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25/05/2023 | FRANCE | N°21/05230

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 25 mai 2023, 21/05230


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 25 MAI 2023



(n°2023/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05230 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2TT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F17/01151





APPELANTE



Madame [P] [D]

[Adresse 2]

[Localité 1]

née le 18 Janvier 1

974 à [Localité 5]



Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125



INTIMEE



S.A.S. YVES ROCHER FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domic...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 25 MAI 2023

(n°2023/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/05230 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2TT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Avril 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F17/01151

APPELANTE

Madame [P] [D]

[Adresse 2]

[Localité 1]

née le 18 Janvier 1974 à [Localité 5]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

INTIMEE

S.A.S. YVES ROCHER FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 mars 2023 à 9h00, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine BRUNET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [P] [D] a constitué la société [P] Beauté qui, le 13 juillet 2004, a conclu avec la société Yves Rocher un contrat de location gérance pour une durée de trois ans aux fins d'assurer la gestion et l'exploitation d'un centre de beauté au sein d'un centre commercial situé à [Localité 7].

Par courrier du 25 avril 2007, la société Yves Rocher a informé Mme [D] de son intention de ne pas renouveler ce contrat à effet au 2 août 2007 puis par lettre du 4 mai 2017, lui a indiqué que leurs relations commerciales se poursuivraient dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Au mois d'août 2009, la société [P] Beauté et la société Yves Rocher ont conclu un contrat de location gérance pour ce même centre de beauté, pour une durée indéterminée avec effet rétroactif au 6 mai 2009, une période de garantie étant stipulée jusqu'au 5 mai 2014. Par avenant du 3 décembre 2015, les parties ont convenu d'une nouvelle période de garantie jusqu'au 30 novembre 2020.

Par courrier du 11 octobre 2016, la société [P] Beauté a informé la société Yves Rocher de son souhait de voir résiliées les relations contractuelles. Par lettre du 16 février 2017, la société Yves Rocher l'a informée que la fin d'exploitation du centre était fixée au 30 juin 2017.

Par courrier du 19 février 2017, Mme [D] a notamment indiqué à la société Yves Rocher 'Ma décision de mettre fin au contrat a été subie et non choisie. Elle est le résultat de cette attitude inhumaine de la part d'Yves Rocher'.

Parallèlement, le 15 septembre 2009, les parties ont conclu un contrat de franchise aux fins d'exploitation d'un autre centre de beauté Yves Rocher situé dans un centre commercial à [Localité 6], la société [P] Beauté étant propriétaire du fonds de commerce depuis le 14 septembre 2009. Le 23 mars 2011, les parties ont régularisé une promesse de vente de ce local, vente effective en 2011 puis ont conclu un contrat de location gérance de ce centre de beauté.

Par lettre du 10 février 2015, la société [P] Beauté a indiqué à la société Yves Rocher souhaiter résilier ce contrat, la prise d'effet de cette résiliation étant fixée au 30 juin 2015.

Mme [P] [D] a saisi le conseil de Prud'hommes de Bobigny le 11 avril 2017 aux fins notamment de bénéficier de la législation afférente aux gérants de succursales et de requalification de la rupture des relations contractuelles en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 23 avril 2021 rendu en formation de départage auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, cette juridiction a :

- débouté Mme [D] de ses demandes d'application des articles L. 7321-1 à L. 7321-3 du code du travail, de requalification de sa prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamnation de la société Yves Rocher à lui payer une indemnité conventionnelle de licenciement ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de remise des documents sociaux de fin de contrat ;

- débouté Mme [D] et la société Yves Rocher de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [D] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Mme [D] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 10 juin 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 février 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [D] demande à la cour de :

- prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture du 15 février 2023, afin de faire respecter le principe du contradictoire, en conséquence ;

- déclarer les présentes conclusions recevables ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé qu'elle remplissait les deux premières conditions posées par l'article L. 7321-1 du code du travail ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé qu'elle ne remplissait pas les deux dernières conditions posées par l'article L. 7321-1 du code du travail relatives aux conditions d'exploitation et aux prix imposés ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de requalification de la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- infirmer le jugement pour le surplus ;

