnés sont les suivants :

Les consorts [J]

A1 - vente du 21 mars 2013, parcelle AD [Cadastre 24], [Adresse 41], 40 601 m², 96 euros/m² (pièce demandée par les consorts [J] au service de la publicité foncière),

A2 - vente du 9 décembre 2016, parcelle AD [Cadastre 30] à AD [Cadastre 33], [Adresse 41], 14 135 m², 90 euros/m²(pièce n°15),

A3 - vente du 27 avril 2017, parcelle AD [Cadastre 34], [Adresse 41], 10 066 m², 90 euros/m² (pièce n°16)

A4 - vente du 11 décembre 2017, parcelle AD [Cadastre 35] à [Cadastre 36], [Adresse 41], 90 euros/m² (pièce n°17)

A5 - vente du 9 mai 2018, parcelle AD [Cadastre 2], [Adresse 41], 108 euros/m² (pièce demandée par les consorts [J] au service de la publicité foncière).

L'EPAMARNE

B1- vente du 28 mai 2014, parcelles AM [Cadastre 1], [Cadastre 12], [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 19] et [Cadastre 20] situées en zone AUZL, AUZLa et IIIN du PLU, d'une superficie totale de 300 207 m², 13, 50 euros par m² (zone AUZL) et 4, 50 euros par m²(zone IIIN) ,

B2 - vente du 29 janvier 2016, parcelles cadastrées AM [Cadastre 22], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] situées en zone AUZL, AUZLa et IIIN du PLU, d'une superficie totale de 344 680 m², 20 euros par m² (zone AUZL) et 6 euros par m²(zone IIIN).

Le commissaire du gouvernement

C1 - voir B1

C2- voir B2

C3- jugement du tribunal de grande instance de Melun du 18 septembre 2014, [Localité 38], 21 549 m², 5 euros/m²,

C4 - jugement du tribunal de grande instance de Melun du 31 janvier 2013, [Localité 38], 98 965m²,m², 6 euros/m²,

C5 - arrêt cour d'appel de Paris du 28 mai 2015, [Localité 43], 12 0113 m², 7 euros/m².

Sur ce,

Selon l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

L'article L. 322-8 du même code précise que le juge tient compte des accords intervenus entre l'expropriant et divers titulaires de droits à l'intérieur du périmètre des opérations faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique et les prend pour base lorsqu'ils ont été conclus avec au-moins la moitié des propriétaires intéressés et portent sur les deux tiers au-moins des superficies concernées ou lorsqu'ils ont été conclus avec les deux tiers au moins des propriétaires et portent sur la moitié au moins des superficies concernées.

Tout d'abord, les mutations citées par les consorts [J] concernent des parcelles situées dans la commune de [Localité 37] dans la zone UGact du PLU ainsi définie 'la zone urbaine générale concerne l'ensemble du territoire urbanisé. Elle a vocation à répondre aux besoins de la commune en termes de constructions nouvelles, de changement de destination et de densification des parcelles déjà bâties. Ce secteur regroupe le secteur commercial de BAY2, la zone d'activité des Portes de la Forêt ainsi que la nouvelle [Adresse 41].' Les termes de comparaison produits par les consorts [J] doivent donc être écartés dès lors qu'ils concernent des terrains à bâtir et qu'ils sont situés certes dans une ZAC proche de celle concernée par la présente opération mais qui est différente.

Par ailleurs, la vocation future des parcelles ne peut pas être prise en considération pour leur évaluation.

En revanche, les termes de comparaison produits par l'EPAMARNE (B1 et B2, également cités par le commissaire du gouvernement, C1 et C2) doivent être retenus ; ces ventes ont été conclues avant la déclaration d'utilité publique, elles ne peuvent toutefois pas justifier l'application des dispositions précitées de l'article L. 322-8 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Ces mutations concernent les terrains situés à proximité des parcelles expropriées présentant des caractéristiques similaires.

La moyenne des mutations pour les parcelles situées en zone IIIN s'élève à 5,5 euros par m² (4,5 + 6 / 2) et à 16,75 euros par m² (13,50 + 20 / 2) pour les parcelles situées en zone AUZLb.

Les valeurs proposées par l'autorité expropriante tiennent compte de l'évolution du marché et des atouts des parcelles expropriées.

Les autres termes de comparaison proposés par le commissaire du gouvernement, qui concernent des décisions de justice, ne seront pas retenus.

En conclusion, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé à 6 euros par m² la valeur unitaire des parcelles situées en zone IIIN et à 20 euros par m² la valeur des parcelles situées en zone AUZLb.

L'indemnité de dépossession s'élève en conséquence à la somme de 541 004 euros qui se décompose comme suit :

- parcelle AM [Cadastre 10] : 119 240 euros (AUZLb : 5 962 m² X 20 euros) + 25 788 euros (IIIN : 4 298 m² X 6 euros)

- parcelle AM [Cadastre 13] : 62 976 euros ( 10 496 m² X 6 euros)

- parcelle AM [Cadastre 14] : 146 580 euros (24 430 m² X 6 euros)

- parcelle AM [Cadastre 15] : 61 200 euros (10 200 m² X 6 euros)

- parcelle AM [Cadastre 16] : 125 220 euros (20 870 m² X 6 euros)

- Sur l'indemnité de remploi

Il convient d'appliquer les taux habituels :

- 5000 euros X 20 % = 1 000 euros

- 10 000 euros X 15 % = 1 500 euros

- 10 % pour le surplus (541 004 -15 000) = 52 600,40 euros

Soit : 55 100,40 euros.

Ainsi que souligné par le commissaire du gouvernement, le premier juge a commis une erreur de calcul en retenant la somme de 56 350 euros au titre de l'indemnité de remploi.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité de remploi à 56 350 euros et l'indemnité totale de dépossession à 597 354 euros.

L'indemnité totale de dépossession s'élève à 596 104,40 euros.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les chefs du jugement relatifs aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmés.

En cause d'appel, les consorts [J] seront condamnés aux dépens et à payer à l'EPAMARNE de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande des consorts [J], fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il fixe à 597 354 euros, toutes causes confondues, l'indemnité à payer par l'EPAMARNE aux consorts [J] pour la dépossession des parcelles situées sur la commune de [Localité 39] cadastrées AM [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16],

Statuant à nouveau,

Fixe l'indemnité totale de dépossession à payer par L'EPAMARNE aux consorts [J] pour la dépossession des parcelles situées sur la commune de [Localité 39] cadastrées AM [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16] à la somme de 596 104,40 euros se décomposant comme suit :

- indemnité principale : 541 004 euros,

- indemnité de remploi : 55 100,40 euros.

Confirme le jugement pour le surplus des chefs soumis à la cour,

Y ajoutant,

Condamne les consorts [J] aux dépens d'appel,

Condamne les consorts [J] à payer la somme de 4 000 euros à l'EPAMARNE sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande des consorts [J] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA CONSEILLÈRE

faisant fonction de PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 22/05074
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;22.05074 ?
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