Statuant de nouveau :

- se déclarer compétente ;

- requalifier son statut de locataire gérante en celui de gérante de succursale ;

- requalifier la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Yves Rocher à lui verser les sommes de :

* 8 732,75 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 66 020 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- assortir ces condamnations des intérêts au taux légal, avec capitalisation à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner la société Yves Rocher à lui remettre un certificat de travail et l'attestation Pôle emploi ;

- condamner la société Yves Rocher à lui verser les sommes de :

* 6 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,

* 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- condamner la société Yves Rocher aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2023 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Yves Rocher France demande à la cour de :

- confirmer le jugement et débouter Mme [D] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [D] au paiement d'une somme de 3 000 euros à la société Yves Rocher au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [D] aux entiers dépens.

A l'audience du 30 mars 2023, le conseiller de la mise en état a révoqué l'ordonnance de clôture intervenue le 15 février 2023 afin que le principe de la contradiction soit respecté et a prononcé la clôture de l'instruction ainsi que le renvoi de l'affaire à l'audience du même jour.

MOTIVATION

A titre liminaire, la cour relève que la rupture des relations contractuelles dont Mme [D] sollicite la qualification en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse concerne uniquement le centre de beauté situé à [Localité 7] de sorte que le litige soumis à la cour y est circonscrit.

Sur le statut de gérant de succursale

Mme [D] soutient qu'elle doit bénéficier du statut de gérante de succursale car elle a exercé sa profession dans les conditions fixées au 2°. a) de l'article L. 7321-2 du code du travail.

La société Yves Rocher fait valoir que ce statut n'est pas applicable à Mme [D], ces conditions cumulatives n'étant pas réunies.

L'article L. 7321-2 du code du travail dispose :

Est gérant de succursale toute personne :

1° Chargée, par le chef d'entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;

2° Dont la profession consiste essentiellement :

a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;

b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.

Afin de bénéficier du statut de gérant de succursale, Mme [D] doit démontrer que :

- sa profession consistait essentiellement à vendre des marchandises ;

- ces marchandises lui étaient fournies exclusivement ou quasi-exclusivement par la société Yves Rocher ;

- le local était fourni ou agréé par cette société ;

- les conditions et prix étaient imposés par cette société.

Il convient de rechercher si ces conditions cumulatives sont réunies en l'espèce.

Sur la fourniture du local

Il est constant et reconnu par les deux parties que le local était fourni par la société Yves Rocher.

Sur la profession consistant essentiellement à vendre des marchandises

Le centre de beauté Yves Rocher comprenait deux activités, une activité de vente de produits de beauté et une activité de soins esthétiques.

Mme [D] soutient que son activité consistait essentiellement à vendre des produits de beauté. Elle fait valoir qu'elle n'était pas esthéticienne, que ses fonctions consistaient à être sur la surface de vente et à réaliser toutes les fonctions liées à la vente. Elle ajoute que le seul fait d'employer du personnel n'exclut pas le bénéfice du statut de gérant de succursale. Elle soutient que le chiffre d'affaires est l'indicateur qui permet de définir l'activité essentielle et non la marge, et souligne qu'en l'espèce, le chiffre d'affaires et la marge dégagés par l'activité de vente de produits étaient supérieurs à ceux dégagés par l'activité de soins.

La société Yves Rocher fait valoir que l'activité de Mme [D] ne consistait pas essentiellement à vendre des produits mais à diriger la société [P] Beauté. Elle ajoute que le seul chiffre d'affaires n'est pas un indicateur pertinent afin d'apprécier l'activité essentielle dans la mesure où la société de Mme [D] ne concevait pas les produits mais se contentait de les revendre et que seules les activités directement rattachables au centre de beauté doivent être prises en compte dans cette appréciation. Elle précise que l'activité de soins ne nécessite que peu d'achats de sorte qu'elle dégage une marge importante et que seule la comparaison entre les marges brutes dégagées par chacune de ces activités est un indicateur adapté. Elle en déduit que l'activité de soins représentait un pourcentage non négligeable du chiffre d'affaires total et de la marge brute du centre de beauté de sorte qu'il ne peut pas être retenu que la vente de produits était l'activité essentielle de Mme [D].

Les dispositions de l'article L. 7321-2 du code du travail renvoient à l'activité de vente. L'indicateur de mesure de cette activité est le chiffre d'affaires généré alors que sa rentabilité est mesurée par la marge brute. Dès lors, l'élément à prendre en compte est le chiffre d'affaires. En tout état de cause, le terme 'essentiellement' signifie 'à titre principal, principalement '. Il résulte des chiffres communiqués par la société Yves Rocher et non contestés par Mme [D] que le chiffre d'affaires du centre de beauté de [Localité 7] au cours de l'année 2015/2016 a été de 1 272 557 euros pour l'activité de vente de produits (soit 77,7% du chiffre d'affaires total) et de 365 190 euros pour l'activité de soins esthétiques (soit 22,3% du chiffre d'affaires total) et que la marge brute dégagée était de 480 282 euros pour l'activité de vente de produits (soit 59% de la marge brute totale) et de 333 864 euros pour l'activité de soins esthétiques (soit 41% de la marge brute totale) de sorte qu'il résulte de l'ensemble des indicateurs que l'activité du centre était essentiellement c'est à dire à titre principal dédiée à la vente de produits.

Il ne peut pas être valablement objecté comme tente de le faire la société Yves Rocher que Mme [D] n'exerçait pas personnellement l'activité de vente alors que d'une part, il est établi qu'elle y participait et que d'autre part, le fait que la société locataire gérante emploie des salariés ne peut pas exclure sa gérante du bénéfice du statut de gérante de succursale, l'activité d'un centre de beauté imposant nécessairement le recours à une équipe et la gérante en assurant la responsabilité.

En conséquence, la cour retient que cette condition est également remplie.

Sur la fourniture exclusive ou quasi-exclusive des marchandises par la société Yves Rocher

Mme [D] soutient qu'elle a effectué tous ses achats auprès de la société Yves Rocher comme en témoignent selon elle les bilans de son activité et que la liberté d'approvisionnement stipulée selon la société par le contrat de location gérance n'est que purement théorique.

L'article 2.1 du contrat de location-gérance stipule : '(...) la LOCATAIRE ne pourra exercer dans les locaux (...) d'autre commerce que celui de la vente de produits de beauté Yves Rocher et la réalisation de prestations de soins esthétiques'.

En outre, son article 9.1 stipule :

' La présente location-gérance comporte à la charge de la LOCATAIRE l'engagement de s'approvisionner exclusivement auprès du LOUEUR en produits de beauté.

La LOCATAIRE s'oblige à ne pas vendre d'autres produits qui n'auraient pas été approuvés expressément par le LOUEUR, sans l'avoir informé préalablement et par écrit de son intention de le faire, et en donnant au LOUEUR la possibilité de déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits sont compatibles avec l'image de marque des Centres de Beauté du réseau Yves Rocher. (...)'

Il résulte de ces articles que Mme [D] ne pouvait vendre que des produits Yves Rocher, qu'elle devait se fournir exclusivement ou quasi exclusivement auprès de la société Yves Rocher dès lors qu'elle devait s'approvisionner exclusivement auprès de cette société et qu'elle ne pouvait vendre d'autres produits qu'avec l'approbation expresse de celle-ci.

Dès lors, la cour retient que cette condition est réunie.

Sur la vente aux conditions et prix imposés par la société Yves Rocher

Mme [D] soutient que toutes les conditions d'exploitation du centre de beauté étaient imposées par la société Yves Rocher comme le révèle selon elle les stipulations du contrat, le catalogue mensuel 'Scénario', les guides de procédure, les contrôles du centre opérés par la société Yves Rocher, le système informatique, les publicités à installer sur le lieu de vente et la maîtrise par la société Yves Rocher des actions promotionnelles et publicitaires. Elle ajoute que le prix des produits était fixé par cette société et qu'elle devait les respecter.

La société Yves Rocher fait valoir qu'elle n'imposait pas les conditions d'exploitation du centre de beauté mais que le principe de tout réseau de franchise consiste à donner un cadre défini dans lequel le franchisé doit s'inscrire pour mener à bien son entreprise commerciale. Elle souligne qu'à ce titre elle communique aux franchisés et aux locataires gérants son savoir faire (agencement du centre de beauté, publicité sur le lieu de vente, mode de présentation des produits, parcours du clients, techniques de vente,...) et des signes de ralliement de la clientèle constitués principalement par sa marque et son enseigne. Elle ajoute qu'elle doit contrôler le respect des obligations contractuelles souscrites par ces derniers dans le but de garantir la réussite du réseau et de protéger son image de marque. Elle considère que la redevance versée par les locataires gérants ou les franchisés est la contrepartie de ces avantages et de l'utilisation du local commercial mis à disposition dont elle assure les travaux de modernisation. Elle précise apporter à ses partenaires également une assistance technique et commerciale. Elle soutient que par ailleurs, Mme [D] disposait d'une autonomie dans la gestion de son personnel, la gestion des stocks, les horaires du centre de beauté et la fixation de sa rémunération ainsi qu'en ce qui concerne les prix. Elle affirme à ce titre qu'elle indiquait des prix conseillés que Mme [D] pouvait faire varier à la hausse ou à la baisse ce qu'elle a selon elle d'ailleurs fait compte tenu de son taux de marge brute, et qu'elle indiquait au locataire gérant dans le cadre des promotions un prix maximum ce qui lui permettait de diminuer le prix de vente.

A titre liminaire, il sera rappelé qu'au-delà des stipulations contractuelles, il appartient à Mme [D] de rapporter la preuve que cette condition est réunie à partir d'éléments factuels concernant le centre de beauté de [Localité 7] pendant la période contractuelle.

Le contrat de location-gérance stipule en son article 7 que :

- la locataire gérante est libre dans sa direction, dans son exploitation des deux activités du fonds, dans la tenue de sa comptabilité ;

- elle a la responsabilité de faire intervenir un personnel qualifié et en nombre suffisant, elle est libre de l'engagement, de la fixation de rémunération de son personnel, de son renvoi et de la gestion des emplois du temps ;

- elle détermine librement sa politique personnelle de prix tant au niveau des produits Yves Rocher que des soins esthétiques ;

- néanmoins afin d'assurer une homogénéité de la politique commerciale du réseau et le positionnement de l'image de marque de ses produits, la société Yves Rocher communique au sein de son réseau des prix conseillés pour les produits de sa marque sur la base desquels sont calculés les prix de fourniture des produits à la locataire ;

- dans le cadre des ventes promotionnelles, la société Yves Rocher indique des prix maxima aux locataires qui bénéficient d'un avoir ;

- aucun prix n'est communiqué pour ce qui concerne les soins esthétiques ;

- la locataire a la responsabilité de maintenir un stock suffisant afin de répondre aux besoins de la clientèle ;

- elle doit exploiter à la fois une activité de vente de produits et une activité de soins esthétiques ;

- elle détermine librement les heures d'ouverture et les périodes de fermeture du centre de beauté, dans le respect des clauses du bail et afin de répondre aux besoins de la clientèle.

L'article 8 de ce contrat stipule que :

- la locataire doit respecter les normes liées à l'identité et à l'uniformité du réseau ; en cabine, seuls les produits et les soins autorisés par la société Yves Rocher ainsi que les soins spécifiques mis au point par elle pourront être utilisés ;

- la société Yves Rocher prend en charge des campagnes promotionnelles et mettra à la disposition de la locataire des catalogues, documents publicitaires et échantillons que la locataire devra remettre à la clientèle, la locataire prenant en charge en contrepartie une participation financière ;

- chaque trimestre, la société Yves Rocher communique à la locataire un tableau de bord comparant les résultats du centre de beauté avec ceux du réseau afin de prévenir le risque d'une diminution éventuelle de la valeur du fonds.

Il a été ainsi convenu entre les parties que la locataire-gérante dispose d'une liberté en ce qui concerne la gestion du centre, la gestion des ressources humaines, la fixation des prix et les horaires d'ouverture mais qu'elle a également des obligations comme le maintien d'un stock suffisant, le développement d'une activité de vente de produits et de soins, le respect de normes liées à l'image du réseau Yves Rocher et le maintien de la valeur du fonds.

Sur les conditions d'exploitation

Il est établi par les pièces produites aux débats par Mme [D] et d'ailleurs non contesté par la société Yves Rocher que cette dernière adressait aux franchisés ou aux locataires-gérants des prescriptions concernant la présentation des produits et le comportement à adopter envers les clients notamment dans le cadre du catalogue Scénario. Il est également constant qu'elle adressait aux clients des mailings et des offres promotionnelles.

S'agissant des contrôles opérés sur les centres, il convient de rechercher si le centre géré par Mme [D] a fait l'objet de tels contrôles. Elle produit aux débats à ce titre une lettre du 20 octobre 2014 démontrant que la société Yves Rocher se faisait communiquer les bilans de sa société, analysait ses résultats, lui indiquait ' un arrêt des relations nous semble devoir être envisagé à défaut de mise en place d'un plan viable rétablissant votre situation financière' et lui demandait de remettre sous quinzaine une situation comptable à jour ainsi qu'un plan de redressement. Elle verse également aux débats un courrier du 25 mars 2015 de la société Yves Rocher qui lui demandait de lui communiquer des pièces complémentaires. Elle produit en outre une lettre du 9 mars 2015 par laquelle la société Yves Rocher l'alertait sur l'insuffisance de son stock. Mme [D] justifie également de visites de contrôle du centre de beauté sous la forme d'un questionnaire concernant notamment l'état du local et la présentation du personnel et produit aux débats une lettre de la société Yves Rocher consécutive à une visite et énumérant des améliorations à apporter. Elle verse encore aux débats une lettre de la société Yves Rocher du 25 avril 2012 lui demandant d'enrichir son fichier clients par les adresses e-mails et par les numéros de téléphone. Enfin, il n'est pas contesté par la société Yves Rocher et il est établi que son réseau disposait d'un système informatique commun à tous les centres.

En conséquence, la cour retient que certaines conditions d'exploitation étaient imposées à Mme [D].

Cependant, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, Mme [D] ne démontre pas que contrairement à ce que stipule le contrat de location-gérance, elle n'était pas libre de définir les horaires d'ouverture du centre de [Localité 7]. Elle produit à ce titre une pièce 11 qui correspond à des jurisprudences pour d'autres centres mais aucun élément circonstancié concernant le centre qu'elle exploitait. Elle n'établit pas non plus par des éléments circonstanciés qu'elle était contrainte dans la gestion du personnel.

Sur les prix

A l'appui de son allégation concernant des prix imposés, Mme [D] soutient que tous les prix étaient paramétrés dans le logiciel de caisse et qu'ils figuraient sur plusieurs supports comme les affiches à placer dans le centre, que la société lui livrait des étiquettes de prix prédécoupées, qu'elle ne disposait pas de la possibilité de paramétrer le logiciel de caisse pour appliquer une politique personnelle de prix, que la procédure pour modifier un prix était complexe, que la modification du prix entraînait la perte de l'avoir émis par la société Yves Rocher et que le relevé d'écart de prix produit montre qu'elle ne modifiait pas les prix, ces écarts étant dus à la rectification d'erreurs matérielles commises par la société Yves Rocher. Elle fait valoir que la production d'une centaine de tickets de caisse identiques émanant de plusieurs centres de beauté pour deux produits démontre que ces centres ont appliqué les prix imposés par la société.

En réponse, la société Yves Rocher fait valoir que les produits étaient vendus au locataire-gérant avec une remise de 37% par rapport au prix conseillé qui représente sa marge. Elle ajoute que les prix n'étaient pas affichés sur les produits et que les membres du réseau les indiquaient à l'aide d'étiquettes en utilisant soit celles portant le prix conseillé soit en éditant à partir de l'intranet Yves Rocher des étiquettes vierges à renseigner. Elle précise que le prix conseillé pouvait être modifié sur la caisse suivant une modalité qui n'est pas complexe. Elle souligne que la marge obtenue par le locataire gérant varie en fonction de la majoration ou de la minoration du prix et qu'il disposait en outre de la possibilité d'octroyer une remise discrétionnaire dite 'remise de fin de ticket'. Elle ajoute que Mme [D] a mis en oeuvre une politique personnelle de prix car elle n'a pas toujours obtenu au cours des années 2012 à 2016 un taux de marge de 37% mais à deux reprises un taux supérieur et à deux reprises un taux inférieur. Elle précise que pour les produits en promotion, le locataire gérant disposait de la possibilité de baisser les prix. Enfin, elle souligne qu'aucun prix n'est fixé pour les soins esthétiques.

La cour constate en premier lieu que Mme [D] avait toute liberté pour fixer les prix des soins esthétiques.

En second lieu, les parties produisent des procès-verbaux de constats d'huissiers afférents à la politique de prix. Si ces constats sont postérieurs à la période d'exploitation du centre de beauté, les deux parties conviennent de l'existence d'un système similaire pendant la période contractuelle. Il en résulte de manière concordante que lorsque le produit est 'scanné' en caisse, un prix qui est le prix conseillé apparaît automatiquement. La société Yves Rocher démontre par le constat d'huissier établi le 18 février 2021 que le locataire gérant a la possibilité d'éditer des étiquettes vierges qu'il peut renseigner dès lors qu'il veut modifier un prix. Les trois procès-verbaux de constats d'huissiers produits aux débats démontrent que les locataires-gérants peuvent en quelques manipulations informatiques modifier le prix conseillé qui s'affiche automatiquement en caisse. Il est indifférent qu'ils recourrent ou non à cette modalité dès lors qu'ils peuvent en disposer. Il est également constant que le document 'carnet de beauté' annexé au procès verbal du constat d'huissier produit par Mme [D] mentionne que les prix indiqués sont des prix tarif conseillés. De même, le document Scénario produit par l'appelante (pièce 2.1) rappelle que les prix indiqués sont conseillés et une page de ce document est consacrée à la modification de ces prix. Le 'livre vert de la beauté' versé également aux débats par l'appelante (pièce 3.2) indique de la même manière en page 4 que les prix indiqués sont conseillés. Mme [D] ne justifie pas de ce que les prix figurant sur les affiches publicitaires étaient imposés. Enfin, s'il est exact que le prix des articles en promotion est plafonné, le locataire gérant peut tout de même modifier le prix à la baisse dans le cadre de sa politique commerciale. Mme [D] ne peut pas valablement invoquer que le fait de baisser un prix diminue sa marge pour soutenir que le prix lui était imposé alors que toute politique commerciale de remise génère nécessairement une diminution de la marge obtenue et qu'il lui appartenait en tant que responsable d'un commerce de prendre une décision à ce titre dans le cadre d'une politique personnelle des prix qu'elle pouvait déterminer et conduire.

En conséquence, la cour retient que toutes les conditions d'exploitation du centre de beauté n'étaient pas imposées à Mme [D] non plus que les prix qu'elle pouvait modifier.

Dès lors, Mme [D] sera déboutée de sa demande de bénéfice du statut de gérante de succursale, de ses demandes au titre d'une indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de remise d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi.

La décision des premiers juges sera confirmée sur ces chefs de demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, Mme [D] sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à sa charge.

Aucune circonstance de l'espèce ne conduit à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La décision des premiers juges est confirmée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE Mme [P] [D] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/05230
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.05230 ?
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